
Maïs avant que de paflèr à un plus gfîfnd détail |
touchant l’emploi & l’ufàge de ces adjeâifs, je crois
qu’il ne fera pas inutile de nous arrêter un moment
aux réflexions fuivantes : elles paroitront d’abord
étrangères à notre fujet; mais i’ofè me flatter qu’on
reconnoitra dans la fuite qu’elles étoient néceflàirès.
Il n’y a en ce monde que des êtres réels , que nous
ne connoi'ffôns que par les impreffions qu’ils font fur
les organes de nos fèns, ou par des reflexions qui
fuppolènt toujours des impreffions fenfibles.-
Ceux de ces êtres qui font féparés des autre», font
chacun un enfèmble, un Tout particulier, parla liai-
lôn, la continuité , le rapport, & la dépendance de
leurs parties.
Quand une fois les impreffions que c e s divers
objets ont faites\fur nos fèns, ont été portées jusqu’au
cerveau , & qu’elles y ont laifle des tr-aces;
nous pouvons alors nous rappeler l’image ou l’idee
de ces objets particuliers, même dé ceux qui font
éloignés de nous ; & nous pouvons , par le moyen de
leurs noms , s’ils en ont un , faire connoître aux
autres hommes, que c’eft à tel objet que nous pen-
fôns plus tôt qu’à tel autre.
I l paroît donc que chaque être fînguîier devroit
avoir fôn nom propre , comme dans chaque famille
chaque .perfônne a le fîen : mais cela n’a pas été pof
fîble, à caufê de la multitude innombrable de ces êtres
particuliers, de leurs propriétés, & de leurs rapports.
D ’ailleurs, comment apprendre & retenir tant de
noms ?
Qu’a-t-on donc fait pour y fùppléer? Je l’ai appris
en me rappelant ce qui s’eft pafle à ce fujet par
rapport à moi.
Dans les premières années de ma v ie , avant que
les organes démon èerveau euffent acquis un certain
degré de confiftance, -& que j’euiïe fait une certaine
provifion de connoiffances particulières, lès noms
que j’entendois donner aux objets qui fè préfèntoient à moi, je les prenois comme j’ai pris dans la fuite
les noms propres.
Cet animal à quatre pattes qui venoit badiner avec
moi, je l’entendois appeller Chien. Je croyoîs par
fentiment & fans autre examen, car alors je n’en
étois pas capable, que Chien étoit le nom qui fèrvoit
à le diftinguer des autres objets que j’entendois nommer
autrement.
Bientôt un animal fait comme ce chien vint dans
la maifon, & je l’entendis auffi appeller Chien ; c'eft,
me dit-on, le chien de nptre voifin. Après cela j’en
vis encore bien d’autres pareils, auxquels on don-
noit auffi le même nom, à caufê qu’ils étoient faits
à peu près de la même manière; & j’obfêrvai qu’outre
le nom de Chitn qu’on leur donnoit à tous, on. les
appelloit encore chacun d’un nom particulier : celui
de notre mai fôn s’appelloi t Médor ; celui de notre
voifîn, Marquis ; un autre Diamant, &c.
Ce que jVvois remarqué à l ’égard des chiens, je
î’obfervai auffi peu à peu à l’égard d’un grand nombre
d’autres êtres. Je vis un moineau , enfiiite d’au-
êjtcs moineaux ; un cheval, puis d’autres chevaux ;
une table, puis d’autres tables ; un livre, enfïiite des
livres, &c\
Les idées que ces différents noms excitoient dans
mon cerveau, étant une fois déterminées, je vis bien
que je pou vois donner à Médor & à Marquis le nom
de Chien ; mais que je ne pouvois pas leur donner le
nom de Cheval, ni celui de Moineau, ni celui de
Table , ou quelqu’autre : en effet, le nom de Chien
réveilloit dans mon efprit l ’image de chien, qui eft:
différente de celle de cheval, de celle de moineau
, &c, -
Médor avoit donc déjà deux noms, celui de Médor
qui le diftinguoit de tous les autres chiens, & celui de
Chien qui le mettoit dans une claffe particulière, différente
de celle de cheval, de moineau, de table, &c.
Mais un jour on dit devant moi que Médor étoit
un joli animal, que le cheval d’un de nos amis
'étoit un bel animal ; que mon moineau étoit un petit
animal bien privé & bien aimable : & ce mot $ A n imal
Ae fie l’ai jamais ouï dire d’une table, ni d’un
arbre, ni d’une pierre , ni ènfin de tout ce qui ne
marche pas, ne fènt pas, &' qui n’a point les qualités
communes & particulières à tout ce qu’on appelle
Animal.
Médor eut donc alors trois noms, Médor, Chien,
Animal.
On m’apprit dans la fuite la différence qu’il y
a entre des trois fortes de noms ; ce. qu’il efl important
d’obfêrver & de bien comprendre, par rapport
au fujet principal dont nous avons à parler.
i° . Le nom propre, c’eft le nom qui n’eft dit
que d’un être particulier, du moins dans la fphère
où cet être fè trouve ; ainfi , Louis , Marie , font
des noms propres, qui, dans les lieux où l’on en
connoît la deffination, ne défîgnent que telle ou
telle perfônne , & non une forte ou efpèce de per-
fonnes.
Les objets particuliers auxquels on donne ces
fortes de noms font appelés des individus, c’eft
à dire que chacun d’eux ne fauroit être divifé en
un autre lui-même fans ceffer d’etre ce qu’il eft ;
ce diamant, fi vous le divifez , ne fera plus ce dia-
I mant; l’idée qui le repréfènte ne vous offre que
lui & n’en renferme pas d’autres qui lui foient
fùbordorinés, de la même manière que Médor eft
fubordonné à chien, 8t chien à animal.
Les noms d’efpèce , ce font des noms qui
conviennent à tous les individus qui ont entre eux
certaines qualités communes; ainfi, chien eft. un nom
d’efpèce , parce qu’il convient à tous les chiens
particuliers , dont chacun eft un individu, fèm-
blable en certains points eflenciels à -tous ies autres
individus , qui , à caufê de cette reffemblance, font
dits être de même efpèce & ont entre eux un nom
commun $ chien.
3°. Il y a une troifième forte de noms, qu’il a
plu aux maîtres de l’art d’appeler nom s de genre ,
c’eft a dire, noms plus généraux, plus étendus encore
que les Amples noms d’efpèce; ce font ceux qui
font communs à chaque individu de toutes les efpèces
fubordonnées à c* genre; par exemple, animal
fè dit du chien, du cheval, du liqn, du cerf, St
de tous les individus particuliers qui vivent, qui
peuvent Ce tranfporter par eux-mêmes d un lieu en
un autre , qui ont des organes dont la liaifôn St
les rapports forment un enfemble. Ainfi, U n dit
ce chien eft un animal bien attache a fôn maître ,
ce lion eft un animal féroce, &c. Animal eft donc
un nom de genre, puisqu’il eft commun a chaque
individu de toutes les differentes efpèces a animaux.
Mais ne pourrois-je pas dire que 1 animal eft un
être, une fubftance, e’eft à dire une chofe qm
exifte? Oui fans doute, tout animal eft un etre.
Et que deviendra alors le nom, $ animal, fera-t-il
encore un nom de genre? Il fera toujours un nom
de genre par rapport aux différentes efpèces da-
nimaux, puifque chaque individu de chacune de
ces efpèces n’en fera pas moins appelé animal.
Mais en même temps animal fera un nom d efpèce
fubordonné à cire, qui eft le genre fupreme ;
car dans l’ordre métaphyfîque, ( & il ne s agit ici
que de cet ordre-là ) être Ce dit de tout ce qui exifte
& de tout ce que l’on peut confiderer comme exiftant,
& n’eft fubordonné à aucune clafTe fupérieure. Ainfi,
on dira fort . bien qu’il y a différentes efpèces Mires
corporels: premièrement les animaux, & voilà animal
devenu nom d’efpèce ; en fécond lieu il y a
clafTes ou efpèces différentes que ') obfèrve de pro*
priètés coiîimunes feulement entre certains objets,
& qui ne fè trouvent point dans les autres : par
exemple, entre les êtres j’en vois qui vivent , qui
ont des fènfâtions, &c. j’en fais une claffe particulière
les corps infènfibles & inanimés , & voila une autre
efpèce de l'être. ^ .
Remarquez que les efpeces fiiboïdonnees a leur
genre, font diftinguées les unes des autres par quel- !
que propriété .effencieile ; ainfi, 1 efpece humaine eft
diftinguée de l’efpèce des brutes par la raifon & par
la conformation ; les plumes & les aîles diftinguent
les o Le aux des autres -animaux, &c.
Chaque efpèce a donc un caradère propre qui
la diftingue d’une autre efpèce ; comme chaque individu
à fôn fuppôt particulier incommunicable a
tout, autre. ■ ;
Ce caraâère diftinâif, ce <motif , cette raifôn
qui nous à donné lieu de nous former ces divers
noms d’efpèce , eft ce qu’on appelle la Diffe/ence.
On peut remonter de l’individu jufqu au ^gènre
fuprême, M.édor, chien , animal, etre ,* c eft la
méthode par laquelle la nature nous inftruit ; car
elle ne nous montre d’abord que des etres particuliers.
#
Mais lorfque, par l’ufage de la vie , on a acquis
une fuffifànte provifion d’idées particulières, & que
ces idées nous ont donné lieu d’en former d.abf^
traites & de générales, alors comme l’on s’entend
fôi-même, on peut fè faire un ordre félon lequel on
defcend du plus général au moins général, fuivant les
différences que l’on obfèrve dans les divers individus
compris dans les idées générales. A infi, en commençant
par l’idée générale de l’être ou de la fubftance ,
j’obferve que je puis dire de chaque être particulier
qu’il exifte : enfùite les différentes manières d’exifter
de ces êtres, leurs différentes propriétés, me donnent
lieu de placer au deffbus de l’être autant de
que j.e place d un cote fôus etre St que j 3p—
pelle animaux ; & de l’autre côté je place les êtres
inanimés , enforte que ce moi être > ou fubjtance
eft comme le chef d’un arbre généalogique dont
animaux &,étres inanimés font comme les descendants
placés au deflpus, les uns à droite & les
autres à gauche. ^ ^
Enfuite fôus animaux je fais autant de clafles
particulières , que j’ai obfèrv.©' de différences entre
les animaux; les uns marchent, les autres volent,
d’autres rampent ; les uns vivent fur la terre &
mourroient dans l’eau ; les autres au contraire vivent
dans l’eau & mourroient fur la. terre.
J ’en fais autant à l ’égard des êtres inanimés;
je fais une claffe des végétaux, une autre des minéraux;
chacune de ces claires en a d autres fôus
elles , on les appelle les efpèces inférieures, dont
enfin îles dernières ne comprennent plus que leurs
individus,, & n’ont point d’autres-efpèces rous elles, .
Mais remarquez bien que tpus ces poms, genre^
efpèce, déférence., ne font que des . termes mé-
taphyfîques, tels que les noms abftraits humanité,
bonté, & une infinité d’autres qui ne marquent
qùe.des confidérations particulières de notre efprit,
fans qu’il y ait hors de nous; d’objet réel qui foit
ou efpèce , ou genre , ou humanité, &c.
L ’ufâge QÙ!nous fômmes itobs les jours de donner
des noms aux-objets des idées qui nous, repréfèn-
tent des êtres réels , nous, a-..- portés à en donner
auffi par imitation - aux objets métaphyfîque^ des
idées abftraites dont nous avons connoiiïance : ainfi,
nous en parlons comme nousfaifôns des objets réels;
enforte que l’ordre métaphyfîque a auffi fes noms
d’efpèces .& fès noms d’individus : cette vérité\
cette vertu , ce vice, voilà des mots pris par imitation
dans un fèns individuel.
L'imagination , Vidée , le vice, la vertu^ la
vie t la mort, la maladie , la fance , la fievre ,
la peur, le courage, la force , letre , le néant ,
la privation, &c. ce font là encore des noms d’individus
métaphyfiques, c’eft à dire qu’il n’y a point
hors de notre efprit un objet reel qui fôit le vice ,
la mort, la maladie, la f a m é f a peur, &c. cependant
nous en parlons par imitation & par analogie
, comme nous parlons des individus phyfîques.
* ' ‘
C ’eft le befôin de faire connoître aux autres les
objets finguliers de nos idées, certaines vues
ou manières particulières de confidérer ces objets ,
foit réels, foit abftraits ou métaphyfiques ; c’eft ce
befôin, dis-je, qui , au défaut des noms propres
pour chaque idée particulière , nous a donné lieu
d’inventer, d’un côté, les noms d’elpece, & de 1 autre,
les adjeâifs prépofitifs , qui en font des applications
individuelles. Les objets particuliers dont nous vou