
C A R
fcène , eft l’inclination ou la paflion dominante qui
éclate dans toutes les démarches & les difcours de
ces perfonnages, qui eft le principe & le premier
mobile de toutes leurs aétïons ; par exemple, l’ambition
dans Céfar , la jaloufîe dans Hermione, la
probité dans Burrhus , l ’avarice dans Harpagon,
rhypochrifie dans Tartufe, &c. _
Les Caractères en général font les inclinations
des hommes confîdérés par rapport à leurs paflions.
Mais comme parmi ces paflions il en eft qui font
en quelque forte attachéesà l’humanité, & d’autres
qui varient félon les temps _ & les lieux , ou les
ufàges propres à chaque nation ; il faut aufli dif-
tinguer des Caractères généraux , & des Caractères
particuliers•
Dans tous les fiècles & dans toutes^les nations,
on trouvera des princes ambitieux qui préfèrent la
gloire à l’amour ; des monarques à qui l’amour a
wit négliger le foin de leur gloire ; des_ heromes
diftinguées par la grandeur d’amete lles que Cor-
nélie , Atidromaque \ & des femmes dominées par
la cruauté & la vengeance comme Athalie &
Cléopâtre dans Rodogune ; des miniftres fidèles &
vertueux, & Jde lâches flatteurs: de. meme dans la
vie commune qui eft l’objet de l a -Comedie, on rencontre
partout & en tout temps des jeunes gens
étourdis & libertins, des valets fourbes & menteurs,
des vieillards avares 8c fâcheux , des riches info-
lents & fùperbes. Voilà ce qu’on appelle Caractères
généraux. ,
Mais parce qu’en confequence des ufàges établis
dans la fociété, ces CaraBères ne fe produifent pas
fous les mêmes formes dans tous-les pays, & qu une
jpaflion qui eft la*même en foi, varie d un fiecle
à l’autre, n’agit pas aujourdhui comme elle fai-
fbit il y a deux ou trois mille ans chez_ les grecs
& chez lès romains où les errements étoient com-
paffés fur leurs ufàges, & que dans le meme fiècle
elle n’agit pas‘à Londres comme à Rome,- ni à
Paris comme à Madrid ; il en réfulte des Caractères
particuliers , communs toutefois a chaque
nation. 'f . t _
Enfin parce que dans une meme nation les utages
varient encore non feulement de la Ville a la Cour,
d’une ville à une autre v ille , mais même d’une
fociété à une autre , d’un homme a un autre homme,
il en naît une troifième espèce de Caractère auquel
on doniie proprement ce nom, & qui, dominant
dans une pièce de théâtre, en -fait ce que nous
appelions une pièce de caractère,, genre dont M.
Riccoboni attribue l’invention aux françois tels
font le Mifinthrope , le Joueur , le Glorieux,
&c. . .
11 faut de plus obfèrver qu’il y a certains^ ridi-,
cules attachés à un climat, à un temps , qui dans
d’autres climats & dans d’autres temps ne forme-
roient plus un Caractère. Tels font les Precie&fès
Ridicules, & les Femmes Savantes de Molière,
qui n’ont plus en France le même fèl que dans
leur nouveauté, & qui n’auroient aucun fuccès en
C A R
Angleterre , ou les Angularités que frondent ces
pièces n’ont jamais dominé.
Le CaraBëre dans ce dernier fèns n’eft donc autre
choîe qu’une paflion dominante qui occupe tout
à la fois le coeur & l’ éfprit : comme l’ambition,
l’amour, la vengeance , dans le tragique ; l’avarice
la vanité, la jaloufîe, la paflion du jeu, dans le
comique. L ’on peut encore diftinguer les Caractères
jimples & dominants , tels que. ceux que nous
venons de nommer, d’avec les CaraBères accef*
foires, qui leur font comme fubordonnés. Ainfî,
l’ambition eft foupçonneufè , inquiète , inconftante
dans fès attachements, qu’elle noue ou rompt félon
fès vues ; l’amour eft v if, impétueux , jaloux, quel-«
quefois cruel ; la vengeance a pour compagnes la
perfidie, la duplicité , la colère , & la cruauté ^ de
même la défiance & la léfîne accompagnent ordinairement
l’avarice ; la paflion du jeu entraîne après
elle la prodigalité dans la bonne fortune, l’humeur
& la brüfquerie dans les revers ; la jaloufîe
ne marche guère fàns la colère, l’impatience , les
outrages ; & la vanité eft fondée fur le menfonge ,
le dédain , & la fatuité. Si le CaraBère fimple &
principal eft fuffifànt pour conduire l ’intrigue &
remplir l’aétion, il n’eft pas befoin de recourir aux
CaraBères accejfoires : mais fi ces derniers font
naturellement liés au Caractère principal, on ne
fàuroit les en détacher fàns l’eftropier.
M. Riccoboni, dans fès Obfervations fu r la Comedie
, prétend que la manière de bien traiter le Caractère
, eft de ne lui en oppofèr aucun autre qui foit
capable de partager l’intérêt & l’attention du fpec-
tateur. Mais rien n’empêche qu’on ne fafle con-
trafter les CaraBères ; & c’eft ce qu’obfervent les
bons auteurs: par exemple, dans Britannicus, la
probité de Burrhus eft en oopofîtion avec la fcc-
lératefîè de Narcijfe ; & la crédule confiance de
Britannicus , avec- la diflimulation de Néron.
L e même auteur obferve qu’on peut diftinguer
les pièces de Caractère des- comédies de' Caractère
mixte ,; & par' celles-ci il entend celles où le
poè.e peut fè fèrvîr d’un CaraBère principal, 8c
lui alloçier d’autres CaraBères fibalternes : p?eft
ainfî qu’au CaraBère; du AJ/fanthrope, qui fait le
CaraBère dominant de fa fable, Molière>a ajouté
ceux d'Aràminte & de Céliméne , l ’une coquette ,
& l’autre méditante -, & ceux des petits-maîtres ,
qui ne fervent tous qu’à mettre plus en évidence
le CaraBère du Mifanthrope. Le poète'peut encore
joindre enfèmble plufieurs CaraBères, fôit p.rinci-s
paux fôit accejfoires, fàns donner à aucun d’eux
allez de force pour le faire dominer fur les autres ;
tels font Y École des maris, Y École dés femmes,
& quelques autres comédies de Molière.
C ’eft une queftion de fàvoir fî. l’on peut & fî l’on
doit, dans le comique , .charger les CaraBères pour
les rendre plus ridicules. D ’un côté il eft certain
qu’un auteur ne doit jamais s’écarter de^ la nature,
ni la faire grimacer : d’un autre côté il n’eft pas
moins évident que dans une comédie on. doit pein-
C A R
dre* le tidicule, &- même fortement i or il Pénible
qu’on n’y fàuroit mieux réuflir qu’en raflerablant
le plus grand nombre de traits propres à le faire
connoître , & par conféquent qu’il eft permis de
charger les CaraBères« Il y a en ce genre deux
extrémités vicieufes ; & Melière a connu mieux que
, perfônne le point de perfeâion quotient le milieu
entr’elles : fes CaraBères ne font ni fî fîmples que
ceux des anciens, ni fî charges que^ ceux de nos
contemporains.. La fîmpliçité des premiers , qui n’eft
point un défaut en fo i, n’auroit cependant pas été
du goût du fiècle de Molière : mais l’affedation
des modernes, qui va jufqu’à choquer la vraifem-
blance, eft encore plus vicieufè. Qu’on caradérifè
les paflions fortement, à la bonne heure; mais il
n’eft jamais permis de les^ outrer.
Enfin une qualité eflèncielle au Caractère, c’eft
qu’il fè fou tienne ; & le poème éft d’autant plus
obligé d’obfèrver cette règle , que dans le tragique
fès CaraBères font, pour ainfî flire , tous donnés
par la fable ou l’hiftoire..
Aut famam fequere, aut fibi corivenientia finge ,
dit Horace.
Dans le comique il eft maître de fà fable , & .doit
y difpofèr tout de manière que rien ne s’y démente ,
& que le fpeêtateur y trouve à la fin comme au
premier aéte les perfonnages introduits , guidés par
les mêmes vues, agiffant par les mêmes principes,.
fènfîbles aux mêmes intérêts, en un mot les mêmes
qu’ils ont paru d’abord.
Servctur ad hnian
Qualis ab i.icepto pvoccjjerit, & fibi conjiet.
Horace , Art, p oët.
(L'abbé M a l l e t , )
C a r a c t è r e , ( Beaux-Arts. ) C ’eft ce qui conf-
titue le propre, d’une chofè, & qui la diftingue
des autres chofès de la même efpèce.
Les beaux-arts , qui prélèntent à notre réflexion
les objets vifîbles & invifîbles de la nature, doivent
défîgner chacun d’eux , de manière qu’on conhoiffe
à quel genre il appartient & par quelle propriété
il fe diftingue de tout autre objet de fôn efpèce.
Le talent de déméler avec précifîon les traits ca-
radériftiques, fait donc une des parties capitales de
l ’art. Le peintre doit donner à chaque partie vifî-
ble de l’objet le CaraBère^du genre, & même le
CaraBère-individuel, lorfqu’il eft queftion de portraits
; & chaque artifte en doit fàvoir faire autant
à fà manière.
Il faut pour cet effet qu’il fôit doué d’un efprit
d’obfèrvation très-pénétrant ; qu’il ait à l’égard des
objets vifîbles, ce qu’on nomme le coup-dé oeil du
peintre ; 8c qu’à l’imitation de ce dernier , il fâche
làifîr rapidement-les traits eiïenciels d’un objet, &
les exprimer avec vérité. C ’eft dans cette habileté
qüe fenible confifter le génie propre aux beaux-
arts ; le don de bien fàifîr les CaraBères eft peut-
G ramm. e t L it t é r a t . Tome I.
C A R 3 4y
' être la marqué la plus sure du génie d’un artifte.
Parmi la grande variété d’objets dont les beaux-
arts s’occupent, les CaraBères des êtres penfants
font, fàns contredit, ceux qui intéreffent davantage«
L ’expreflion des CaraBères moraux eft la plus importante
partie de l’art, & c’eft en particulier le
premier talent du poète. Dans les principaux genres
de Poéfîe, l’Épopée & le Drame, ce font les CaraBères
des perfonnages qui, forment la partie e£-
fèncielle'du poème. Sont-ils bien deflinés? üs nous
mettent en état de lire dans le coeur des hommes,
de preflèntir l’impreflion des objets extérieurs fur
eux , de prévoir leurs fèntîments , leurs réfôlutions,
& de connoître diftinâement les refîôrts qui les
font agir. Les CaraBères font proprement le portrait
de l’ame, l ’objet ré e l, dont le portrait du corps
n’eft que l’ombre. Le poète, qui fait tracer avec
exaditude & avec force les CaraBères moraux,
nous enfèigne à connoître les hommes, & en même
temps à nous bien connoître nous-mêmes. Mais l’effet
que des CaraBères bien deflinés font fur les facultés
de notre ame , ne fè borne pas à cette con-
noifiànce. Car de même que nous partageons là
douleur desperfônnes affligées , nous refîëntonsauffî
tous les autres fèntiments-, dès qu’on les exprime
vivement & dans le vrai. Toute repréfèntation forte
de l’état d’une ame, nous fait éprouver auflï fèn-
fîblement ce qui fè paflè en elle, que fî la chofè fè
paflôit en nous-mêmes. Par là , les penfées & les
fèntiments des autres deviennent en quelque manière
des modifications de notre propre être ; nous
devenons impétueux avec Achille, prévoyants avec
Ulyfîè, & intrépides avec Hedor.
Les poètes peuvent donc, à l’aide des Caractères
qü’ils choifîffent, exercer un très-grand empire
fur les coeurs. T^es perfonnages qui ont notre approbation
nous touchent le plus fortement. Nous ra.fi-
fèmblons toutes nos forces, pour éprouver les mêmes
fèntiments que l’on, nous dépeint dans ceux dont
le CaraBère nous a charmés. Ceux qui nous dé-
plaifènt, au contraire , excitent en nous une forte
averfîon ; parce qu’étant, pour ainfî dire , néceflïtés
de reîfentir auflï leur fîtuation , il s’élève en nous-
mêmes un combat intérieur qui nous les rend défà-
gréables. *
La principale attention du poète épique ou dramatique
don par conféquent s’attacher aux Caractères
, de fès perfonnages. «Pour fè hafàrder dans ces .
deux genres , il faut bien connoître les hommes. Le
poète épique a la>facilité de développer en entier le
CaraBère de fès principaux perfonnages, par le
nombre & la diverfîté des évènements, des incidents
, & des perfônnes que l’étendue de fôn aâion
lui, permet d’introduire ; le poème dramatique au
contraire, dont raftiou eft reftreinte à un objet
précis, ne peut peindre le CaraBère des hommes
que par quelques traits fînguliers de leurs vertus ,
de leurs vices , ou de leurs paflions. Il eft rarement
poflible, dans un temps aufli court que celui auquel
l’adion du drame eft bornée, 8c dans un évène