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marquées dans l ’écriture par des %nes particuliers ,
que les anciens grammairiens ont aufli appelés accents
; ainfi, ils ont donné le même nom à la chofe &
au ligne dé la choie.
Quoique l’on dite communément que ces lignes ,
ou accents, font une invention qui n’eft pas trop ancienne
, & quoiqu’on montre des manulcrits de mille
ans, dans lefquels on ne voit aucun de ces lignes, &
où les mots font écrits de fuite fans être leparés les
uns des autres ; j’ai bien de la peine a croire que lorsqu’une
langue a eu acquis un certain degré de perfection
, lorlqu’elle a eu des orateurs & des poètes,
& que les mules ont joui de la tranquilité qui leur eft
nécefîàire pour faire ulàge de leurs talents; j’ai ,
dis je , bien de la peine à me perlùader qu’alors les
copiftes habiles n’ayent pas fait tout ce qu’il falloit
pour peindre la parole avec toute l’exaditude dont
iis étoient capables; qu’ils n’ayent pas léparé les mots
par de petits intervalles , comme nous les Séparons
aujourd'hui ; & qu’ils ne lé fôient pas 1er vis de quelques
lignes pour indiquer la bonne prononciation.
Voici un palTage de Cicéron qui me paroît prouver
bien clairement, qu’il y avoit de Ion temps des
notes ou lignes-dont les copiftes failôient ulàge.
Hanc diligemiam fubfequiturmodus etiam &Jfbrma
verbomm.... Verjus enirn veteres i ll i inhâc fo lu tâ
oradone propemodum , hoc e j l , numéros quoflam
nobis ejfe adhibendos putaverunt : interfpirationis
enirn, non defadgadonis nojîroe, ne que L ib r a r io -
r u m n o tis , fed y verbôrum. & fentendarum modo ,
interpunctas claufuLasin oraûonïbus ejfe voluerunt ;
idque princeps Ifocrates injlituijfe fen u r . Cic.
O r a d xjjv. 17 3. « Les anciens, dit-il, ont vou-
y> lu qu’il y eût dans la proie même des interval-
» le s , des réparations, du nombre, & de la mefure,
» comme dans les vers : & par ces intervalles , cette
» mefure, ce nombre, ils ne veulent pas parler ici
?» de ce qui eft déjà établi pour la facilité de la refi-
» piràtion & pour lôulager la poitrine de l’orateur,
» ni des notes ou lignes des copijles ; mais ils veulent
» parler de cette manière de prononcer qui donne
e. de Famé & du lèntiment aux mots & aux phralès , ■
» par une forte de modulation pathétique ». Il me
lèmble que l’on peut conclure de ce palTage, que les
lignes , les notes , les accents étoient connus & prati-.
qués dès avant Cicéron, au moins, par les copiftes
habiles.
Ifidore , qui vivoit il a environ; douze-cents ans,
après avoir parlé des accents, parle encore de certaines
notes qui étoient en ulàge, dit-il, chez les
auteurs célèbres, & que les anciens avoient inventées
, pourlîiit-il, pour la diftin&ion de l’écriture,
i la diverfité des paffioiis ; il en eft tout à la fois le produit,
le ligne, & fou vent la caufe. _ _
Ce qu’on nomme accent national ou provincial nefauroit
entrer dans.ee fyftéme j ce n’eft que Penfemble des inflexions
de voix ûlitées dans, une nation ou dans une province particulière
; comme ces variations ne peuvent être qu’arbitraires
, elles ne peuyent tomber que fur Vaccent métrique oji
l’accent tonique difcurfif, ( M* BV4VZÉE. )
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& pour montrer la raifôn, c’eft à dire , le mode, la
manière de chaque mot & dè chaque phralè. Prcete-
rea queedam fentendarum notoe apud celebernmos
auHores fuerunt, qüafque antiqui, ad dijîinclio-
nem feripturarum * car minibus '& h'ijloriis appofue-
runtaddemonjlrandam unamquimque verbifen-
tendarumque ac verfuum radonem. Ilîdor. I. Orig.
x x . ^ jf
Quoi qu’il, en Toit, il eft certain que la manière
d’écrire a été lu jette à bien des variations,. comme
tous les autres arts,. L ’Architedure eft-elle aujourd’hui
en Orient dans le même état où elle étoft
quand on bâtit Babylone ou les pyramides d’Égypte?
Ainfi , tout ce que l’on peut conclure de ces manuf-
crits , où l ’on ne voit ni diftance entre les mots , ni
accents , ni points , ni virgules ; c’eft qu’ils ont été
écrits, ou dans les temps d’ignorance ,ou par des copiftes
peu inftruits.
Les grecs paroiffènt être les premiers qui ont in-
' troduit l ’ulàge des accents dans l’écriture. L ’auteur de
la Méth. grèque de P . R . ( p. 546 )• oblerve que la
bonne prononciation de la langue grèque étant naturelle
aux grecs, il leur étoit inutile de la marquer
par des accents dans leurs écrits ;qu’ainfi, il y a bien
de l’apparence qu’ils ne commencèrent à en faire
ulàge que lorlque les romains , curieux de s’inftruire
de la langue grèque, envoyèrent leurs enfants étudier
à Athènes. On longea alors à fixer la prononciation
&'à la faciliter aux étrangers ; ce qui.arriva , pourrait
cet auteur, un peu avant le temps de Cicéron
.A
u refte ces accents des .grecs n’ont eu pour objet
que les inflexions de la. voix, en tant qu’elle peut
etre ou èlevée ou rabaiffee.
U accent aigu ' , que l’on écrivoit de dro’ite à gauche
, marquoit qu’il falloit élever la voix en pro-<
nonçant la voyelle fur laquelle il étoit écrit.
Uaccent grave ' , ainfi écrit, marquoit au contraire
qu’il falloit rabaifler la voix.
U accent circonflexe eft compofë de l’aigu & du
grave A ; dans la fuite les copiftes l ’arrondirent de
cette manière'"', ce qui n’eft en ulàge que dans le
grec. Cet accent étoit deftiné à faire entendre qu’a-
près avoir d’abord élevé la voix, il falloit la rabaifler
fur la même fyllabe.
Les latins ont fait le même ulàge de ces trois accents.
Cette élévation & cette dépreflion de la voix étoient
plus lènfîbles chez les anciens, qu’elles ne le font
parmi nous ; parce que leur prononciation étoit plus
lôutenué &plus chantante. Nous ayons pourtant aufli
. élèvement & abaiflèment de la voix dans notre manière
-de parler , & cela indépendamment des
autres mots de la phrafe ; enfprte que les fyllabes de
nos mots font- élevées & baillées félon Vaccent pro-
fôdique ou tonique , indépendamment de Yaccent
pathétique -, c’eft à dire, du ton que la paflïon & le
fèntiment font donner à toute la phralè : car i l ejl
de la nature de chaque voix , dit l’auteur de la Méthode
grèque de P . R ( p. 5 51 ) d’avoir quelque élè-
' vemenp qui foudenne la prononciation,} & cet élève-
\ ment
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ment ejl enfuitê modère' & diminue, & ne porte pas
fu r les fyllabes fuivantes.
Cet accent profôdique, qui ne confîfte que. dans,
l ’élèvement ou l ’abaiffèment de la voix en certaines
fyllabes , doit être bien diftingué du ton pathétique
ou ton de fèntiment. .
Qu’un gafeon, fôit en interrogeant , fôit dans
quelque autre fituation d’efprit ou de coeur, prononce
le mot d'examen, il èlevera la voix fur la
première fyllabe, la foutiendra fur la féconde, & la
-laifîèra tomber fur la dernière, à peu près comme
nous laiffons tomber nos e muets ; au lieu que les
perfonnes qui parlent bien ftançois, prononcent ce
mot, en toute occafion, à peu près comme le daétyle
des latins , en élevant la première, paflant vite lur
la fécondé , & foutenant la dernière. Un gafeon , en
prononçant ca d is , élève la première fyllabe c a , &
laifler tomber d is , comme fi dis étoit un e muet ; au
contraire, à Paris, on élève la dernière dis.
Au refte, nous ne fbmmes pas dans l ’ulàge de
marquer dans l’écriture, par des lignes ou accents,
cet élèvement & cet abaiflement de la voix ; notre
prononciation, encore un coup , eft moins fôutenue
& moins chantante que la prononciation des anciens :
par conféquent la modification , ou ton de voix
dont il s’agit, nous eft moins lènfible ; l ’habitude
augmente encore la difficulté de démeler des différences
délicates. Les anciens- prononçoient, au
moins leurs vers , de façon qu’ils pouvoient mefiirer
par des battements la durée des lyllabes. Adfuetam
moram po llic is fonore v e l p lou fu pèdis diferimi-
nare , qui docent artem , fo len t { Terentianus Mau-
rus d eMe tris , fub med. ) ; ce que nous ne pouvons
faire qu’en chantant. Enfin, en toutes fortes à’accents
oratoires , fôit en interrogeant, en admirant, en
nous fâchant, &c. les fyllabes qui précèdent nos e
muets, ne font-elles pas fôutenues & élevées comme
elles le font dans le dilcours ordinaire ?
Cette différence entre la pon&uation des anciens
& la nôtre j me paroît être la véritable railôn pour
laquelle, quoique nous ayons une quantité comme
ils en avoient une, cependant la différence de nos
. longues & de nos brèves n’étant pas également fèn-
fible en tous nos'mots, nos vers ne font formés que
par l ’harmonie qui rélulte du nombre des fyllabes ;
au lieu que les vers grecs & les vers latins tirent leur
harmonie-du nombre des pieds aflôrtis par certaines
combinailôns de longues & de brèves.
« Le da&yle , l’ïambe , & les autres pieds entrent
» dans le dilcours ordinaire , dit Cicéron, & l’audi-
» teur les reconnoît facilement, eos fa c ilè agnofeit
» auditor. (C ic . Orat. Ivj. 189). Si , dans nos
» théâtres , ajoute-t-il, un a «fleur prononce une lyl-
» labe brève ou longue autrement qu’elle ne doit
» être prononcée félon l’ulàge, ou d’un ton grave
» ou aigu, tout le peuple lé récrie. Cependant,
» pourfiiit-il, le peuple n’a point étudié la règle de
» notre Prolôdie ; léulement il fent qu’il eft bleffe
par la prononciation de l’adeur : mais il ne pour-
» roit pas démêler en quoi, ni comment ; il n’a lur
• Gramm. e t L i t t ê r a t , Tome I.
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fi Ge point d’autre règle que le dilcemeitlfifft de Fo-
» reille; & avec ce fèullécours, que la nature &
» Fhabitude lui donnent, il connoît les longues & les
» brèves, & diftingué le grave de l’aigu ». Theatra
toia exclamant, Ji fu it una fyllaba brevior aut
longior. Nec vero muldtudo pedeS novit, nec ullos
numéros tenu.; née illud quod ojfendit, aut cur,
aut in quo offèndat intelligit : & tarnen omnium
longitudinum & brevitatum in fo n is , ficut acuta-
rum graviumque vocum , judicium ipja natura in
auribus nofiris collocavit, ( Cic. Orat. Ij. 173. )
Notre Parterre démêle avec la même fineffè ce qui
eft contraire à l ’ufàge de la bonne prononciation ; &
quoique la multitude ne fâche pas que nous avons un
e ouvert, une fermé, & une muet, Fadeur qui pro-,
•nonceroit l ’un au lieu de l’autre léroit fîfflé.
L e célèbre Lulli a eu prefque toujours une extrê-«
me attention à ajufter lôn chant à la bonne prononciation
: par exemple j il ne fait point de tenue fur
les lyllabes brèves : ainfi dans l ’opéra d’Aùs ,
Vous vous éveillez lî matin,
Y a de matin eft chanté bref, tel qu’il eft dans le
dilcours ordinaire; & un adeur qui le feroit long ,
comme il l ’eft dans mâtin, gros chien., léroit également
fîfflé parmi nous, comme il l ’auroit été chez
les anciens en pareil cas.
Dans la grammaire grèque, on ne donne le
.nom accent qu’à ces trois lignes, l’aigu ', le gravé g
& le circonflexe", qui lérvoient à marquer le ton ,
c’eft à dire, l’élèvement & l’abaiflèment, de la voix :
les autres lignes , qui ont d’autres ulàges , ont d’autres
noms, comme Yefprit rude, Yefprit doux , &c.
C ’eft une queftion s’il faut marquer aujourd’hui
ces accents & ces efprits lur les mots grecs : le P.
Sanadon, dans là préface lùr Horace, dit qu’il écrit
le grec fans accents.
En effet, il eft certain qu’on ne prononce les mots
des langues (mortes que félon les inflexions de la
langue vivante ; nous.ne faifôns féntir la quantité du
grec & du latin que fur la pénultième fyllabe , encore
faut-il que le mot ait plus de deux fyllabes :
mais à l’égard du ton ou accent, nous avonS\perdu
fur ce point l ’ancienne prononciation. Cependant,
pour ne pas tout perdre , & parce qu’il arrive fou-
vent que deux mots ne diffèrent entre eux que par
Y accent, je crois , avec Fauteur de la Méthode
grèque de P. R. que nous devons conférver les
accents en écrivant le grec : mais j’ajoûte que nous ne
devons les regarder que comme les lignes d’une prononciation
qui n’eft plus ; & je fuis perfuadé que les
lavants qui veulent aujourd’hui régler leur pronon-r-
ciation fur ces accents , féroient fifflés par les grecs
même , s’il étoit polïible qu’ils en fuflènt entendus.
A l’égard des latins , on croit communément que
les accents ne furent mis en ufàge dans l’écriture,
que pour fixer la prononciation & la faciliter aux
étrangers.
Aujourd’hui, dans la grammaire latine, on ne
donne le nom accent qu’aux trois lignes dont nous
G