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lens'parler, & qui n’ont pas ;de noms propres, Ce
trouvent confondus avec tous les autres individus de
leur eipèce. Le nom de cette efpèce leur'convient
également à tous : chacun de ces êtres innombrables
qui nagent dans la va-ftè mer , eft egalement
appelé poijfon : ainfî , le nom d'efpece^, tout foui
& par lui-même , n’a qu’u«e valeur indefinie , c eft
à dire , une valeur applicable qui neft adaptée à
aucun objet particulier ; comme quand* ort dit vrai,
bon, beau, fans joindre ces adjedifs à quelque
être réel ou à quelque être métaphÿfique. Ce font
les prénoms qui, de concert avec- les autres mots
de la phrafè, tirent l’objet particulier dont on parle
de l’indétermination du nom d’eipèce , & en font
ainfî une forte de nom propre. Par exemple, fl i’aftre
qui nous éclaire n’a voit pas fon nom prôpr e fo le il »
ôc que nous eufïions à en parler ; nous' prendrions
d’abord le nom d’efpèce ajlre ; enfoite nous nous
for virions du prépofîtif'qui conviendroit pouf Lire
connoître que nous ne voulons parler que d’un individu
de l’efpèce d'a fir e : ainfî, nous dirions cet
ajlre , ou Y ajlre, i après'- quoi ' nous aurions recours
aux mots qui nous: paraitr oient lespltfs propres à
déterminer fingulièrement cet individu Tajlre^ nous
dirions donc ceo 'ajlre qui nous éclaire _; Vajlre
pire du jo u r , l’àme de ta nature, '8c G. Autre exemple
: Livre eft un.nom d’efpèce dont la.-valeur ri’efl
point appliquée:: mais fi jeudis , Mon livre, Celivre,
Le livre que je.viens d'acheter, Liber iü e ; on conçoit
d’abord , par les prénoms ou prépofîtifs, mon ,
c e , le , & .en(uite par les adjoints ou mots 'ajoutés ,
que je parle d’ un, tel livre , d’un tel individu de
l ’efpcce de livre: Obférvez quer? lorfque nous avons
à appliquer quelque . qualification :à- des individus
d’une efpèce , ou nous voulons faire cette application
, i° . à tous les individus de cette efpèce ; i ° . ou
feulement à quelques-uns que nous ne voulons ou
que nous ne pouvons pas déterminer ; r3°. ou enfin à
un foui que nous voulons faire connditre fingulièrement.
Ce font ces trois fortes de vues de l ’efprit
que les logiciens appellent l’Étendue de la propofition.
Tout difeours eft compofé de divers fons particuliers
énoncés par des aflemblages de mots qui forment
des propofîtions, & les propofitions font des
périodes : or toute propofition a , i° . ou une etendue
univerfolle ; c’eft le premier cas dont nous avons
parlé : x®. ou. une étendue particulière ; c’eft le fécond
cas : 3®. ou enfin une étendue fingulière ; c’eft
le dernier cas. i° . Si celui qui parle donne un fons
univerfol au fujet de fo propofition , e’eft à dire , s’il
applique quelque qualificatif à tous les individus
d’une efpèce , alors l’étendue de la propofition eft
univerfolle, ou , ce qui eft la même chofo, la propofition
eft univerfolle : x°. f\ l’individu dont on parle
n’eft pas déterminé expreffément, alors on dit
que la propofition eft particulière ; elle n’a qu’une
étendue particulière, c’eft à dire , que ce qu’on dit
n’eft dit que d’un fujet qui n’eft pas défigné exprefle-
ment : f f . enfin les propofitions font fingulières, lorsque
le fn je t , c’eft à dire, la perfonne ou la chofo
A R T
dont on parle , dont on juge , eft un individu fingu -
lier déterminé ; alors 1 attribut de la propofition ,
c’eft à dire , ce qu’on juge du fujet, n’a qu’une étendue
fingulière, ou, ce qui eft ia même chofo, ne
doit s’entendre que de ce tiijet : Louis X triomphera
de J'es ennemis', Le Joleil ejl levé.
Dans chacun de ces trois cas * notre langue nous
fournit un prénom deftiné à chaèune de ces vues particulières
de nôtre efprit : voyons donc l’eftet propre
ou le forvice particulier de ces prénoms.
I. [ont homme ejl animal ; Chaque homme ejl
animal : voilà chaque individu de l’efpèce humaine
qualifié par animal, qui alors fo prend adjectivement
; car tout homme ejl animal, c’eft à dire,
tout homme végète •, ejl vivant, je meut, a des
fenfatiohs , en un mot, tout homme a les qualités
qui diftinguent Yanimal de l’être infenjible : ainfî,
Tout, étant le prépofitif d’un nom appellatif, donne
à ce nom une extënfion univerfolle , c’eft à dire
que ce que l’on diralôrs du nom, par exemple ,
homme , eft cenfé dit de chaque individu de l’ef-
pècé ; ainfî , la propofition eft univerfolle. Nous
comptons , parmi les individus d’une efpèce, tous
lés objets qui nous paroiïïênt conformes à l’idée exemplaire
que nous avons âcquifo de l’elpèce par l’ufàge
de la vie : cette idée exemplaire n’eft qu’une affedion
intérieure que notre cerveau a reçue par l’im^reffion
qu’un objet extérieur a faite en nous la première fois
qu’il a été apperçu, & dont il eft refté des traces dans
le cerveau. Lorfque, dans la foite de la vie, nous
venons à appercevoir d’autres objets , fi nous fierftons
que l’un de ces nouveaux objets nous afifede de la même
manière dont nous nous refïouvenons qu’un autre
nous a affedés , nous difons que cet objet nouveau eft
de même efpèce que tel ancien : s’il nous affede différemment,
nous le rapportons à l’efpèee à laquelle
il nous paroît convenir, c’eft à dire que notre imagination
le place dans la clafïe de fos fomblables, Ce
n’eft donc que le fouvenir d’un fontiment pareil qui
nous fait rapporter td'objet à^ telle efpèce : le nom
d’une efpèce eft le nom du point de réunion auquel
nous rapportons les divers objets particuliers qui ont
excité en nous une affedion ou fonfotion pareille.
L ’animal que je viens devoir à la foire a rappelé en
moi les irapreffions qu’un lion y fit l’année paflee ;
ainfî, je dis que cet animal ejl un lion : fi: c’étoit pour
la première fois que je vifïe un lion, mon cerveau
s’enrichiroit d’une nouvelle idée exemplaire : en un
mot, quand je dis Tout homme ejl mortel, c’eft autant
que fi je difois Alexandre étoit mortel, Céfar étoit
mortel, Philippe eft mortel, & ainfî de chaque
individu pafle, préfent, & à venir, & même poffi-
ble de i’efpèce humaine ; & voilà le véritable fondement
du fyllogifine : mais ne nous écartons point de
notre fujet. . , . ^ ,
Remarquez ces trois façons de parler , f o u t nom<■
me ejl ignorant, Tous les hommes font ignorants ,
Toùt homme lieft que foibleffe ; Tout homme , c- eft
à dire, chaque individu de l’efpèce humaine , quelque
individu que ce puiïïe etre de 1 efpèce humaine,
alors tout eft un pur adjedif. Tous les hommes font j
ignorants , c’eft encorë le même fons ; ces deux
propofîtions ne font différentes que par la forme :
dans la première, Tout veut dire Chaque ; elle
préfente la totalité diftributivement, e’eft à dire
qu’elle prend en quelque forte les individus 1 un
après l’autre , au lieu que tous les hommes les
préfonte collectivement tous enfemble ; alors tous
eft un prépofitif deftiné à marquer l’unéerfolitéde :
les hommes ; tous à ici une forte de^ fignification
adverbiale avec la forme adjedive , c’eft ainfî que
le participe tient du verbe & du nom ; tous , c eft
à dire, univerfellemem fans exception, ce qui eft
fi vrai, qu’on peut féparer tous de fon fubftantif,
& le joindre au verbe. Quinault, parlant des oi-
foaux, dit :
En amour ils .font tous
Moins bêtes que nous.
Et voilà pourquoi en ces phrafos , l’article les
ne quitte point fon fubftantif , & ne fo met pas
avant tous : tout Vhomme , c eft à dire 1 homme
en entier, l’homme entièrement, l ’homme confi-
dére comme un individu fpécifique. N u l, aucun,
donnent aufïî une extenfîon univerfolle à leur fubftantif,
mais dans un fons négatif : nul homme, aucun
homme ri ejl immortelle nie l’immortalité de chaque
individu de l’efpèce humaine ; la propofition eft
univerfolle , mais négative ; au l:eu qu avec tous ,
fans négation, la propofition eft univerfelle affirmative.
Dans les propofitions dont nous parlons,
nul & aucun , étant adjedifs du fujet, doivent être
accompagnés d’une négation: Nulhomme n e jl exempt
de la néceffitéde mourir. Aucun philofaphe de l'antiquité
té a eu autant de' connotjjance de Phyjique
qiCoii en a aujourdhui,
11°. Tout, chaque , nul, aucun, font donc la marque
de la généralité ou univerfàlité des propofitions :
mais fouvent ces mots ne font pas exprimés', comme
quand on dit ; Les françois, font p o lis , les italiens
font politiques : alors ces propofîtions ne font que
moralement univerfèlles , de more, ut funt mores ,
c’eft à dire, félon ce qu’on voit communément parmi
les hommes. Ces propofitions font aufïî appelées
indéfinies, parce que d’un côté ,-on ne peut pas àfî-
sûrer qu’elles comprennent généralement , & fons
exception, tous les individus dont on parle ; & d’iîn
autre côté on ne peut pas dir^non plus qu’elles
excluent tel ou tel individu : ainfî, comme les, individus
compris & les individus exclus ne font pas
précifém-eiit déterminés , & que ces propofitions ne
doivent être entendues que du plus grand nombre,
on dit qu’elles font indéfinies.
111°. Quelque, un, marquent aufïi un individu
de l’efpèce dont on parle : mais ces prénoms ne
défîgnent pas fingulièrement cet individu ; quelque
homme ejl riche , un favant nYejl venu voir : je
parle d’un individu de l’efpèce humaine ; mais je
ne détermine pas fi cet individu eft Pierre on Paul;
ç’efi ainfî qu’pn dit une certaine perfonne , un particulier
: & alors particulier eft oppofe à général &
à finguliér : il marque à la vérité un individu , mais
un individu qüi ii’êft p'às déterminé fingulièrement ;
ces propofitions font appeliées particulières. ■
Aucun fons négation , a aufii un.fons particulier
dans les vieux livres, & fîgnifîe'quelqu'un, quif-
piam, nonjiulliLs , nonnemo. Ce mot eft encore
én ufage :èn es fons parmi le peuple & dans le
ftvle du palais .: aucuns foutienhent , &c. quidam
àfjirnuint ,'&c. ainfî aucune fois dans le vieux ftyle ,
veut dire quelquefois , de temps en temps, plerum-
que, interdlim , nonnunquam. On fort aufïî aux propofîtions
particulières : on m'a dit, «s’eft à dire ,
quelqu 'un m'a dit, un homme m'a dit : car on vient
de homme ; & c’eft par cette raifon que, pour éviter
le bâillement ou rencontre de deux voyelles , on
dit fouvent Von, comme on dit l'homme, fi ton,.
Dans plüfieurs .autres langues, le mot qui fîgnifîe
homme, fè prend suffi en un fons indéfini comme
notre 07z. De , des qui font des prepo.fidons extradées
, fervent suffi à faire des propofitions particulières^
des philojophes, ou d'anciens philo jo-
phes ont cm qu'il y avoit des antipodes, c’eft à
dire, quelques-uns desphilojbphes , ou un certain
nombre d'dnéïensphilofophes , ou en vieux ftyle,
aucuns philofophes.
IV°. Ce marque un individu déterminé , qu’ifi
préfonte à l’imagitition , ce livre , cet homme , cette
femme, cet enfant, & c.
V ° . Le , la , lès , indiquent que l’on parle, i° . ou
d’un tel individu réel que l’on tire de fon efpèce,
comme quand on dit le roi, la reine , le Joleil a
la lune ; x°. ou d’un individu métaphyfîque & par
imitation ou analogie ; l'a vérité,, le menfônge, l'ej-
| prit v c’eft à dire , le génie ) , le çoeur (c*é& à d ire ,
| la fonfîbilité j , .l’entendement, la volonté, la vie,, la
mort, la nàtùre r le mouvement, le repos , l'être
eh général, la fubfiance, le néant ,_&c.
C’eft ainfî que l’on parle de l’efpèce tirée du genre
auquel elle eft fùbordonnée , lorfqu’on la conndère
par abftradion, & pour ainfî dire en elle-même, fou«
la forme d’un Tout individuel & métaphyfîque; par
exemple , quand on dit que parmi ■ les animaux.
Vhomme Jeul ejl raifonnable, l'homme eft là ua
' individu fpécifique.
C’eft encore ainfî q u e , fons parler d’aucun objet
réel en particulier , on dit par abftradion, l'or ejl le
plus précieux des métaux ; le fer fie fond & Je forge ;
le marbre fert d'ornement aux édifices ; le verre
ri ejl point malléable ; la pierre ejl utile ; l animal
ejl mortel ; l'homme ejl ignorant ; le cercle ejl rond ;
le quart é ejl une figure qui a quatre angles droits
tf quatre côtés égaux, & c. Tous ces mots , Vor,
le fer , le marbre , &c. font pris dans un fons individuel
, mais métaphyfîque & fpécifique , c’eft à
dire que, fous un nom finguliér, ils comprennent tous
les individus d’une efpèce ; en forte que ces. mots rie
font proprement que les noms de l’idée exemplaire
du point de réunion ou concept, que nous avons dans
l’efprît, dë chacune ce ces efpcces d’êtres. Ce font