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dont leur amour & leur reconnoiffance pour le roi
les rendent jaloux ; ils eurent la fàtisfa&ion d’apprendre
que S. A. S. approuvoit leurs fèntiments :
ils ne fè perfùaderont jamais qu’ils ayent eu tort
de compter fur là parole. Nous ofbns le dire, &
ie prince ne peut que nous en eftimer davantage,
nous ne lui aurions jamais donné nos voix , fi nous
avions pu fùppofèr que nous nous prêtions à notre
dégradation. Il eft bien étonnant qu’on vienne
dans un Mémoire établir les droits des princes du
ià n g , comme s’il s’agiflbit de les fbutenir dans
un congrès de l’Europe ; qu’on vienne les établir
dans une compagnie, dont le devoir eft de les con-
rroïtre, de les publier , & de les défendre s’il en
étoit befbin.
Les princes font faits pour des honneurs de tout
autre genre que des diftinCtions littéraires. Vou-
droit-on en dépouiller des hommes dont elles'font
la fortune & l’unique exiftence l Les hommes constitués
en dignité auroient - ils allez peu d’amour
propre pour n’être pas flattés eux-mêmes que le
défir de leur être affbciés en un fèul point foit
un objet d’ambition & d’émulation dans la littérature
?
L ’académie ne veut point avoir de difcuffion
avec M. le comte de Clermont ; il ne doit pas entrer
en jugement avec e lle ; elle obéiroit en gémiiïànt
à des ordres du roi; mais elle ne verroit plus que
fbn opprefièur dans un prince qu’elle réclame pour
juge ; elle l’aime , elle voudroit lui confèrver les
mêmes fèntiments : voici ce qu’elle lui adrefle par
ma voix.
Montèigneur, fi vous confirmez par votre exemple
refpeâabie & décifîf une égalité , qui d’ailleurs n’efl
que fictive, vous faites à Y académie le plus grand
honneur qu’elle ait jamais reçu ; vous ne perdez
rien de votre rang , & j’ofè dire que vous ajoutez
à votre gloire en elevant ia nôtre ; la chute ou
l ’élévation , le fort enfin de Y académie eft entre
vos mains : fî vous ne l’élevez pas jufqu’à vous ,
elle tombe au deflous de ce qu’elle etoit ; nous
perdons tout, & le prince n’acquiert rien qui puiflè
le confbler - de notre douleur. La verroit-on fùc-
céder à une joie fi giorieufè pour les Lettres &
pour vous-même ? Cè font les gens de Lettres qui
Vous font le plus tendrement attachés : fèroit-ce
d’un prince,. leur ami dès l’enfance , qu’elles auroient
feules à fè plaindre l Notre profond refpeCt
fera toujours le même pour vous, M.onfèigneur ,*
mais l ’amour, qui n’eft qu’un tribut de la recon-
tioiflànce , s’éteindra dans tous les coeurs qui
font dignes de vous aimer & d’être eftimés de vous ».
L e prince, frappé des phfèrvations qu’on yient
'de lire , ne balança pas à fè décider en notre faveur
; il me fit dire qu’il ne tarderoit pas à venir
à Y académie, & qu il voujoit y entrer çomme
fimple académicien.
En effet , quelques jours après, il vint à Pat
fèmblée, fans s’être fait annoncer ; combla de po-
iitefiès & même de témoignages d’amitié tous fès
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nouveaux confrères , ne les nommant jamais autre»
ment ; les invita à vivre avec lui ; opina très-bien fur
les queftions qui furent agitées pendant la féance ;
reçut fès jetons de droit de préfènce, fè trouvant,
dit-il, honoré du partage ; tout fè pafîà à la
plus grande fàtisfadion du prince & de la compagnie.
Quand un prince du fang veut bien adopter
le titre de confrère, on n’imaginera pas qu’il fè
trouve quelqu’un d’aflèz fortement préfèmptueux
pour n’en être pas fàtùfait.
En parlant de cette confraternité, dont nous ne
fortunes jaloux que par refped: pour le roi qui l’a
ordonnée , j’obfèrverai qu’il y a toujours quelque
phrafè à la mode, que des lots imaginent & que
d’autres fbts répètent : tel eft le prétendu fyftême
de l’égalité des conditions, dont ils voudroientfaire
foupçonner des gens de Lettres. Mais' à. qui ces
petits ou grands mefïieurs perfuaderont-ils que des
hommes inftruits ignorent, que fans inégalité . de
conditions , il n’y auroit aucune fôciété ? ceux qui
en occupent les clafïès les moins élevées y mais
qui fèntent aufli la dignité de leur ame , font ceux
qui rendent le plus volontiers ce qui eft dû au
rang & à la naiflânce ; moins on veut fè laiflèr
obérer, plus on eft exad à payer fès dettes.
Quelque temps après, le fort ayant fait M. le
Gomte de Clermont directeur , il en remplit les
devoirs, au fùjet du nouvel arrangement à l’égard
des prix, en allant préfènter au roi le voeu de la
compagnie. Sa Majefté l ’agréa, & approuva qu’un
prince du fang fit fondion d’académicien.
La liaifèn des faits que je viens $e rapporter
m’en a fait omettre quelques-uns que je ne dois
pas laifler dans l’oubli; le premier, regarde l’abbé
de Saint-Pierre, '& n’arriveroit certainement pas
aujourd’hui. Cet honnête écrivain n’avoit jamais
la tète occupée que du bien public, ce qui a fait dire
plus injurieufèment pour les princes que pour lui*
que fès projets étoient les rêves d*bn homme de
bien : il fèroit à délirer que des fôuverains pen-
fàflènt comme l’abbé rêvoit ; ils réalifèroient beaucoup
de ff$ rêves, & leurs fïijets s’en trouveroient
bien.
L ’abbé donna pendant la régence un ouvrage intitulé
: Lapolyfinodie \ ou de la pluralité des Con-
fe ils • C ’etoit a peu près le plan de gouvernement que
le duc de Bourgogne , père du -roi, s’étoit pro-
pofé , pour en faire un préfèrvatif contre Pignon
rance , les caprices, les ufùrpations , ou le def-
potifme qu’on a quelquefois à craindre de certains
miniftres ; ce qui n’étoit pas fans exemple fous le
dernier règne , & pouvoit encore fè retrouver. Le
duc d’Orléans , en entrant dans la régence, avoit
feint d’adopter les vôes du duc de Bourgogne ; &
quoiqu’il s’en fût autant écarté dans l ’efprit qu’il en
avoit affeCté les apparences , les académiciens de
la vieille cour crurent ou voulurent voir dans
l’ouvrage de l’abbé de Saint-Pierre un panégyrique
du régent qu’ils haïfîôient, & une fàtyre contre le
feu roi qu’ils fè piquoient d’admirer en tout. D’ailleurs
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feurs l’abbé dé. Saint-Pierre . étoit perfônnellement
attaché à la maifon d’Orléans ; les vieux courtifaiis,
n’ofant nmnifefter leur fiel contre le maître , s’atta-
quèrent au ferviteur.
Les plusdécorés d’entre eux firent le plus grand
éclat, vinrent à Y académie, atteftèrent, invoquèrent
les mânes du feu roi, & demandèrent^ deftitution
d’un ^académicien, indigne, difoient-ils , de reparaître
dans un temple fi long temps confacré au cuite
de Louis XIV. Les gens de Lettres trouvoient la proportion
trop violente , & cherchoient des' tempéraments
; mais il n’y eut pas moyen. La complaifance
que la plupart d’entre eux ont de s’en laiffer impofer-
par les titres & les dignités , les fit céder à cette irn-
pulfion étrangère. On alla au fcrutin , & l’abbé de
Saint-Pierre fut exclus. 11 n’y eut qu’une fèule boule
en fà faveur; encore les zélés-trouvèrent-ils mauvais
que l’exclufion n’eût pas été d’une voix unanime, &
Ven expliquèrent d’un ton qui tenoit de la. menace
contre le diflident , s’ils yenoient à le connoître.
Fçntenelle, qui avoit donné cette unique boule blanche
, voyant que les foupçons fè portoient fur un
ami connu de l’abbé de Saint-Pierre, & craignant
de l’expofèr au reflentîment, fè déclara l’auteur du
méfait, & n’en fut que plus eftimé du Public. Il
auroit aujourd’hui bien des complices. Les exclu-
fions comme les élections doivent être autorifees de
l ’approbation du roi. On alla donc porter la délibération
au régent, qui, ne voulant pas foutenir un
homme qu’on accufoit d’avoir outragé la mémoire
du feu roi , confèntit à l’exelufîon ; mais ne permit
pas de nommer à la place, qui ne fèroit réellement
jugée vacante qu’à la mort de l’abbé de Saint-Pierre.
.Cette exclusion ne donna pas la moindre atteinte à
la réputation de l’abbé de Saint-Pierre. Je ne veux
pas examiner s’il en fut ainfi de celle des académiciens
de ce temps-là. J’obfèrverai feulement que celui
qui le remplaça à fà mort en 1 743 , n’en parla point,
pour ne pas rappeler Paffaire, & par ménagement
pour l’honneur de l’ancienne académie.
On fit en 1749 ;un arrangement pour la place de
fècrétaire que M. de Mirabaud remplifîôit depuis
174Z , avec le plus grand défîntérefîement.
Il eft quelquefois difficile de trouver dans une compagnie
littéraire quelqu’un qui convienne à cette
place , & à qui elle convienne. Celui qui veut bien
l’accepter ne cède qu’aux fbllicitations de fès confrères;
car il eft.encore fans exemple qu’elle ait été accordée à
aucun de ceux qui l’ont demandée.
Comme il n’y avoit point d’honoraire attaché au
fècrétariat, Y académie étoit dans l’ufàge de donner
un double droit de préfènce à celui qui l’exerçoit.
Lorfque M. de Mirabaud voulut bien s’en charger,
il exigea absolument la fuppreffion de ce double
droit. académie n’ayant pu lui faire accepter autrement
le, fècrétariat, chercha les moyens de l’en dédommager.
; ,
Depuis plufîeups années il étoit dû à la compagnie
pour 33000 livres.de jetons;, dont la diftribution avoit
étçfufpendue dans des temps malheureux. Qn propofa
Grauaï. ï r L it t é à a t , Taine J,
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au mîniftre de convertir eê fonds en une penfion de
1 zoo livres attachée au fècrétariat, ce qui fut accepté
en 1745». M. le comte , depuis cardinal de Remis ,
employa de plus fon crédit, pour faire affigner au
fècrétaire un logement dans le Louvre. C ’eft le fécond
article du règlement que le roi donna le 30 mai 175a.
Règlement uniquement figné de la main du roi, fans
le contre-fèing d’un fècrétaire d’E tat, attendu que
Sa Majefté s’eft réferyé à elle feule i’aduuniftration
de Y académie.
Quoique les corps .ne doivent faire de changement
dans leurs ufàges qu’avec la plus grande circonfpec-
tion , il y en a que le temps rend néceflaires. La
plupart des fiijets propofés pour le prix d’Éloquence ,
étoient de Morale , & la chaire offre afîèz de-modèles
& d’occafîons de s’exercer fur'cette matière.
U académie crut devoir propofèr des fùjets d’un
genre plus neuf. A l’égard du prix de Po.éfie, les
louanges* de Louis XIV" en faifoient depuis long
temps la matière ; & quel que foit le mérite d’un
prince, ce fùjet n’eft pas inépuifàble. Ces confîdé-
rations firent naître l’idée de propofèr pour prix d’Éloquence
les éloges des hommes iiluftres de la
nation dans tous les genres, fans acception de rang ,
de titres , ni de naiifance. Rois , guerriers , magistrats
, miniftres, philofophes , hommes de génie ,
tous ont les mêmes droits à notre hommage. L ’académie
n’envifàge que la fùpériorité personnelle de
chacun fur fès rivaux, fùpériorité qui n’eft jamais
mieux décidée qu’après la mort.
Le Public a hautement applaudi au parti que
nous prenions ; il continue d’applaudir au choix des
fùjets ; il a témoigné fbn eftimepour l’auteur qui remporta
les premiers prix, & qui a fourni des modèles
à ceux qui couroient la même carrière. Lès autres
académies ont adopté notre plan. Le Public n’a pas
moins approuvé la liberté que nous laiflons aux poètes
de traiter les fùjets que le génie leur infpire.
Les pièces du concours ont été depuis , dans les
deux genres, fùpérieures à ce qu’elles étoient cojn-
munément autrefois : tel qui n’obtient aujourd’lïtrî
qu’un acceffit, l ’emporte fùr des ouvrages qui ont
été couronnés , & nous fait quelquefois regretter de
n’avoir qu’un prix à donner.
L ’académie, étant obligée de donner une nouvelle
édition de fbn Dictionnaire lorfque la précédente^eii
épuifée , ne peut fè difpenfèr de faire les additions &
les changements qu’exige néceflairement toute langue
vivante. C ’eft une attention qu’elle a oue dans le
Dictionnaire qu’elle a préfènté au roi le 10 J anvier
, i ? 6 i» ■ . ' .
L ’étude des fciences exaCtes & des différentes
parties de la Phyfîque, s’eft tellement étendue depuis
quelques années , qu’il falloit ajouter au vocabulaire
les termes qui font propres aux fciences &
aux arts dont on s’occupe plus communément qu’oa.
ne faifbit autrefois. On a donc admis dans la noür-
velle édition les termes élémentaires des fciences ,
des arts , & même des métiers , qu’un homme de
Lettres & tojit homme du monde peuvent trouvée