
Jimple au droit commun , & la figurée au droit privilégié.
Les jurifoonfiiltes habiles ramènent les privilèges
aux lois fupérieures du droit commun, &
regardent comme des abus que les légiflateurs de-
vroient réformer , les privilèges qui ne fâuroient
être réduits à ces lois..
Il en eft de même des phrafos de la Conjîrucîion
figurée ; elles doivent toutes être rapportées aux
lois générales du ditcours, en tant qu’il eft ligne de
l ’analyfe des penlees & des différentes vues de r e font.
C’eft une opération que le peuple fait par fen-
timent, puifqu’il entend le fèns de ces phrafès. Mais
le grammairien philofbphe doit pénétrer le myflère
de fôn irrégularité, & faire voir que , malgré le maf-
que qu’elles portent de l’anomalie, elles font pourtant
analogues à la Conftrucîion Jimple.
C’eft ce que nous tâcherons de faire voir dans les
exemples que nous venons de rapporter. Mais pour
procéder avec plus de clarté, il faut obforver qu’il y
a fîx fortes de figures qui font d’un grand ufâge dans
l ’efpèce de Confirucîicni dont nous parlons, & auxquelles
on peut réduire toutes les autres.
i °. L ’Ellipfo, c’efl à dire , manquement, défaut,
fuppreffion ; ce qui arrive lorfque quelque mot né-
ceflaire pour réduire la phrafo à la Confimclionfim-
ple, n eft pas exprimé ; cependant ce mot eft ra feule
caufè de la modification d’un autre mot de la phrafo.
Par exemple, Ne fus Minervam ; Minervam n’eft à
l ’accufâtif, que parce que ceux qui entendent le fens
de ce proverbe fo rappellent aifëment dans l’efprit le
verbe doceat ; Cicéron l’a exprimé ( Acad. I ,
c.jv. ) : ainfï, le fons eft Sus ne doceat Minervam;
qu’un cochon , qu’une bête , qu’une ignorant ne
s’avifo pas de vouloir donner des leçons à Minerve,
déefTe de la fcience & des beaux arts. T rifle lupus
fiabulis, c’eft à dire, Lupus eftnegotium trifieftabu-
lis. Ad Cafioris , fuppléez ad oedem ou ad tem-
plum Cafioris. Sanétius & les autres analogiftes ont
recueilli un grand nombre d’exemples où cette
figure eft en ufâge : mais comme les auteurs latins
emploient fouvent cette figure , & que la langue
latine e ft, pour ainfi dire ( foute elliptique, il n eft
pas poffible de rapporter toutes les occafîons où cette
figure peut avoir lieu ; peut-être même n’y a-t-il
aucun mot latin qui ne foit fousentendu en quelque
phrafo. Vulc'ani Item complûtes, fuppléez fuerunt;
Br'tmus ccclo natus, ex quo Minerva Apollinem ,
où l’on iousentenâ peperit ( Cic. de nat. deor. liv.
II I, c. xxij. ) : 8c dans Térence ( Eunuc. acî. I ,
fc. I. ) Egone illam ? qüoe ilium ? quoe me ? quoe
non ? Sur quoi Bonat obforve que l’ufâge de l’El-
lipfo eft fréquent dans la eolère , & qir ici le fons
eft , Egone illam non ulcifcar 1 quoe ilium recepit ?
quoe exclufit me? quoe non admifit l Prifoien remplit
ces Ellipfos de la manière fuivante : Egone illam
dignot adventu meo ? quoe ilium proepoj'uit mihi ?
quoe me /prévit ? quoe non Jufcepit heri ? Quoi
j’irois la voir , elle qui a préféré Thrafon , elle qui
m’a hier fermé la porte !
11 eft indifférent que l’Ellipfo foit remplie par tel
ou tel mot, pourvu que le fons indiqué par les adjoints
& par les circonftances foit rendu.
Ces fousentemes , dit M. Patru ( Notes fur les
remarques de Vaugelas, tome I , pag. z91 , édit, de
1758. ) J'ont fréquentes en notre langue comme en
toutes les autres. Cependant elles y font bien moins
ordinaires qu’elles ne le font dans les langues qui
ont des cas ; parce que dans celles-ci le rapport du
mot exprimé avec le mot fousentendu, eft indiqué
par unè terminaifon relative ; au lieu qu’en françois
& dans les langues dont les mots gardent toujours
leur terminaifon abfolue , il n’y a que l’ordre , ou
obforvé , ou facilement appérçu & rétabli par l’efo
prit, qui puifle faire entendre le fons des mots énoncés.
Ce n’eft qu’à cette condition que l’U fage.autorlfo
les tr an {polirions & les Ellipfos. Or cette condition
eft bien plus facile à remplir dans les langues qui
ont des. cas : ce qui eft fonfî’ble dans l’exemple que
nous avons rapporté y fus Minervam ; ces deux mots
rendus en françois n’ind iqu e r oient pas ce qu’il y a à
foppléer. Mais quand la condition dont nous venons
de parler peut aifement être remplie , alors nous fai*
fons ufâge de l’Ellipfo, fortout quand nous fommeg
animés par quelque pafïion.
Je t’aimois inconftant; qu’aurois-je fait, fidèle?
Racine, Androm. act. IV, fc. vi
On voit aifement que le fons eft, que n’ aurois-je
pas fait y fi tu avois été fidèle ? avec quelle ardeur
ne Vaitrois-je pas aiméffi tu avois été fidèle? Mais
l’Ellipfo rend l’expreflion de Racine bien plus vive
que fi ce poète avoit fait parler Hermione folon la
Confiruction pleine. C’eft ainfi que, lorfque dans la
converfàtion on nous demande, Quand reviendrez-
vous ? nous répondons , La femaine prochaine ,
c’eft à dire -, Je reviendrai dans la femaine prochaine
; à la mi-août y c’eft à dire y à la moitié du
mois d’août ; à la Saint-Martin y à la Toujfaint,
au lieu de à la fête de Saint Martin, à celle de
tous les Saints. D. Que vous a-t-il dit ? R. Rien ,
c’eft à dire , Il ne né a rien dit , nullam rem \ on
fousentend la négation ne. Qu il fiiJJ’e cè qitil voudra
y ce qu il lui plaira ; on fousentend faire, &
c’eft de ce mot fousentendu que dépend le que
apoftrophé devant il. C’eft par i’Ellipfo que l’on
doit rendre raifon d’une façon de parler qui n’eft plus
aujourdhui en ufâge dans notre langue , mais qu’on
trouve dans les livres mêmes du fiècle paffé ; c’eft &
qu ainfi ne foit y pour dire ce que je vous dis efi fi
vrai que , & c. celte manière de parler , dit Danet,
C verbo Ainfi ) fo prend en un fons tout contraire à
celui qû’elle fomble avoir ; car, dit-il, elle eft affirmative
nonobftant la négation. J1 étais dans ce Jardin
, & qu ainfi ne foit, voilà une fleur que f y ai
cueillie ; c’eft comme fi je difois , & pour preuve,
de c ela , voilà une fleur que j’y ai cueillie , atque ut
rem ita ejfe intelligas. Joubert dit aufïi & qu’ainfi
. ne foit, c’eft à dire , pour preuve que cela eft : ar-
gumento efi quod, au mot Ainfi. Molière , dans
rourceaugnac, aèî. 1 ,-jjc*. xj , fait dire à un mèdeein
que M. de Rourceaugnac eft atteint & convaincu
de la maladie qu’on appelle mélancolie hypocondriaque
i & qu ainfi ne foit, ajoûte le médecin , pour
diagnoflic incontefiable de ce que je dis y vous n ave\
qu’à confidèrer ce grand férieux , &c.
M. de la Fontaine , dans fon BelpTiégor, qui eft
imprimé à la fin du XIIe livré des fables, dit ;
I cette explication : Hofpitium , multis annis ante
hoc tempus y gadiiani cum Lucio Cornelio Balbo
fecerant, où vous voyez que la Conftruclioiî folon
l’ordre de l’analyfo énonciative e ft, Gaditani fece-
runt hofpitium cum Lucio Cornelio Balbo in
multis, annis ante hoc tempus.
C’eft le coeur feul qui peut rendre tranquille*;
l e coeur fait tout, le refte eft inutile.
Qu’ainfi ne foit, voyons d’autres états, &c.
L ’Ellipfo explique cette façon de parler ; en voici
la Conflruêtion pleine : & afin que vous ne difîez
point que cela ne foit pas ainfi, c eft que, &c. ^
Pafions aux exemples que nous avons rapportes
plus haut ; des favants mont dit, des ignorants
J imaginent. Quand je dis, les f avants difenty les
ignorants s'imaginent, je parle de tous les fâvants
& de tous les ignorants ; je prends favants 8c ignorants
dans un fons appellatif, c’eft à. (fire , dans
une étendue qui comprend tous les individus auxquels
ces mots peuvent être appliqués : mais quand
je dis, des favants mont dit y des ignorants s imaginent
y je ne veux parler que de quelques-uns
d’entre les favants ou d'entre les ignorants ; c eft
Une façon de parler abrégée. On a dans 1 efprit
quelques-uns ; c’eft ce pluriel qui eft le vrai fiijet
de la propofition ; de ou des ne font en ces occafîons
que des prépofîtions extraélives ou partitives. ^ Sur
quoi je ferai en paffant une légère obforvation ;
c ’eft qu’on dit qu’alors favants ou ignorants font
pris dans un fons partitif: je crois que le partage
ou l’extradion n’eft marqué que par la prépofition
8c par le mot fousentendu, & que le mot exprime
eft dans toute fâ valeur , & par conféquent dans
toute fon étendue, puifque c’eft^ de cette étendue
ou généralité que l’on tire les individus dont ©n
parle; quelques-uns de ces favants.
Il en eft de même de ces phrafos, du pain & de
Veau fufizfentj donne-moi du pain & de Veau , &c.
c ’eft à dire , quelque chofe de, une portion de ,
ou du y &c._Il y a , dans ces façons de, parler,
Syllepfè & Ellipfo : il y a Syllepfe, puifqu’on fait
la Confiruction félon le fens que l’on a dans l’efprit,
comme nous le dirons bientôt : [ Voye\ S y n th è s e ;
c’eft fous ce nom qu’il eft parlé de la figure appelée ici
Syllepfe. ] & il y a Ellipfo , c’eft à dire, fuppreffion ,
manquement de quelques mots , dont la valeur ou le
fons eft dans l’efprit. L’empreffoment que nous avons
à énoncer notre penlée , & à favoir celle de ceux qui
nous parlent, eft la caufo de la fuppreffion de bien des
mots, qui foroient exprimés fi l’on fuivoit exaétement
îe détail de l’âhalyfo énonciative des penfees.
Mulds ante annïs. Il y a encore ici une
Ellipfo: ante n’eft pas le corrélatif de annis ; car
on veut dire que le fait dont il s’agit s’eft paffé
dans un temps qui eft bien antérieur au temps où
l’on parle : illud fuit gefium in annis multis ante
hoc tempus. Voici un exemple de Cicéron, dans
l ’oraifon pro L. Corn. Balbo , qui juftifie bien
Boenitet me peccati, je me repens du péché*
Voilà fans doute une propofition en latin & en
françois. Il doit donc y avoir un fujet & un attrib
u t ’exprimé ou foufontendu. J’apperçois l’attribut,
car je vois le verbe poenitet me ; l’attribut commence
toujours par le verbe, & ici poenitet me
eft tout l’attribut. Cherchons le fujet : je ne vois
d’autre mot que peôéüti ; mais ce mot étant au
génitif, ne fàuroit être le fujet de la propofition;
puifque, folon l’analogie de la Confiruction ordinaire^
le génitif eft un cas oblique qui ne fort qu’à déterminer
un nom d’efpèce. Quel eft ce nom que peccati
détermine ? Le fond de la penfoe & l’imitation
doivent nous aider à le trouver. Commençons
par l’imitation. Plaute fait dire à une jei/ne mariée
( Stich. acî. Iy fc. j. v. 5 0 .) , Et me quidemhoec
conditio nunc non poenitet : cette condition , c’eft
à dire, ce mariage ne me fait point de peine, ne
m’affefte pas de repentir ; je ne me repens point
d’avoir époufé le mari que mon père m’a donné r
où vous voyez que conditio eft le nominatif de
poenitet. Et Cicéron, Sapientis efi proprium, nihil
quod poenitere pojfity facere (Tufc. liv. V, c. 28.)
c’eft à dire, Non facere hilum quodpojjît poenitere
fapientem efi proprium fapientis ; où vous voyez
"que quod eft le nominatif de pojfit poenitere : rien
qui puiffe affeâer le Page de repentir. Accius (apud
Gell. N. a y l. XIII, c. ij.) dit que , neque id
fané me poenitet ,• cela ne m’affèéte point de repentir.
Voici encore un autre exemple: Si vous aviez
eu un peu plus de déférence pour mes a v is, dit
Cicéron à fon frere ; fi vous aviez fâcrifié quelques
bons mots , quelques plaifûnteries ; nous n’aurions
pas lieu aujourdhui de nous repentir : Si apùd te
plus autoritas mea, quam dicemli fal facetioeque ,
valuijfet, nihil fane effet quod nos poeniteret ; il
n’y‘ auroit rien qui nous afieéiat de repentir. Cic•
ad Quint. Fratr. I. Iy ep. ij.
Souvent, dit Faber dans fon Tréfor , au mot
Poenitet, les anciens ont donné un nominatif à ce
verbe: veteres & cum nominativo copulàrunt.
Pourfoivoris* notre analogie. Cicéron a dit ,
Confcientia peccatorum timoré^ nocentes ajfictt
( Parad V. ) ; & Parad. IL Tüoe libidines torquem
te y confcientioe maleficiorum tuorum flimulam
te ; vos remords vous tourmentent : & ailleurs on
trouve Confcientia feelerum improbos in morte
vexât ; à l’article de la mort les méchants font
tourmentés par leur propre confluence.
Je dirai donc par analogie par imitation ,
Confcientia peccati poenitet me; c’eft à dire, ajfich
me poenà ; comme Cicéron a d it, afficit timoré y
fiimulat y vexât , torquet, mordet ; le remords
le fouvenir , la penfée de ma faute m’affeèle de