
plaifir & dans le déplaifir. Les objets fie flous af-
îèâent pas précifément comme nous le fouliaiterions;
les uns font. fur notre ame une imprelfiqn néceffaire
de plaifir; d’autres nous déplaifont néceffairement :
tout le pouvoir de notre volonté fe réduit' à rechercher
la première forte d’objet, & à fuir l’autre :
'c’eft la conftitution même de notre nature, quelquefois
individuelle , qui nous rend les uns agréables
& les autres défagréàbles.
1 ° , Il n’elï peut-être aucun objet, qui puifle affecter
notre ame, fans lui être plus ou moins une oc-
cafion néceffaire de plaifir ou de déplaifir. Une figure
, un ouvrage d’Architeélure ou de Peinture , une
compofîtion de Mufique, une aérien,- un fontimënt,
un caractère, une exprefïion , utvdifcours ; toutes ces
choies nous plaifènt ou nous déplacent de quelque
manière. Nous (entons que le plaifir pu le*déplaifîr
s’excite néceiFairement par la-contemplation de l’idée
qui fe préfente alors à notre efprit avec toutes Ces
circonftancés. Cette impreffion fè fait, quoiqu’il n’y
ait rien dans quelques-unes de ces idées de ce qu’on
appelle ordinairement perceptions fenjîbles ; &
dans celles qui viennent des fens , le plaifir ou le
déplaifir qui les accompagne , naît de l ’ordre ou du
dé {ordre, de ^rangement ou du défaut de fjmmé-
trie, de l’imitation ou de la bizarrerie qu’on remarque
dans les objets ; & non des idées fimples de la couleur,
du fon , & de l’étendue, confidérées folitaire-
ment.
3°. Cela pofé, j’appelle , dit M. Hutchefon , du
nom de fens internes, ces déterminations de l’ame
à fè plaire ou à fè déplaire à certaines formes ou à
certaines idées, quand elle les confîdère : & pour
diftinguer les fens internes des facilités corporelles
connues fous ce nom, [’appelle fens interne du Beau,
la faculté qui dilcerne Je Beau dans la régularité ,
l ’ordre, & l’harmonie ; Stfens interne.du B on , celle
qui approuve les âffeétions-, les aétions, lès caraéfè-
res des agents raifènnables & vertueux.
4°. Comme les déterminations de l’ame à feplairé-
ou à fè déplaire à certaines formes ou à certaines
idées, quand elle les confîdère,.s’obfervent dans tous
les hommes , à moins qu’ils ne foient flupides ; fans
rechercher encore ce que c’eft que le Beau, il eft
confiant qu’il y a dans tous les hommes un fens naturel
& propre pour cet objet ; qu’ils s’accordent à
trouver de la Beauté dans les figures , auffi généralement
qu’à éprouver de Ja douleur à l’approche
d’un trop grand feu, ou du plaifir à manger quand
ils font prefles par l’appétit, quoiqu’il y ait entre,
eux une diverfîté de goûts infinie.
5 ®. Aufîi tôt que nous naifîôns, nos fens externes
commencent à s’exercer & à nous tranfmettre des
perceptions des objets fènfîbles; & c’eft là fans doute
ce qui nous perfûade qu’ils font naturels. Mais les
objets de ce que j’appelle des fens internes, ou
les fens du Beau & du B o n , ne fè préfèntent pas fi
tôt à notre efprit. Il fè paffe du temps avant que les
enfants réfléchifiènt, ou du moins qu’ils donnen.t
des indicés de réflexion fur les proportions, rçfièmblafices,
8c fymmétries, for fès affè&iofls 8c fès c'âraC»
tères : ils ne connoilfent qu’un peu tard les choies
qui excitent le goût ou la répugnance intérieure ; &
c’eft là ce qui fait imaginer que ces facultés que
j’appelle les fens internes du Beau & du B o n , viennent
uniquement de l’inftruétion & de l’éducation.
Mais quelque notion qu’on ait de la iriu & de la
Beauté, un objet vertueux ou bon eft uneoccafîon
d’approbation & de plaifir, aufïî naturellement que
des mets font les objets de notre appétit. Et qu’importe
que les premiers objets fè foient prélèntés tôt
ou tard ? fi les fens ne fè dèveloppoient en nous que
peu à peu & les uns après les autres , en feroient-
ils moins des fens & des facultés? & forions-nous
bien venus à prétendre , qu’il n’y a vraiment dans les
objets vifîbies, ni couleurs, ni figures, parce que nous
aurions eu befoin de temps & ainftruétions pour les
y appercevoir , & qu’il n’y aurait pas, entre nous tous,
deux perfonnes qui les y appercevroient de la même
manière ?
6°. On appelle Senfations , les perceptions qui
s’excitent dans notre ame à la préfènce des objets extérieurs
, & par l’imprefifion qu’ils" font for nos organes.
Et iorfque deux perceptions diffèrent entièrement
l’une de Fautre , & qu’elles n’ont de commun
que le nom générique de Senfation, les facultés
par ielquelles nous recevons ces différentes
perceptions , s’appellent des fens differents. La
vûe & Fouie, par exemple, défîgnent des facultés
différentes , dont l ’une nous donne des idées de
couleur, & l ’autre les idées du fon : mais quelque
différence que les fons ayent entre, eux., & les couleurs
entré elles, on rapporte il un meme fons toutes
les couleurs , & à un autre fons tous les fons ; 8c
il paroît que nos fens ont chacun leur organe. Or fi
vous appliquez Fobforvation précédente au Bon & au
Beau y vous verrez qu’ils font ei#étement dans ce
cas.
7°. Les défenfours du fens interne entendent par
Beau y l ’idée que certains; objets excitent dans-notre
ame ; & par \efens interne du Beau , la faculté que
nous avons de recevoir cette idée : & ilsobier vent
que les animaux ont des facultés fomblables à nos
fens extérieurs , & qu’ils les ont même quelquefois
dans un degré fopérieur à nous 3 mais qu’il n’y en
a pas un qui donne un ligne de ce qu’on entend ici
par fens interne. Un être, continuent-ils, peut donc
avoir en entier la même fenfetion extérieure que nous
éprouvons, fans oblèrver , entre les objets , les refo
femblances & lés rapports ; il peut même difeerner
ces reffèniblances & ces rapports, fans en reflèntir
beaucoup de plaifir ; d’ailleurs les idées foules de la
figure & des formes ,& c . font quelque chofe de difo
tinft du plaifir. Le plaifir peut Ce trouver*où les
proportions ne font ni confidérées ni connues ; il peut
manquer, malgré toute l’attention qu’on donne à l’ordre
& aux proportions* Comment nommerdns->nous
donc cette faculté qui agit en nous , fans que nous
fâchions ..bien pourquoi ? Sens, interne..
8 °. Cette dénomination eft fondée for le rapport
8e la faculté tju’elle défîgne avec les autres facultés.
Ce rapport confifte principalement en ce que le
plaifir que Ce fens interne nous fait. éprouver , eft
different de la connoiffanee des principes. La con-
noilfance des principes peut Faccroitre ou le diminuer
: mais cette connoiffanee n’eft pas lui ni fit caulè.
Ce feris a des plaifîrs néceffa ires-, car la Beauté &
la Laideur d’un objet eft toujours la même pour nous,,
quelque delfein que nous publions former d’en juger
autrement. Un objet défagréable /pour être utile,
ne nous en paroît pas plus beau ; un bel objet, pour
être nuifîble, ne nous paroît pas plus laid. Propôfez-
nousle monde entier, pour nous contraindre parla
récompenfo à trouver belle la Laideur, & laide la
B eauté ; ajoutez à ce prix les plus terribles menaces.:
vous n’âpporterez aucun changement à nos perceptions
8c aji jugement du fens interne ; notre bouche
louera ou blâmera à vôtre gré , mais le fens
interne reliera incorruptible.
9°. Il- paroît dé là , continuent les mêmes fyfté-
matiques, que Certains objets font, immédiatement
& par eux-mêmes, les occafîons du plaifir que donne
la Beauté; que nous avons un fons propre à le
goûter ; que ce plaifir eft individuel , & qu’il n’a
rien de commun avec l’intérêt. En effet, n’arrive-
t-il pas en cent occafions xju’on abandonne l’utile
pour le Beau? cette généreulè préférence ne fè remarque
t-elle pas quelquefois dans les conditions
les plus méprifeès ? Un honnête artifen fe livrera à
la fetisfa&ion de faire un chef-d’oeuvre qui le ruine,
plus tôt qu’à l’avantage de faire un ouvrage quii’en-
richiroit.
.. 10 Si on ne joîgnoit pas à la confédération de
l’utile , quelque fondaient particulier , quelque effet
fobtil d’une faculté differente de l’entendement &
de la volonté ; on n’eftimeroit une maifon que pour
fon utilité , un jardin que pour la fertilité , un habillement
que pour là commodité. Or cette eftima-
tion étroite des cholès n’exifte pas thème dans les
enfants & dans les feuvages. Abandonnez la nature
à „elle-même, & le fons interne exercera fon empire* :
peut-être fe trompera-t-il dans fon objet, mais la
fenfetion de plaifir n’en fora pas moins téëlle. Une
Philolophieauftère, ennemie du luxe , brifera les fta-
tues , renverfera les obélilques , transformera nos.
palais en cabanes , & nos jardins en forêts : mais elle
n’en fondra pas moins la Beauté réelle de ces objets ;
le fons interne fo révoltera entre elle , & elle fora
réduite à fo faire un mérite de fon courage,,
C ’eft ainfi , dis je , que Hutchefon & fès foifta-
teurs s’efforcent d’établir la néceffité du fens interne
du Beau : mais ils ne parviennent qu’à démontrer
qu’il y a quelque chofè d’obfeur & d’impénétrable
dans le plaifir que le Beau nous caulè ; jque ce plaifir
femble indépendant de la connoilfance des rapports
& des perceptions ; que la vûe de Futile n’y
entre pour rien ; & qu’il fait des enthoufiaftes, que
ni les récompenfes ni les menaces ne peuvent
ébranler.
Du refte, çes phjjofophes diftinguent dans les êtres
corporels un Beau abfolu & unBeau relatif Ils n’entendent
point par un Beau abfolu , une qualité tellement
inhérente dans l’objet, qu’elle le rend beau
par lui-même , fans aucun-rapport, à l’ame qui le
voit & qui en juge. Le terme Beau, femblable aux
autres noms des idées fonfîbles ; défîgne proprement
felon eux, la percepdon d’un efprit; comme le froid
& le chaud , le doux & l’amer , font des fonfàtions
de notre ame , quoique fàns doute il n’y ait rien qui
refFemblé à ces.lènfiatiqns dans les objets qui les excitent,
malgré la prévention populaire qui en juge
autrement. On ne voit pas ' difènt - ils , comment les
objets pourraient être appelles beaux y s’il n’y avoit
pas un efprit doué du fens de la Beauté pour leur
rendre hommage. Ainfi,par le Beau abfolu, ils n’entendent
que celui qu’on reçonnoît en quelques objets,
fens les comparer à aucune çholè extérieure dont
- ces objets foient l’imitation & la peinturé ; telle eft,
dilènt-îls , la Beauté que nous appercevons dans les
ouvrages de la nature , dans certaines formes artificielles
, & dans les figurés, les folides, les fur faces:
& par. Beau relatif, ils entendent celui qu’on
apperçoit dans des objets çonfîdérés communément
cçmme.des imitations & dès images de quelques-autres.
Ainfi, leur divi.fîon a plus tôt fon fondement dans
les differentes fources du plaifir que le Béait nous
caulè, que dans des objets : car il eft confiant que le
Beau cù>folu a , pour ainfi dire , un Beau relatif \ 8c
le Béait relatif, ùn Beau abfolu.
Du Beau abfolu , felon Hutchefon & fe s fecîa-
teurs^. Nous avons fait fentir, dilent-ils, la nécefe
fîté d’un fens propre qui nous avertit par le plaifir de
la préfènce du Beau ; voyons maintenant quelles doivent
être les qualités d’un objet pour émouvoir ce
fons. Il ne faut pas, oublier, ajoutent-ils , qu’il ne
s’agit ici de ces qualités que relativement à l’homme;
car il y a certainement bien des objètsjqui font fut
eux Fimpreflïon de B ea uté ,8c qui déplacent à d’autres
animaux. Ceux-ci, ayant des fons & des organes
autrement conformés que les nôtres, s’ils étoient
juges du B ea u , en’ attacheraient des idées à des formes
toutes differentes. L ’ours peut trouver fe caverne
commode ; mais il ne la trouve ni belle ns
laide ; peut-être, s’il avoit le fens interne du Beau , 1a
regarderait-il comme une retraite délicieufe. Remarquez
en paflânt, qu’un être bien maiheureux,
ce forait celui qui aurait le fons interne du B ea u , &
qui ne reçonnôitroit jamais le Beau que dans les objets
qui lui foraient nuinbles : la providence y a
pourvu par rapport à nous ; & une chofe vraiment
belle eft affez ordinairement une chofe bonne.
Pour découvrir l’occafîori générale des idées dû
Beau parmi lès hommes , les foélateurs d’Hutchefon
examinent les êtres les plus fimples, par exemple,
les figures; 8c ils trouvant qu’entre des figuras, celles
que nous nommons belles , offrent à nos fons Fu-
niformité dans la variété, fis afférent qu’un triangle
équilatéral eft moins beau qu’un quatre, un pentagone
irçoins beau qu’un hexagone , 8c ainfi de fuite;
parçe quç les objets également uniformes font d’au