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que dans un difcours rapide & fugitif, fo donner
Je temps & l’efpace de couper Gicceflivement les cent
têtes de l’hydre, que le glaive de la parole tente
inutilement de trancher à la fois.
Le champ fertile & vafte de l'Éloquence de la
Chaire, e’eft la Morale. Il s’agit de faire , non des
chrétiens, mais de bons chrétiens; de parler comme
l'Évangile; d’infpirer aux hommes, la bonté, l’indulgence
, la bienveillance mutuelle, la bienfaifânce
aétive , la tempérance, l’équité, la bonne foi, l’amour
de l’ordre & de la paix : il s’agit de renvoyer
fon auditoire plus inftruit, & for-tout meilleur; de
confoler, d’encourager les uns, de modérer & d’adoucir
les autres, de reflèrrer les noeuds de la
fociété , & de la nature, & furtôut les liens de cette
charité univerfolle qui honore tant la Religion : il
s’agit de rendre le vice odieux, la Vertu aimable
, le devoir attrayant, la condition de l’homme
condamné à la peine, plus douce ou moins intolérable
: il s’agit de foire produire à la nature le
plus de biens qu’il eft poflible, d’en extirper le plus
de maux, & de couronner les efforts qu’on aura faits
pour confommer l’ouvrage de la félicité publique ,
en imprimant au malheur même ce caraftere con-
folant qui le rend cher à celui qui l’éprouve , & qui,
dans le Dieu qui l’afflige, lui montre un rémunérateur.
L a nature, l ’objet, les principaux moyens de
l ’Éloquence de la Chaire une fois connus, il eft ailé
- de déterminer quels en font les genres & les caractères
, & quelles dilpofitions éjle exige dans l’orateur.
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Obfèrvons d’abord , à l’égard des genres , qu’à
l ’inverfê de l’Éloquence du Barreau, tandis que celle-
ci doit fans ceffe defcendre du général au particulier
, la première doit tendre & s’élever fans ceffe
du particulier au général : l’une ramène les maximes
au fait; l’autre étend les faits en maximes : celle-là
cherche une décifïon ; celle-ci, une règle. Dans un
plaidoyer c’eft la caufo d’un homme qui s’agite, dans
un formon c’eft la caufo d’un Peuple & celle de i’Hü-
manité.
Ainfî , foit l’homélie ou le formon , foit le panégyrique
ou l’oraifon funèbre, tout doit tendre à l’ini-
tru&ion, à l’édification publique. C ’eft ce que per-
fonne n’oublie en agitant une queftion , ou de doctrine,
ou de Morale; mais c’eft ce qu on doit aufti
avoir en vûe dans les éloges qui fo prononcent dans
un temple. Il eft fans doute interefïànt & jufte de
rendre des hommages folemnels à de grandes vertus :
il eft peut-être .indilpenfàble de rendre de triftes
honneurs à la mémoire de ceux que par devoir on
a honorés pendant leur vie ; & en jetant, for leurs
foibleffes, le voile du refpeâ & de la charité, il
eft utile pour l’exemple , de rappeler, fans adulation
, ce qu’ils on fait de bien & ce qu’ils ont eu
de louable. Mais la louange , dans la bouche d’un
orateur religieux, ne doit jamais être fans fruit :
ce doit être comme un flambeau qui éclairé non
pas les ténèbres impénétrables de la mort, mais les
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fontïers périlleux de la vie ; 8c qui échauffé, floïl
pas les cendres de l’homme qui n’eft plus, mais
l’ame des hommes qui font encore & qui ont befoin
d’émulation.
Ainfî, à proprement parler, il n’y auroit pour la
Chaire qu’un genre d’Éloquence, celui qui traite des
devoirs de l’homme. Mais parce qu’elle a tantôt
pour bafo une maxime à dèveloper, tantôt un
exemple à produire , je diftinguerai le formon 8c
l’éloge , 8c pour celui-ci je renvoie aux articles Panégyrique & Oraison-funébre.
Quant au formon, c’eft à lui d’imprimer fon
caradère à l’Éloquence, & ce caradère eft décidé
par la qualité du fojet & par celle de l’auditoire.
Inftruire, perfoader, émouvoir, font la tâche de
l’Éloquence en général; mais lelon le fojet , elle
s’adreffo plus diredement à l’efprit ou a 1 ame,
& for l’un & for l’autre^ elle agit avec plus^ ou
moins de douceur ou de violence. De la cette Éloquence
ondueufo & infinuante de Maflillon , qui
entraîne moins qu’elle n’attire , & qui rendroit
irréfiftible la fédudion du menfonge , comme elle
rend inévitable le charme ■ de la vérité ; de là
cette Éloquence dominante de Bourdaloue for la
raifon, & cette Éloquence impérieufè de Boffuet
fur l’imagination & for la volonté , qu elle fob-
jugue à force ouverte, & comme dédaignant le foin
de les gagner.
Onjfont que de ces deux moyens , le choix ne fàu-
roit être indifférent au génie de, l’orateur & a fon
propre caradère. Mais félon qu’il eft plus ou moins
doué de cette vigueur, de raisonnement qui étonne
dans Démofthène , ou de cette foupleffe d’ame qu’on
admire dans Cicéron, ou de cette hauteur de penfee
qui fo diftingue dans Boffuet, ou de cette abondance
de fontiments qui s’épanche de l ’ame de Maflillon ,
ou de cette fermeté impofànte & progreflive qui
donne à l’Éloquence de Bourdaloue 1 impénétrable
folidité & Fimpulfïon irréfiftible d’une colonne guerrière
, qui s’avance à pas lents, mais dont 1 ordre &
le pdids annoncent que devant elle tout va ployer ,
félon, dis-je, ÿ ie l’orateur fo fontira porté naturellement
vers l’un de ces genres d'Éloquence,
il s’attachera aux fujets les plus analogues à fon
génie.-
Si intérieurement il fo font’né pour les hautes conceptions
& pour les images foblimes, il fo faifira
des fojets les plus fofoeptibles de grandeur 8c de
majefté : il planera comme l’aigle for les débris des
trônes , for les ruines des Empires ; il èlevera fon auditoire
à la hauteur de fos penfées , foit pour lui faire
contempler l ’étendue & la profondeur des deffeins de
Dieu, foit pour lui faire appercevoir'du haut du
ciel le néant de l ’homme, & le forcer à s’écrier
avec Boffuet : O*~que nous ne fomnies rien! Je
ne dirai qu’un mot pour caradérifor ce genre. Un
orateur eft appelé à prononcer une oraifon funebre
au milieu des tombeaux des rois. Il monte en Chaire,
il jette les yeux for ces tombeaux, il parcourt d^un
regard lent & (ombre une Cour en deuil, autour d un
û pompeux
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pompeux maufolée; & à la vue de cet appareil, de
ce cortège de la mort, après quelques moments de
filence, il débute ainfî: D i e u feuL e f t grand, mes
frères. Si ce n’eft pas^ Boffuet qui -a eu ce mouvement
, quel autre eft digne de l’avoir eu ?
Si le caradère de l’orateur eft la force , la vehc-
mence, une âpreté auftère, & cette profonde fon-
fîbilité qu’on appelle fi bien du nom d Entrailles ,
il livrera la guerre aux vices de la prolperite, aux
pallions des âmes foperbes, à l’orgueil, à J ambition
, aux fiers reffentiments de la vanité offenfee ; a
la cupidité, qui boit le fàng des peuples,* au luxe
avide & infatiable, qui s’abreuve de leurs Tueurs ;
à cette dureté des riches, que la vue des malheureux
importune & n’amollit jamais ; a cet amour
propre exclufîf & impitoyable, qui change autour
de lui la dépendance en forvitude; à cet elprit de
tyrannie & d’oppreflion , qui n’eftime dans la fortune
que le moyen d’acheter des efolaves , & dans
l ’autorité que le droit odieux de faire trembler ou
gémir. .
C ’eft à l’orateur, fofoeptible d’une fàinte indignation
& capable des-grands efforts de l’Éloquence pathétique
, à prendre l’homme ainfî dénaturé, comme
Hercule embraffoit Anthée, à faire perdre terre à ce.
çoloflé , à lè tenir fo (pendu for l’abîme du tombeau
& de l’avenir, & à l’étouffer de remords.
Qui nous donnera le modèle de ce genre? H a.
Bridaine ncyis l’eût donné , fi on l’avoit mis à fa
place* Mais il nous refte de ce Bridaine (au moins
s’il faut en croire M. l’abbé Maury ) un morceau à
côté duquel tout paroît foible en Éloquence.
» Je me fouviens , dit M, l’abbé Maury » (&
c’eft; au moins ce qu’on peut appeler un heureux
effort de mémoire) » je me fouviens de lui avoir
» entendu répéter le début du premier formon qü’il
si prêcha dans Féglifo de fàint - Sulpice a Paris,
» en 1751. La plus haute compagnie delà capî-
» taie vint l’entendre par curîofïté. Bridaine ap-
» perçut' dans l’afîèmblée pluGeurs évêques , des
» personnes décorées, une foule innombrable d’ecclé-
» Gaftiques ; & ce fpedacle , loin de l’intimider, lui
» infpira l’exorde qu’on va lire. Voici, ajoûte-t-il,
» ce que ma mémoire me rappelle de ce morceau,
» dont j ’ai toujours été vivement frappé, & qui ne
» paroitra peut-être point indigne de Bofluet ou
» de Démofthène ».
» A la Vue d’un auditoire fl nouveau pour moi,
» il fomble, mes frères, que je ne devrois ouvrir
» la bouche que pour vous demander grâce en
» faveur d’un pauvre millionnaire, dépourvu de tous
» les talents'que vous exigez, quand on vient vous
» parler de votre falut. J’éprouve cependant au-
» jourdhui un fontiment bien différent ! Et fi je fois
» humilié, gardez-vous de croire que je m’abailfe
» aux miférables inquiétudes de fo vanité. A Dieu
» ne plaifo qu’un miniftre du Ciel penfo jamais
» avoir befoin d’excufo auprès de vous : car , qui
» que -vous foyez , vous n’êtes, comme moi, que
y> des pécheurs. C ’eft devant votre Dieu & le
Cüamm. e t L itvérat. Tome I.
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n mien que je me fens prelTé dans Ce moment do
» fraper ma poitrine. Julqu’à prêtent j’ai publie les
» jùftices du Très-haut dans des temples couverts
» de chaume; j’ai ptéché les rigueurs de la péni-
» tence à des infortunés qui manquoient de pain;
» j’ai annoncé aux bons habitants des campagnes
; 1 » les vérités les plus effrayantes de ma religion.
» Qu’ai-je fait, malheureux ! J’ai contrifté les pau-
n vres, les meilleurs amis de mon Dieu ; j’ai porté
! » l’épouvante & la douleur dans ces âmes Amples
» & fidèles, que j’aucois dû plaindre & çonfoier. C’eft
» ic i, où mes regards ne tombent que fur des Grands,
» fur des riches, fur des opprelleurs de l’.huma-
» nité leuffrante, ou fur des pécheurs audacieux &
» endurcis ; ah! c’eft ici feulement qu’il ftlloic
» faire retentir la parole fainte dans toute la force
» de fon tonnerre, 8e placer avec moi dans cette
’ » Chaire , d’un côté la mort, qui vous menace ; 8c
■ . » de l’autre mongrand Dieu , qui vientvous juger.
» Je tiens aujoutdhui votre fentence à la main.
. » Tremblez donc devant moi , hommes ïiiperbes
» 8c dédaigneux qui m’ecoutez. La neceffité du lalut,
» la certitude de la mort, l’incertitude de cette
» heure fi effroyable pour vous, l’impénitencé fina-
» l e , le jugement dernier ,1 e petit nombre des éius .
» l’enfer, & par deffiis tout l’éternité! l ’éternité!
» voilà les fujets dont je viens vous entretenir,
» & que j’aurois_dû tans doute réferver pour vous
» feuls. Et qu’ai-je befoin de vos fiiffrages, qui
» me danneroient peut-etre fans vous lauver ? Dieu
» va vous émouvoir , tandis que fon indigne miniftre
» vous parlera: car j’ai acquis une longue expérience
» de fes miféricordes. Alors , pénétrés d’horreurpouc
>, vos iniquités paffées, vous, viendrez vous jeter
» entre mes bras, en verfant des larmes de com-
». pondion & de repentir ; & à force de remords ,
■ » vous me trouverez allez éloquent. -
Quel ton! quelle fimplicité! quelle auftérité im-
polànte ! voilà , ce me fèmble , le vrai modelé de
l’Éloquence apoftolique. Mais avec un caraâère
'’moins haut, moins étonnant, l’orateur peut avoir
encore une Eloquence pathétique , & alors lès mouvements
ont moins d’indignation contre le v ice,
que d’intérêt pour 1 humanité & d amour pour
la vertu. C ’eft l’Éloquence des coeurs tendres, des
âmes douces 3c fenfibles ; c’eft , comme je l’ai d it,
l’Éloquence de MaffillonTEUe n’opère pas des révolutions
fi foudaines ; & pour ce qu’on appelle des
Coeurs de trouve, elle' eft trop foible : mais fur des
antes d’une trempe moins dure , 8c c’eft le plus grand
: nombre, elle peut faire (ans violence de profondes
impreftions. Son avantage eft d’être conciliatrice
8c attrayante , de faire aimer la vérité , tandis.qu’une
Éloquence plus forte 8c plus auftère la fait craindre.
L’une relfemble à un ami lage , mais indulgent 8c
confolant ; l’autre, à un juge redoutable : or il faut
vaincre fit répugnance pour s’abaifièr devant fon
juge , & il ne faut que fuivre fon penchant pour
fo livrer à fon ami.
1 Au relie, l’Éloquence eft un remède; & félon
A a a