
en l’imifant ; & de l’autre, à l’Architecture , qui ne
confulte que le plaifir du fons qu’elle doit affeéter.
En étudiant les A r t s , il faut le bien remplir de
cette idée , qu’indépendamment des plaifîrs réfléchis
que nous caufent la reflèmblancê & le preftige de
l’imitation, chacun des fons a fes plaifîrs purement
phyfîques , comme le goût & l ’odorat : 1 oreille fur*-
tout a les liens ; il femble qu’elle y foit d’autant
plus fenfible, qu’ils font plus rares dans la nature.
Pour mille fenfatiens agréables qui nous viennent
par le fons de la vue , il ne nous en vient peut-
être pas une par le fons de l’ouïe : on diroit que, cet
organe étant fpécialement deftiné à nous tranfînet-
tre la parole & la pensée avec elle, la nature , par
cela foui, ait cru l’avoir aflèz favorifé. Tout dans
l ’univers fomble fait pour les yeux, & prefque rien
pour les oreilles. Aufli de tous les A r t s , celui qui
a le plus d’avantage à rivalifèr avec la nature , c’eft
l ’A r t des accords & du chant.
L ’Architedure eft encore moins que la Mufique
a fier vie à l’imitation. Quelle idée , que de lui donner
pour modèle la première cabane dont l’homme fou-
vage imagina de Ce faire un abri ! Quand cette ca-
.bane , Cette ébauche de Y A r t , en contiendroit les
éléments , elle n’a pas été donnée par la nature : elle
eft , comme l’éolifè de S. Pierre de Rome, uncompo-
fé artificiel : ce fut le coup d’eflai de l’induftrie ; &
il eft étrange de vouloir que l ’eflai foit le modèle
du chef-d’oeuvre. Comment tirer de cette cabane
l ’idée des proportions , des profils, des formes les
plus régulières ?
Le prodige de VArt n’a pas été d’employer des
colonnes & des chevrons : c’eft la plus Ample & la
plus groflière des inventions de la néceflité. Le
prodige a été de déterminer les rapports des hauteurs
& des baies, l’enfemble harmonieux, l’équilibre
des maflTes, la précifion & l’élégance des faillies
& des contours. Eft-ce la raifon, l’analogie , la
nature enfin , qui a donné la composition de l’ordre
corinthien, le plus magnifique de tous, le plus agréable
, & le plus infensé ? Les colonnes rappellent des
tiges d’arbres, qui fùpportoient de longues poutres
& des folives en travers, figurées par l’entablement
; je le veux bien : mais où l’inventeur de l’ordre
corinthien a-t il v u , (oit dans la nature fait
dans les premières inventions de la néceflké , un
vafe entouré d’une plante , placé au bout d’une tige
d’arbre & foutenantun lourd fardeau? Callimaque Pa
vu , ce vafè ; mais il l’a vu par terre -, & ne fuppor-
tant rien. L’emploi qu’il en a fait répugne au bon
fens & à la vraifemblance ; & cependant cette abfùr-
dité eft au gré des yeux , le plus riche, le plus bel
ornement de l ’Architecture, Les rouleaux , ou volutes
, de l’ordre ionique ne font pas moins ridiculement
employés ; & c’eft encore une beauté. U Art
même , depuis deux mille ans , cherche en vain à
renchérir for ces compositions ; rien n’en peut approcher
: les proportions de l’ArchkeCture grèque
nellement elles-mêmes le modèle del'Art. Pourquoi
cela? C ’eft que le plaifir des yeux eft, comme celui
de l’oreille , attaché à de certaines impreflions, &
que ces impreflions dépendent de eertains rapports
que la nature a mis entre l’objet & l’organe. Mais
foifîr ces rapports ce n’eft pas imiter , c’eft deviner
la nature.
Ainfî procède l’Éloquence, elle n’imite rien : 1 orateur
reftent encore inaltérables ; & fons -avoir de modèle
dans la nature, elles femblent deftinées à être éter- !
n’eft pas un mime; il parle d’après lui, il tranf-
met l a penfée , il exprime fos fontiments. Mais dans
le deflein d’émouvoir , d’éclairer , de perfoader, de
faire paflfer dans nos coeurs les mouvements du fien ,
il choifit avec réflexion ce qu’il connoït de plus capable
de nous remuer à fon gré. C ’eft encore ici l’influence
de l’efprit for l’efprit, l’aéiion de l’ame for 1 a-
me, le rapport des objets avec l ’organe du lentiment,
qu’il faut étudier ; & pour maitrifor les efprits, le
foin de l ’orateur eft de connoître ce qui les touche
& peut les mouvoir comme il entend qu’4s foient
émus. . . . , a
Dans les A n s mêmes dont l’imitation femble etre
le partage, comme laPoéfie, la Peinture, la Sculpture,
copier n’eft rien, choifir eft tout. Les.details font dans
la nature , fnais l’enfomble eft dans le génie. L ’invention
confifte à compofor des mafles qui ne refletn-
blent à rien , & qui, fons avoir de modèle , ayent
pourtant de la vérité : or quel eft dans la ^nature
le type & la règle de ces compofîtions ? Il n’y en a
pas d’autres que la connoiffànce de 1 homme , 1 etude
de fes affections , le réfoltat des impreflions que les
objets font for l’organe. Cela eft évident pour le
choix, le mélange , & l’harmonie des couleurs , la
beauté des contours , l’élégance des formes : l’oeil
en eft le juge foprême ; & la meme etude de la
nature qui a démélé les fons qui plaifont à l’oreille ,
nous a éclairé for le choix des -objets qui plaifont
aux yeux. #
Même théorie à l’égard de la partie intellectuelle
de la Peinture, & à l’égard de la Poéfîe, qui eft
Y A rt de peindre à l’efprit.
Il eft aufli impoflible d’expliquer les plaifîrs de
la pensée & du fontiment que ceux de l’oreille &
des yeux. Mais une expérience habituelle nous fait^
connoître , que la faculté | de fentir & d’imaginer a
dans l’homme une activité inquiète, qui veut être
exercée, & de telle façon plus tôt que de telle autre.
La nature nous préfonte pêle-mêle , fî j’ofe le
dire , ce qui flatte & ce qui blefle notre fonfîbilité :
or l’imitation Ce propofe , non feulement l’illufîon ,
mais le plaifir, c’eft à dire , non feulement d’affecter
l’ame en la trompant , mais de l'affeCter comme
elle Ce plaît à l’être. Ce choix eft le fecret de Y A r t ,
& rien dans la nature ne peut nous le révéler , que
l’étude même de l ’homme & des impreflions de
plaifir ou- de peine qu’il reçoit des objets dont il
eft frappé. | * .
C ’eft ce difoernement acquis par 1 obforvation ,
qui éclaire & conduit l’artifte : mais il eft le guide
du parfumeur, comme celui du poète & du peintre;
& que VArt imite «u n’imite p as , s’il eft de
fon efïènce d’être un Ar t d’agrément , fon principe
eft le choix de ce qui peut nous plaire. La
différence eft dans les organes qu’on Ce propofe de
flatter, ou plus tôt dans les affeCtions que chacun
des Arts peut - produire.
. Les A r ts d’agrément qui ne portent à l’ame que
des fonfations -, comme celui du parfumeur , ne feront
jamais •comptés parmi les Ar ts libéraux'* >
Ceux-ci ont fpécialement pour organes 1 oeil & 1 o-
reille , lès deux! fons qui portent à l’ame des fonti-
ments & des penfées ; & c’eft à quoi 1 opinion fom-
ble avoir eu égard, lorfqu’elle a marque a chacun
d’eux fa place & le rang quil devoit tenir.
Ces Arts s’accordent aidez fouvent pour embellir
à frais communs le même objet , & produire
un plaifir compofé de leurs impreflions réunies : c’eft
ainfî que l’ArchiteCture & la Sculpture , la Poéfîe &
la Mufique travaillent de concert ; mais il ne faut
pas croire que ce foit dans la vûe défaire plusd’il-
lufion , en imitant mieux leur objet. Un obforva-
teu.r habile a déjà remarqué que les deux A n s dont
l’allianoe étoitle plus fonfiblement indiquée par leurs
rapports (la Sculpture & la Peinture) fe nuifont l’un
à l’autre en fo réunifiant. Une belle eftarape fait
plus de plaifir qu’une ftatue colorée : dans celle-ci
l’excès de reflèmblance ôte à l ’illufîon fon mérite
& fon agrément; F'oye^ B elle n a ture , I llusion ,
Im it a t io n , &c. ( M . M a rm o n te l . )
* ARTICLE, C. m. (Gramm.) En latin Articulus,
diminutif de artus ,, membre , parce que dans le
fons propre on entend par Articles, les jointures des
os du corps de animaux, unies de différentes manières
& folon les divers mouvements qui leur font
propres ; de là par métaphore & par extenfîon on
a donné divers fons à ce mot.
Les grammairiens ont appelé Articles certains
petits mots qui ne fîgnifient rien de phyfîque, qui
font identifiés avec ceux devant lefquels on les place,
& les font prendre dans une acception particulière :
par exemple, le roi aime le peuple ; le premier
le ne préfente qu’une même idée avec roi ; mais
il m’indique un roi particulier, que les circonftances
du pays où je fois ou du pays dont on parle, me
font entendre : l’autre le qui précède peuple, foit
aufli le même effet à l’égard de peuple ^ & de plus
le peuple étant placé apres aime , cette pofition fait
connoître que le peuple eft le terme ou l ’objet du
fontiment que l’on attribue au roi.
Les Articles ne fîgnifient point des chofos ni des
qualités feulement, ils indiquent à l’efprit le mot
qu’ils précèdent, & le font confîdérer comme un
objet tel, que fons VArticle cet objet forôit regardé
fous un autre point de vûe; ce qui s’entendra mieux
dans la fuite, fortout par les exemples.
Les mots que les grammairiens appellent A r ticles
, n’ont pas toujours dans les autres langues des
équivalents qui y ayent le même ufoge. Les grecs
mettent fouvent leurs Articles devant les noms propres,
tels que Philippe, Alexandre ? Cefar > &ç.
nous ne mettons point Y Article devant ces mots-
là. Enfin il y a des langues qui ont des Articles ;
& d’autres qui n’èn ont point.
En hébreu , en; chaldéen,: & en fÿriaque, les noms
font , indéclinables , c’eft à dire qu’iîs ne varient
point leurs défînences ou dernières fyllabes , fî ce
ri’eft comme, en ftànçois1 du fîngulier au pluriel;
mais les vues de l ’efprit ou relations; que-les grecs
& les latirîs font connoître par les terminaifons des
noms, font indiquées en hébreu par des prépofîtifs
qu’on appelle préfixes, & ’ qui font liés aux noms
à la manière des prépofîtions infeparables, enforte
qu’ils forment le même motï
Comme ces prépofîtifs ne fo mettent point au
nominatif, & que Tufoge qu’on en fait n’eft pas
trop uniforme , les hébràï fonts les regardent plus
tôt comme des prépofîtioris que comme des Articles,
Nomina hebràica proprié: lôquendo funt ihdecli-
nabilia. Quo ergo in cafu accipienda fine & ef-
ferenda , non - terminatione dignofeitur , fed proe-
cipuè c&nfiruclione & proepojitionibus quibufdam ,
feu litteris praepofitionum vices gerentibus, quæ
ipfis à fronte adjiciumur. Mafclef, Gramm. hebr.
c. ij. n. 7. , ^
A l’égard des grecs, quoique leurs noms fo déclinent
, c’eft à dire qu’ils changent de terminaifon
félon les divers rapports ou vues de l’efprit qu’on
a à marquer, ils ont encore un Article à, y , to y
tS, rîjs-, t5 , &c. dont ils font un grand ufoge : ce
mot eft en grec une partie fpéciale d’oraifon. Les
grecs Tappelerent ctp7pov du verbe <tça apa , adaptoy
difpofor, apprêter , parce qu’en effet Y Article dit-
pofo l’efprit à confîdérer le mot qui le fuit fous un
point de vûe particulier ; ce que nous développerons
plus en détail dans la fuite.
1 Pour ce qui eft des latins, Quintilien dit ex-
j preffément qu’ils n’ont point d’Articles , & qu’ils
n’en 0Ht pas befoin , nofier fermo Articulos non
defiderat. ( Quintilien ï. c, jv . ). Ces adje&ifs
is , hic ^ ille ■> ifie i qui font fouvent des pronoms
de la troifîème^perfonne, font aufli des adje&ifs
démonftratifs & métaphyfîques , c’eft à dire', qui
ne marquent point dans les objets des qualités réelles
indépendantes de notre manière de penfer. Ces
adjedifs répondent plus tôt à notre ce qu’à notre
le. Les latins s’en forvent pour plus d’énergie &
d’emphafe : Catonem ilium fapientem ( Cic. ) ce
foge Caton ; ille aller , ( Ter. ) cet autre; ilia
fig e s ; ( Virg. Georg. I. 4 7 * ) cette moiiïon ;
ilia rerum domina fbrtuna , ( Cic. pro Marc. n.
i . ) là fortune elle-même, cette maitreflè des évènements:
Uxorem ille tuus pulcher amator habet.
Propert. lib. II. eleg. x v j. 4. Ce bel amant que
vous avez , a une femme.
Ces adjeâift latins y qui ne (errent qu’ à déterminer
l’objet avec plus de force:, font là différents
de l‘AriUle grec & de 1'^Article fiançais; que Voffius
gcéten.4 \de Anal. lib. I . c. j . />• 375- ) les