
peindre une fleur, & qu’ il vous foit d’ailleurs in-
• different laquelle peindre , prenez, laplus belle d’entre
les fleurs; fi vous avez à peindre une plante, &
que votre fujet ne demande point que ce foit un
chêne ou un ormeau fec , rompu , brifé , ebranche,
prenez la plus belle d’entre les plantes ; fi vous avez
à peindre un objet de la nature , 8c qü il vous foit
indifférent lequel choifîr, prenez le plus beau.
D ’où il s’enfuit '$&. Que le principe de l’imitation
de la belle nature demande l’étude la plus profonde
& la plus étendue de fes produirions en tout
genre. -• #
2 °. Que, quand on auroit la connomance la plus
parfaite de la nature & des limites quelle s’eft pref
crites dans la production de chaque etre , il n en
fer oit pas moins vrai, que le nombre des occafions ou
Je plus pourroit être employé dans les arts d imitation
, feroit à celui où il faut preferer le moins
beau , comme l’unité à l’infini. _
Que, quoiqu’il y ait en effet un maximum &&
Beauté dans chaque ouvrage de la nature, conniere
en lui-même; ou, pour me lervir d un exemple ,
que, quoique la plus belle rôle qu’elle produife, n ait
jamais ni la hauteur~ni l’étendue d’un chêne ^ c e pendant
il n’y a ni Beau ni La id dans fes productions,
confidérées relativement à l’emploi qu’on en
peut faire dans les arts d’imitatiôn.
Selon la nature d’un être, felon qu il excite en
nous la perception d’un plus grand nombre de rapports
, & felon la nature des rapports qu’il excite ,
il efl jo l i , beau, plus beau, très-beau ; ou laid,
bas , petit , grand, élevé, fublime, outre , bur-
lefque, ou plaifant ; & ce feroit faire un très-grand
ouvrage , & non pas un article de dictionnaire^, que
d’entrer dans tous ces détails : il nous fiiffit d avoir
montré les principes ; nous abandonnons au lecteur
le fein des conféquences & des applications. Mais
nous pouvons lui aflurer, que , feit qu il prenne fes
exemples dans la nature , feit qu il les emprunte de
la Peinture, de la Morale , de l’Architecture, de la
Mufique ; il trouvera toujours qu’il donne le nom de
Beau réel y à tout ce qui contient en foi de quoi réveiller
l’idée de rapports ; & le nom de Beau relatifs
à tout ce qui réveille des rapports convenables
avec les chofes auxquelles il en faut faire la com-
paraifon.
Je me contenterai d’en rapporter un exemple pris
de la Littérature. Tout le monde feit le mot febli-
me de la tragédie des Ho races : Qu i l mourut. Je
demande à quelqu’un qui ne connoit point la pièce
de Corneille, & qui n’a aucune idée de la réponfe
du vieil Horace, ce qu’il penfe de ce trait : Qu il
mourut, i l eft évident que celui que j’interroge, ne
fechant ce que c ’eft que ce Qu’ il mourut, ne pouvant
deviner fi c’eft une phrafe complette ou un fragment
, & appercevant à peine entre ces trois termes
quelque rapport grammatical, me répondra que cela
ne lui paroît ni beau ni laid. Mais fi je^ lui dis
que c’eft la réponfe d’un homme confulté fiir ce
qu’un autre doit faire dans un combat, i l commence
à àppercevoir dans le répondant une forte de ooü-*
rage, qui ne lui permet pas de croire qu’il foit
toujours meilleur de vivre que de mourir; & le
Qu’i l mourut commence à l’intéreflèr. Si j’ajoute qu’il
s’agit dans ce combat de l’honneur de la patrie , que
le combattant eft fils de celui qu’on interroge, que
c’eft le feul qui lui refte , que le jeune homme avûic
à faire à trois ennemis qui avoient déjà ôté la vie à
deux de fes frères , que le vieillard parle à fa fille ,
que c’eft un romain : alors la réponfe Qu- i l mourût „
qui rvétoit ni belle ni laide , s’embellit a mefiire que
je développe fes rapports avec les cicconfîances ,• Sc
finit par être iublime.
Changez les circonftances & les rapports, & faite®
palier le Qu’i l mourût du théâtre fran,çois fer la
feène italienne, & de la bouche du vieil Horace
dans celle de Scapin , le Qu’il mourut deviendra
burlefque. ~
Changez encore lés circonftances, & feppofez que
Scapin foit au fer vice d’un maître dur, avare, & bourru*
& qu’ils feient attaqués fer un grand chemin par trois
ou quatre brigands. Scapin ç’enfuit ; fen maître fe défend
; mais preffé par le nombre , il eft obligé de
s’enfuir aufti; & l ’on vient apprendre à Scapin que
fen maître a échappé au danger. Comment, dira
Scapin trompé dans fen attente , il s’eft donc enfui :
ah le lâche ! Mais, lui répondra-t-on , Seul contre
trois que voulois-tu q û i l f î t ? Qu’ il mourut3 re->
pondra-t-il ce Qu’i l mourût deviendra plaifant.
Il eft donc confiant que la Beauté s’accroît, varie ,
décline, & difparoit avec les rapports, ainfî que nous
l ’avons dit plus haut.
Mais qu’entendez-vous par un rapport, me demandera
t-on ? n’eft-ce pas changer 1 acception des
termes , que de donner le nom. de Beau à ce qu on.
n’a jamais regardé comme tel l II femble que dans
notre langue l’idée du Beau foit toujours jointe
à celle de grandeur , & que ce ne foit pas définir
le Beau y que de placer fe différence Spécifique dans
une qualité , qui convient à une | infinité d’etres
qui n’ont ni grandeur ni foblimité.^ M. Crozas a
péché fens doute, lorfqu’il a charge fe définition
du Beau d’un fi grand nombre de caradères, qu’elle
s’eft trouvée reftreinte à un très-petit nombre d êtres*
Mais n’eft-ce pas tomber dans le defaut contraire ,
que de la rendre fi générale, qu’elle femble les em-
braffer tous , fans en excepter un amas de pierres
informes jetées au haferd fer le bord d’une carrière
? Tous les objets, ajoûtera-t on, font fefceptibles
de rapports entre eux, entre leurs_ parties, & avec
d’autres êtres ; il n’y en a point qui ne puiffent être
arrangés, ordonnés, lÿmmétrifés. La perfection eft
une qualité qui peut convenir à fous : mais il n’en
eft pas de même de la Beauté ,■ elle eft d un petit
nombre d’objets. jjj .
Voilà , ce me femble , finon la feule, du moins la
plus forte objection qu’on puilfe me faire; & je vais
tâcher d’y répondre. " / . -
Le rapport en général ftft une operation de 1 entendement
, qui çonfîdère foit un être foit une qualité
, en tant que cet être ou cette qualité foppofe
l’exiftence d’un autre être ou d'une autre qualité.
Exemple : quand je dis que Pierre eft un bonpere ,
je çonfîdère en lui une qualité qui fiippoie 1 exiltence
d’une autre, celle du fils; & ainfî des autres rapports
téls qu’ils puiffent être. D’où il s enfuit que ,
quoique le rapport ne foie que dans nôtre entendement
quant à la perception, il n’en^ a pas moinsTon
fondement dans les chofes ; & je dirai qu une choie'
contient en elle des rapports réels, toutes les fois
qu’elle fera revêtue de qualités qu un etre conftitue
de corps & d’efprit, comme moi, ne pourroit confi-
dérer fans fuppofer l’exiftence ou d’autres etres ou
d’autres qualités , foit dans la chofe meme foit hors
d’elles ; & je diftribuerai les rapports en réels & en
apperçus. Mais il y a une troifîème forte de rapports;
ce font les rapports intellectuels ou j iB i f s ,
ceux que l’entendement humain femble mettre dans
les chofes. Un ftatuaire jette l’oeil fer^un bloc de
marbre ; fen imagination, plus prompte quefen cifeau,
en enlève toutes les parties foperflues, & y difeerne
une figure : mais cette figure eft proprement imaginaire
& fictive ; il pourroit faire, fer une portion
a efpace terminée par des lignes intellectuelles , ce
qu’il vient d’exécuter d’imagination dans un bloc
informe de marbre. Un philofophe Jette l’oeil fe? un
amas de pierres jetées au haferd ; il anéantit par la
pensée toutes les panie3.de cet amas qui produilènt
l ’irrégularité , & il ■ parvient à en faire fertir uÆ
globe , un cube , une figure régulière. Qu’eft-ce que
cela fignifie ? Q u e , quoique la main de l ’artifte ne
puiffe tracer un deffein que fer des fitrfâces réfîftan-
-<es , il en peut trafporter l’image par la pensée fer
tout corps; que dis-je , fer tout corps ? dans l-’efpace
& le vuide. L ’image , ou tranfportée par la penfée
dans les airs, ou extraite par imaginatîoh des corps
les plus informes , peut être belle ou laide ; mais non
la toile idéale à laquelle on l’a attachée , ou le corps
informe dont on l ’a feit fertir.
Quand je dis donc qu’un être eft beau par les
rapports qn’on y remarque , je ne parle point des
rapports intellectuels ou fictifs que notre imagination
y tranfporte, mais des rapports réels qui y fent &
que notre entendementy remarque par le fecouts de
nos fens.1
En revanche, je prétends que , quels que feient
les rapports , ce font eux qui conftitueront la
Beauté , non dans ce fens étroit où le Joli eft
l ’opposé du Beau , mais dans un fens, j’ofe le dire ,
plus philofephique & plus conforme à la notion
du Beau en général, & à la nature des langues &
. des chofes. '/
Si quelqu’un a la patience de raffembler tous les
êtres auxquels nous donnons le nom de B e a u , il
s’appereevra bientôt que dans cette foule il y en a une
infinité où l’on n’a nul égard à la petiteffe ou à la
grandeur : la petiteffe & la grandeur fent comptées
pour rien toutes les fois que l’être eft felitaire, eu
qu’étant individu d’une •fpèce nombreufe , on le
çonfîdère foljtairement. Quand on prononça de la
première horloge ou de la première montre, qu’ elle
étoit belle , feifôit-on attention à autre chcrfe , qu’à
fen méchanifme ou au rapport de fes parties entre
elles ? Quand on prononce aujourdhui que la montre,
eft belle , fait-on attention à une autre chofe qu’à
fen ufege & à fon méchanifme ï Si donc la définition
générale du Beau doit convenir à tous les êtres
auxquels on donne, cette épithète, l ’idée de grandeur
en eft exclue. Je me fuis attaché à écarter, de la notion
du Beau y la notion de grandeur; parce qu’il
m’a femblé que c’étoit celle qu’on lui attachoit plus
ordinairement. En Mathématique on entend par
u w b eau problème , un problème difficile à réfeudre j
par une belle- folution , la felution fimple & facile
d’un problème difficile & compliqué. La notion de
grand y de fublime , d’élevé n’a aucun lieu dans ce*
occafions où on ne laiffe pas d’employer le nom de
Beau. Qu’on parcoure de cette manière tous les
êtres qu’on nomme beauX'A’un exclura la grandeur;
l’autre exclura l’utilité ; un troifîème, la fymmétrie ;
quelque^- uns même , l’apparence marquée d’ordre
& de fymmétrie ; telle feroit la peinture d’un orage,
d’une tempête, d’un chaos : & l’on fera forcé de
convenir que la feule qualité commune, felon laquelle
ces êtres conviennent tous, eft la notion des
rapports.
Mais quand on demande que la notion générale
du Beau convienne à tous les êtres qu’on nomme
tels, ne parle-t-on que de fa langue j.ou parle-t on
de toutes les langues ? Faut-il que cette définition
convienne feulement aux êtres que nous appelons
beaux en françois, ou à tous les'êtres qu’on ap-
pelleroit beaux en hébreu , en fÿriaque, en arabe ,
en chaldéen, en grec , en latin , en anglois, en
italien , & dans toutes les langues qui ont exifté ,
qui exiftent, ou qui exifteront ? & pour prouver que
la notion de rapports eft la feule qui refteroit après
l’emploi d’une règle d’exclufîon auffi étendue , le
philofophe fera-t-il forcé de les apprendre toutes ?
Ne lui foffit-il pas d’avoir examiné que l ’acception
du terme Beau varie dans toutes les langues ; qu’on
le trouve appliqué là à une ferte d’êtres, à laquelle
il ne s’applique point ici ; mais qu’en quelque idiome
qu’on en faite ufàge, il fuppofe perception de rapports
j Les anglois difent a fine flavour, a fine wo-
man , une belle odeur , une belle femme. Où en feroit
un philofophe anglois, fi, ayant à traiter du
Beau y il vouloit avoir égard à cette bizarrerie de
fe langue ? C ’eft le peuple qui a fait les langues ,
c’eft au philofophe à découvrir l’origine des chofes;
& il feroit affez furprenaru que les principes de l ’un
ne fe trouvafleht pas fouvent en contradi&isn avec
les ufeges de l’autre. Mais le principe de la perception
des rapports, appliqué à la nature du Beau ,
n’a pas meme ici ce désavantage; & il eft fî général,
qu’il eft difficile que quelque chofe lui échappe.
Chez tous les peuples , dans tous les lieux de la
terre, & dans tous les temps, on a eu un nom pour
la couleur en. général, & d’autres noms pour les
couleurs en particulier &pour leurs nuauces. Qu.’aif>