
peine, m’afflige, me tourmente; Je m’en afflige,
je m’en peine, je m’en repens. Notre verbe repentir
e f t formé de la prépofition inféparable , re,
rétro , & de peine , fe peiner du pajj'é: Nicot écrit
Je pèner de; ainfi, je repentir, c’eft s'affliger, fe
punir foi-même de ; quem poenitet, is, dolendo ,
à fe quafi poenam juoe temeritatis exigu. Mar-
tinius V . Pcenïtet.
Le fêns de la période entière fait fôuvent entendre
le mot qui eft fôufêntendu ; par exemple :
Félix qui potuit rerum cognofeere caufis (Virg.
Géorg. I. II, verf, 490.) : l’antécédent de qui n’eft
point exprimé; cependant le fens nous fait voir que
l ’ordre de la Confiruction eft , IUe qui potuit cognofeere
caufis rerum ejl felix.
Il y a une forte d’Ellipfè qu’on appelle Zeugma,
mot grec qui lignifie connexion, affemblage. Cette
figure fera facilement entendue par les exemples.
Sallufte a dit, Non de tyranno, fed de cive ; non de
domino , fed de parente loquimitr ; où vous voyez
que ce mot loquimitr lie tous ces divers fêns particuliers
, & qu’il eft fô U (entendu en chacun. Voilà
l ’Ëllipfê qu’on appelle Zeugma» Ain/i, le Zeugma
le fait lorfqu’un mot exprimé dans quelque membre
d’une période, eft fôufêntendu dans un autre
membre de la même période. Souvent le mot eft
bien le même, eu égard à la lignification ; mais il
eft différent par rapport au nombre ou au genre,
Aquilce. volârunt, heee ab Orienteilia ab Occident
e : la Confiruction pleine eft , heee volavit ab
Oriente, ilia volavit ab Occidente ; où vous voyez
que volavit, qui eft fou (entendu , diffère de vôld-
runt par le nombre : & de même dans Virgile
( Æn. I. 7. ) Hic illius arma, hic currus fuit ; où
vous voyez qu’il faut fôufen tendre fuerune dans le
premier membre. Voici une différence par {rapport
au genre : utinam aut hic furdus , aut heee muta
facla fit (Ter. And. act. III, fc. j) ; dans le pre*
mier fens on fôufêntend factus fit, & il y a facla
dans le fécond. L ’ufàge de cette forte de Zeugma
eft fouffert en latin ; mais la langue françoife eft
plus délicate & plus difficile à cpt'égard. Comme
elle eft plus afîùjettie à l’ordre fîgnificatif, on n’y
doit fôufêntendre un mot déjà exprimé , que quand
ce mot peut convenir également au membre de
phrafé où il eft fou (en tendu. Voici un exemple qui
fera entendre ma penfee. Un auteur moderne a
dit , Cette hifioire achèvera de défabufer ceux qui
méritent de Vétre ; on fôufêntend déjdbufés dans
ce dernier membre ou incifê , & c’eft défabufer
qui eft exprimé dans le premier. C ’eft une négligence
dans laquelle de bons auteurs font tombes.
2°. La féconde forte de figure eft le contraire
de l’Elliplê : c’eft lorfqu’il y a dans la phrafê quelque
mot fùperflu qui pourroit en être retranché fans
rien faire perdre du fêns ; lorfque ces mots ajoutés
donnent au difeours ou plus de grâce ou plus de
netteté , ou enfin plus de force ou d’énergie, ils
font une figure approuvée. Par exemple, quand en
certaines occafîons on d it, Je l’alvu de mes yeux,
Je Val entendu de mes propres oreilles, &c. Je me
meurs ; ce me n’eft là que par énergie. C’eft peut-
être cette raifôn de l’énergie qui a confàcré le pléo-
nafme en certaines façons de parler : comme quand
on, d it, C’ejl une affaire où il y va dit falut de
l’Etat ; ce qui eft mieux que fi l’on difôit, C’ejl
une affaire où il va, &c. en fiipprimant y qui eft
inutile à caufê de où. Car, comme on l’a obfêrvé
dans les remarques & décifions de l’Académie françoife
, 1698 , p. 3p , Il y va , Il y a , Il en èft,
font des formules autorifees dont on ne peut rien ôter,
La figure dont nous parlons eft appelée Pléo-1
nafme , mot grec qui fignifie Surabondance. Au
refte, la-furabondance qui n’eft pas confàcrée par
l’ufàge, & qui n’apporte ni plus de netteté, ni plus
de grâce, n i. plus d’énergie, eft un vice , ou du
moins une négligence- qu’on doit éviter : ainfî, ou
ne doit pas joindre à un fiibftantif une épithète qui
n’ajoute rien au fêns , & qui n’excite que la même
idée; par exemple, Une tempête orageufe. Il en
eft de même de cette façon de parler, Il ejl vrai
de dire que ; De dire eft entièrement inutile. Un
de nos auteurs a dit que Cicéron avoit étendu les
bornes & les limites de l’Éloquence. Défenfe de
Voiture, page 1. Limites n’ajoute rien à l’idée
de bornes ; c’eft un Pléonafme. Voye\ P l éo na sm e
& P é r is s o l o Gi e .
3°. La troifîème forte de figure eft celle qu’on
appelle Syllepfe ou Synthèfe : c’eft lorfque les mots
Jônt confiruits félon le fêns & la penfée, plus tôt
que félon l’ufàge de la Confiruction ordinaire ; par
exemple , monflrum étant du genre neutre , le
relatif qui fuit ce mot doit aufti être mis au genre
neutre, monfirum quod. Cependant Horace , lib. 7 ,
od. 37 , a d it, Fatale monfirum, quee generofiùs
perire queerens : mais ce prodige, ce monftre fatal,
c’eft Cléopâtre ; ainfi Horace a dit quas au féminin ,
parce qu’il avoit Cléopâtre dans l’efprit. Il a donc
fait la confiruction félon la penfee, & non félon
les mots. Ce font des hommes qui ont, &c. font
eft au pluriel aufti bien que ont, parce que l’objet
de la penfee c ejl des hommes plus tôt que ce, qui
eft ici pris collectivement.
On peut aufti réfôudre ces façons de parler par
l’Ellipfê ; car Ce font des hommes qui ont, &c. ce,
c’eft à dire, les perfonnes qui ont, & c. font du
nombre des hommes qui, &c. Quand on d it , La
jbible(fe des hommes ejl grande, le verbe ejl étant
au fingulier, s’accorde avec fôn nominatif la f o i -
bleffe ; mais quand on dit l,a plupart des hommes
s’imaginent, &c. ce mot la plupart préfênte une
pluralité à l’efprit ; ainfi, le verbe répond à cette
pluralité qui eft fôn corrélatif. C’eft encore ici une
Syllepfe ou Synthèfê, c’eft à dire , une figure, félon
laquelle les mots font conftruits félon la penfee &
la chofé, plus tôt que félon la lettre & la forme
grammaticale : c’eft par la même figure que le mot
de perforine , qui grammaticalement eft du genre
féminin, fe trouve fôuvent fuivi de il ou ' ils au
mafeulin ; parce qu’alors on a dans l ’efprit l’homme
ou les hommes dont on parle qui font physiquement
du genre mafeulin. C’eft par cette figure que l’on
peut rendre raifôn de certaines phrafés où 1 on
exprime la particule ne, quoiqu’il féftible qu’elle
dût être fûpprimée , comme lorfqu’on dit : Je
crains qu il ne vienne ,, J'empêcherai ■ qu’il ne
vienne, J’ai peur yu’il ri oublie , &c. En ces. ôeea-
fions on eft occupe du défir que la chofé n’arrive
pas ; on a la volonté de faire tout ce qu’on pourra,
afin que rien n’apporte d’obftacle à ce qu’on fôu-
haite : voilà ce qui fait énoncer la négation.
4°. La quatrième forte de figure , c’eft iHyper-
bâte, c’eft à dire , confufîon , mélange de mots :
e’eft lorfqu’on s’écarte de l’ordre fûcceflif de la
Confiruction fimple ; Saxa vocant Itali, mediis
quee in fluctibus, aras (Virg. Æneid. I. 7 , v. 113«)
la Confiruction e ft, Itali vocant aras ilia fixa
quee fini in fluctibus mediis. Cette figure étoit,
pour ainfi dire, naturelle au latin ; comme il n’y
avoit que les terminaifôns des mots, qui dans l’ufàge
ordinaire fuftént les lignes de la relation que les
mots avoient entre eux; les latins n’avoient égard
qu’à ces terminaifôns, & ils plaçoient les mots félon
qu’ils étoient préféntés à l’imagination , ou félon
que cet arrangement leur paroifïôit produire une
cadence & une harmonie plus agréable : mais parce,
qu’en françois les noms ne changent point de termi-
nàifôn , nous fômmes obligés communément de
fuirre l’ordre de la relation que les mots ont entre
eux. Ainfi, nous ne faurions faire ufage de cette
figure, que lorfque le rapport des corrélatifs n’eft
pas difficile à apercevoir ; nous ne pourrions pas
dire comme Virgile :
Frigîdus , 6 Pueri, fugite Iiinc , latet atiguis in hërbâ.
Ecl. ili. v. 93.
L’adjedif frigidus commence le vers, & le fubftan-
tif anguis en eft feparé par plufieurs mots , fans
que cette féparation apporte la moindre confufîon.
Les terminaifôns font aifement rapprocher l’un de
l’autre à ceux qui lavent la langue : mais nous ne
férions pas entendus en françois, fi nous mettions
un fi grand intervalle entre le fiibftantif & l’adjectif;
il faut que no U s difions : Fuye\ , un froid fer-
pent e jl caché fous Vherbe. Zoy. H y p e r b a t e .
Nous ne pouvons donc faire ufage des inverfîons,
que lorfqu’elles font aifees à ramener à l’ordre
fîgnificatif de la Confiruction fimple ; ce n’eft que
relativement à cet ordre, que, lorfqu’il n’eft pas
fûivi, on dit en toute langue qu’il-y a inverfîon, &
non par rapport à un prétendu ordre d’intérêt ou
de paffions , qui ne fàuroit jamais être un ordre
certain, auquel on peut oppofér le terme d’inver-
fîon: Incerta hæc fi tu pofiules rations certâ fa-
cere, nihilo plus agas, quam fi des operam ut
cum rations infinies. Ter. Eun* act, 1 , fc. y ,
v. 16.
En effet on trouve dans Cicéron & dans chacun
des auteurs qui ont beaucoup écrit ; on trouve ,
dis-je , en différents endroits, le même fond de
penfée énoncé avec les mêmes mots, mais toujours
difpofes dans un ordre différent. Quel eft celui de
ces divers arrangements par rapport auquel on doit
dire qu’il y a inverfîon ? Ce ne peut jamais être que
relativement à l’ordre de la Confiruclion fimple. Il
n’y a inverfîon que lorfque cet ordre n’eft pas fuivù
Toute autre idée eft fans fondement, & n’oppOfé
inverfîon qu’au caprice ou à un goût'particulier &
momentanée. Foye\ I n v e r s io n .
Mais revenons à nos inverfîons françoifês. Madame
Déshoulières dit :
Que les fougueux aquilons,
Sous la nef, ouvrent de l’onde
Les gouffres les plus profonds.
Déshoul. Ode.
La Confiruction fimple eft, Que les aquilons fougueux
ouvrent jous la nef les gouffres les plus
profonds de l’onde. M. Fléchier , dans une de fes*
Oraifôns funèbres, a dit : Sacrifice où coula le
fiing de mille victimes ; la Confiruéifon eft., Sacrifice
où le fang de mille victimes coula.
Il faut prendre garde que les tranfpofîtions & le
renverfément d’ordre ne donnent pas lieu a des
phrafés louches , équivoques, & où l'efprit ne puiffe
pas aifement rétablir l’ordre fîgnificatif; car on ne
doit jamais perdre de vue , qu’on ne parle que pour
être entendu : ainfi , lorfque les tranfpofîtions mêmes
férvent à la clarté, on doit, dans le difeours ordi-^
naire, les préférer à la Confiructionmple» Madame
Déshoulières a dit:
Dans les tcanfp'orts qu’infgice.
Cette agréable taifon,
Où le coeur à fon empire
AfFujettit la raifôn.
L’efprit fàîfît plus aifément la penfee, que fi cette1
illuftre dame avoit dit : Dans les tranfports, que
cette agréable faifon, où le coeur affujettit la rai—
! fon à fon empireinfpire. Cependant én ces occa-
1 fions-là mêmes, l’efprit apperçoit les rapports des!
mots félon l’ordre de la Confiruclion fîgnificative.
50. La cinquième forte de figure , c’eft l’imitation
de quelques façons de parler d’une langue
é tran g è r eou même de la langue qu’on parle; Le
commerce & les relations qu’une nation a avec les
autres peuples font fôuvent paffer dans une langue y
non féulement des mots , mais encore des façons de
parler qui ne font pas conformes à la Confiruction
ordinaire de cette langue. C’eft ainfi que dans les
meilleurs auteurs latins on obférve des phrafés grè-
ques, qu’on appelle des Hellénijmes : c’eft par une
telle Imitation qu’Horace a dît ( /. III, Ode 3 0 ,
v. n . ) Daunus agrejlium regnavit populoram,.
Les grecs difént lf3ct<rttev<rt rav a«2v, Il y en a plu-
fîeurs autres exemples ; mais dans ces façons de
parler grèques, il y a ou un nom fiibftantif fôus-
entendu, ou quelqu’une de ces prépofîtions grèques
qui fé confiruifem avec, le génitif: ici on fous—
entend @u<rlteixv x comme M» Dacier l’a remarqué ,