
Carmen au fens propre de ces deux mots. Jufte-
Lipfe oc Cluvier ont rejeté l'origine de ce mot ,
prilè du nom gaulois de Hardes. Voffïus, qui eft de
leur avis , prouve, par quelques exemples, que ces
deux mots, Hardi tus & Harritus, ont été confondus
par les copiftes: il cite le Gloffaire de Cyrille,
où le mot jBar dit a pris la place de jBarrit en parlant
du cri de l’éléphant. Ces trois critiquesqui ont
joint à l’étude des langues lavantes celle des anciennes
langues du Nord, dérivent Harritus du mot
Beren ou Haeren, crier, élever la voix. Rien n’eft i
plus lîmpie & plus naturel que cette étymologie: &
dans le pafïage de Tacite les mots relatas carnurtum
& camus, ne lignifient que la manière de prononcer
ce cri que les germains appeioient Harritus. Voye^
les Aient, de £ Acad, des Infcript. T. X X l l l . p . 164.)
( L 'É d it e u r .)
* BARREAU, C m. Belles-Lettres. Le Bafreau
eft le lieu où l’on plaide devant les juges ; & le
genre de ftyieou d’Éloquence en ulàge dans la plaidoirie,
s’appelle ftyie du Barreau, Eloquence du
Barreau.
On a fouvent confondu , en parlant des anciens ,
le Barreau avec la Tribune , & les avocats avec les
orateurs , fans doute à caufe que l'un de çes emplois
mtnoit à l ’autre, & que bien fouvent le même
homme les exerçoit à la fois.
Il y avoit à Athènes trois fortes de tribunaux :
celui de l’Aréopage , qui ne jugeoit qu’au criminel,
& d’où l’Éloquence pathétique étoit -bannie ; celui
des juges particuliers, devant lefqùels Ce plaidoient
les caulès qui n’étoient pas capitales ; & celui du
peuple, auquel on déféroit une loi qu’on croyoit
injufte, & qui avoit droit de l’abroger. Les deux
premiers de ces tribunaux répondoient à notre Barreau
, le dernier répondoit au Forum ou a la Tribune
romaine. ( ^ Il y avoit de plus les aflemulées
publiques, où le peuple & le Sénat fîégeoient en-
femble, & dans lefquelles s'agitoient les affaires
d’État. Démofthène nous a décrit la forme de ces
alïèmblées , que lespritanes ou les chefs du Sénat,
avoient fouis droit de convoquer , & auxquelles
le peuple préfidoit par tribus. Voye\ D é l ib é r
a t i f . )
Tant que Rome fut libre, le Forum, où le peuple
étoit juge, fut le tribunal fupréme. Le tribunal des
préteurs, celui des cenfours , celui des chevaliers ,
celui du Sénat même étoit fobordonné à celui
du peuple ; mais depuis Céfar & fous les empereurs,
toutes les grandescaufos furent -attribuées au Sénat;
l’autorité des préteurs s'accrut; célle du peuple fut
anéantie ; & l'Éloquence de la Tribune périt avec
la liberté.
Ainfî, dans Rome & dans Athènes, tantôt les
caufos le plaidoient devant les juges, efelaves de la
loi ; tantôt devant le légiflateur, qui avoit le droit
d’abroger la lo i , de l’adoucir, de la changer, de
la laifler dormir, de lui impofor filence , en un mot
de mettre la volonté à la place de la loi même ;
voilà ce qui diftingue èffenciellement le Barreau,
d’avec la Tribune. Foye\ Orateur.
Autant les fondions de f orateur étoient en honneur
dans Athènes & dans home , autant la proiellion
d’avocat y lut avilie par la vénalité, la corruption,
& la mauvaife foi. Deinoithène, qui l’avoit exercée ,
fo vantoit d’avoir reçu cinq talents pour le taire, dans
une cauie où (ans doute on appréhendoit qu’il ne
pariât : & comme il s étoit fait payer (on iùence ,
on juge bien que lui & lés pareils tailoient encore
mieux acheter leur voix. Rien ne fu t plus vénal
dans Rome , dit Tacite , que la perfidie des
avocats.
l-hez nos bons aïeux , lorsque tous les crimes
étoient taxés , que pour cent fois on pouvoit couper
le net. ou l’oreille à un homme, ce beau tarif,appuyé
de la preuve ,. ou par témoin, ou par forment, ou
par le fort des armes, avoit peu befoin d’avocats :
les lois romaines introduites les rendirent plus nécefo
laires:. mais le Barreau ne prit une forme railonnable
& décente que dans le quatorzième fîècle, lorfque
le Parlement, devenu fedentaire fous Philippe le
Bel, fut le réfuge de l’Innocence & de la Foiblelfa ,
lï long temps opprimées aux tribunaux militaires
& baroares des grands vaffaux.
L ’ufage de faire parler pour foi un homme plus
inftruit, plus habile que foi, a dû s’introduire partout
où la railon &, la juftice ont pu le faire entendre.
tViais cette inftitution 4voit un vice radical,
d’où font dérivés tous les vices de l’Eloquence du
Barreau : l’avocat, en plaidant une cauie qui h’eft
pas la fienne , joue un rôle qui n’eft pas le fi en ;
voiiî pourquoi., fid’on en croit Ariilophane, Cicéron,
Petrone , QtnijMien , la déclamation a été dans tous
les temps le caractère dominant de l’Eloquence du
Barreau. Voye\ Déclamation.
Si les plaideurs. ;toient leurs avocats eux-mêmes ,
ils expoleroient les faits avec fimplicité, ils diroient
ieurs railons fans e.upbafe ; & s’ils employotent les
mouvements d’une Eloquence pauionnée, ces mouvements
leroient placés & forment au moins pardonnables.
Mais un avocat, revêtu du perfonnage du plaideur,
a befoin d'un art prodigieux pour le jouer
d’après nature ; & au défaut de ce talent fi rare ,
il met à la place de l ’Éloquence naturelle, une déclamation
fadice , tantôt ridicule par l ’abus de i’efo
prit & par l'enflure des paroles, tantôt révoltante
par fon impudence , tantôt criminelle par fos artifices
ou par fos odieux excès.
Quand c’eft par vanité que l’orateur, dans une
cauie qui ne demande que de la raifon, de la clarté,
de la méthode, cherche à répandre les fleurs d'une
Rhé.orique étudiée, l’orateur n’eft que ridicule; &
s’il elt jeune on pardonne à for» âge. Mais lorfo
qu’oubliant fon caradère , il prend le rôle de bouffon
, & , par des railleries indécentes , cherche à
faire rire fos juges ; il Ce dégrade & s’avilit.
Lorlque dans une caufe , qui de là nature ne
peut exciter aucun des mouvements de l’Éloquence
véhémente , il fe bat les flancs pour paroître ému
& pour émouvoir, qu'il emploie de grands mots
pour exprimer de petites chofes , & qu’il prodigue
les figures les plus hardies & les plus fortes pour
un fujet fimple & commun (ce que Montagne appelle
faire de grands fouliers pour de petit pieds ) ; il
n’eft qu’un charlatan & un mauvais déclamateur.
Mais iorfqu’il Ce met à la place d’un plaideur outré
de colère, & qu’il vomit pour lui tout ce que la
vengeance , la haine envenimée, peut avoir de noirceur
& de malignité ; qu’il déshonore un homme ,
une famille entière , fous lé prétexte fouvent léger
que fà caufe l’y autorifè ; il eft l’efolave des pafo
fions d’autrui, le plus lâche des complaisants, &
le plus vil des mercenaires. Cette licence , trop
long temps effrénée, a été la honte de l’ancien Barreau
, quelquefois l'opprobre du Barreau moderne ;
& quoiqu’en général l’honnêteté foitl’ame de Tordre
des avocats , il n’ont peut-être pas été aifez
févères à réprimer un abus fi criant.
» Çet ordre, aufïi ancien que la magiftrature,
aufli noble que la vertu , auffî nëceflàire que la
juftice, (c’eft M. d'Agueffeau qui parle ) où l ’homme,
unique auteur de fon élévation, tient tous les autres
hommes dans la dépendance de fos lumières & les
force de rendre hommage à la foule fopériorité de
fon génie, heureux de ne devoir ni les dignités
aux richeffes , ni la gloire1 aux dignités», ne doit
rien fouffrir qui profane un caradère fi fàcré.
Qu’un avocat foit pénétré de la fàinteté de fos
fondions , il commencera par ne fe charger que de
la caufe qu’il croira jufte : alors, écartant l'artifice,
il armera la vérité de tous les traits de force &
de lumière qui peuvent frapper les efprîts ; il dédaignera
les ornements puérils & ambitieux ; il
parlera avec le férieux de la décence & de la bonne
foi; & s’il Ce permet l’Ironie , ce ne fera que d’un
ton fevère & pour attacher le mépris à ce qui le
doit infpirer : fon refped pourjes lois fe communiquera
aux juges , & leur rappellera , s’ils peuvent
l ’oublier, la dignité de leurs fondions ; ce même
refped fe répandra dans l’affemblée des auditeurs:
il les avertira, comme a fait de nos jours l’un
de nos avocats les plus célèbres, que le Barreau
n’eft pas un théâtre, ni l'orateur un comédien; &
qu’une caufe où il s’agit de décider ce qui eft jufte,
eft profanée par des applaudiffements réfervés à
ce qui n’eft qu’ingénieux.
Avouons cependant, ce que M. d’Agueffeau n’a
pas craint d’avouer , qne les juges font des hommes,
& que la vérité n’eft pas aïlez sure d’elle-même
avec eux , pour dédaigner les Ornements de l’art.
» Sa première vertu, dit - il en parlant de l ’avocat,
» eft de connoître les défauts des autres ( & c’eft de
fes juges qu’il parle ) ; fa fàgeffe confifte à découvrir
35 leurs paffions , & fa force à (avoir profiter de leur
» foibleffe. Les âmes les plus rebelles , les efprîts les
» plus opiniâtres, fur le (quels la raifon n’avoit point
» de prife , & qui réfiftoient à l ’évidence même ,
» fe laiflent entraîner par Battrait de la perfiiafion ; la
33 paffron triomphe de ceux que la raifon' n’avoit
» pu dompter ; leur voix fe mêle à celle des génies
» îiipérieurs ; les uns fùivent volontairement la
» lumière que l ’orateur leur préfente ; les autres font
33 enlevés par un charme fecret dont ils éprouvent
» la force, fans en connoître la caufe ; tous le»
» elprits convaincus, tous les coeurs perfùadés paient
». également à l’orateur ce tribut d’amour & d’ad-
» miration, qui n’eft dû qu’à celui que la con-
» noifïànce de l ’homme élève au plus haut degré
» d-Éloquence.
Voilà les excufes dont s’autorife l'Éloquence artî-*
fieieufe & pafïionnée.
M Malheur au peuple chez lequel cette Éloquence a
ne fréquentes occafîons de fe fignaler ! cela prouve
qu'il eft gouverné, non par les lois , mais par les
hommes; cela prouve que les afledions perfonnel-
les, plus que la raifon publique, décident dés ré-
folutions & des jugements du Tribunal qui gouverne
ou qui juge ; cela prouve que la multitude eile-méme
a befoin d’étre pouffée par le vent des paffions ; Sc
partout où ce vent domine , les naufrages feront
fréquents pour l’Innocence & pour l’Équité.
Mais enfin, lorfque la conftitution d’un État, ou (à
condition eft telle, que le juge a droit de prononcer
d’après fon affèdion perfonnelle, que l ’Éloquence a
le malheur de s’adrefier à une volonté arbitraire ,
ou que , par la nature de l’objet, le juge eft réellement
libre ; l’Éloquence alors ne demandant à l'homme
que ce qui dépend de fon choix, elle a droit de
mettre en ufàge tout ce qui peut l’intérefler : Socrate ,
cité devant l’Aréopage , s’interdit tous les artifices
de l’Éloquence pathétique ; l’Aréopage n'étoit que jug
e , c’eût été vouloir le corrompre que de lui parler
le langage des paffions. Encore la sévérité de Socrate
fut-elle déplacée, puifqu’elle fit commettre aux ju^es
le crime irrémiffible de là condamnation. Voyez
P a th é t iq u e . Mais Démofthène, pour entraîner la
volonté d’un peuple libre , pouvoit employer le reproche
, la menace , la plainte , intéreffer l ’orgueil,
jeter la honte & l’épouvante dans l’ame des athéniens :
de même Cicéron , foit qu’il parlât au peuple, ou au
Sénat, ou à Céfàr lui-même, pouvoit exciter à fon
gré la colère & l’indignation, la compaflion 8c la
clémence. Ainfi, la tyrannie & la liberté ouvrent également
un champ libre à l'Éloquence pathétique. De
même enfin nos orateurs chrétiens, ayant à perfuader
aux hommes, non feulement la vérité , mais auffî
la bonté, peuvent, pour attendrir , pour élever les
âmes , employer les grands mouvements d’une Éloquence
pathétique & foblime.
» Il arrive fouvent, dit Plutarque , que les pafo
fions fécondent la raifon & fervent à roidir les vertus
, comme Tire modérée fort la vaillance, la haine
des méchants fert la juftice , l'indignation à l’encontre
de ceux qui font indignement heureux ; car leur
coeur, élevé de" folle arrogancef& infblence . à caufe
de leurprofpérité , a befoin d’être réprimé; & il n'y
a perfonne qui voulût, encore qu’il le pût faire, séparer
l’indulgence de la vraie amitié^ ou l’humanité