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Hueras ; ainfî, chacun de ces trois arrangements ex- •
cite dans l’efprit le même fèns, jai reçu votre lettre. 1
Or ce q t i i fait, en chaque langue, que les mots exci- |
tent le fons qüe Von veut faire naître dans l’efprit '
de ceux quifaventla langue , c’eft ce qu’on appelle
Syntaxe. La Syntaxe eft donc la partie de la Grammaire
qui donne la connoiffance des lignes établis
dans une langue- pour exciter un fèns dans l’efprir.
Ces lignes , quand on en lait la deilination , font
connoïtre les rapports fùcceffifs que les mots ont
entre eux j ceft pourquoi lorfque celui quï|pàrle ou
qui écrit , s’écarte de cet ordre par des tranfpolîtions
que l’Ufoge autorité, l’elprit de celui qui écoute ou
qui l i t , rétablit cependant tout dans l’ordre, en vertu
des lignes dont nous parlons & dont il connoît la
deilination par ufoge.
Il y a en toute langue trois fortes de ConJlfuRions
qu’il faut bien remarquer.
I. ConJlruRion nécejfaire ,fignijicative, ou enon-
ciative ; c’eli celle par laquelle foule les mots font
un lèns : on l’appelle aufli Conjlruclion Jimple &
Conjlruclion naturelle, parce que c’eli celle qui efl
la plus conforme à l’état des choies , comme nous le
ferons voir dans la fuite , & que d’ailleurs cette
Conjlruclion eli le moyen le plus propre 8c le plus
facile que la nature nous ait donné pour faire con-
noître nos penfées par la parole ; c’eft ainïî que lorsque
, dans un traité de Géométrie , les propofîtions-
font rangées dans un ordre fùcceffif, qui nous en
fait appercevoir ailement la liailôn & le rapport,
jfàns qu’il y ait aucune propolîtion intermédiaire à
luppléer, nous dilons que les propofîtions de ce traité
font rangées dans l’ordre naturel.
Cette Conjlruclion ell encore appelée nécejfaire,
parce que c’eli d’elle foule que les autres Conjlruc-
tions empruntent la propriété qu’elles ont de lignifier
; au point que, lî la Conjlruclion nécejfaire ne
pouvoit pas fo retrouver dans les autres fortes d’énonciations
, celles-ci n’exciteroient aucun fons dans
l ’elprit , ou n’y exciteroient pas celui qu’on vouloit
y faire naître : c’eli ce que nous ferons voir bientôt
plus fènfîblement.
11°. La foconde forte de Conjlruclion, ell la Conf-
truRion figurée.
III0. Enfin, la trotfième eft celle où les mots ne
font ni tous arrangés lùivant l’ordre de la Conflruc-
tion Jimple , ni tous difpofés folon la ConJlruRion
figurée. Cette troilîème forte d’arrangement ell le
plus en ulâge ; c’eli pourquoi je l ’appelle Corjlruc-
tion ufuélle.
i°f De la Conjlruclion Jimple.- Pour bien comprendre
ce que j’entends par Conjlruclion Jimple &
nécejfaire, il faut obforver qu’il y a bien de la différence
entre concevoir un fons total, & énoncer en-
foite par la parole ce que l’on a conçu.
L ’homme ell un être vivant, capable de fontir,
de penfor, de connoïtre , d’imaginer, de juger, de
vouloir, de fo reflouvenir , &c. Les aftesparticuliers
de ces facultés Ce font en nous d’une manière qui ne
nous eft pas plus connue que la caufo du mouvement
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du coeur, ou de celui des pieds & des mains. Nous
lavons, par fontiment intérieur, que chaque ade par-»
ticulier de la faculté de penfor , ou chaque penlëe
lîngulière èfl excitée en nous, en un inftant, fons
divifîon , & par une fimple affedion intérieure de
nous-mêmes. C’eli une vérité dont nous pouvons ai-
fément nous convaincre par notre propre expérience,
& lurtout en nous rappelant ce qui fo palfoit en nous
dans les premières années de notre enfance : avant
que nous eulïions fait une allez grande provifîon de
mois pour énoncer nos penfées § les mots nous man-
quoient, & nous ne laiflions pas de penfor, de fontir,
d’imaginer, de concevoir, & de juger. C’eli ainlî que
nous voulons, par un ade fimple de notre volonté,
ade dont notre lèns interne efl affedé aufli promptement
que nos yeux le font par les différentes impreP
fions fîngulières de la lumière. Ainfî, je crois que, fi
après la création l’homme fut demeuré foui dans le
monde, il ne fo foroit jamais a vile d’obforvèr dans là
penfée un fùjet, un attribut, un fùbftantif, un ad-
jedif, une conjondion , un adverbe, une particule
négative, &c.
C’eft ainfî que fouvent nous ne faifons connoïtre
nos fontiments intérieurs , que par des geftes ,
des mines, des regards, des foupirs, des larmes | &
par tôus les autres fignes qui font le langage des parlions
plus tôt que celui de l’intelligence. La penlëe ,
tant qu’elle n’eft que dans notre elprit, fans aucun
égard à l’énonciation, n’a befoin ni de bouche , ni
de langage , ni du fon des lyllabes ; elle n’eft ni
hébraïque, ni grèque, ni latine , ni barbare ; elle
n’eft qu’à nous : intùs, in domicilia cogitarionis ,nec
grceca, nec latina , nec barbant, . . . fine oris &
linguae organis , fine ftrepitu fyllabarum. S. Aug,*
Confie). U XI. c. iij. ■
Mais dès qu’il s’agit défaire connoïtre aux autres
les afïèdions ou penfees fîngulières, & pour ainfî
dire , individuelles de l’intelligence r nous ne pou-*
vons produire cet effet qu’en faifont en détail des
imprefïions, ou lur l’organe de l’ouie par des fons
dont les autres hommes connoiflènt comme nous la
deilination, ou fur l’organe de la vue , en expofànt
à leurs yeux par l’écriture les lignes convenus de
ces mêmes fons ; or pour exciter ces imprefïions,
nous fournies contraints de donner à notre penfée de
l’étendue, pour ainfî dire , & des parties, afin de la
faire palier dans l’efprit des autres, où elle ne peut
s’introduire que par leurs fons.
Ces parties que. nous donnons ainfî a notre penfée
par la néceffite de l’Élocution, deviennent enlùite
l’original des lignes dont nous nous forvons dans l’u-
lâge de la parole : ainfî, nous divilbns , nous analy-
fons , comme par inftind, notre penfoe ; nous en raf-
fomblons toutes les parties folon l’ordre de leurs rapports
; nous lions ces parties à des fignes ;• ce font les
mots dont nous nous forvons enlùite, pour en affèéler
les fons de ceux à qui nous voulons communiquée
notre penfée. Ainfî, les mots font en même temps &
l’inftrument & le ligne de la divifion de la penfée.
C’eft de là que vient la diff ésence des langues &
celle des idiotlfraes ; parce ijue les hommes ne (è fervent
pas des mêmes fignes partout, & que le même
fond .de pensée peut être analyfé & exprimé en plus
d’une manière. ,
Dès les. ptemières années de la vie , le penchant
que la nature & la conftitution des organes donnent
aux enfants pour l’imitation ; les befoins , lacuriofité,
8c la ’préfonce des objets qui excitent l’attention ; les
fignes qu’on fait aux enfants en leur montrant les objets
; les noms qu’ils entendent en mêmè temps qu’on
leur donne ; l’ordre fùcceffif qu’ils obfervent que l’on
fo it, én nommant d’abord les objets, & en énonçant
enfùite les modificatifs & les mots déterminants; l'expérience
répétée à chaque inftant & d une maniéré
uniforme : toutes ces eirconftances & la liaifon qui Ce
trouve entre tant de mouvements excités en meme
temps ; tout cela , dis-je , apprend aux enfant's, non
foulemerit les fons & la valeur des mots, mais encore
l ’analyfo qu’ils doivent faire de la penfée qu’ils ont
à énoncer, & de quelle manière ils doivent Ce fèrvir
des mots pour faire cette analyfo , & pour former un
fons dans l’efprlt des citoyens parmi lefquels la Providence
les a fait naître. 1 ^
Cette méthode dont on s’eft fervi à notre égard, eft la même que l’on a employée dans tous les temps
& dans tous les pays du monde, c’eft celle que les
nations les plus policées & lès peuples les plus barbares
mettent en oeuvre pour apprendre à parler à
leurs enfants. C’eft un art que la nature même en-
feigne. Ainfî , je trouve que, dans toutes les langues
du monde, il n’y a qu’une même manière néceflàire
pour former un fons avec les mots : c’eft l’ordre fùc-
ceflif des relations qui fo trouvent entre les mots ,
dont les uns font énoncés comme devant être modifiés
ou déterminés, & les autres comme modifiants &
déterminants ; les premiers excitent 1 attention & la
euriofîté , ceux qui foivent la fatisfont focceHivernent.
C’eft par cette manière qne l’ori a commence dans
^notre enfance à nous donner l’exemple 8c Piifàge de
l ’élocution. D’abord on nous a montré l’objet, enfùite
on l’a nommé. Si le nom vulgaire étoit compofé de
lettres dont la prononciation fût alors trop difficile -
pour nous , on en fùbftituoit d’autres plus aifées à
articuler. Après le nom de l’objet, on ajoutoit les
mots qui le môdifioient, qui en marquoient les qualités
ou les adions , & que les eirconftances & les idées
acceflbires pouvoient aifément nous faire connoïtre.
A mefù.re que nous avancions en âge , & que l’expérience
nous apprenoit le fons & l’ufoge des prépositions
, des adverbes, des conjon&ions, & fùrtout dés
différentes terminaifons des verbes , deftinées à marquer.
le nombre , les perfonnes, 8c les temps; nous
devenions plus habiles à démêler les rapports des
mots 8c à en appercevoir l’ordre fùccceffif, qui forme
le fons total des phrafos , & qu’on a voit .grande
attention de fùivre en nous parlant.
Cette manière d’énoncer les mots fùcceffivement,
lelon l’ordre de la modification ou détermination que
le mot qui foit donue à celui qui lé précède , a fait
règle dans notre efprit. Elle eft devënué notre mo-
Gramm.' e t Z i t t é r a t . Tome J. Partie II.
dèle invariable, au point que, fans e lle , ou du moins
fons les focours qui nous aident à la rétablir, les
mots ne préfeiitent que leur lignification abfolue ,
fons que leur enfemble puiffe former aucun fons. Par
exemple :
A r m a ’ vïrum q iie co .n o , T r o j c e q n ip r im u s àb o r is
I t a l ia m , f a t o p r o fu g ü s , la v in aq u e . v e n it
. L i t t o r a . V i r g . 'Æ n e i d . L i v . I . v . i.‘ >
Otez à ces mots latins les terminaifons ou défînan-
ces, qui font les lignes de leur valeur relative , &
ne leur laiflèz que la première terminaifon qui 11 jn-
dique aucun rapport, vous ne formerez aucun fons ;
ce foroit comme fi l ’on difoit :
■; iàrines, ‘ hommes, je ' chante, Troie , ui :pre«
mier , des côtes, Italie, dejlin, fugitifs lavinièns , vinéj rivàg es •
Si ces mots étoient ainfî énonces en latiq,avec leurs
terminaifons abfolu.es, quand même on lès" rangérôit
dans l’Ordre où on les voit dans Virgilë, non foule-
ment ils perdroiènt lëur grâce, mais encore ils ne
for mer oient' aucun fons ;' propriété qu’ils n’ont que
par leurs terminaifons relatives , qui , après que
toute la propolîtion eft finie , nous les font regarder
félon l’ordre de leurs rapports , & par. conféquent
fèïôn l’ordre de la ConJlruRion Jimple , iiecéjj'dïre,
8c_fignificative.
Càno arma atque virum , qui vir, profugus à
fato , venit primas ab oris Trojoe in Italiam, atque
ad littora luvinâ ; tant la fuite des mots S:
leurs défînances ont de force pour faire entendre le
fons,"
T a n tu m f é r i é s ju n c iu ro q u e p o l l e t .
Hor. A r u p o é u v . 240.
Quand une fois cette opération m’a conduit a 1 intelligence
du fons, je lis Sc je relis le texte de 1 auteur
; je me livre au plaifîr que me Caufo le foin de
rétablir , fons trop de peine , l’ordre que la vivacité
& l’empreflèment de l’imagination , lelegance &
l’harmonie avoient renverfe ; & ces frequentes leCtu-
res me font acquérir un goût éclairé pour la belle
latinité. f
La ConJlruRion fimple eft auffî appelée Conf-
ïruRion naturelle, parce que c’eft celle que nous
avons apprifo fons maître , par la foule conftitution
fnéchanique de nos organes, par notre attention &
notre penchant à l’imitation : elle eft le foui moyen
néceflàire pour énoncer nos penfées par la parole ,
puifque les autres fortes de ConJlruRions ne forment
un fons, que lorfque par un fimple regard de l’efprit
nous y apercevons aifément l’ordre fucceffif de la
CohfiruRionfimple. •
Cet ordre eft le plus propre à faire apercevoir les
parties que la néceffité de l’élocution nous fait donner
à la penfée ; il nous indique les rapports que ces
parties Ont entre elles; rapports dont le concert produit
l’enfemble & , pour ainfî dire , le corps de chaque
penfée particulière. Telle eft la relation établie entre
la penfée & les mots, c’eft à dire , entre la chofe &