
Au refie, fi l’éducation de la Jeünefle efi négligée,
ne nous en prenons qu’à nous-mêmes, &
au peu de confidération que nous témoignons à ceux
qui s’en chargent; c’eft le fruit de cet ^ efprit de
futilité qui règne dans notre nation , & qui abforbe,
pour ainfi dire, tout le refte. En France, on fait
peu de gré à quelqu’un de remplir les devoirs- de
ion état ; on aime mieux qu’il foit frivole.
Voilà ce que l’amour du bien public m’a inspiré
de dire ici lur l’éducation,: tant publique que
privée : d’où il s’enfuit que l’édu cation publique
ne devroit être la reffource que des enfants dont
les parents ne font malheureufement pas en état
■ de fournir à la dépenfo d’une éducation domefii-
que. Je ne puis penfor fans -regret au temps que
j’ai perdu dans mon enfance: c’eft à l’ufàge établi,
& non à mes maîtres, que j’impute cette perte
irréparable; & je voudfois que mon expérience pût
être utile à ma patrie. Exoriare aliquis. ( M»
d’A pÉMBÉRT. )
COMÉDIE, fi f. ( Belles-Lettres.) Ceft l’imitation
des moeurs, mile en aiftion : imitation des
moeurs, en quoi- elle diffère de la Tragédie & du
Poème héroïque ; imitation en adion, en quoi elle
diffère du Poème didactique moral, & du fimple
Dialogue.
Elle diffère particulièrement de la Tragédie dans
(on principe, dans les moyens, & dans fà fin, La fèn-
fibilité humaine efi le principe d’où part la Tragédie;
le pathétique en efi le moyen ; la crainte des pallions
funeftes, l’horreur des grands crimes, & 1 amour des
l u b limes venus font les fins qu elle f o propoie, La
malice naturelle aux hommes efi le principe de la
Comédie. Nous voyons les défauts de nos femblables
avec une comp'laifànce mélée de mépris, lorfque ces
défauts ne font ni afTez affligeants pour exciter la
compafïion, ni allez révoltants pour donner de la
haine , ni affez dangereux pour infpirer de l’effroi.
Ces images nous font fourire, fi elles font peintes
avec fineffe : elles nous font rire, fi les traits de
•cette maligne joie , aufïi frappants qu inattendus ,
font aiguifés par la forprifo. De cette difpofîtion à
fàifîr le ridicule , la Comédie tire fà force & les
moyens. Il eût été fans doute plus avantageux de
changer en nous cette complaifonce vicieufe en une
pitié philofophique ; mais on a trouvé plus facile &
plus fur de faire forvir la malice humaine à corriger
les autres vices de l’humanité, à peu près comme
on emploie les pointes du diamant a polir le diaman
-même. C’eft là l’objet ou la fin de la Comédie. ^
Mal à propos Fa-t-on difiinguée-de la Tragédie
par la qualité des perfonnages : le roi de Thèbes &
Jupiter lui-même, font des perfonnages comiques
dans l’Amphitryon ; & Spartacus .de la même condition
que Sofie, efi un perfonnage tragique à la tête
de fos conjurés. Le degré des pallions ne diftingue
pas mieux la Comédie de la Tragédie : le defofi-
poir de l’Avare, lorfqu’ii a perdu fàcafîette, ne le
cède en rien au défo-'poir de Philodçte, à qui on
enlève les flèches d’Hercule. Des malheurs, des
périls, des fèntiments extraordinaires caradérifent la
Tragédie; des intérêts & des caradères communs confo
tituent la Comédie. L ’une peint les hommes comme
ils ont été quelquefois ; l’autre, comme ils ont coutume
d’être. La-Tragédie efi un tableau d’hiftoire : la
Comédie efi un portrait ; non le portrait d’un feul
homme, comme la fatyre, mais d’ime efpèce d’hommes
répandus dans la fociété, & dont les traits, les
plus marqués font réunis dans une même figure. Enfin
le vice n’appartient à la Comédie qu’autant qu’il efi
ridicule & méprifoble ; dès que le vice efi odieux,
il efi du reffort de la Tragédie : c’eft ainfi que Molière
a fait de l’Impofteur un perfonnage comique
dans Tartufe ; & Shakefpear, un perfonnage tragique
dans Glocejlre : fi Molière a rendu Tartufe odieux
au cinquième ade, c’eft comme Rouffeau le remarque
, par la néceffité de donner le dernier coup de
pinceau à fon perfonnage.
On demande fi la Comédie efi un poème; question
aufïi difficile à réfoudre qu’inutile à propofer ,
comme toutes lesdifputes de mots. Veut-on approfondir
un fon, qui n’eft qu’un fon , comme s’il ren-
fermoit la nature des choies? La Comédie n’eft point
un poème pour celui qui ne donne ce nom qu’à
l’héroïque & au merveilleux : elle en efi un pour celui
qui met Fefîence de la Poéfie dans la peinture.
Un troifième donne le nom de poème a la Comédie
en vers, & le refufo à la Coméd e en profo:
fur ce principe que la .mefore n’eft pas moins ef-
foncielle' à la Poéfie qu’à la Mufique. Mais qu’importe
qu’on diffère for le nom, pourvu qu’on ait
la même idée de la chofo ? L 'Av a re ,,ainfi que le
Télémaque, fera, pu ne fera point un poème ; il
n’en fera pas moins un ouvrage excellent. On dif-
putoit à Adiffbn que le Paradis perdu fût- un poème
héroïque : Hé bien, dit-il, ce fera un poeme divin.
Comme prefque toutes les règles du poeme dramatique
concourent à rapprocher , par la vraifem-
, blance , la fidion de la réalité , l’adion de la Comédie
nous étant plus familière que celle de la Tra-,
gédie, & le défaut de vraifèmblance plus facile
à remarquer, les règles y doivent être plus rigou-
reufoment obforvées : de là cette unité, cette continuité
de caràdère, cette aifonce, cette fimpîi-
cité dans le tiffu de l’intrigue, ce naturel dans
le dialogue , cette vérité dans les fèntiments, cet art
de cacher l’art même dans l’enchaînement des fitua-
tions, d’où réfoite l’illufion théâtrale.
Si l’on confidère le nombre des traits qui carac-
tèrifènt un perfonnage comique , on peut dire que.la.
Comédie efi une imitation exagérée. Il efi bien difficile
en effet, qu’il échappe en un jour à un feul
homme autant de traits d’avance que Molière^ en
a raffemblés dans Harpagon. Mais cette exagération
rentre dans la vraifèmblance , lorfque les traits
font multipliés par des circonftances meriagees avec
art. Quant à la force de.chaque trait, la vraisemblance
a des bornes. L ’Àvare de Plaute examinant
les mains de fon valet, lui dit; Voyons la trofième y
ce qui ëft choquant: Molière a traduit lautre-, ce
qui efi naturel, attendu que la précipitation de l’A vare
a pu lui faire oublier qu’il a déjà examiné deux
mains, & prendre celle-ci pour la féconde. I.es autres
efi une faute du comédien, qui s’eft glifiée dans
Fimpreflïon. , ,A .
Il efi vrai que la perfped.ive du Theatre exige
un coloris fort & de, grandes touches , mais dans de,
juftes proportions,' c’eft à dire, telles que 1 oeil du
fpedateur les réduifè fans peine à la vérité de la
nature. Le Bourgeois gentilhomme paye les^titres
que lui donne un complaifant mercénai're , c’eft ce
qu’on voit tous les jours ; mais il avoue qu il les
paye, Voilà pour le monfeigneur, c’eft en quoi il
renchérit for fes modèles. Molière tire d’un fot
Faveu de ce ridicule , pour le mieux faire appercevoir
dans-ceux qui ont l’efprit de le diffimyler.
Cette efpèce d’exagération demande une grande juf-
teffe de raifon & de goût. Le Théâtre a fon optique ,
& le tableau efi manqué dès que le fpedateur s’apperçoit
qu’on a outré'la nature.
Par la même raifon, il ne foffit pas, pour rendre
l’intrigue & le dialogue vraifomblables, d en exclure
ces Aparté, que l’hypothefe theatrale ne rend pas
toujours affez naturels, & ces méprîtes fondées for
une reffemblance ou un déguifèment prétendu , fop-
pofîtion que tous les yeux démentent, hors ceux du
perfonnage qu’on a deffein de tromper ; il faut encore
que tout ce qui te paffe & fe^ dit for la foène
foie une peinture fi naïve de. la fociété,. qu’on oublie
qu’on efi au fpedacle. Un tableau efi mal peint,
fi au premier coup d’oeil on pente a la toile, & fi
l ’on remarque la dégradation des couleurs avant
que de voir des contours, des reliefs, & des lointains.
L e preftige de l ’art, c’eft dé le faire difparoître,
au point que non fèulement l ’illufion précède la réflexion,
mais qu’elle la repouffe & Fécarte; Telle
devoit être l’illufion des grecs & des romains aux
Comédies de Ménandre & de Térence, non à.celles
d’Ariftophane & de Plaute. Obfervons cependant,
à propos de Térence, que le pofïible qui foffit à la
Vraifèmblance d’un caradère ou d’un évènement
tragique, ne foffit pas a la vérité des moeurs de la
Comédie. Ce n’eft point un père comme il peut y
en avoir, mais un père comme il y en a; ce n’eft
point un individu, mais une efpèce qu’il faut prendre
pour modèle : contre cette règle pèche le caractère
unique du Bourreau de lui-même.
Ce n’eft point une combinaifon pofïible à la rigueur,
e’eft une foite naturelle d’évènements familiers,
qui doivent former l’intrigue de la Comédie:
qu’un tiffu d’injures adreffées aux pafîànis par des
vendangeurs barbouillés de lie. Cratcs , à l ’exemple
principe qui condanne l’intrigue de YHècyre ; fi
toutefois Térence a eu deffein de faire une Comédie
d’une adion toute pathétique , & d’où il écarte juf-
qu’à la fin, avec une précaution marquée, le foui
perfonnage qui pouvoit être plaifànt.
D’après ces règles que nous allons avoir occafion
de développer & d’appliquer, on peut juger des
progrès de la Coméd e , ou plus tôt de fos révolutions.
Sur le chariot de Tefpis, la Comédie n’étoit
d’Epicharmus & de Phormis, poètes ficiiiens ,
l’èleva fur un théâtre -plus décent & dans un ordre
plus régulier. Alors la Comédie prit pour modèle-
la Tragédie inventée par Efchyle : ou plus tôt, l’une
& l’autre fe formèrent_fur les poéfies d’Homère;
l’une, for l’ Iliade & l’Odyflee ; l’autre, for le Mar-
gitès ,. poème fàtyrique du même auteur : & c’eft
là proprement Fépoque de la naiflànce de la Comédie
grèque.
Onia divifo en ancienne, moyenne, & nouvelle,
moins par fes âges, que par les différentes modifications
qu’on y obforva foccefïivement dans la pein-
ture des moeurs. D’abord on ofà mettre for le théâtre
d’Athènes des fàtyres en adion, c’eft à dire,
des perfonnages connus & nommés, dont on imitoit
les ridicules, & les vices : telle fut la Comédie ancienne.
Les lois, pour réprimer cette licence, défendirent
de nommer. La malignité des poètes ni
celle des fpeélateurs ne perdit rien à cette défenfo ;
la reffemblance des mafques, des vêtements, de Faction,
défignèrent fi bien les perfonnages, qu’on les
nommoit en les voyant:.telle fut la Comédie moyenne,
où le poète n’ayant plus à craindre le reproche de la
perfonnalité, n’en étoit que plus hardi dans fos in-
fultes ; d’autant plus fur d’ailleurs d’être applaudi,
qu’en repaiffant la malice des foedateurs par la noirceur
de fos portraits, il raénageoit encore à leur
vanité le plaifir de deviner les modèles. C’eft dans
ces deux genres qu’Ariftophâne triompha tant de
fois à la honte des athéniens.
La Comédie fàtyrique préfontoit d’abord une
face avantageufo. 31 eft des vices contre lefquels les
lois n’ont point févi : l’ingratitude , l’infidélité au
focret & à fà parole, l’uforpation tacite & artifi-
cieufo du mérite d’autrui, l’intérêt perfonnel dans
les affaires publiques, échappent à la févérité des
lois; la Comédie fàtyrique y attachoit une peine
d’autant plus terrible , qu’il falloit la fubir en plein
théâtre. Le coupable y , étoit traduit, & le Public
fe faifbit juftice. C’étoit fans doute pour entretenir
une terreur fi falutaire , que non feulement les
poètes fatyriques furent d’abord tolérés, mais gagés
par les magiftrats comme cenfours de la République.
Platon lui-même s’étoit laiffe féduire à cet
avantage apparent, lorfqu’il. admit Ariftophane dans
fon banquet, fi toutefois F Ariftophane comique eft
F Ariftophane du banquet, ce qu’on peut au moins
révoquer en doute. Il eft vrai que Platon confoil-
loit à Denis la le dure des Comédies de ce poète ,
pour connoître les moeurs de la République d’Athènes
; mais c’étoit lui indiquer un bon délateur, un
efpion adroit, qu’il n’en eftimoit pas davantage.
Quant aux foffrages des athéniens , un peuple
ennemi de toute domination devoit craindre fur-
tout la fopéworité du mérite. La plus fànglante fà-
tyre étoit donc sûre de plaire à ce peuple jaloux ,
lorfqu’elle tomboit for l’objet de fà jaloufie. Il eft
deux chofès que les. hommes vains ne trouvent;