
la première à Rome, la féconde à Londres : par ce
moyen les étrangers & les fr an cois apprend: oient
plus aifément la prononciation de leurs langues réciproques*
Mais un tel objet bien.rempli, fuppo-
l'eroit peut-être une connoiflance exade & rigou-
reufè de la prononciation de toutes les langues, ce
qui eft phyffquement impoffiblê ; il fiippoferoit du
moins un commerce affidu & rai ion né avec des étrangers
de toutes les nations qui parlaient bien:deux,
cirçonftances qu’il eft encoré fort difficile de réunir.
Ain fi, ce que je propofe eft plus tôt une vue pour
ren dre un Dictionnaire parfaitement complet, qu’un
pfojet dont on puilfe elpérer la parfaite exécution.
Ajoutons néanmoins, (puifque nous nous bornons^ici
à ce qui eft fimplement poffible ) qu’on ne feroit
pas mal déformer au Commencement du Dictionnaire
une efpèce d’alphabet univerfel, compofé de
tous les véritables fous Amples, tant voyelles que
confonnes , & de fè fervir de cet alphabet pour
indiquer, non feulement la prononciation dans notre
langue , mais encore dan-s les autres , en y joignant
pourtant l’orthographe ufùelle dans toutes.
Ainfi, je foppofo qu’on fè forvît d’un carâdère particulier
pour marquer la voyelle ou ( car ce fôn
eft une voyelle, puifque ç’eft un fôn fimple ), on
pourroit joindre aux fyllabes ou, u , w , &c. ce
caradère particulier , que toutes les langues feroient
bien d’adopter. Mais le projet d’un alphabet & d’une
orthographe univerfèlle, quelque raifonnable qu’il
foit en lui-même, eft aufli impoffiblê aujourdhui
dans l ’exécution que celui d’une langue & d’une
écriture univerfèlle. Les philo fophes de chaque nation
feroient peut-être inconciliables là-deflys : que
foi*oit-ce s’il falloit concilier des nations entières ?
Ce que nous venons de dire de l’orthographe
nous conduit à parler des étymologies , voye\ ce
mot. Un bon Dictionnaire de langues ne doit pas
les négliger, fîirtout dans les mots qui viennent du
grec ou du latin ; c’eft le moyen de rappeler au
ledeur les mots de ces langues , & de faire voir
pomment elles ont fèrvi en partie à former la nôtre.
Jé crois né devoir pas omettre ici une obforvation
que plufieurs gens de Lettres me fèmblent avoirfaite
comme moi; e’eft que la langue françoifè eft en
général plus analogue dans fès tours avec la langue
grèque qu’avec la langue latine : fuppofé ce fait
v ra i, comme je le crois, quelle peut en être la
raifon ? c’eft aux levants à la chercher. Dans un
bon Dictionnaire on ne feroit peut-être pas mal
de marquer cette analogie par dès exemples : car
.ces tours empruntés d’une, langue pour paflèr dans
une autre, rentrent en quelque manière dans la clafle
des étymologies. Au refte , dans les étymologies'
qu’un Diàionnaire peut donner, il faut exclure
celles qui font puériles, ou tirées de trop loin pour
ne pas être dputeufès , comme celle qui fait venir
laquais du mot* latin verna, par fon dérivé ver-
nacula. Nous avons auffi dans notre langue beaucoup
de termes tirés de l’ancienne langue celtique,
dont il eft bon 4e tenir compte dans un Dictionnaire
; mais comme cette langue n’exïfte plus, ces
étymologies font bien inférieures pour l’utilité aux
étymologies greques & latines, & ne peuvent guère
être que de fimple curiofité.
Indépendamment des racines étrangères d’une langue
, & des racines philofophiques dont nous avons
parlé plus haut; je crois qu’il feroit bon d’inférer
auffi dans un Dictionnaire les mots radicaux de la
langue même , en les indiquant par un caractère
particulier. Ces mots radicaux peuvent être de deux
efpèces ; il y en a qui n’ont de racines ni ailleurs,
ni dans la langue même, & ce font là les vrais
radicaux; il y en a qui ont leurs racines dans une
autre langue, mais qui font eux-mêmes dans la
leur racines d’un grand nombre de dérivés & de
compofés. Ces deux efpèces de mots radicaux étant
marqués & défignés, on reconnoitra aifoment, &
on marquera les dé rive's & les compofés. Il faut distinguer
entre dérivés & compofés : tout mot compofe
eft dériyé ; tout dérivé n’eft pas compofé. Un composé
eft formé de plufieurs racines , comme abaif-
fement de à & bas, &c. Un dérivé eft formé d’une
foule racine avec quelques différences dans la ter-
minaifon, comme fortement, de fo r t , &c. Un mot
peut être à la fois dérivé & compofe -, comme abaif-
fement, dérivé de abaijfé, qui eft lui-même compofé
de à & de bas. On peut obforvér que les
mots compofés de racines étrangères font plus fré-<
quents dans notre langue que les mots compofés
de racines même de la langue; on trouvera cent
compofés tirés du grec , contre un compofe de
mots françois , comme dioptrique , catoptrique ,
mifanthrope ,, anthropophage. Toutes ces remarques
ne doivent pas échaper à un auteur de Dictionnaire.
Elles font connoître la nature & l ’ana-,
logie 'mutuelle des langues.
Il y a quelquefois de l ’arbitraire dans le choix
des racines : par exemple , amour & aimer peuvent
être pris pour racines indifféremment... J’aimerois
mieux cependant prendre aimer pour racine, parce
qu’aimer a bien plus de dérivés opf amour ; tous
ces dérivés font les différents temps, du verbe aimer•
Dans les verbes il faut toujours prendre l’infinitif
pour la racine des dérivés, parce que l’infinitif
exprime une a&ion indéfinie , & que les autres temps
défignent quelque circonftance jointe à l’adion , celle
de la perfonne, du temps, ùc. & par conféquent
ajoutent une idée à celle de l’infinitif.
• Tels font les principaux objets qui doivent entrer
dans un Dictionnaire de langues, lorfqu’on
voudra le rendre le plus complet & le plus parfait
qu’il fora poffibl.e. On peut fans doute faire
des Dictionnaires de langues , & même des D ic tionnaires
eftimables , où quelques-uns de ces objets
ne feront pas remplis ; il vaut même beaucoup mieux
ne les point remplir du tout que de les remplir
imparfaitement: mais un Dictionnaire de langue ,
pour ne rien laiffer à défîrer, doit réunir tous les
avantages dont nous venons de faire mention. On
peut juger après cela fi % et ouvrage eft celui d’un
D I C
Impie grammairien- ordinaire , ou d’un grammairien
profond & philofophe ; d’un homme de Lettres retiré
& ifolé, ou d’un homme de Lettres qui fréquente
le grand Monde ; d’un homme qui n’a étudié que
fa langue, ou de celui qui y a joint l’étude des
langues anciennes; d’un homme de Lettres foui,
ou d’une fociété de lavants, de littérateurs , & même
d’artiftes ; enfin on pourra juger aifément, fi en
fuppofànt cet ouvrage fait par une fociéte, tous les
membres doivent y travailler en commun, ou s’il
n’eft pas plus avantageux que chacun fo charge de
la partie dans laquelle il eft le plus verfé, & que
le tout foit enftiite difcuté dans des afîèmblées générales.
Quoiqu’il en foit de ces réflexions que nous
ne faifons que propofèr, on ne peut nier que le
Dictionnaire de l’Académie françoifè ne foit, fans
contredit, notre meilleur Dictionnaire de langue ,
malgré tous les défauts qu’on lui a reprochés; defauts
qui étoient peut-être inévitables, furtout dans les
premières éditions, & que cette compagnie travaillé
à réformer de jour en jour. Ceux qui ont attaqué
cet ouvrage auroient été bien embarraffés pour en
faire un meilleur ;& il eft -d’ailleurs fi aife de faire
d’un excellent Dictionnaire une critique tout à la
fois très-vraie & très-injufte ! Dix articles foibles
qu’on relevera, contre mille excellents dont on ne
dira rien, en impofèront au leéteur. Un ouvrage
eft bon lorfqu’il s’y trouve plus de bonnes choies
que de mauvaifos ; il eft excellent lorfque les bonnes
chofos y font excellentes, ou lorfque les bonnes fur -
pafïènt de beaucoup les mauvaifos. Il n’y a point
d’ouvrages que l’on doive plus juger d’après cette
règle, qu’un Dictionnaire, par la variété & la quantité
de matières qu’il renferme & qu’il eft moralement
impoffiblê de traiter toutes également.
Avant de finir fur les Visionnaires de langues,
je dirai encore un mot des Dictionnaires de rimes.
Ces fortes de Dictionnaires ont fans doute leur utilité
, mais que de mauvais vers ils produifènt 1 Si
une lifte de rimes peut quelquefois faire naître une
idée heureufo à un excellent poète , en revanche
un poète médiocre' ne s’en fort que pour mettre
la raifon & le bon fons à la torture.
Dictionnaires de langues étrangères mortes ou
vivantes. Après le detail aflez confidérable dansv
lequel nous fommes entrés fur les Dictionnaires
de langue françoifè, nous forons beaucoup plus courts
fur les autres; parce que les. principes établis précédemment
pour ceux-ci, peuvent en grande partie
s’appliquer à ceux-là. Nous nous contenterons donc
de marquer les différences principales qu’il doit y
avoir entre un Dictionnaire de langue françoifè &
un Dictionnaire de langue étrangère morte ou
vivante ; & nous dirons de plus ce qui doit être
obforvé dans ces deux efpèces de Dictionnaire de
langues étrangères.
En premier lieu , comme il n’eft queftîon ici
de DiSionnaires de langues étrangères qn’en tant
que c es DiSionnaires fervent à faire entendre une
langue par une. autre; tout ce que nous ayons.dit
D I C (Si ƒ
au .commencement de cet article filr les définitions
dans un Dictionnaire de langues, n’a pas lieu pour
ceux dont il s’agit; car les définitions y doivent
être fupprimées. A l’égard de la lignification des
termes , je penfè que c’eft un abus d’en entaflèr
un grand nombre pour un même mot , à moins
qu’on ne diftingue exactement la lignification propre
& précifè d'avec celle qui n’eft qu’une extension
ou une métaphore ; ainfi, quand on lit dans un
DiSionnaire latin impellere, pouffer, forcer, faire
entrer ou Jortir, exciter , engager, il eft nécefi-
faire qu’on y puiffè diftinguer le mot poujfer de
tous les autres , comme étant le fons propre. On
peut faire cette diftindion en deux manièresi ou
en écrivant ce mot dans un caraétère différent,
ou en l ’écrivant le premier, & enfûite les autres,
fùivant leur degré de propriété & d’analogie avec
le premier : mais je crois qu’il vaudroit mieux encore
s’en tenir au foui fons propre , fans y joindre aucun
autre ; c’eft charger , ce me fomble , la mémoire
allez inutilement ; & le fons de l’auteur qu’on traduit
fùffira toujours pour déterminer fi la lignification
du mot eft au propre ou au figuré. Les enfants,
dira-t-on peut-être, y feront plus embarrafo
fés , au lieu qu’ils démêleront, dans plufieurs figüiifi-
cations jointes à un même mot, celle q.u’ils doivent
choifir. Je réponds premièrement que, fi un'enfant
a aflez de difoernementpour bien faire ce choix ,
il en aura aflez pour fontir de lui-même la vraie
lignification du met appliqué à la circonftance &c
au cas dont il eft queftion , dansT’auteur: les enfants
qui apprennent, à parler , & qui le lèvent à
l’âge de trois ou quatre ans au plus, ont fait bien
d’autres combinations plus * difficiles. Je réponds'
en fécond lieu que, quand on s’écarteroit de la règle
que je propofo ici dans les DiSionnaires faits
pour les enfants , il me fomble qü’il faudroit s’y
. conformer dans les autres ; une langue étrangère
en foroit plus tôt apprifo , & plus exademént lue..
Dans les DiSionnaires de langues mortes , i l
faut remarquer avec foin les auteurs qui ont employé
chaque mot ; c’eft ce qu’on exécute pour
l’ordinaire avec beaucoup de négligence ,. & c’eft:
pourtant ce qui peut être le plus utile pour écrire*
dans une langue morte ( lorfqu’on y- eft obligé )
avec autant de pureté qu’on peut écrire dans une
telle langue. D’ailleurs il ne faut pas croire qu’un
mot latin ou grec, pour avoir été employé par
un bon auteur , foit toujours dans le cas de pouvoir
l’être. Térence, qui paffe pour un auteur de la
bonne latinité , ayant écrit des comédies , a dû, ou
du moins a pu fouvent employer des mots qui
n’étoient d’ufâge que dans la converfàtion , & qu’on
ne devroit pas employer dans le. difoours oratoire 5,
c’èft ce qu’un auteur de DiSionnaire doit faire*
obforvér, d’autant que plufieurs de nos humaniftes-
modernes, font quelquefois tombés en faute fur Get
article. Ainfi, quand on cite Térence,.par exemple.,,
ou Plaute, il faut, ce me* fomble ,. avoir foin d’y
joindre la pièce &. la feene* afin qu’en recourant