
Sans parler de la malignité & de Pobfcémté que 1
la raifon foule réprouve , les défauts qu’on doit
éviter dans l’Épigramme , font la faufïeté des pen-
fées, les équivoques tirées de trop loin , les hyperboles'
, les penfées baffes & triviales. ( L abbé
M a l l e t . )
Une des meilleures Épigrammes modernes, eft
celle de Piron contre le Zoile de notre fîecle ;
puiffe-t-elle forvir de leçon a fos fomblables ! Une
anecdote très-plaifonte a ce fojet, c eft que Piron
la fit écrire en (à*préfonce par le Zoile même ;
la voici ; elle eft à deux tranchants.
Get écrivain fi fécond en libelles ,
Croit que fa plume eft la lance d’Argail;
Sur le Parnaflc entre les neuf Pucelles
11 s’eft placé comme un épouvantail :
Que fait le bouc en fi joli bercail ?
Y plairoit-il ? chercheroic-il à plaire ?
Nong c’eft l’êunuqué au milieu du fetraîl :
Il n’y fait rien , & nuit à qui veut faire.
(M . Z ) ip E R O T . )
^ (5 Un mérite ellenciel, à prefijue tous les poèmes,
e’ eft de ménager à l’elprit le plaifir de la forprifo ;
& après avoir piqué (a curiofité & fofpendu plus
ou moins fon attente, leur foccès eft de le laiffer
agréablement fotisfait. Or folon que l’objet de la
curiofité eft plus ou moins intérefîant, l ’attente peut
être plus ou moins longue, & la folution plus ou
moins éloignée : telle eft , depuis l'Épopée jufqu à
YÉpigramme, la mefiire commune de l’étendue que
chaque poème peut avoir.*
Dans YÉpigramme , la curiofité n’étant que de
lavoir où aboutira le récit d’un fait fimple , ou
l ’énoncé d’une première idée, l’attention n’eft fiifo
ceptible que d’un moment de patience : ainfî ,
YEpigramme eft, de fa nature, le plus petit de tous
les poèmes. Son cercle eft à peu près celui que les
anciens donnoient à la période, dont l’artifice etoit
auffi de tenir l ’efprit en fofpens jufqu’à l’entièré
^évolution qu’ils faifoient faire à la penlee.
IJ Épigramme a donc, comme les grands poèmes,
une efpèce de noeud & une efpèce de dénouement,
©u du moins un avant-propos qui excite l’attention,
& une folution imprévue qui décide l’incertitude;
& , comme les grands poèmes, tantôt elle le dénoue
fonf péripétie, c’eft à dire , par une fuite naturelle
d é'la penfée, tantôt avec péripétie, c’eft à dire,
par une révolution inattendue dans le fons*
Monfieur l’abbé & Monfîéur fon valet
Sont faits égaux tous deux, comme de cire.
L’un eft grand fo,u , l’autre petit folet ;
L’un veut railler , l’autre gaudir & tire ;.
L’un boit du bon , l’autre ne boit du piréi
Mais un débat le foie entre eux s’émeut:.
Car maître abbé toute la nuit ne veut
Etre fans vin, que fans fecours ne meure
Et fon valet jamais dormir ne peut
Tandis qu’au pot une goutte en demeure, Marot.
V oilà une Épigramme qui va droit à fon but. En
vo ici une qui fo replie en fons contraire ;
-De nos rentes, pour nos péchés.
Si les quartiers font retranchés ,
Pourquoi s’en émouvoir la bile ï
Nous n’aurons qü’à changer, de lieu- :
Nous allions à 1-Hôccl-de-ville ,
Et nous irons à l’Hôtel-Dieu. Callïïres.
On font que, lorlque Y Épigrammevife d’un côté
8c tire de l’autre, par exemple, iorlqu’elle commence
par la louange & finit par la fotyre , le trait en eft
plus imprévu. Mais Y Épigramme direde a une
autre rufo pour déguifor fon intention : c’eft de
prendre un air fér ieu x, lorfqu’etle veut être p ia f fante
; un air fimple & n a ï f , lorfou’elle veut être
fine ou délicate ; un air de bonté , de douceur,
lorfqu’elle veut être maligne ou mordante.
Petits'Auteurs d’Un fort mauvais Journal,
Qui d’Apollon vous croyez les apôtres , .
Pour Dieu tâchez d’écrire un peu, moins mal
Ou taifez-vous fur les écrits des autres. ‘
Vous vous tuez à chercher dans les nôtres
De quoi blâmer ; 5c l’y trouvez très-bien :
Nous , au rebours , nous cherchons dans les vôtres
De quoi louer; 5c nous n’y trouvons rien.;
Rougeau.
C ’eft le ton de modeftie & de fîmplicitê qui fait
le- fol de cette Épigramme. I l en eft de même de
l ’air de prud’hommie & de réferve qui fo montre
dans ce lle-ci :
Un doux Nennî, avec tin doux four ire ,
Eft tant honnête! il vous le faut apprendre.
Quand eft d’O u ï, fi veniez à le dire ,
D’avoir trop dit je vottdroîs vous reprendre
Non que je fois ennuyé d’entreprendre
D’avoir le fruit dont le défir me poind ;
Mais j,e voudrois qu’en mè le làiflant prendre.
Vous me diflîez : Non, tu ne l’auras point. Marot.
C ’eft furtout par ce tour artificieux que YÉpigramme
diffère du Madrigal, qui ne dé’guifo rien,,
mais qui tout naturellement a l ’air de ce qu’il e f t ,
galant, d é lica t, ingénieux, & q u i, lors même qu’il
eft f in , ne diflimule point l ’intention de l’être. L e
même fujet traite des deux façons v a faire fentir ces.
nuances.
Amour trouva celle qui m’eft amène ;
Et j’y écois,, j’eri fais- bien mieux le conte :
Bon jour , d it-il, bon jour,. Vénus ma mère &
Puis tout à coup il voit qu’il fe mécompte »
Dont la rougeur au. vifage lui monte ,.
D’avoir failli honteux Dieu fait combien !
Non , non , Amour, ce dis-je , n’ayez honte *
Plus clairvoyants que vous s’y trompent bien. Mata*-
C ’eft la , ce me fomble, le fol le plus fin, Ie plus
délieat de YÉpigramme , mais fous une appafence
j - n— nni Ir rpnd nlus niauant encore; voici
L’autre jour, l’enfant de Cythère,
Soüs une treille'a. demi gris ,
Difoit en parlant à fa mère ,
Je. bois à toi, ma chère Iris.
Vénus le regarde en colère :
Maman, calmez votre courroux ;
Si je vous prends pour ma bergère,
J’ai pris cent fois'Iris pour vous.
Mais (ans même employer la diflimulation, 1 É p igramme
a fouvent, dans ' l ’adreffe du tour & dans
la fineffe du trait, le moyen de caufor une furprife
agréable. Marot me fomble à cet égard le plus ingénieux
des poètes épigrammatiques, .tant par la fin-
gu! aritë que par la variété de fos petits deffeins :
Anne, ma Soeur , d’où me vient le fonger
Qui, toute nuit,' par devers vous me mène?
Quel nouvel hôte eft venu fe loger
Dedans mon coeur , & toujours s’y pourmène ? .
Certes je crois, & ma foi n’eft pas vaine ,
Que c'eft un dieu. Me vient-il confpler?
Ahf c’eft. l’Amour ; je le Cens bien voler.
Anne, ma Soeur, vous l’avez fait, mon hôte ;
Et le fera, me dût-il affoler ,
Si celle-là qui l’y mit, ne l’en ôte.
Dès que m’amie eft un jour- fans me voir , v
Elle me dit que j’en ai tardé quatre :
Tardant deux jours , elle dit ne m’avoir
Yu de quatorze, & n’en veut rien rabattre.
Mais pour l’ardeur de mon amour abattre,
De ne la voir j’ai raifon apparente.
Voyez, Amants, notre amour différente: ,
- Languir la fais , quand fuis loin de fes yeux.;
Mourir ime fait, quand je la vois préfente :,
Jugez lequel vous femble aimer le mieux.
Voilà des modèles de la grâce la plus naïve &
du naturel le plus fin ; & c’eft encore ce tour de
fineffe & de naïveté piquante qui aiguifo en Épi-
g ramine un Madrigal, qui, fans cela, ne forait que
galant:
Qui cuideroit déguifer • Jfebe.au
D’un fimple habit, çe.feroit grand fimplefle.:
Car au vifage a ne fais quoi de beau ,
Qui fait juger toujours qu’elle eft princeflè.
Soit en habit de chambrière ou maitrefte ,
Soit en drap d’ôr entier ou découpé ,
Soit fon gent c'orps de toile envelopé;
Toujours fera fa beauté maintenue.
Mais il iîiê fénible ( où je fuis bien trompé )
Qu’elle feroic plus belle toute nue.
Cependant YÉpigramme va fouvent à fon-but
avec tant de viteftè , que le mot fuit immédiatement
l’énoncé : de manière que la flèche -paTt anut
tôt que l ’arc eft tendu :
Semper pauper eris , Jî papiper .e.s , Æmiltanc :
Dantur opes nullis nunc , mfi divitihus ,
Mare.;.
Dimidium ( ■tare Lino quant credere totum
Qui mavult, mavult perdere dimidium.
( Idem. )
Alors le trait n’eft imprévu que par Là fingularite
ou par Cz fubtiîité même;
Mais ce que YEpigramme a de piquant n’eft pas:
toujours un trait de l’efprit du poète : c’eft bien fou-
vent un mot cité , au bout d’un petit conte ; & ce
mot, au lieu d’être fpirituel, eft quelquefois une
bétifo, mais une bétifo plaifonte ;
Offrez à Dieu votre incrédulité :
ou une naïveté rifible, comme de la jeune époufëe,
Je ne voiis ai pas mords auflï ;
ou du payfon à l’homme de Coup,
C’eft que je les faifons noUs-mêmes;
ou du cordelier de Rouffeau,
J’aimerois mieux pour le bien de mon arae, &t.
ou de ce Juge qu’étourdiffoit le bruit,
Huiffier, qu’on faffe filence.
D it , en tenant audience ,
Un préfident de Bauge :
C’eft un bruit à tête fendre ;
Nous avons déjà jugé
Dix caufes fans les entendre.
Lorlque YÉpigramme vieil qu*un trait de fotyre
générale & fans allufion , elle eft innocente ;
A voir la fplendeur peu .commune
Dont un faquin.eft revêtu » ■
Diroit-on pas que la fortune
Veut faire enrager la vertu?
Lorfqu’elle eft perfonnelle & ne fait que pincer
le ridicule, elle eft encore permife , for tout fi ort
ne l’emploie qu’en arme defenfîve ; car p, eft 1
guillon de l’abeille. . •
Lorfqu’elle eft nïordante, il eft rare qu’elle ne
foit pas odieufe ; & fi ‘à la Diffamation elle joint la
calomnie, elle.eft atroce. L ’écrivain qui en fait foil
talent, reffemble trop à un chien enrage, pour ne
pas mériter d’être traité de 'même. ^ ~
Autant le talent de tourner une Epigramme inju-
rieufo eft commun , v i l , &-meprifoble, autant celui
de rendre un éloge piquant, par un tour - epigram -
matique, eft rare , exquis ,y. & précieux. ,Le plus n a-.
turel, le plus naïf des,poètes de ce genre, & par
là même, celui de tous qui a mis le plus de fol 8c
Z 'L L z i