
7 7 o E E O
L e prologue do trente-cinquième chant eft une
?dlu£on à cette aventure :
- Çki falirà per me , Madonna ,, in cieto'
A riportarne il mio perduto ingegno ?
Che poi che ufci da’ be‘ vojîri occhi il telo t
Che’l cor mi fijfe , ognor perdendo vegno J
De di tanta jattura mi querelo ,
Turchè non crefca, maftia a quejlo fegno ;
Ch’io dübito , fe pià Ji va fcemanda ,
D i venir tal, quai ho defcritto Orlando•
Ter riaver Vingegno mio m’è awifo
Che non bifogna che per Varia ïo poggi•
Del cerchio della luna , a in paradifo,
Che’l mio non credo che tant alto alloggi î
De* bel vofirï occhi , e nel fereno. vifo,
Del fen d’avorio , e alabaftrini poggi
Se ne va errando > ed io con quefia labbict
Lo corrb y fe vi par ch’io lo riabbia.
Ceux qui n’entendent pas l’italien peuvent fe
faire quelque idée de ces ftrophes par la verfîon
françoife :
Oh ï fi quelqù’un vouloit monter pour mol
Au paradis ï s’il y pouvoir reprendre
Mon fens commun ! s’il daignoic mte le rendre ! . *.
Belle Aglaé , je l’ai perdu pour toi
Tu m’as tendu plus fou que Roland même ;
C ’eft ton ouvrage : on eft fou quand on aime»
Pour retrouver mon efpcic égaré,
11 ne faut pas faire un fi long voyage.
Tes yeux l’ont pris, il en eft éclairé ;
11 eft errant fur ton charmant vifage,
Sur ton beau fein, ce trône des amours t
Il m’abandonne. Un feul regard peut-être ,
Un feul baifer peut le rendre à fon maître 5
Mais fous tes lois il reftera toujours.
Ce molle & facetum de l’Ariofte, cétte urbanité,
cet attidfme, cette bonne plaifànterie répandue dans
tous fes chants, n’ont été ni rendus ni même fen-
tis pâr Mirabâud fon tradudeur, qui ne s’eft pas
douté que l ’Ariofte railloit de toutes Ces imaginations.
Voyez feulement le prologue du vingt-
quatrième chant :
Chi mette ïl pii fu Vamorofa pania
Çerchï ritrarlo , e non v’invefchi l ’ale.
Chl non l in fomma amor fe non infanta,
A giudicio de' favii univerfale»
S f e ben , corne Orlando , ognun tien fmania ».
Suo furor moftra a qualche àltro fegnale»
£ quale è di pa^ia fegno pià efprejfk
Che per altri voler pèrder fe jle jfoï
#
V a n gli effetti fon; ma lapa\\ia
2î tuti una perb, che gli fa ufcire.
Ç t t i terne ma gran felva, ove lavra
È P O
Conviene a for\a. a chi vi va fallire.
Chi f à , chi già , chi quà, chi là travieU
Ter concludere in fomma , ïo vi vo‘ dire>
A chi in amor s'invecchia oltrc ogni pena a
Si convengono ï ceppi , e la catena.
Ben mi Ji potria èir : Frate , tu val
L ’ait rui mojtrando , e non vedi il tuo- faite»
lo vi refpondo » che eomprendo■ ajfai
Or che di mente ho lucido mtervallo ;
Ed ho gran cura ( e fpero farlo ornai )
D i ripofarmi , e d’üfcir fuor di ballo- ;
Ma tojlo far, corne vorrei , nolpojfo ,
Che'l male è penetrato infin all’ofjfo»
Voici comme Mirabaud traduit férieufément cette
plaifànterie.
« Qu» celui qui a mis le pied fur les gluaux
» de l ’amour tâche de l’en tirer promptement, &
» de n’y pas laiflèr engluer fos ailes ; car au juge-
» ment unanime des plus fàges , l ’amour eft une-
» vraie folie. Quoique tous ceux qui s’y abandon—
» nent comme Roland ne deviennent pas furieux,
» il n’y en a cependant pas un feul qui ne fafte:
» voir combien fa raifon eft égarée.
» Les effets de cette manie font différents, mai»
» une même caufe les produit : c’eft comme une
» épaiffe forêt où l’un prend à droite, l’autre prend
» à gauche ; fans compter enfin toutes les. autres
x> peines que l’amour fait fouffrir, il nous ôte en-
» core la liberté & nous charge de fers.
39 Quelqu’un me dira peut-être : Eh mon ami,.
» prenez pour vous-même les avis quetvous donnez.
» aux autres. C ’eft bien aufli mon deffoin à prêtent
y) que la raifon m’éclaire ; j» fonge à m’affranchir
» d’ùn joug qui me pète, & j’efpère que j’y par-
» viendrai. Il eft pourtant vrai que, le- mal étant
» fort enraciné, il-me faudra pour en guérir beau-
» coup plus de temps que fe ne voudrois. »
Je crois reconnoître davantage-l’efprit de l’Ariofle
dans cette imitation faite par un auteur inconnu
Qui dans. la glu du tendre amour s’empêtre
De s’en tirer n’eft pas long temps le maître;.
On s’y démène, on y perd fon bon fens >.
Témoin Roland Sc d’àutré* perfonna ges ,
Tous gens de bien ,. mais fort extravagants.^
Us font tous fous ; ainÇ l’ont dit1 les fages.
Cette folie a differents effets :
Ain fi qu’on voit dans de vaftes forêts-,
Adroite, à gauche , errer à l’aventure^
Des pèlerins augrédelepr monture ,
Leur grand plaifir eft de fe fourvoyer,;
Et pour leur bien je voudrais les lier.
A ce propos quelqu’un me dira , Frère-,'
C’eft bien prêcher ; mai? il falloir te taire..
Corr-ige-toi fans fermoner les gens.
Æ d i mes Amis, oui, je fuis très-coupable-*
E P O 7 7 1
Et j’ ew conviens quand j’ai de bons moments;
Je prétends bien changer avec le temps ,
Mais jufqu’ici le mal eft incurable.
Quand je dis que l’Ariofte égale Homère dans la
deteription des combats, je n’en veux pour preuve
que ces vers :
Suona l'un brando, e l ’altro , or baffo, or alto ;
I l martel di Vulcano era pià tarde
Relia fpelunca offumicata, dove
Batte a all'incude i folgori di giove.
Afpero concento, orrïbile armonia
D ’alte querele, d’ulùli , e di ftrida
Délia mi fer a gente , ch s peria
Del fonda, per cagioh délia fua guida ;
IJiranamente concordar s’udia
Col fiero fuon délia fiarna omicida.
L ’alto rumor dette fonore trombe,
D i timpani , e di barbari firumenti,
Giunte al continuo fuon d’archï, difrombcj,
D i macchine , di ruote , e di tormentï ;
E quel, di che pià par -che'l ciel rimbombe ,
Gridi , tumulti , gemiti, e lamenti ,
Rendono un alto fuon , che a quel s’accorda,
Con chc i vicin, cadendo , il Dilo ajforda•
Aile fquàllide ripe del VAcheronte
Sciolta del corpo , pià freddo ce ghiaccio ,
Bejiemmiando fuggi l'aima fdegnofa
Che fu.fi altéra al mondo , e ji orgogliofa•
Voici une foible traduction de ces beaux vers :
Entendez-vous leur armure guerrière
-Qui retentit des coups de cimetère 1
Moins violents, moins prompts font les marteaux
Qui vont frapant les céleftes carreaux,
Quand tout noirci de fumée & de poudre,
Au mont Etna Vulcain forge la foudre.
Concert horrible , exécrable harmonie
De tris aigus & de longs hurlements ,
Du bruit des cors , des plaintes des mourants ,
Ec du fracas des maifons embrâfées
Que fous leurs toits la flamme a renverfées.
Les inltrumeats de ruine Sc de mort
- Volants en foule & d’un commun effort ,
Et la trompette organe du carnage,
De plus d’horreur empliflent ce rivage
Que n’en reffent l’étonné voyageur
Alors qu’il voir tout le Nil eiî--fuieur ,
E P O
Tombant des cieux qu’ il touche & qa’ü inonde,
Sur cent rochers précipiter fon onde.
Alors, alors cette ame fi terrible ,
Impitoyable, orgueilleufc , inflexible,
Fuit de fon corps Sc fort en blafphémant
■ Superbe encor à fon dernier moment,
Et défiant les éternels abîmes
Où s’engloutit la foule de fes crimes.
Il a été donné à l’Atiofte d’aller & de revenir
de ces defcriptions terribles aux peintures les plus
voluptueufes , & de ces peintures à la Morale la
plus fage. Ce qu’il a de plus extraordinaire encore,
c’eft d’intéreffer vivement pour les héros, Sc les
héroïnes dont il parle, quoi qu’il y en ait un nom-
bre prodigieux. Il y a prefque autant d événements
touchants dans lôn Poème que d’aventures grotel-
ques ; & fon leâeur s’accoutume fi bien a cette
bigarrure , qu’il palfe de l’une à l’ autre fans en etre
étonné. n .
Je ne (âis quel plailânt a fait courir le premier
ce mot prétendu du cardinal d’E ft, MeJJer Lodovico
dove avete pigliato tance coglionerie ? Le cardmaJ
aurait dû afouter, Dove avete pigliato tante co)e
divine ? Aufli eft-il appelé en Italie II dtvitto
Ariofto. ' .
II .fut le maître, du Tafiè. VArmide eft d_apres
VAlcine. Le voyage des deux chevaliers qui vont
défenchanter Renaud , eft abfolument imite du
voyage d'Aftôlphe. Et il faut avouer encore que les
imaginations fantafques qu’on trouve fi fouvent dans
le Poème de Roland le fu r ieu x , font bien plus
convenables à un fujet mêlé de férieux & de plat-
fant, qu’au Poème férieux du Taflfe , dont le lu) et
fembloit exiger des moeurs plus févères.
Ne paffons pas fous filence un autre mérité qui
n’eft propre qu’à l’Ariofte ; je veux parler des
charmants prologues de tous fos chants.
Je n’avois pas ofé autrefois le compter parmi les
poètes épiques, je ne l’avois^ regardé que Commeije
premier des grotelques : mais en le rclifant je la t
trouvé aufli foblime que plaifont,^& je lui fais tres-
humblement réparation. On afsure <lue J® PaPe
Léon X publia une bulle en faveur de 1 Orlando
furiofo, & déclara excommuniés ceux qui diroient
du mal de ce Poème. Je ne veux pas encourir
l’excommunication. .
C ’eft un grand avantage de la langue italienne,
ou plus tôt c’eft un rare mérite dans le TafTe &
• dans l’Ariofte , que des Poèmes fi longs , non feulement
rimés , mais rimes en fiances , en rimes croi-
fées, ne fatiguent point l ’oreille, & que le poete
ne paroiffe prefque jamais géné. ‘ # .
Le Triflin au contraire, qui^s’eft delivre du joug
de la rime, fomble n’en avoir que plus^ de con-
I trainte , avec bien moins d’harmonie Sc d’élégance# i Spencer en Angleterre voulut rimer en fiances
E e e e e 2.