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propres à être cités, parce que ce ne font ordinairement
que des expreflions & des tournures très-fim-
pies , qui ne peuvent guère fe détacher des circonstances
ou dès idées acceffoires qui les environnent.
Quelquefois cependant fon fondraient s’embellit par
la penfée & par l’imagination.
» Je regrette, dit-elle en un endroit, ce que je
'» paffe de ma vie fons vous, & j’en précipite les
» relies pour vous retrouver, comme fi j’avois bien
» du temps à perdre. « Elle répète plufieurs fois
cette idée. » Je fuis bien aife que le temps. coure
» & m’entraîne avec lui pour me redonner à vous. «
Et dans un autre endroit : « Je fuis fi défolée de
» me trouver toute foule, que , contre mon ordi-
p-3 naire , je fouhaite que le temps galope, & pour
» me rapprocher celui de vous revoir , & pour
» m’effacer un peu Ces impreflions trop vives. Eft-
» ce donc cette penfoe fi continuelle qui vous fait
» dire qu’il n’y a point d’abfènce ? J’avoue que , par
»- ce côté , il n’y en a point. Mais comment appe-
» lez-vous ce que l’on font, quand la préfonce eft
» fi chère f II faut de néceflité que le contraire
» foit bien amer.
» Mon. coeur eft en repos quand il eft près de
» vous ; c’eft. fon état naturel, le foui qui peut
» lui plaire.
» Il me fomble, en vous perdant, qu’on m’a
» dépouillée de tout ce que j’avois d’aimable,....
» Je forois hdhteufo, fi, depuis huit jours, j’avois
•» fait autre-chofe que pleurer.. . . Je ne fois où me
» fouver de vous , dit-elle ailleurs à fo fille. c<
Elle écrit au préfîdent de Moulceau : » J’ai été
» reçüe à bras ouverts de madame de Grignan ,
» avec tant de joie , de tendreffe, & de reconnoif-
>3 fonce, qu’il me fombloit que je n’étois pas venue
» encore affez tôt ni d’afïèz loin. «
Je fons quelque peine à remarquer les défauts
d’une femme fi aimable & fi rare ; mais il faut le
dire pour l’honneur de là vérité, madame de Sé-
vigné , avec tant d’efprit & un fi bon efprit,
a voit toutes les fottifos de fon fiècle & de fon rang.
Elle étoit glorieufo de fo naiffonce jufqu’à la puérilité.
On la voit fo pâmer d’admiration fur la généalogie
dg la Maifon de Rabutin , que le comte de
Bufly fo prppofoit d’écrire ; & elle croit que toùte
l ’Europe va s’intéreffor à cette belle hiftoire.
Elle étoit enivrée , comme prefque tout fon fiècle
, de la grandeur de Louis XIV. Ce prince lui
parla un jour après la repréfontation à 'E f ih e r , à
S. Cyr : fo vanité fo montre & fo répand, à cette
occafion , avec une joie d’enfant. Le pafTage eft
curieux. ^ Le roi s’adreffe à moi & me dit : Ma-
» dame, je fuis afsûré que vous avez été contente.
» Moi , fons m’étonner, je répondis, Sire, je
>3 fois charmée ; ce que je fons eft au defius des
x> paroles. Le roi me dit*, Racine a bien de l’efjprit :
» je lui dis , Sire , il en a beaucoup ; mais en
» vérité ces jeunes perfonnes en ont beaucoup auffi ;
» elles entrent dans le fojet comme fi elles n’avoient
» jamais fait autre chofo, Ah / pour cela , reprit-il.
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» il eft vrai, & puis fo majefté s’en alla & me lalfia
» l’objet de l’envie. M. le prince & madame la
» princeffe me vinrent dire un mot ; madame de
» Maintenon , un éclair : je répondis à tout, car
>3 j’étois en fortune. «
C ’eft dans ces endroits que la femme d’efprit eft
êclipfée par la caillete. On foit qu’un jour Louis
X IV danfo un menuet avec madame de Sévigné :
après le menuet elle fë trouva près de fon coufin
le comte de Bufly, à qui elle dit : Ilfaut avouer que
nous avons un grand r o iO u iy f in s doute, ma. Cou--,
fin e , répondit Bufly, ce q u 'il vient de faire efi vraijg
ment héroïque ! 11 faut ayouer que de toutes les
fottifos humaines , il n’y en a point de plus betes que
celles de la vanité. ( M . S uârd. )
| ÉPITAPHE, C f. Belles-Lettres. ’E'^ir^tpioy ÿ
infoription gravée , ou foppofëe devoir l’être, for
un tombeau , à la mémoire d’une perfonne defunte*
Ce mot eft formé du grec i-srl , f u r , de
fenfevelis. Il y a un ftyle particulier pour les Epitaphes
, fortout pour celles qui font conçues en
latin, qu’on nomme Style lapidaire• Eoye\ Style
A Sparte on n’accordoit des Epitaphes qu’à ceux
qui étoient morts dans un combat & pour le fer-
vice de la patrie; ufoge fondé for le genie de cette
république, ou plus tôt for la conftitution politique
de fon gouvernement, qui n’admettoit guere que
la vertu guerrière. On dit que le maufolee du duc
de Malboroug eft encore fons1 Épitaphe , quoiquè
fo veuve eût promis une .récompenfo de foo liv.
fterl. à celui qui en compoforoit une digne de ce
héros.. ...
Dans les Épitaphes on foit quelquefois parler
la perfonne morte, par forme de Profopopee ; nous
en avons un bel exemple, digne du fiecle d Au-
gufte, dans ces deux vers, ou une femme morte
à la fleur de fon âge tient ce langage à fon mari ;
Immatura perî j fed tu filicior annos
Vive tuos , Conjux optime , vive meos.
Du même genre eft celle-ci, faite par Antipater
le theffolonicien, qu’on trouve dans l’Anthologie
manufcrite de la Bibliothèque du roi , & que
M. Boivin a traduite ainfi :
« Née en L ybie, enfovelie à la fleur de mes
33 ans fous la pouffière aufonienne, je repofè près
>3 de Rome , le long de ce rivage foblonneux.
» L ’illuftre Pompéia , qui m’a élevée avec une ten-
>3 dreffe de mère, a pleuré ma mort, & a depofe
„ ,mes cendres dans un tombeau qui m’égale aux
>3 perfonnes libres. Les feux de mon bûcher ont
33 prévenu ceux de l’hymen qu’elle me preparoit
>3 avec empreflement. Le flambeau de Proferpine
» a trompé nos veux ».
L a formule Sta E ta t o r , qui fo rencontre dans
un grand nombre à!Épitaphes modernes, (comme
dans celle-ci : Sta Viator ,* heroem cale as ) , foit
ailufîon à la coutume des anciens romains, dont
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ïèS1. tombeaux étoient le long des grands chemins.
( L'ab bé M a l l e t . )
L'Epitaphe eft communément un trait de louange
ou de Morale, ou- de l’une & de l’autre.
L 'Épitaphe de cet homme fi grand & fi fimple,
fi vaillant & fi humain, fi heureux & fi foge ^auquel
l’Antiquité pourroit tout au plus oppofor Scipion &
Céfor, fi le -premier avoit été plus modefte , & le
fécond moins ambitieux ; cette Épitaphe, qui ne fo
trouve plus que dans les livres,
Turenne a Ton tombeau parmi ceux de nos rois, &c.
foit encore plus l’éloge de Louis X IV , que celui
dé M. de Turenne.
Celle d’Alexandre, que gâte le fécond vers, &
qu’il faut réduire au premier,
. Sufficit hufc tumulus, eut non fuffccerat orbis.
efl un trait de Morale plein de force & de vérité:
c’eft dommage qu’Ariftote ne l’ait pas faite par
anticipation, & qu’Alexandre ne l’aitpas^lue.
Le même eontrafte eft vivement exprimé dans
celle de Newton?
Ifùacùm Newton ,
Quem immortalem.
Tefiantur Terripus , Natura, Coelum,
Mortalem hoc marmor
Fatetur•
Mais ce eontrafte, fi humiliant pour le conquérant,
n'oie rien à la gloire du philofophe. Qu’un être avec
des refibrts fragiles , des organes foibles & bornés,
calcule les temps, mefore le ciel, fonde la nature ;
c’eft un prodige. Qu’un être haut de cinq pieds , qui
ne foit que de naître & qui va mourir, dépeuple la
terre pour fe loger, & s’y trouve encore à l’étroit;
c ’eft un petit monftre.
Du refte cette idée a été cent fois employée par
les poètes. Voyez dans les Catalecles Y Épitaphe
de Scipion l’africain, celle de Cicéron , celle d’An-
tenor.Voyez Ovide fur la mort de Tibulle, Properce
for là mort d’A chille, &c.
Lçs anglois n’ont mis fîir le tombeau de Dryden
que ce mot pour tout éloge,
Dryden.
& les italiens for le tombeau du TafFe ,
Les os du Taffe.
Il n’y a guère que les hommes de génie, qu’il foit
sûr de louer ainfi.
Parmi les Épitaphes épigrammatiques , les unes
ne font que naïves & p lai fon tes , les autres font
mordantes & cruelles. Du nombre des premières
eft celle-ci, qu’on ne croiroit jamais avoir été faite
férieufoment, & qu’on a vue cependant gravée dans-
Sine de nos églifos :
Ci gît le vieux corps tout irfef
Pu ^lieutenant civil rufé , &c.
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Lorfque la plaifonterie ne porte que for un léger
ridicule , comme dans l’exemple précédent, & que
l’objet en eft indifférent; on la pardonne, l’on en peut
, rire. Mais lesJÉpitaphes infultantes & calomnieufes ,
telles que la rage en infpire trop fouvent, font de tous
les genres de fotyre le plus noir & le plus lâche. Il
y a quelque chofe de plus infâme que la calomnie ;
c’eft la calomnie contre les morts. L ’exprefïion des
anciens, Troubler la cendre des morts , eft trop
foible. Le fatyrique qui- outrage un homme qui
n’eft plus, reflemble à ces animaux carnaciers qui
fouillent dans les tombeaux pour fo repaître de
cadavres. Voye% S a t y r e .
Quelquefois Y Épitaphe n\eft que morale, & n’a
rien de perfonnel : telle eft celle de Jovianus Pon-v.
tanus, qui n’a point été mife for fon tombeau :
Servire fuperbîs dominis ,
Ferre jugum fuperjlitionis,
Quos habcs carôs fepelire ,
Condimcnta vitee funt.
L ’Épitaphe à la gloire d’un mort, eft de toute»
les louanges la plus noble & la plus pure, fortout
lorfqu’elle n’eft que i’expreflïon naïve du earaâère
& des aétions d’un homme de bien. Les venus privées
ont droit à cet hommage, comme les vertus
publiques ; & les titres de Bon parent, de Bon
ami y de Bon citoyen,. méritent bien d’être gravés
for le marbre. Qu’il me foit-permis , à cette occafion,.
de placer i c i , non pas comme un modèle , mais
comme un foible témoignage de ma reconnoiflance ,
YÉpitaphe.iïun citoyen dont la mémoire me fora.
; toujours chère :
Non Jibi y fed patria vixit, regique , fuifqut' r
Quod daret, Iiinc dives ; felix numerare beat os.
Les gens de Lettres foroient bien à ‘plaindre, fx
dans un ouvrage public on leur envioit quelques
retours for eux-mêmes quelques traits relatifs à
leurs'fentiments & à leurs devoirs. Si leur plume
doit leur être bonne à quelque chofo , c’eft a ne p2s
mourir ingrats. Mais la reconnoiffance fait en eux,
parce qu’elle eft noble , ce que l’efpoir des récom-
penfos n’eût jamais fait, parce qu’il eft bas & fer-
vile. On a remarqué au commencement de cet
article, que le tombeau du duc de Malboroug étoit
■ encore fans Épitaphe ; le prix propofe juftifie &
rend vraifomblable la ftérilité des poètes anglois.
Devant une place affiégée un officier françois fit
i propofor aux grenadiers une fomme confîdérable,
pour celui qui le premier planteroit une fa foin e dans
un fofic expofè à tout le feu des ennemis; aucun
des grenadiers ne fe préfenta r le Général étonné
v leur en fit des reproches ; Nous nous ferions tous
offerts r lui dit l’un de ces braves fbldâts, f i l'on
n avoit pas mis cette action à prix d’argent. Il
en eft des bons vers comme des adions courageufes.
Èoye\ É loge. ' ,
Quelques auteurs ont fait eux-mêmes leur Epi-
taphe. Celle de la Fontaine, modèle de naïveté 9
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