
M. Freret l’appuya d’un fait qui mérite d’être remarqué.
Arcadio H.oangh , chinois de naiflancè &
très-inftruit de fà langue , étant à Paris , un habile
mufîcien, qui fentît que cette langue eft chantante ,
parce qu’elle eft remplie de monofyllabes dont les
accents (ont très-marqués pour en varier & déterminer
la lignification , examina dès intonations en les
comparant au (on fixe d’un infiniment. Cependant
il ne put jamais venir à bout de détérminer le degré
d’élévation ou d’ abaiflêment des inflexions çhi-
noifes. Les plus petites divifions du ton , telles que
l ’eptaméride de M. Sauveur, ou la différence de la
quinte jufie à la quinte tempérée pour l’accord du
clavecin , êtoient encore trop grandes, quoique cette
eptaméride fôit la quarante - neuvième partie du
ton, & la feptième du comma : de plus, la quantité
des intonations chinoifês varioit prefque à chaque fois
que Hoangh les répétoit; ce qui prouve qu’il peut y
avoir encore une latitude fènfible entre des inflexions.
très-délicates, & qui cependant font allez diftindes
pour exprimer les idées différentes.
S’il n’efi pas poflible de trouver dans la proportion
harmonique des fù b divifions capables d’exprimer
les intonations d’une langue , telle que la chlnoife
qui nous paraît très-chantante , où trouveroit-on des
fubdivifîons* pour une langue prefque monotone
comme la nôtre ?
La comparaifon qu*on fait des prétendues notes de
la Déclamation avec celles de la Chorégraphie d’au-
jourdhui, n’a aucune exaditüde , & appuie meme
mon fêntiment. Toutes nos danfês font composées d’un
nombre de pas allez bornés , qui ont chacun leur
nom, & dont la nature eft déterminée. Les notes
chorégraphiques montrent au danfêur quels pas il
doit faire , & quelle ligne îl doit décrire fur le
terrain ; mais c’eft la moindre partie du danfêur :
ces notes ne lui apprendront jamais à faire les pas
avec grâce ; à régler les mouvements du corps,. dès
feras, de la tête, en un mot toutes les attitudes convenables
à fà taille, à fà figure, & au caradère de
fk dànfê.
Les notes déclamatoires n’auroient pas même l’utilité
médiocre qu’ont les notes chorégraphiques.
Quand on accorderait que les tons de la Déclamation
feraient déterminés, & qu’ils pourraient être
exprimés par des., lignes ; ces lignes formeraient un
didionnaire fi étendu, qu’il exigerait une étude de
plufîeurs années. La Déclamation deviendrait un
art encore plus difficile que la Mufîque des anciens,
qui avoit 1620 notes. Aufïi- Platon vèut-il que les
Jeunes gens , qui ne doivent pas faire leur profeffion
de la Mufîque, n*y facrifîent que trois ans.
Enfin cet art, s’il étoit poflible,ne fêrviroit qu’à
former des adeurs froids , qui par l’affedation &
une attention fêrvile défigureraient l’expreffion que le
fêntiment foui peut infpi’rer ; ces notes ne donneraient
ni. la fineffe, ni la délicatéfle, ni lai grâce-, ni la
chaleur , qui font lé mérite des adeürs & lé plaifîr
des fpedateurs.
De ce que je viens d’expofor, il ré fuite deux
chofos. L ’une eft Fimpoffibilité de noter les tons déclamatoires,
comme ceux du chant mufical, fôit
parce qu’ils ne font pas fixes & déterminés, (bit parce
qu’ils ne fiiivent pas lés proportions* harmoniques ,
fôit enfin parce que le nombre en forait infini. La féconde
eft l’inutilité dont foraient ces notes, qui for-
viraient tout au plus à conduire des adeurs médiocres
g en les rendant plus froids qu’ils ne le feraient1
en fùivant la nature.
Il rafle une queftion de fait à. examiner, fàvoir fî
les anciens ont eu des notes pour leur Déclamation•
Ariftoxène dit qu’il y a un chant du difoours qui
naît de la différence des accents ; & Denis d’H ali-
carnaflê nous apprend que chez les grecs l’élévation
de la voix dans l’accent aigu , & fôn abaiflêment
dans le gravé , étoient d’une quinte entière ; & que
dans l’accent circonflexe , compofé des deux autres,
la voix parcourait deux fois la même quinte en montant
& en defeendant fur la même fyllabe.
Comme il n’y. a voit dans la langue grèqne aucun
mot qui n’eût fon accent, ces élévations & abaiflè-
ments continuels d’une quinte dévoient rendre la
prononciation grèque affez chantante. Leslatins (Cic.
orat. 57. Quint. /. IX . ) avoient, ainfi que les grecs,
les accents aigu, grave , & circonflexe ; & ils y joi-
gnôient encore d’autres lignes , propres à marquer
les longues, les brèves , les repos , lés fùfpenfîons,
l’accélération , &c. Ce font ces notes de la prononciation
dont parlent les grammairiens des/fîècles pofté-
rieurs, .qu’on aprifospour celles de la Déclamation.
~ Cicéron, en parlant- des accents , emploie le
terme général - deJbrnts , qu’il prend encore dans
d’autres acceptions*
On ignore quelle étoit la valeur des accents chez
les - latins ; mais on fait qu’ils étoient, comme les
grecs, fort fênfibles à l ’harmonie du- difoours : ils
avoient dès longues & des brèves, les premières en
général doubles des fécondes dans leur durée ; & ils
en avoient auffi d’indéterminées-, irrationales. Mais
nous ignorons la valeur de ces durées, & nous ne
fàvons pas davantage fi dans les accents on partoit
d’un ton fixe & déterminé. -
Cbmme l’imagination ne peut jamais fûppléer au
défaut des impreffions reçues par les fons, on n’eft
pas plus en état de fê repréfonter des fons qui n’ont
pas frappé l’oreille, que des couleurs qu’on*n’a pas
vues, ou des odeurs & des faveurs qu’on n’a pas
éprouvées. Ainfi, je doute fortqueles Critiques qui
fo font le plus enflammés fur le mérite de l’harmonie
des langues grèque & latine, ayent jamais eu
une idée bien reflemblante des chofos dont ils partaient
avec tant de chaleur. Nous fàvons qu’elles
avoient une harmoniè ; mais nous dëvons avouer
qu’elles n’ont plus-rien de femblable , puifque nous
les prononçons avec les intonations & les inflexions
de notre langue naturelle qui font très-différentes ■
Je fuis perfiiadé que nous forions fort choques de
la véritable Profodie des anciens ; mais comme en
fait de fonctions l’agrément & le défàgrément dépendent
de l’habitude des organes , les grecs & les.
somaîns pouVoient trouver de grandes beautés dans
ce qui nous dcplairoit beaucoup.
Cicéron dit que la Déclamation met encore une
■ nouvelle modification dans la voix ,.dont les inflexions
fuivoient les mouvements de l’ame ('Orator, xvij. $ 5.)
Vods mutaùonts totidem. fum , quoi ammorUm qui
-maximè voce moventur ; & il ajoute q u t ly a une
efpèce de chant dans la récitation antmee du Ample
difcours : EJl etiam in dicendo camus opjcunor.
Ibid, xviij. 57- •' . . H H
Mais cette Profodie qui avoit quelques carafieres
du chant, n’en étoit pas du.véritable, quoiqu il y eut
des accompagnements de flûtes ; fàns quoi il faudrait
dire que Caius Gracchus harangucit en chantant ,
puifqu il avoit derrière lui un efolave ,qui regloit
fes tons avec une flûte. Il eft vrai que là Déclamation
du théâtre , modulatio fcenica, avoit pénétré
dans la tribune; & c’étoit un vice que Cicéron &
Quintilien après lui recommandoient d’éviter. Cependant
on ne doit pas s’imaginer que Gracchus eut
dans fes harangues un accompagnement fuivi. La
flûte ou le tonorion de l’efolaye ne fervoit qu a ramener
l’orateur à un ton modère , lorfque fô v o ix
montoit trop haut ou defcendoit trop bas. Ce Auteur
qui étoit ..caché, derrière’ Gracchus , qui jla r e t oc- :
cultèpojl ipfum , n’étoit vraifemblablement entendu
que de lu i, lorfqu’il falloit donner ou rétablir le ton.
Cicéron , Quintilien, & Plutarque , ne nous donnent
pas une autre idée de l’ufage du tonorion. Quo ilium
aut remifum excitant, aut a contentione revoca-
ret. Cic. III, De orat. Ix. z i* . Cm concionanu con-
(illens pofleummufiçesfiflulâ, quam tonorion vocatu^
modos quibus deberet imendï miniftrabat. Qumtil.
I . x . I l paraît que c’eft le diapafon daujourdhui.
’ » Caïus Gracchus l’orateur , qui étoit de nature
» homme âpre, véhément, & violent en fa façon de
» dire, avoit une petite flûte bien 'accommodée
w avec laquelle les mufîciens ont accoutumé de con-
;» duire tout doucement la voix du haut en bas &
» du bas en haut par toutes les notes pour enfei-
» gner à entonner, & ainfi, comme il haranguoit,
» il y avoit l’un de fes forviteurs qui, étant debout
» derrière lui , comme il fortoit un petit de ton en
parlant, lui entonnoit un ton plus doux & plus
» gracieux en le retirant de fôn exclamation , &
>3 lui ôtant l’âpreté & l’accent colérique de fà voix.»
Plutarque, dans fôn traité Comment il fa ut retenir
la colère, traduction d’Amyot.
Les flûtes du théâtre pouvoient faire une forte d’accompagnement
fuivi, fans que la récitation fût un
véritable chant ; il fiiffifoit qu’elle en eût quelques
earaétères. Je crois qu’on pourroit prendre un parti
moyen entre ceux qui regardent la Déclamation des
anciens comme un chant fomblable à nos opéra, &
ceux qui croient qu’elle étoit du même genre que
,celle de notre théâtre.
de« notes pour indiquer aux aCteurs commençants
les tons qu’ils dévoient employer dans certaines îm-
prefilons , parce que leur Déclamation étoit accompagnée
Après tout ce que je viens d’expofor , je ne ferais
pas éloigné de penfer que les romains avoient un art
de noter la prononciation plus exactement que nous
ne la marquons aujourdhui. Peut-être même y ayeitli
d’une balle de flûtes, & qu’elle étoit d’un
genre abfolument différent de la nôtre. L ’adeur
pouvoit né mettre guère plus de fà part dans la recitation
, que nos aCteurs n’en mettent dans le récitatif
de nos. opéra.
Ce qui me donne cette idée , car ce n’eft pas un
fait prouvé, c’eft l ’état même des adeurs à Rome ;
ils n’étoient pas, , comme chez les grecs, des hommes
libres qui fo deftinoient à une profeflion, qui chez
eux n’avoit rien de bas dans l’opinion publique, ôc
qui n’empéchoit pas celui qui l’exerçoit de remplir
des emplois honorables. A Rome ces adeurs etoient
ordinairement des efclaves étrangers ou nés dans l’efo
clavage : ce ne fut que l’état v il de la perfônne qui
avilit cette profeffion.. Le latin n’ étoit pas leur langue
maternelle, & ceux mêmes qui étoient nés à Rome
ne dévoient parler qu’un latin altéré par la langue de
leurs pères & de leurs camarades. Il falloit donc que
les maîtres qui les drefîôient pour le théâtre com-
mençaiïènt par leur donner la vraie prononciation ,
fôit par rapport à la durée des mefures, fôit par rapport
à l’intonation des accents ; & il eft probable
que , dans les leçons qu’ils leur dpnnoient à étudier ,
ils fe fervoient des notes dont les grammairiens postérieurs
ont parlé. Nous ferions . obligés d’ufer des
mêmes moyens , fi nous avions à former pour notre
théâtre un adeur normand ou provençal, quelqu’in-
telligence qu’il eût d’ailleurs. Si de pareils foins feraient
néceifaires pour une Profodie auffi fimple que
la nôtre, combien en devoit-on prendre avec des
étrangers pour une Profodie qui avoit quelques-uns
des caradères du chant ? Il eft affez yraifomblable
qu’outre les marques de la prononciation régulière ,
on devoit émployer, pour une Déclamation theatrale
qui avoit befoin d’un accompagnement, des notes pour
les élévations & les abaiiïèments de voix d’une quantité
déterminée , pour la valeur précifo des mefures ,
pour preffer ou ralentir la prononciation ,^ ’interrompre
, l ’entrecouper, augmenter ou diminuer la
forcé de la voix, &c. .
Voilà quelle devoit être la fondion de ceux que
Quintilien nomme Artifices pronunciandi. Mais tous
ces fêcours n’ont encore rien ,de commun avec la
Déclamation confîdérée comme étant l’expreffion
. des fontiments & de l’agitation de l’ame. Cette ex-
preffion eft fî peu du raifort de la note, que , dans
plufîeurs morceaux de Mufîque, les compofîteur*
. Xônt obligés d’écrire en marge dans quel caradère
ces morceaux doivent être exécutés. La parole s’ér
crit, le chant fo note ; mais la Déclamation expref*
fîve de l’ame ne fe preferit point ; nous n’y femmes
conduits que par l’émotion qu’excitent en nous les
paffions qui nous agitent. Les adeurs ne mettent de
I vérité dans leur jeu , qu’autant qu ils excitent en
nous une partie de ces émotions. Si vis me fiere ,
I dolendum eft, &c. - s
I A l’égard de la fimple récitation , celle des ra-
A a à a z