
bleau où il auroït peint avec foin les jardins de Marly,
de Verfoilies, ou deTrianon, ne remplirait point
ce qu’il au roit promis.
Mais quoiqu’il foit très - difficile de bien traiter
YEglogue, on eft affez d'accord fur le genre du
ftyle qui lui convient. Il doit être fimple , parce que
les bergers parlent fimplement ; il ne doit point être
trop concis , parce que l’Eglogue reçoit lesdétails
-des petites chofès, qui font partie du loifîr de la
campagne & du caractère des bergers ; ils peuvent
par cétte raifon le permettre des digreffions, parce
que leurs moments ne font point comptés, parce
qu’ils jouïfîent d’ün loifîr tranquille , & qu’il s’agit
ici de peindre leur vie. Concluons que le ftyle bucolique
doit être moins orné qli’élégant ; les penfëes
doivent être naïves, les images riantes ou touchantes,
les comparaifons naturelles & tirées des choies les plus
communes,- les fèntiments tendres & délicats, le
tour fimple , les vers libres, & leur cadence harmo-
nieufo.
Théocrite a obfervé cette cadence dans prefque
tous les vers qui compofont lès pièces bucoliques
la variété infinie & l’harmonie des mots grecs lui
en donnoient la facilité. Virgile n'a pu mefiirer lès
vers avec la même exactitude ; parce que la langue
latine n’eft ni fi féconde, ni fi cadencée que la grèque.
La langue françoifè eft encore plus éloignée de cette
cadence. L ’italienne en approche davantage, &
les Églogues de leurs poètes l ’emportent à tous
égards for les nôtres. L’établiflèment de l’Académie
des Arçadiens à Rome, dont les commencements
font de l'an 169 0 , a renouvelé dans l'Italie le goût
de F Eglogue , établi par Aquilano dans le xv
fiè c le , mais qui étoit abandonné. Cependant ils
n’ont pu s'empêcher de faire parler leurs bergers
avec un efprit , une fineffe, une délicateffe qui
n'eft point dans le caraétère paftoral.
Les françois n’ont pas mieux réuffi. Ronford eft
faftidieux par fon jargon & fon pédantifine ; il fait
faire , dans une de fes Églogues, l’éloge de Budée :
& de Vatable , par la bergère Margot : ces fo-
;vants-là ne dévoient point être de la connoifiance ,
de Margot. Il a fuivi le mauvais goût de Clément
Marot, le premier de nos poètes qui ait compote des
Églogues, & il a làifi fôn ton en appelant Charles
IX Carlin , Henri II Henriot, &c. En un m o t -
51 s’eft rendu ridicule en fredonnant des idylles
gothiques,
Et changeant-, fans refpeét de l’oreille & du fon,
Lycidas en Pierrot & Philis .en Toinon. Defpréaux.
Honorât de Beuil, marquis de Racan , né en
Touraine en 1589, l’un des premiers de l’Académie
françoilè, mort en 1*70 , & M. de Segrais ( Jean
Renaud), né à Caen l'an 162.4 , décédé à Paris en
17.01*, (ont les fèulsqui, depuis le renouvellement
de la Poéfie françoilè par Malherbe, ayent connu
en partie la nature du Poème bucolique. Les bergeries
de l’un y & mieux encore les Églogues de
Pautfe, font avant celles de M. de Fonfenelle, ce
que nous avons de meilleur en ce genre , & cependant
ce (ont des ouvrages pleins de défauts. Si
M. Defpréaux les a loués, ce n’eft que par compa-
raifon , & il étoit bien éloigné d’en être content. Il
trouvoit que tous les auteurs ou avoient follement
entonné la trompette, ou étoient abjeéts dans leur
langage, ou Ce métamorphofbient en bergers imaginaires
, entêtés de métaphyfique amoureuüè. Enfin
convaincu qu’aucun poète françois n’avoit fàîfî l’efc
prit, le génie , le caradère de l'Eglogue , il en a
donné lui-même le véritable portrait, par lequel
je terminerai cet article. S u iv e s , dit-il, pour vous
éclairer for la nature de ce genre de Poème :
Suivez, pour la trouver , Théocrite & Virgile.
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés . (
Ne quittent point vos mains jour & nuit feuilletés :
Seuls,dans leurs doftes vers, ilsp'ourront vous apprendre
Par quel art fans baffeffe un auteur peut défçendre,
Chanter Flore,, les champs, Pomone, les vergers,'
Au combat de la flûte animer deux bergers, '
Des plaifîrs de l’amour vanter la douce amorce,
Changer Narciffe en, fleur , couvrir Daphné d’écorce *
Et par quel art encore VEgl'àgue quelquefois
Rend dignes d’un corifui la campagne & les bois.
Tel eft de ce Poème Sc la force & la grâce.
Art, poét, chanç II.
( Le chevalier de Javcourt. )
L 'É g lo g u e eft l’imitation des moeurs champê*
très dans leur plus agréable fîmplicité. On peut con-
fîdérer les bergers dans trois états : ou tels qu’ils
ont été dans l’abondance & l’égalité du premier âge ,
avec l’ingénuité de la nature , la douceur de l’innocence
, & la noblefle de la liberté : ou tels qu’ils
(ont devenus, depuis que l’artifice & la force ont
fait des efolaves & des maîtres, réduits à des travaux
dégoûtants & pénibles, à des befoins douloureux
& greffiers $ à des idées balles & trilles : ou tels
enfin qu’ils n’ont jamais été, mais tels qu'ilspouvoient
être , s’ils avoient conlèrvé allez long temps leur
innocence & leur loifîr, pour fè polir fans le cor-i
rompre , & pour étendre leurs idées fans multiplier
leurs befoins. De ces trois états le premier eft vrai-
fèmblable, le fécond eft réel, le troîfîème eftpoF
fible. Dans le premier, Je foin des troupeaux, les
fleurs , les fruits , le fpeétacle de la campagne,
l’émulation dans les jeux, le charme de la beauté ,
l’attrait phyfîque de l’amour, partagent toute l'attention
& tout l’intérêt des bergers : une imagination
riante, mais timide , un fèntiment délicat,
mais naïf , régnent dans tous leurs difeours : rien
de réfléchi, rien de rafinc ; la nature enfin, mais
la nature dans fo fleur : telles font les moeurs des
bergers pris dans l’état d’innocence.
Mais ce genre eft peu vafte.Les poètes, s’y trouvant
à l’étroit, Te font répandus , les uns , comme Théo-
xrite, dans Fétat de groflièreté & de bafïèflè ; les
E G L’
autres, comme quelques-uns des modernes, dans Fétat
de culture & de rafinement : les uns & les autres
ont manqué d’unité dans le deftin , & fè font éloignés
de leur hut.
L’objet de la Poéfie paftorale me fèmble devoir
être de préfènter aux hommes l'état-le plus heureux
dont il leur foit permis de jouir , & de les
en faire jouir en idée par le charme de l’illufîon.
Or Fétat de groflièreté & de baflèfle n’eft point
cet heureux état. Perfonne, par exemple, n’eft tenté
d’envier le fort de deux bergers qui fè traite n ride
voleurs & d’infames ( Virg. E g l . ' i . ). D’un autre
côté , Fétat de rafinement & de culture nefè concilie
pas aflèz dans notre opinion avec Fétat d’in-
nocence, pour que le mélange nous en paroiffe
vraifèmblable. Ainfi , plus la Poéfie paftorale tient
de la rufticitéou du rafinement, plus elle s’éloigne
de fon objet.
Virgile étoit fait pour l’orner de toutes les grâces
de la nature , fi , au lieu de mettre fes bergers
à .fà place, il fe fût mis lui-même à la place de
fes bergers. Mais comme prefque toutes fès Églo-
gues font allégoriques , le fond perce à travers le
voile & en altère les couleurs. A l'ombre des hêtres
on entend parler de calamités publiques , d’ufor-
pation, de fèrvitude : les idées de tranquillité , de
liberté, d’innocence, d’égalité, difparoiflent; & avec
elles s’évanouit cette douce illufion, qui, dans le
deflin du poète , devoit faire le charme de fès paP
torales..
» Il imagina des dialogues allégoriques entre des
» bergères, afin de rendre fès Paftorales plus inté-
» reliantes, » a dit l’un des traducteurs de Virgile..
Mais ne confondons pas l’Intérêt relatif & pafiager
des allufîons ,. avec l’intérêt efîènciel & durable de
la chofè. Il arrive quelquefois que ce qui a produit
l’un pour un temps, nuit dans tous les temps à
l’autre. Il ne fout pas douter, par exemple, que
la compofition de ces tableaux où Fon voit l’Enfant
Jéfûs carefïànt un moine, n’ait été ingénieufo
& intéreffante pour ceux à qui ces tableaux étoient
deftînés. Le moine n’en eft pas moins ridiculement
placé- dans ces peintures allégoriques..
Rien de plus délicat, de plus ingénieux,- que
les Eglogues de quelques-uns de- nos- poètes»; Fe£
prit y eft employé avec tout l ’art qui peut le dé-
guifèr. On ne fait ce qui manque à leur ftyle pour ;
etre naïf; maison font-Bien qu’il ne l’eft pas : cela
vient de ce que leurs bergers penfènt au lieu de
fon tir , & an a îy font au lieu de peindre.
Tout l’efprit de YÉglogue doit être en fondants
& en images :-on ne veut voir dans les bergers <
que des hommes bien organifos par la nature, &
a qui l’art-n’ait point appris à compofor & à dé-
Compofor leurs- idées. Ge n’eft que par les fons qu’ils
font inftruits & affeétés ; & leur langage doit être
comme le miroir ou ces impreflions fè retracent.
C’eft là le mérite dominant des Églogues de Virgile.
Itc mcce , felix quondam pecus , ite capella,.
Ji’cm ego; vos. pojïhac vir-idi pnojeâus in antro^
E G,L 61 i
Dumosâ pendere procul de rupe videba.'
Furtunate fenex, hic inter flumina nota ,
Et fontes facros , frigus captabis opacumv
» Comme on fùppçfo fes afteurs ( a dit la Motte
» en parlant de YÉglogue ) dans cette première1
», ingénuité que Fart & le rafinement n’avoient
» point encore altérée, ils font d’autant plus tou-
» chants, qu’ils font plus émus & qu'ils raifonnent
» moins.. . . Mais qu'on y prenne garde : rien n’eft
» fouvent fi ingénieux que le fèntiment; non pas
» qu’il foit jamais recherché , mais parce qu’il fùp-
» prime toutraifonnement. » Cette réflexion eft très-
fine & très-féduifànte, Eftàyons d’y déméler le vrai.
Le fèntiment franchit le milieu des idées ; mais iü
embraflè des rapports plus ou moins éloignés, fuivant
qu'ils font plus ou. moins connus : & ceci dépend»
de la réflexion & de la culture*
Je viens-de-la voir : qu’elle eft Belle T..*
Vous ne fauriez trop la-punir. Quinaut.'
Ce paflage eft naturel dans le langage d’un héros.;;
il ne le foroit pas dans celui d’un berger.
Un berger ne doit appercevoir que ce qu’kpper--
çolt l’homme le plus fimple , fans réflexion & fon si
effort. Il eft éloigné de -fà bergère ; il voit pr&r
parer des jeux , & il s’écrie l
Quel jour ! queltrifte jour 15c l’on.' fongeà dès fetes;.
Fontenelleïn
croit toucher au moment où de barbares fof»
dats vont arracher fes plants ; & il Ce dit à lui-même,n
Inféré nunc, Æeliboec 3 pyros j.pone ordine vîtes;
Virgile^
La naïveté n’exclut pas la délicatefîè : celle,-cf.
• confifte dans la fogacité du fèntiment, & là nature-
la donne. Un vif intérêt rend attentif aux plus petites»
chofos;
Rien n’eft indifférent-à -des- coeurs bien épris;
Fonte-mile
Et comme lès1 bergers ne font guère occupés-
que d’un objet, ils doivent naturellement s’y in—
téreffer davantage. Ainfi , la délicatefîè du fèntiment'
efteflèncièlle à la Poéfie paftorale. Un berger remarque
que fà bergère.veut qu’il l'apperçoiveiorfqu’elle:
fe. cache..
E t fugit ad falices, &fe cupit ante-vïdérî, Virgile* |
II obfèrve l'accueil qu’elle fait, à fon chien &. #
celui de fon rival..
L’ aucre jour fur I’herhetce'
Mon. chien vint te flatter *y
D’un coup de ta houlette j.
Tu fus bien l’écarter^
Mais-quand lé (ien , Cruelleî-
Saf halàrdrfuit tes pas" .
Parfbn no?at&l’app»eUe;-
, su m m’ainaes pajï.