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» ou bien par les prépofitions dont ils fiaitle.com-
, » plément, »
Il eft certain que les variations des Cas , dans
les langues qui les admettent, (ont très-favorables à l'Ellipfe j & qu’à cet égard le grec & le latin
font bien plus elliptiques que notre françois, que
relpagnol,ou l’italien. Mais comme toutes les Eîliptès
rte tiennent pas à cette différence des Cas , notre
langue , comme on l ’a vu dans l’article précédent,
ne iaifle pas d’être encore fort elliptique : outre
les eaufès d’Ellipfès que vient d’affigner le grammairien
philofbphe, on en a vu d’autres à l'art. Ellipse ; & il en exifte d’autres encore. Par exemple
, tout adjedif fùppofè un nom appellatif, & cela
lùtfit pour en autorifèr fbuvent Nla fuppreffion; Us
plus savants ne Jont pas toujours les plus sages ,
c ’eft à dire, Les hommes les plus fanants, les hommes
les plus Jâges : outre fbn complément, toute
prépofition fuppofè un antécédent ( F ’oye-^ Préposition
) ; de là viennent les adreffes elliptiques
de nos lettres, à M. N. à Pa r is, c’eft à dire,
Cette lettre doit être portée à M. N. qui demeure
à Paris ; la Prépofition avec fbn complément fait
alors le même effet qu’un Cas adverbial, par exemple
, le Datif latin. Nous retrouvons par là , ou peu
s’en faut, les mêmes moyens d’Ellipfè que le latin
ou le grec. (M . JBeauzée.)
(N.)ÉLOCUTION, fi f. Grammaire. Difpofition
artificielle de la Didion, ménagée avec goût pour
donner à l’Oraifbn de l’énergie , de la noblefïè,
& de l ’agrément.
Si l ’on prend l’Oraifim pour ce qu’elle eft en
effet, je veux dire pour une image fenfible de la'
penfee ; on peut dire que e’eft la Syntaxe qui.en
trace le deffin, que c’eft la Didion qui en apprête
les couleurs , & VÉlocution les diftribue avec l’entente
convenable.
, De là vient l’affinité qu’il y a entre Diction &
Élocution, qui fait fôuvent prendre ces deux termes
l ’un pour l’autre comme de parfaits fynonymes ;
mais il ne le font pas. L 'Élocution eft à la D ic -
ziony ce que le coloris eft à la couleur. La Dic tion
fort à rendre fonfibles les parties que l ’Ana-
lyfo diftingue dans la penfee ; comme la couleur
rend lènfibles à la vûe les parties différentes des
corps : St l’Élocution ménage les parties de la Diction
félon les points de vue qui doivent éclairer
l ’efprit ou toucher le coeur ; comme le coloris ménage
la diftribution des couleurs, relativement aux
nuances que répand fur les corps la diverfité de
leurs pofîtions à l’égard de la lumière. Le coloris
emploie les couleurs , & n’eft que de la couleur ;
VÉlocution emploie la Diction, & n’eft jamais que
la Diction : mais il y a de part & d’autre la'même
différence, celle de la matière & de la forme.
C ’eft donc à VÉlocution à décider les traits carac-
tériftiques & les nuances locales que doit prendre
la Diction, pour rendre avec plus d’ame & de
vérité la figure individuelle de chaque penfée & les
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effets néceffaires du clair-obfcur dans la diftribution
générale du tableau entier, qui eft le Difcours.
Il y a pour cela des Figures <V Elocution, qui
! dépendent tellement du choix & de la difpofition
des mots dont on fè fert, que la figure difparoît
dès qu’on change les termes ou qu’on en dérange
l ’ordonnance , quoiqu’on ne touche pas au fonds
de la penfee. Les unes fè font par union , c’eft le
Polyj'yndeton & Y Adjonction ; les autres, par dé-
funion, favoir Y Afyndéton & la Disjonction ; d’autres
enfin, par Répétition. Éoye\ çes mots. ( AI.
JSe à v z é e . )
É LO CU T IO N , f. f. Se lle s -L ettres. Ce mot, qui
vient du latin eloqui, parler, fignifie proprement
& à la rigueur le caractère du difcours ; & en ce
fèns il ne s’emploie guère qu’en parlant de la convention
, les mots Style 8c Diction étant confàcrés
aux ouvrages ou aux difcours oratoires. On dit d’un
homme qui parle bien, qu’il a une belle Élocution
y & d’un écrivain ou d’un orateur , que fà Dic tion
eft correétë , que fbn Style eft élégant, &c«
Voye^ St y l e . Voye\ aujji A f f e c t a t io n .
E lo cu t io n , dans un fèns moins vulgaire, fignifie
cette partie de la Rhétorique qui traite de la Diction
& du Style de l’orateur; les deux autres font
l ’invention & la difpofition. Voye\ 'ces deux mots.
yoyc{ aujji O r a t e u r , D is c o u r s .
J ’ai dit que Y Élocution avoit pour objet la Diction
& le Style de l’orateur; car il ne faut pas
croire que ces deux mots fbient fynonymes: le dernier
a une acception beaucoup plus étendue que
le premier. Diélion ne fè dit proprement que des
qualités générales & grammaticales du difcours, &
ces qualités font au nombre de deux, la Correction
& la Clarté. Elles font indifpenfàbles dans quelque
ouvrage que ce puifle être, fbit d’Èloquence, fbit
de tout autre genre ; l’étude de la langue & l’habitude
d’écrire les donnent prefque infailliblement,
quand on cherche de bonne foi à les acquérir.
Style au contraire fè dit des qualités du difcours ,
plus particulières, plus difficiles, & plus rares, qui
marquent le génie & le talent de celui qui écrit
ou qui parle : telles font la propriété des termes,
l ’élégance, la facilité , la précifion , l’élévation ,
la noblelfe , l’harmonie, la convenance avec le fujet,
&c. Nous n’ignorons pas néanmoins que les mots
Style & Dittion fè prennent fbuvent l ’un pour l’autre,
fùrtout par les auteurs qui ne s’expriment pas fur
ce fujet avec une exactitude rigoureufè ; mais la
diftinétion que nous venons d’établir, ne nous pa-
roît pas moins réelle. On parlera plus au long au
mot Sty l e , des différentes qualités que le Style
doit avoir en général, & pour toutes fortes dé fujets :
nous nous bornerons ici à ce qui regarde l’orateur.
Pour fixer nos- idées fur cet objet, il faut auparavant
établir quelques principes.
Qu’eft-ce qu’être éloquent l Si on fè borne à la
force du terme, ce n’eft autre chofè que bien parler ;
mais l’ufàge a donné à ce mot dans nos idées un
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fèns plus noble & plus étendu. Etre éloquent, comme
je l ’ai dit ailleurs, c’eft faire paffèr avec rapidité &
imprimer avec force , dans l’ame des autres , le fon-
timent profond dont on eft pénétré* Cette définition
paroit d’autant plus jufte , qu’elle s’applique
à l’Éloquence même du fiience & à celle du gefte.
On pourroit définir autrement l ’Éloquence, le talent
d'émouvoir; mais la première définition eft encore
plus générale, en ce qu’elle s’applique même à
l’Éloquence tranquille qui n’emeut pas , & qui fe
borne à convaincre. La perfùafion intime de la vérité
qu’on veut prouver, eft alors le fèntiment profond
dont on eft rempli, & qu’on fait paffèr .dans Rame
de l'auditeur. Il faut cependant avouer, félon l’idée
la plus généralement reçue, que celui qui fè borne
à prouver & qui laiiTe l’auditeur convaincu, mais
froid 8c tranquille , n’eft point proprement éloquent,
& n’eft que difert. Poye^ D is e r t . C ’eft pour cette
rai fin que les anciens ont défini l’Eloquence le talent
de verfuadery 8c qu’ils ont diftingué Perjuader de
Convaincre, le premier de ces mots ajoutant à l’autre
l’idée d’un fèntiment aéfif excité dans l’ame de l ’auditeur
& joint à la conviction.
Cependant, qü’il me fbit permis de le dire, il
s’en faut beaucoup que la définition de l’Éloquence ,
donnée par les anciens, fbit complète : l’Éloquence
ne fè borne bas à la perfùafion. Il y a dans toutes
les langues un« infinité de morceaux très-éloquents,
qui ne prouvent & par conféquent ne perfuadent ■
rien , mais qui font éloquents par cela fèul qu’ils
émeuvent puiflamment celui qui les entend ou qui
les lit. II feroit inutile d’en rapporter des exemples.
Les modernes, eh adoptant aveuglément la définition
des anciens, ont eu bien moins de raifon
qu’eux. Les grecs & les romains,“qui vivoient fous
un gouvernement républicain , étoient continuellement
occupés de grands intérêts publics: les orateurs
appliquoient principalement à ces objets importants
le talent de la parole ; & comme il s’agifi-
foit toujours en ces occafions de remuer le peu- ,
pie en le convainquant, ils appelèrent Éloquence
le talent de periùader , en prenant pour le Tout
la partie la plus importante & la plus étendue. Cependant
ils pouvoient fè convaincre dans les ouvrages
mêmes de leurs philofophes , par exemple ,
dans ceux de Platon & dans plufieurs autres , que
l ’Éloquence étoit applicable à des matières purement
fpéculatives. L ’Éloquence des modernes eft
encore plus fbuvent appliquée à ces fortes de matières
, parce que la plupart n’ont pas, comme les
anciens , de grands intérêts publics à traiter: ils ont
donc eu encore plus de tort que les anciens, lorsqu’ils
ont borné ^’Éloquence à la perfùafion.
J’ai appelé l’Eloquence un talent, & non pas
un art y comme ont fait tant de rhéteurs; car l’art
s’acquiert par l’étude & l’exercice, & l’Éloquence
eft un don dé la nature. Le.s règles ne rendront jamais
un ouvrage pu un difoours éloquent ; elles
fervent feulement à empêcher que les endroits vraiment
éloquents & diètes par la nature, ne fbient
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défigurés & déparés par d’autres, fruits de la négligence
ou du mauvais goût. Shakefpear a fait, làns
le fècours des règles , le monologue admirable
d’Hamlet ; avec le fècours des règles, il eût évité
la fcène'barbare & dégoûtante des Foffoyeurs.
Ce que Von conçoit bien , a dit Defpréau« ,
s'énonce clairement : j’ajoute , ce que Von J'ent avec
chaleur , s'énonce de même , & les mots arrivent
àuffi aifément pour rendre une émotion v ive, qu’une
idée claire. Le foin froid & étudié que l’orateur
fè donneroit pour exprimer une pareille émotion,
ne fèrviroit qu’à i’affbibiir en lui, à l ’éteindre même,
ou peut-être à prouver qu’il ne la reflentoit pas.
En un mot, fente\ vivement, & dites tout ce que
vous voudrez, voilà toutes les règles de l’Éloquence
proprement dite. Qu’on interroge les écrivains de
génie fur les plus beaux endroits de leurs ouvrages,
iis avoueront que ces endroits font prefque toujours
ceux qui leur ont le moins coûté , parce qu’ils ont
été comme infpirés en les produifànt. Prétendre que
des préceptes froids & didaêliques donneront le moyen
d’être éloquent, c’eft feulement prouver qu’on eft
incapable de l’être.
Mais comme pour être clair il ne faut pas concevoir
à demi, il ne faut pas non plus fèntir à
demi pour être" éloquent. Le fentiment dont l’orateur
doit être rempli, eft, comme je l’ai dit, un
fèntiment profond y fruit d’une fènfibilité rare &
exquifè, & non cette émotion fùperficielle & pa£-
fàgère qu’il excite dans la plupart de fès auditeurs ;
émotion qui eft plus extérieure qu’interne, qui a
pour objet l ’orateur même plus tôt que ce qu’il d it,
& qui dans la multitude n’eft fbuvent qu’une im-
preflion machinale & animale produite par l’exemple
ou par le ton qu’on lui a donné. L ’émotion
communiquée par l’orateur , bien loin d’être dans
l’auditeur une marque certaine de fbn impuiflance
à produire des chofès fèmblables à ce qu’il admire ,
eft au contraire d’autant plus réelle & d’autant plus
vive , que l ’auditeur a plus de génie & de talent r
pénétre au même degré que l’orateur, il auroit
dit les mêmes chofès : tant il eft vrai que c’eft dans
le degré fèul du fèntiment que l’Éloquence confîfte.
Je renvoie ceux qui en douteront encore , au payfàn
du Danube , s’ils font capables de penfèr & de
fèntir; car je ne parle point aux autres.
Tout cela prouve fùffifàmment, ce nie fèmble ,
qu’un orateur vivement & profondément pénétré de
fon objet, n’a pàs befbin d’art pour en pénétrer les
autres. J’ajoûte qu’il ne peut les en pénétrer, fans
en être vivement pénétré lui-même. En vain ob-
je&erolt- on que plufieurs écrivains ont eu l’art d’inspirer
par leurs ouvrages l’amour des ve/tus- qu’ils
n’avoient pas ; je réponds que le fèntiment qui fait
aimer la vertu ^ les rempliffoit au moment qu’ils
en écrivoient; c’étoit en eux dans ce moment un
fèntiment très-pénétrant & très-vif, mais malheu-
reufèment paffager. En vain objederoit-on ,encore
qu’on peut toucher fans être touché, comme on
peut convaincre fans être convaincu. Premièrement,