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Le .cruel ! de quel oeil il m’a congédiée
Sans pitié, fans douleur, au moins étudiée î
Ai-je vu fes regards fe troubler Un moment ?
En ai-je pu tirer un feul gémiflèment ?"
Je tremble au feul penfer du coup qui le menace}
Et prête à me venger, je lui fais dcja grâce !
N o n , ne révoquons point l'arrêt de mon courroux ;
Qu’il périlïè : auflï bien il ne vit plus pour nous ; •
Le perfide triomphe & fe rit de ma rage j
11 penfe voir en pleurs diffiper cet orage.
Qu’il meure, puifqu’enfin il a dû le prévoir,
Et puifqu’il m’a forcée enfin à le vouloir*
A le vouloir î Hé.-quoi, c’eft donc moi qui l’ordonne ?
Sa mort fera l’effet de l’amour d’Hermione ?
Ce prince, dont mon coeur fe faifoit autrefois,
Avec tant de plaifir , redire les exploits-,
A qui même en fecret je m’étois deftinée
' Avant qu’on eût conclu ce fatal hyménée !
Je n’ai donc traverfé tant de mers, tant d’États,
Que pour venir fi loin préparer fon trépas ,
L’aflàfEner , le perdre ? Ah 1 devant qu'il expire. * .
Il y a auflï une belle Dubitation dans Virgile
£ -0 ™- IV. 5 3 4' 547- ) c’eft le monologue de Didon
eu défofpoir après le départ des troyens ; le premier
•Vers e ft, En quid ago ? &c ; & le dernier, qui annonce
la dernière réfolution de cette malheureufo
jprinceffè, Qu'm morere ut mérita es, &c.
.Un orateur feint quelquefois de douter, afin d’obliger
ceux a qui il parle de faire attention aux
motifs qui le déterminent, par la comparaifon qu’il
en fait avec ceux qui pourroient séduire fos auditeurs
, S^dont il découvre le foible dans fâ délibération.
C’eft par une Dubitation de cette efpèce
*lue Scipion commence fon difcours à des foldats
rebelles: (T . L iv . xxviij. 27. )
Devant vous je ne trouve
, pour m’expliquer, ni
penfée ni expreftion ;
puifque je ne fais pas même
de quel nom je dois vous
appeler. Vous nommerai-
je Citoyens ? vous venez
de trahir votre patrie : Soldats
? vous avez méconnu
l’autorité , abondonné les
aufpices , violé la religion
du ferment : Ennemis ?
l’extérieur , l’air , l’habillement,
le maintien, m’annoncent
des Citoyens ; les
aftions , les difcours, les
projets , les difpofitions ,
me font voir des Ennemis.
Apudvos quemadmo-
dum loquar , nec confi-
lium nec oratio Juppé-
■dïtat j quos ne quo nomine
quidem appellate
debeam fcio, Cives ?
-qui à patriâ veftrâ de-
Jcivißis : an Milites ?
gui imperium aufpi-
£Lumque abnuiflis , fa-
cramend religionemru-
pifiis : Hofies? corpora
, ora , vefiitum, ha-
bitum Civium agnofcoj
facia, dicta, confilia,
nnimos Hoflium video.
Dans fon formon fur la Nativité , Bourdaloue s’exprime
amiî ; » J’annonce un Sauyçur humble & pau-
D U O
» vre, mais je l’annonce aux Grands du monde.,.,
» Que leur dirai-je donc, Seigneur, & de quels
» termes me; for virai-je, pour leur propofèr le myfî-
» tère de vôtre humilité & de vôtre pauvreté ?
» Leur dirai-je, Ne craignez point? dans l’état où
» je les fuppôfo ce feroit les tromper : leur dirai-je,
» Craignez? je m’éloigne rois de l ’efprit du myftère
» que nous_ célébrons , & des pensées confolantes
» qu’il infpire & qu’il doit infpirer aux plus grands
» pécheurs : .leur dirai-je, Affligez-vous ? pendant
33 tout le monde chrétien eft dans la joie : leur
» dirai-je, Confolez'vous ? pendant qu’à la vue d’un
» Sauveur qui condamne toutes leurs maximes , ils
» ont tant de raifon de s’affliger. Je leur dirai, ô
» mon Dieu , l’un & l’autre ; & par là je fatisferai
» au devoir que vous m’impofèz. « {M. Heauzé e.)
(N .) D U E L , LE. adj. Ce terme eft d’ufâge dans
quelques Grammaires particulières, pour cara&érifor
un des nombres qui défîgnent la quotité. ÿoye^
N ombre.^ Le nombre duel y une terminaifon dïielle•
Communément on l’emploie fùbftantivement ; le Duel.
Il y a quelques langues, comme l’hébreu, le grec,
le polonois, le lapon , &c. qui ont admis trois nombres
: le Singulier y qui défigne l’unité ; le Duel,
qui marque la dualité, ou deux unités réunies ; & le
Pluriel y qui annonce la pluralité. Il femble qu’il y
ait plus de précifîon dans le fyftême des autres langues.
En effet fi l’on accorde à la Dualité une termi*
naifôn propre , pourquoi n’en accorderoit - on pas
auflï de particulières à chacune des autres quotités
de trois , de quatre , &c ? Si l’on penfe que ce fèroit
accumuler, fans befoin & fans aucune compenfà-
tion , les difficultés des langues} on doit appliquer
au Duel le même principe : & la clarté qui fe trouve
réellement, fans le fecours de ce nombre , dans les
idiomes qui ne l ’ont point admis, prouve allez qu’il
fùffit de diftinguer le Singulier & le Pluriel, parce
qu’effeéHvement la pluralité fè trouve dans deux
comme dans mille.
Auflï, s’il en faut croire l’auteur de la Méthode
grèque de P. R. {liv. IL ch. I . ) le Duel, «JW,*,
n eft venu que tard dans la langue , & y eft fort peu
ufité ; de forte qu’au lieu de ce nombre, on fe fert
fbuvent du Pluriel.
M. l’abbé Ladvocat nous apprend, dans & Grammaire
hébraïque (pag. 3 2 .) , que le Duel ne s’emploie
ordinairement que pour les chofos qui font
naturellement doubles, comme les pieds, les mains,
les oreilles , les yeux; & il eft évident que la Duu-,
lité de ces chofès en eft la pluralité naturelle.
L ufâge^ du Duel eft auflï très-rare dans la langue
laponne : il n’a lieu que pour les noms auxquels on
I attache des affixes , voye\ A f f ix e ; & alors même ,
de tous les cas reçus dans cette langue , il n’y en a
I qu un qui pafleau Duel. Gramm. Lappon. H enr.
G a n a n d r i ; ^ ^ . i z .H o lm . iy^.(M.IiEAuzÉE.)
? D U O , f . m. Poejie lyrique. Il en eft du Duo} du
D U O
T r io , &c. en Mufîque , comme du monologue dans
la fimple déclamation. Il arrive dans la nature qu’on
parle quelquefois feul & à haute voix , foit dans la
réflexion tranquille , foit dans la paflion ; & de la ,
par extenfion, la vraifomblance du monologue. Il
arrive auflï quelquefois que deux , trois , quatre per-
fonnes, &c. dans la vivacité, parlent toutes enfemble ;
que les répliqués du dialogue, en fè preflànt, fè
croifent, fè confondent, ou que le mouvement de
l’ame des interlocuteurs étant le meme, ils difènt
tous la même ehofe : c’en eft aflèz pour établir la
vraifomblance du Duo , du T r io , du Quatuor, <5-6'.
Car toutes lès fois que l’illufion eft agréable, on s’y
prête avec complaifance ; & tout ce qui eft poflible ,
on le fîippofe vrai.
Heureufement pourtant il fo trouve que, plus le
Duo fo rapproche de la nature, plus il eft fufcep-
tible d’expreflïon , d’agrément, & de variété ; & qu a
mefure qu’il s’en éloigne, il perd de fes avantages.
Dans le Duo de l’Opéra françois, tel qu’on l’a fait jufi
qu’à préfont, les deux perfonnes difont d’un bout à
l ’autre prefque la même chofo & parlent fans cefîe
à la fois : c’eft là ce qu’il y a de plus éloigné de la
vérité, & en même temps de moins agréable. Ce
n’eft qu’un bruit,confus & monotone qui fe perd dans
le chaos des accompagnements, & dont tout l’agrément
fo réduit à quelques accords qui ne vont point
à l’ame , parce qu’ils manquent d’expreflion.
Le Duo italien au contraire eft un dialogue concis
, rapide, fÿmmêtriquement compofé, & fufoep-
tible, comme l’air , d’un deflïn^ régulier & fimple.
Dans ce dialogue, tantôt les voix fo font entendre
féparément, & chacun dit ce qu’il doit dire : les
âmes fo répondent, les divers fontiments fo contrarient
& fo combattent ; jufques-là tout fo pafle
comme dans la nature. Mais vient un moment où
le dialogue eft fi preffé , qu’il n’y a plus d’alternativ
e , & que des deux côtés les mouvements de l’ame
s’échapènt à la fois ; alors les deux voix fo rencontrent,
& leur accord n’eft pas moins un plaifir
pour l’ame que pour l’oreille , parce qu’il exprime
ou la réunion de deux fontiments unanimes y ou le
combat v if & rapide de deux fontiments oppofés.
Ici l ’art prend quelque licence.
Le talent de faciliter, pour le muficien, la marche
du Duo y fur des mouvements analogues & fur un
motif continu , ce talent, dis-je, a fes difficultés : il
fuppofo dans le poète ùne oreille fonfible au nombre ,
& beaucoup d’habitude à manier la langue & à la
plier à fon gré. Métaftafo eft encore pour nous le modèle
le plus parfait dans l’art d’écrire le Duo : il
s’y eft attaché furtout à donner aux répliques çor-
refpondantes une égalité fymmétrique ; & ce qui
eft encore plus eflenciel, il a choifi pour le Duo
le moment le plus intéreffant & le plus v if du dialogue
, & il y a ménagé les gradations de manière
que la chaleur va toujours en croiflànt. Cette forme
de chant, la plus naturelle de toutes, eft auflï la
plus animée , & celle d’ou l’on peut tirer les effets
les plus furprenants.
D U O
( f Depuis que cet article a été imprimé pour la
première fois, la forme italienne du Duo, du Trio, du
Quatuor &c. a été reçue avec les plus grands ap-
plaudiflements fur nos deux théâtres lyriques. J’ai
fait faire, à moi foui, foit au thé^re de l’Opéra
comique , foit à celui de l’Opéra , trente morceaux
de ce genre, qui tous , du côte de la Mufique , ont
eu le plus brillant fuccès; & les compofiteurs m’ont
afsuré qu’ils n’avoient pas plus de peine à deffiner
un Duo ,-un Trio , un Quatuor fur nos vers françois
faits avec foin, que s’ils avoient écrit fur des paroles
italiennes. C’étoit là pourtant, dans l ’opinion de
ceux qui refufoient une Mufîque a notre langue , la
plus grande difficulté. La voilà vaincue , fans qu’il
en ait coûté un foui effort gênant pour le mufi^
cien , ni aucune altération de l’accent & de la
profodie de la langue francoife car, pour ne répondre
que de ce qui m’eft connu, j’ofo affirmer
que dans aucun de ces Duo, de ces T r io , de ces
Quatuor, que M M. Grétri & Piceini ont bien voulu
compofer avec m o i, il ne fo trouve un mot dont l’accent
naturel ait été forcé, ni la profodie altérée.
Cette forme de dialogue aujourdhui reçue dans
le Duo y étoit fi fenfîblement celle qu’il demandoit,
que dès l’invention du Poème lyrique, elle fut fontie
& mifo en oeuvre. On peut le voir dans les paroles
de ce Duo àeVHercole amante^ le premier des opéra
italiens que le Cardinal Mazarin fit jouer for le
théâtre de Paris.
D e j a x i r a . Figlio, tu prigioniero l
Hu i t /s. Madré , tu difcacciaca ï
DßJ . E vive in fen di padre, un cor fi fiero !
H iz . E vive in cor di marico , aima fi ingrata !
D e s . Figlio , tu prigioniero!
Hi z . Madré , tu difcacciata !
D e j . Non foffe a te crudele ;
E gli perdonerei'l’infiedelta.
H iz , Non foffe a te infiedele,
E lieve trovarei fua crudelta.
D e j , C S’a te pieta non fpero ,
H iz . \ Ogni forte a me fia fempre fpietata.'
D e j . Figlio ! Figlio !
Hi z . Madré I Madré !
Ogu’hor defti
D e j . \ A me dell* amor tuo fegni piu efpreffi.
H iz . 1 Ah ! voglia il. Ciel ehe quefti
Non fîan gli ultimi amplelfi!
Métaftafo lui-rrtême n’a pas un Duo mieux deffiné ;
& ce qui prouve que dès lors on fontoit quel étoit le
genre de Poéfîe le plus favorable à la Mufique, c’eft
que dans ce dialogue il n’y a pas un mot qui ne foit
l’expreffion du fontiment. C’eft là ce que les poètes
doivent étudier avec le plus de foin ; & ce que Rouf-
foau, par exemple , a méconnu dans fos cantates ,
où le plus fouvent les paroles de l’air font une
penlée froide , tandis que l’expreflion paflïonnée ou
fonfible eft dans le récit.