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lônnes peu accoutumées à l’exaétitude du raifbnne-
ment & à remonter en tout aux vrais principes,
la Méthode dont je parle eft extrêmement utile. Je
vais en expofér ici les fondements , & donner les
connoiflançes néceffàires pour la pratiquer avec fùccès.
Du difcours confédéré grammaticalement, &
des parties qui le compofent. Le difcours eft un
affemblage de propbfitions, d’énonciations, & de
périodes, qui toutes doivent fe rapporter à un but
principal.
La propofîtion eft un affemblage de mots, q u i,
par le concours de différents rapports qu’ils ont
entre eux, énoncent un jugement ou quelque confi-
dération particulière de l’efprit qui regarde un objet
comme tel.
Cette confidération de l’efprit peut fé faire en
plusieurs manières differentes, & ce (ont ces différentes
manières qui ont donné lieu aux modes des
Yerbes.
Les mots , dont Paflemblage?forme un fons, font
donc, ou le ligne d’un jugement, ou l’expreffion
d’un (impie regard de l’efprit qui conlîdère un objet
avec telle ou telle modification : ce qu’il faut bien
diftinguer.
Juger, c’eft panier qu’un objet eft de telle ou
telle façon c’eft affirmer ou nier ; c’eft décider
relativement à l’état où l’on fùppofe que les objets
font en eux-mêmes. Nos jugements font donc ou
affirmatifs, ou négatifs. La terre tourne autour du
foleil; voilà un jugement affirmatif. Le foleil ne
tourne point autour de la terre ; voilà un jugement
négatif. Toutes les propofîtions exprimées par le
mode indicatif énoncent autant de jugements : Je
chante, je chamois, j ’ai chanté, j ’avois chanté,
je chanterai; ce font là autant de propofîtions affirmatives
, qui deviennent négatives par la foule addition
des particules ne , non , ne pas, &c.
Ces propofîtions marquent un état réel de l’objet
dont on juge : je veux dire que nous fûppofons alors
que l’objet eft ou qu’il a été , ou enfin qu’il fora tel
que nous.ie difons indépendamment de notre manière
de penfor*
Mais quand je dis Soye% fage , ce n’eft que dans
mon efprit que je rapporte à vous la perception ou
idée d’être Jage, (ans rien énoncer, au moins
directement, de votre état aftuel ; je ne fais que
dire ce que je fouhaite que vous foyez : l’adion dé
mon efprit n’a que cela pour objet, & non d’énoncer
que vous êtes (âge ni que vous ne l’êtes point.
Il en eft de même de ces autres phrafos : Si vous-
étie\ fogeAfin que vous foye\ fage ; & même
dés phrafos énoncées dans un fons abftrait par l’infinitif,
Pierre être fage. Dans toutes ces phrafos il
y a toujours le ligne ae l’aâion de l’elprit qui applique
, qui adapte une perception ou une qualification
à un objet ; mais qui l’adapte , ou avec la forme
de commandement, ou avec celle de condition, de
fou hait, de dépendance, <5v . mais il n’y a point là
de décifîon. qui affirme ou qui nie relativement à
I%âè pofitif de. l’objet,.
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Voilà une différence e l ï e n c i e l l e entre les propositions
: les unes font directement affirmatives ou
négatives, & énoncent des jugements: les autres
n entrent dans le d i f c o u r s que pour y énoncer certaines
vues de l’efprit ; ainfî , elles peuvent être
appelées fimplèment Énonciations.
Tous les modes du verbe, autres que l’indicatif,
nous donnent ces fortes d’énonciations , même l’infinitif
, (ùrtout en latin ; ce que nous expliquerons
bientôt plus en détail. Il iuffit maintenant d’obforvec
cette première divifîon générale de la propofîtion.
I. Propofition directe , énoncée par le mode indit J catifi
Propofition oblique ou fimple énonciation, exprimée
par quelqu’un des autres modes du verbe. '
Il ne fora pas inutile d’obforver que les propofîtions
& les énonciations font quelquefois appelées.
Pkrafcs : mais Phrafe eft un mot générique qui fo
dit de tout affemblage de mots liés entre eux, (bit
qu’ils fafiènt un fons fini ou que ce fons ne (bit
qu’incomplet.
Ce mot Phrafe fo dit plus particulièrement d’une
façon de parler, d’un tour d’.expreflion , en tant que
les mots y font conftruits 8c aflemblës d’une manière
particulière. Par exemple , on dit eft une phrafo
françoifo, hoc dicitur eft une phrafe latine ,fi dive
eft une phrafo italienne : il y a long temps eft une
phrafo françoifo, e molto tempo eft une phrafo italienne
t voilà autant de manières differentes d’ana-
lyfer & de rendre la penfée. Quand on veut rendre
raifon d’une phrafo, il faut toujours la réduire à la
propofîtion & en achever le fons , ^pour déméler
e x a c t e m e n t les rapports que les mots ont entre eux
felon l’ufâge de la “langue dont il s’agit.
Des parties de la propofition & de Cénonciation»
La propofîtion a deux parties effencielles : i °. le
fojet ; a0, l ’attribut. Il en eft de même de l’énonciation.
i ° . Le fujet ; c’eft le mot qui marqué Ta per-
fonne ou la chofe dont on juge, ou que l’on regarde
avec telle ou telle qualité ou modification.
2°. L’attribut y ce font les mots qui marquent ce
que l’on juge du fùjet, ou ce que l’on regarde cora-r
me mode du fùjet.
L ’attribut contient effènciellement le verbe, parce
que le verbe eft dit du f ù j e t& marque l ’aCHon de
Tefprit qui conlîdère Je ■fùjet comme étant de telle
ou telle façon , comme ayant ou faifànt telle ou telle
chofe. Obforvez donc que l’attribut commence toujours
par le verbe.
Différentes fortes de fujets. Il y a quatre fortes,
de fujets : i° . Sujet fimple, tant au fîngulier qu’au
pluriel; 2°. Sujet multiple y 30.-. Sujet complexe y
4°. Sujet énoncépàr plufieurs mots qui forment un.
fins total, & qui font équivalents à- un nom.
i° . Sujet fimple , énoncé en un foui mot : L e
foleil efi levé, le foleil, eft le fùjet fimple au fîngulier.
Les offres brillent,. les affres font le fùjet
fimple au pluriel..
2t°o. S u je t m u ltip le ; c’eft lorfquer pour abrégeryo»,
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Sonne un attribut commun rggapap à plufieurs objets difTé- Vefpérance, 11 chanté font trots
vertus théologales ; ce qui eft plus court que fi on
difiit La foi eft une vertu théologale , l efperance
eft uni vertu théologale, la chante eft une venu
théologale ; ces trois mots, la fait l efperance , la
charité font le fujet multiple. Et de meme , S . Pierre, S. Jean, S. Matthieu, & c. étaientapôtres g
1 Pierre, S. Jean, S. Matthieu, voila le fujet
multiple ; étoient apôtres, en eft 1 attribut commun.
f i S u j e t , complexe; ce mot Complexe vient du
latin complexus, » ( » « 4 > M f f l
U n fujet eft complexe , lorfqu il eft accompagne de
quelque adjedif ou de quelque autre modificatif^
Alelandre'vainquit Darius , Alexandre eli
fujet fimple ; mais fi je dis Alexandre, fils dc Phi
lippe f ia Alexandre , roi de Macedoine, voila
un fujet complexe. Il faut bien diftinguer , ans e
fujet complexe, le fujet perfonnel ou individuel, &
les mots qui le rendent fujet complexe. Dans 1 exemple
ci-deirus, A l e x a n d r e eft le fujet perfonnel ; jtls I
de Philippe, roi de Macédoine , ce font les mots
q u i, n’étant point féparés S Alexandre , rendent ce
mot fùjet complexe. x
On peut comparer le (ùjet complexe a une pe -
fonne habillée. Le mot qui énonce le fujet eft pour
ainfî dire la perfonne , & les mots qui rendent le
fujet complexe , ce font comme les habits de la perfonne.
Obfervex que, lorfque le fujet eft complexe ,
on dit que la propofîtion eft complexe ou com-
P°L ’attribiit peut suffi être complexe ; fi je dis
qu'Alexandre vainquit Darius rot de Perje , l attribut
eft complexe ; ainfi, la propofition eft composée
par rapport à l’attribut. Urie propofition peut
auffi être complexe par rapport au fujet & par rapport
à l’attribut. j . ,
4°. La quatrième forte de fujet, eft un fujet énoncé
par plufieurs mots qui forment un fens total, & qui
font équivalents à un nom. .
Il n’y a point de langue qui ait un allez grand
nombre de mots, pour fuffire à exprimer par un nom
particulier chaque idée ou penfée qui peut^ nous
venir dans l’efprit ; alors on a recours a la periphra*
fo : par exemple, les latins n’avoient point de mot
pour exprimer la durée du temps pendant lequel un
prince exerce fon autorité ; ils ne pouvoient pas dire,
comme nous, Sous le règne à!Augufie ; ils difoient
alors, Dans le temps qu A ugufie étoit empereur ,
imperante Coefare Auguflo ; car regnum ne fignifie
que royaume.
Ce que je veux dire de cette quatrième forte de
fojets, s’entendra mieux par des exemples. Différer
de profiter de Voccafion , c’efi fouvent la laijfer
échapper fans retour. Différer de profiter de Voccafion
, voilà le fujet énoncé par plufieurs mots qui
forment un fons total, dont on dit que c efi fouvent
laiffer échapper Voccafion fans retour. C’efi un
grand art de cacher Vart : c e , hoc, à favoir cacher
Van y voilà le fujet, dont on dit que c’eft un grand
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art, Sien vivre eft un moyen sûr de dêfarmer la
médifance : bien vivre eft le fujet ; eft un moyen sûr
de dêfarmer la médifance , c’eft l’attribut. Il vaut
mieux être jufte que d’être riche , être raifonnable
q u e d'être favant. Il y a là quatre propofîtions felon
l’analyfe grammaticale , deux_ affirmatives & deux
négatives, du moins en françois.
1°. I l , illud, c e ci, à favoir être jufte, vaut mieux
que l’avantage d’être riche ne vaut .Être jufte eft le
fùjet de la première propofition , qui eft affirmative _
être riche eft le fujet de la fécondé propofition , qui
eft négative en françois , parce qu’on lôusentend ne
vaut; être riche ne vaut pas tant.
2,°.. IJ en eft de même de la fuivante, Etre rai-
fonnable vaut mieux que d'être favant : etre rai-
foimable eft le fujet dont on dit vaut mieux, & cette
première propofition eft affirmative : dans la corrélative
être favant ne vaut pas tant, être favanteft
le fujet. Majus eft certèque gratius prodejje homini-
bus, quam opes magnas babere. ( Cicer. de nat. deor.
I. II, c. xxv. ) Proiejfe hominibus, être utile aux
, hommes, voilà le fujet, c’eft de quoi on affirme que
c’eft une chofe plus grande , plus louable, & plus fà-
tisfaifante, que de polféder de grands biens. Remarquez,
1°. que dans ces fortes de fujets il n’y a point
de fùjet perfonnel que l’on puifîë feparer des autres
mots. C’eft le fens total qui réfulte des divers rapports
que les mots ont. entre eu x , qui eft le fùjet de
la propofition; le jugement ne tombe que fùr l’en-
fèmble, & non fur aucun mot particulier de la phra-
fè. i° . Obfèrvez que l’on n’a recours à plufieurs mots
pour énoncer un fens total , que parce qu on ne
trouve pas-dans la langue un nom fubftantif deftine
à l’exprimer. Ainfi les mots qui énoncent ce fens
total (ùppléent à un nom qui manque : par exemple ,
aimer à obliger & à faire du bien, efi une qualité
qui marque une grande ame ; aimer à obliger & à
faire du bien, voilà le fùjet de la propofition. M.
l’abbé de S. Pierre a mis en ufoge le mot de Bien-
fdifance, qui exprime le fens <Vaimer a obliger & à
faire du bien : ainfî, au lieu de ces mots, nous^ pouvons
dire La bienfaisance efi une qualité, &c. Si nous
n’avions pas le mot de nourrice, nous dirions une
femme qui donne à téter à un enfant & qui prend
foin de la première enfance.
Autres Jones de propofîtions à diftinguer pour
bien faire la Conftruâion. ■ ■ - . .
II. Propofition abfolue ou cofnplette : propofition
relative ou partielle. .
i°. Lorfqu’unepropofition efi: te lle , que 1 efprit
n’a befoin que des mots qui y font énoncés pour en
entendre le fons , nous difons que c’efi: là une propofition
abfolue ou complet te.
2°. Quand 1e fons d’une propofîtion met 1 efprit
dans la fituation d’exiger ou defuppofer le fons d’une
autre propofition, nous difons que ces propofîtions
font relatives , & que l’une eft la corrélative de l’autre.
Alors ces propofîtions font liées entre elles par des
conjonctions ou par des termes relatifs. Les rapports
mutuels que cçs propofîtions ont alors entre elle s, for-
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