
yeux , de la patience, & de la mémoire, ne puifTe
devenir trbs-érudit à force de le&ure. Mais cette
railon doit - elle faire méprifor Y Érudition ?
nullement« C’eft une raifon de plus pour engager à
l’aquérir. | ,
Enfin, on auroit tort d’obje&er que l’Érudition
rend l’efprit froid, pefant, infonfible aux grâces de
rimagination. L ’Érudition prend le cara&ère des
elprits qui la cultivent; elle eft hériflée dans céux-
c i , agréable dans ceux-là, brute & fons ordre dans
les uns, pleine de vues, de gpût , de fineffe, &
de fogacité dans les autres : XÉrudition, ainfi que
la Géométrie, laiife l ’elprit dans l ’état où elle le
trouve ; ou pour parler plus exadement, elle ne
fait d’effet fonfîble en mal, que fur des elprits que
la nature y avoit déjà préparés ; ceux que l'Érudition
appefàntit, auroient été pelants avec l’ignorance
même ; ainfi, la perte, à cet égard, n’eft
jamais grande ; on y gagne un (avant, fans yper-
dre un écrivain agréable. Balzac appeloit XÉrudition
y le bagage de Xantiquité; \]’aimerois mieux
l ’appeler le bagage de Vefprit, dans le même fons
que le chancelier Bacon appelle les richeffes,./«? bagage
de la vertu : en effet, XÉrudition eft à l ’elprit,
ce que le bagage eft aux^ armées : il eft utile dans
une armée bien commandée, & nuit aux opérations
des Généraux médiocres.
On vante beaucoup, en faveur des foiences exades,
l ’eforit philofophique , qu’elles ont certainement contribué
à répandre parmi nous ; mais croit-on- que
cet efprit philofophique ne trouve pas de fréquentes
occafîons de s’exercer dans les matières d’jÉrudition?
Combien n’en faut-il pas dans la Critique, pour
démêler le vrai d’avec le faux ? Combien l’Hiftoire
ne fournit-elle pas de monuments de la fourberie,
de l ’imbécilité, de l’erreur, & de l’extravagance
des hommes & des philofophes même? matière de
réflexions auffi immenfo qu’agréable pour un homme
qui fait penfor. Les fciences exades, dira-t-on ,
ont, à cet égard, beaucoup d’avantage ; l’efprit
. philofophique, que leur étude nourrit, ne trouve
dans cette étude aucun contre-poids ; l’étude de
l ’Hiftoire , au contraire, en a un pour des elprits
d’une trempe commune : un Érudit, avide-de faits,
qui font les foules connoilfances qu’il recherche &
dont il faire cas , eft en danger de s’accoutumer à
trop d’indulgence fur cet article ; tout livre qui
contient des faits , ou qui prétend en contenir, eft
digne d’attention pour lui ; plus ce livre eft ancien,
plus il eft porté à lui accorder de créance ; il ne
fait pas réflexion que l’incertitude des hiftoires modernes
, dont nous fournies à portée de vérifier les
faits , doit nous rendre très-circonlpeds dans le
degré de confiance que nous donnons aux hiftoires
anciennes; un poète n’eft pour lui qu’un hiftorien
qui dépofo des ulâges de fon temps ; il ne cherche
dans Homère , comme feu M. l ’abbé de Lon-
guerue , que la Géographie & les moeurs antiques ;
le grand peintre & le grand homme lui écha-
pent. Mais en premier lieu, il s’enfiiivroit tout au
plus de cette objè&ion, que XÉrudition , pour être
vraiment eftimable, a befoin d’être éclairée par
l’efprit philofophique , & nullement qu’on doive la
méprifor en elle-même. En focond lieu , ne fait-
on pas aufii quelque reproche à l’étude des foien-
ces exades, celui d’éteindre ou d’affoiblir l’imagination
, de lui donner de la sèchereffe, de rendre.
infonfible aux charmes des Belles-Lettres & des
arts, d’accoutumer à une certaine roideur d’efprit,
qui exige des démonftrations quand les probabilités
(iiffifont, & qui cherche à tranfporter la méthode
géométrique à des matières auxquelles elle fo refufo ?
Si ce reproche ne tombe pas for un certain nombre
de géomètres , qui ont fo joindre aux con-
noiflànces profondes les agréments de l’efprit, ne
s’adreffe - 1 - il pas au plus grand nombre des autres?
& n’eft-il pas fondé, du moins à quelques
égards ? Convenons donc que de ce côté tout eft
à peu près égal entre les foiences & X Érudition ,
pour les inconvénients & les avantages.
On fo plaint que la multiplication des Journaux
& des Di&ionnaires de toute efpèce , a porté parmi
nous le coup mortel à XÉrudition , & éteindra peu
à peu le goût de l’étude ; nous croyons avoir foffi-
famment répondu à ce reproche dans le Difcours
préliminaire & ailleurs. Les partifàns de XÉrudition
prétendent qu’il en fora de nous comme de nos pères,
à qui les Abrégés, les Analyfes, les Recueilsde fen-
tences faits par des moines & des.clercs dans-les fiècles
barbares, firent perdre infonfiblement l ’amour des
Lettres, la connoiflance des originaux, & jufqu’aux
originaux mêmes. Nous fommes dans un cas bien
different;l’Imprimerie nous met à couvert du danger
de perdre aucun livre vraiment utile : plût à
Dieu qu’elle n’eût pas l’inconvénient de trop multiplier
les mauvais ouvrages ! Dans les fiècles d’ignorance,
les livres étoient fi difficiles à fo procurer,
qu’on étoit trop heureux d’en avoir des abrégés &
des extraits : on étoit (avant à ce titre ; aujourdhui
on ne le foroit plus.
Il eft vrai, grâce aux traductions qui ont été
faites en notre langue d’un très-grand nombre
d’auteurs, & en général, grâce au nombre d’ouvrages
publiés en françois for toute forte de matières;
il eft vrai, dis-je1, qu’une perfonne uniquement
bornée à la connoiffance de la langue françoifo,
pourroit devenir très-fàvante par la le&ure de ces
fouis ouvrages. Mais outre que tout n’eft pas traduit,
la le&ure des traductions , même en fait d'Érudition*
pure & fimple (car il n’eft pas ici queftion des lectures
de goût ) , ne fopplée jamais parfaitement à
celle des originaux dans leur propre langue. Mille
exemples nous convainquent tous les jours de l’infidélité
des traducteurs ordinaires , & de l’inadvertance
des traducteurs les plus exaCts.
Enfin , car ce n’eft pas un avantage à pafler
fous filence, l’étude des foiences doit tirer beaucoup
de lumières de la leCture des anciens. On
peut (ans doute (avoir l’hiftoire des penfées des hom
mes (ans penfor foi-même ; mais un philofophe
peut lire avec tfbeauconp d’utilité le détail des
opinions de fos fomblables ; il y trouvera fouvent
des germes d’idées precieufos à dèveloper , des
conjectures à vérifier , des faits à éclaircir, des hypothèfos
à confirmer. Il n’y a prefque dans notre
Phyfique moderne aucuns principes généraux,
dont l’énoncé ou du moins le fond ne fo trouve
chez les anciens; on n’en^fora pas forpris, fi on
confidère qu’en cette matière les hypothèfos les
plus vraifomblables fo préfontent aflez naturellement
à l’efprit, que les combinaifons d’idées générales
doivent être bientôt épuifoes, & par une efpèce
de révolution forcée être focceflivement remplacées
les unes par les autres. .
C ’eft peut-être par cette raifon , pour le dire-en
paflant, que la Philofophie moderne s’eft rapprochée
for plufieurs points de ce qu’on apenfé dans le premier
âge de la Philofophie , parce qu’il fomble
que la première impreflion de la nature eft de nous
donner des idées juftes , que l’on abandonne bientôt
par incertitude ou par amour de la^ nouveauté ,
& auxquelles enfin on eft forcé de revenir.
Mais en recommandant aux philofophes mêmes
la le&ure de leurs prédécefieurs , ne' cherchons
point, comme l’ont fait quelques (avants, a déprimer
les modernes fous ce faux prétexte, que la
Philofophie moderne n’à rien découvert de plus que
l ’ancienne. Qu’importe à la gloire de Newton,
qu’Empédocle ait eu quelques idées vagues. & informes*
du fyftême de la gravitation, quand ces
idées ont été dénuées des preuves nécefîaires pour
les appuyer ? Qu’importe à l’honneur de Copernic ,
que quelques anciens philofophes ayent cru le mouvement
de la terre, fi les preuves qu’ils en don-
noient n’ont pas été foffifontes pour empecher le
plus grand nombre de croire le mouvement du foleil ?
Tout l’avantage à cet égard, quoi qu’on en difo,
eft du côté des modernes , non parce qu ils font fupé-
rieurs en lumières à leurs prédécelfeurs, mais parce
qu’ils font venus depuis. La plupart des opinions j
des anciens for le (yftême du monde , & for prefque
tous les objets de la Phyfique , font fi vagues & fi
mal prouvées, qu’on n’en peut tifer aucune lumière
réelle. On n’y trouve point ces détails précis
, exaâs, & profonds, qui font la pierre de touche
de la vérité d’un fyftême, & que quelques auteurs
affrètent d’en appeler Xappareil , mais qu on en
doit regarder comme le corps & la fobftance &
qui en fbntpar confisquent la difficulté & le mérité.
En vain un '(avant illuftre , en revendiquant nos
hypothèfos & nos opinions à l’ancienne Philofophie , a cru la venger d’un mépris injufte , que les vrais
favants & les beaux-efprits n’ontjamàis eu pour elle ;
fo differtation'for ce fujet ( imprimée dans le tome
X V I I I , des Méra. de l’Àcad. des Belles-Letres,
page 97 , ) ne fait, ce me fomble , ni beaucoup
de tort aux modernes , ni beaucoup d’honneur aux
anciens , mais foulement beaucoup à XÉrudition 8c
aux lumières de fon auteur. ,
Avouons donc d’un côté, en faveur de XÉrudition,
que la le&ure des anciens peut fournir aux modernes
des germes de découvertes; de l’autre , en faveur
des (avants modernes , que ceux-ci ont pouffe beaucoup
plus loin que les anciens les preuves & les
confequences des opinions heureufos , que les anciens
s’étoient, pour.ainfi dire, contentés de hafàrder.
Un (avant de nos jours , connu parade médiocres
tradu&ions & de foyans commentaires, ne faifoît
aucun cas des Philofophes & fortout de ceux qui
s’adonnent à la Phyfique expérimentale. Il les appelle^
des curieux fainéants, des manoeuvres qui
ofont uforper le titre de fages. Ce reproche eft bien
fingulier.de la part d’un auteur, dont le principal
mérite confîftoit à avoir la tête remplie de paffzges
grecs & ' latins, & qui peut-être méritoit une partie
du reproche lait à la foule des commentateurs
par un auteur célèbre dans un ouvrage où il les fait
parler ainfi :
Le goût n’eft rien ; nous avons l’habitude
De rédiger au long de point en point
Ce qu’on penfa , mais nous ne penfons point, .
Voit, Temple du Goûr,
Que doit-on conclure de ces réflexions ? Ne
méprifons ni aucune efpèce de (avoir utile, ni
aucune efpèce d’hommes : croyons que les connoif-
fonces de tout genre fo tiennent & s’éclairent réciproquement
; que les hommes de tous les fiècles
font à peu près fomblables , & qu’avec les mêmes
données, ils produiroient les mêmes chofos : en
quelque genre que ce (bit s’il y a du mérité a
faire les premiers efforts, il y a auffi de l’avantage
à les faire, parce que la glace une fois rompue >
on n’a plus qu’à fo laiffer aller au courant, ôn
parcourt un vafte efpace fans rencontrer prefque aucun
obftacle ; mais cet obftacle une fois rencontré ,
la difficulté d’aller au delà en eft plus grande
pour ceux qui viennent après. (M. d'À lembert„)
ÈS. Prépofition qui n’eft aujourdhui en ufoge
que dans quelques phrafos confocrées , comme maître
ès arts. Elle vient, folon quelques-uns , du
grec es ou us , in , en ; & folon d’autres , c’eft
un abrégé pour en le s , à le s , aux,
Robert Étienne , dans fo Grammaire, page M ,
en parlant des articles, dit qu’il vaut mieux dire
i l eft ès champs que i l eft aux champs. Traité de
la Grammaire françoife. Mais quelques années
après l’ufâge changea. Nicot, en 1606, d:t qu’il
eft plus commun de dire, il loge aux fors bourgs ,
que ès forsbourgs.
È s eft auffi quelquefois une prépofition infopa-
rable qui entre darfs la compofition des mots; elle
vient de la prépofition latine è ou e x , & elle a
divers ufàges. Souvent elle perd IV , & quelquefois
elle la retient, efplanade, efcala.de , &c. for
quoi on ne peut donner d’autre règle que l ’ufoge.
( D u m a r s a i s , )