
d’intéreffant, & d’inftruCtif dans les aCtions, les moeurs,
le caraCtère, & la conduite des hommes, fans remuer
trop fortement le coeur. .
Ariftote a donné de la Comédie une idée conforme
fi ce qu’elle étoit de (on temps ; félon lu i, c eft la représentation
de ce qu’il y a de ridicule, de répre-
henfible, ou de bizarre dans le caraCtère & dans les
adions des hommes. Nous difons que c’eft plus tôt
la repréfentation de ce que la vie civile, les caractères
, les moeurs, & les aCtions ont d àiriufânt & de
réjouïffant Chacun fait par expérience que des actions
raifonnables & vertueufes , "des moeurs conformes
à la nature, des caradères^exempts de ridicule
& de bizarrerie, peuvent plaire fur le théâtre;
nous voyons que la Comédie romaine a déjà lu employer
des lu jets un peu nobles. La vie civile pré-
fonte plus d’une face fous laquelle on la voit avec
plaifîr. La nature toute pure peut même déjà
fournir des moeurs & des aCtions qui nous amufent.
Comment ne trouverions-nous pas plus d’intérêt encore
à voir agir les hommes dans l’immenfe variété
des conjondures de la vie? Tout tableau moral qui
nous prélente l’homme dans Ion véritable ca-
radère ; toute Içèné qui exprimé bien les fentiments.,
les pensées, les projets , & les entreprifes des hommes,;
font, pour le Ipedateur qui pënfo,'un coup
d’oeil agréable. Pourquoi interdire au peintre des
moeurs; tout fujet qui ne fera pas rifîble , pourquoi |
verrions-nous avec moins de plailir le coté aimable
& raifonnable de l’homme, que lès défauts & fes
ridicules?
Il eft très-utile, (ans doute, d’expofer les folies
des hommes dans leur vrai jour : mais foroît-il
moins utile de mettre fous nos yeux des exemples
de procédés honnêtes , de fentiments nobles , de
droiture, de toutes lés vertus civiles; en forte que
Ces exemples nous touchent, nous attêndriffent, &
faffent fur nous une impreffion durable ? Et qu’on
ne éraigne pas que le beau & l’honnête foient moins
propres à donner du plaifîr, que le ridicule ; nous
voyons au contraire que Plaute & Molière n’excel-
lent nulle part davantage que dans le férieux. Ainfî,
fans rien retrancher de fon prix à la Comédie faty-
T Îq u e & enjouée, ne fermons pas nos théâtres à la
Comédie qui nous amufo par des tableaux plu?
nobles, & qui, au lieu de nous faire rire des foi-
bleffes de l’humanité, nous réjouît par la vue de
fos perfections. . . .
Ne nous lailïons pas alarmer par les inquiétudes
de quelques Critiques, qui femblent craindre que
l’introduCtion du genre férieux ne confondît les
limites qu’on a miles entre la Comédie & la Tragédie
, & ne produisît-un ambigu monftrueux. La
nature ne connoît point.ces limites : auffi peu que la
Critique pourroit en affigner entre le haut & le bas,
le grand & le petit, la Chanfon & l’Ode , auffi peu
a-t-elle droit d’en mettre entre le tragique & le
comique; ils ne, diffèrent point en eflence, cen’eft
que le degré qui les diffingue.
La règle fondamentale' qu’Ariflophane femble
s’être prdpofee, étoit de railler dé exciter des
éclats de rire, & du mépris. Celle du poète comique
doit être de peindre des moeurs & de dejji-
ner des caractères qui puijjent imércjj'er le fpecïa-
teurjudicieux & fenjible. En conféquence de cette
règle, le premier foin du comique fera d’obforver
attentivement les moeurs des hommes de tout état,
afin de mettre de la vérité & de la force dans fes
portraits. Il cherchera à corriger, par une fine raillerie
, les défauts qu’il aura obfervés ; il placera dans
un jour attrayant ce qu’il aura remarqué de beau
& de noble ; & fes tableaux nous feront fentir d’un
côté ce que les moeurs ont d’aifé , d’aimable, de
grand, & d’èlevé, & de l’autre ce qu’elles ont de
ridicule, de géné, de bas, de rampant, & de mé-
prifeble. Nous nous verrons nous-mêmes . &nos
contemporains , dans un point de'vûe qui nous per-,
mettra d’apprécier nos moeurs avec impartialité.
L e poète comique fera enfoite une étude très-
particulière des divers caraCtères des hommes. Il ob*
fervera comment ces caraCtères font encore modifiés
par le genre de vie, les liaifons extérieures, les
égards, les devoirs, & autres circonftances. Pour
exciter notre attention , il fera contraller enfemble
les caractères ,'les devoirs , les pàffiôns, & les fîtua-
tions ; il nous préfentera fouvent le combat de la
raifon & du penchant ; il démafquèra à nos yeux le
fourbe & l’hypocrite, & nous les montrera fous leurs
véritables traits; il placera l’honnête homme dans
les diverfes fîtuatiohs critiques de là v ie , & il aura
foin de le mettre dans un jour qui nous pénètre d’eP
time & d’affection pour lui. Tous ces. objets font
très - intéreffants par eux- mêmes , & peuvent le
devenir infiniment davantage par l’art du poète : il
trouvera encore une fource très.-abondante de tableaux
intéreiïants dans les divers accidents delà vie humaine
, & dans la manière différente dont les divers caractères
en font affeétés.
La grande diverfité des fojets comiques doit né-
ceffairement produire des Comédies de plufîeurs
efpèces différentes. Il neièroit pas inutile de déterminer
plus précifément ces efpèces , & de rechercher
le caradère diftinCtif qui convient à ©hacunè..
Une de ces efpèces, c’eft la Comédie de caraCtère ,
qui s’occupe principalement à développer un caractère
particulier, & à le deffiner correctement: nous
en avon.s déjà plufîeurs de cette efpèce, comme
Y Avare, le Glorieux, le Menteur, &c. mais il
y a encore un très-grand nombre de caractères, qui v
quoiqu’intéreffants , n’ont point été traités. Et
comme les nuances des caractères varient à l’infini,
oh peut dire que cette efpèce feule feroit déjà inépuisable.
On a fait, pour les peintres en hiftoire, un re-
, cueil des fujets les plus intêreftants, tirés ou des
hiftoriens, ou des poètes , ou des romanciers; il
feroit bien plus important de former, pour le Théâtre,
un pareil recueil des caractères remarquables qui
n’ont point encore été mis for la foene. ^
Dans les Comédies de ce genre, U faut faire choix
C O M
d’une aCtïon qui place le perfonnage principal dans
des circonftances oppbfees a fon caraCtere. 11 faut,
comme l’obferve M. Diderot, que le mifanthrope
foit amoureux d’iine coquette; & Harpagon, dune
fille qui efl dans l’indigence. La plupart des Critiques
exigent que le poète comique faffe contracter
les caraCtères pour donner plus de faillie au
caraCtère qu’il veut peindre. Mais l’auteur que je
viens de citer remarque, avec beaucoup de fâga-
cité , que le coriftrafte doit être , non dans les différents
caraCtères, mais dans les fîtuations. Il efl
très-effenciel, dans les pièces de ce genre , qu il n’y
ait qu’un foui caraCtère principal, auquel tout le
refie foit fubordonné ; c’eft là ce qui conftitue l’unité
du fujet, qui eft beaucoup plus effencielle que celle
du temps ou du lieu. Le plan d’une telle Comédie
feroit, de placer un homme dans, une fituation
qui fût exactement en confliCt. avec fon caraCtère
dominant : dès lors il faut-, ou que le caraCtère plie
fous l’effort des circonftances, ou que , par des ac- -
lions conformes au caraCtère, les circonftances prennent
une tournure qui fe prete au caraCtere; en un
mot, ou* la. fituation ou le caraCtere doivent enfin
avoir le, deffus., : . . . |
11 eft aifé de voir qu’un tel plan bien conduit
doit intéreffer pendant toute la durée de l’aCtion,
& que les perfonnages fubalternes peuvent encore y
répandre une grande variété dîdees. Le Tarticfè
de Molière^tienr un peu de ce plan : mais fon Avare
fuit un plan tout different; auffi eft-il fort inferieur
au Tartufe. Car d’amener à chaque inftant une
nouvelle fituation, qui ne refolte point de 1 aCtion
principale , uniquement pour la mettre en oppo-
fition avec le .caraCtère , c’eft coudre des fcènes
détachées pour en -former une Comédie. Le poète
pèche toujours contre l'unité d’aCtion , dès qu il fup-
pofe des évènements qui ne font pas une fuite naturelle
de là pofîtion des chofes dans 1 aCtion principale,
quoique ces évènements repondent exactement
au.caraCtère de fes perfonnages ; car c eft écarter
le (peCtateur deTaCtion qui foule doit 1 occuper.
Ainfî, dans Y Eunuque de Térende, la première fcène
du troifiëme aCte. a.ce défaut; elle eft très-propre
4 bien caraCtèrilèr Thrafon,, mais elle ne tient point
à. l’aCtion.
Le but des Comédies de caraCtère peut être,
ou Amplement d’amufer par la bizarrerie du ca-.
raCtère , ou d’infpirer du mépris & de l’averfîon
pour les caraCtères haïffables, ou de montrer ceux
qui font bons &. nobles fous un jour propre à les
faire aimer. Il eft donc aifé de voir que cette première
efpèce de Comédie eft fûfoeptible d’une grande
variété.
La féconde efpèce eft la Comédie des moeurs-..,
F.lle a pour objet de mettre fous les yeux du fpéclateur
un tableau frappant & vrai des ufâges ou
du genre de vie particulier, que les • hommes d’un
certain état ou condition ont généralement, adoptés...
Ce fera, par exemple, le tableau delà Çpur, celui
des moeurs des gens opulents, celui d’une nation.
C O M 4T9
entière. Les Comédies de toutes les efpcces repré-
fentent à la vérité des moeurs ; mais cette efpèce
particulière fait fon objet principal de tracer les
moeurs d’un genre de vie déterminé. C ’eft ainfî
que G ay , dans fon opéra des Beggars, ou des
Gueux, qui a eu tant de fuccès en Angleterre,
donne le tableau des moeurs de l’état le plus v il
dans la foçiété, celui des mendiants. Les fpeCtacles
fotyriques des grecs, étoient des Comédies de ce genre î
on y repréfontoit lès, moeurs des fatyres. " ^ y
Cette efpèce de Comédie admet une grande variété
de caraCtères , & elle eft fûfoeptible de beaucoup
d’agréments. Les moeurs des diverfes nations &
des différents états de la vie civile font un des
plus agréables & des plus intéreffitnts objets^ de
notre réflexion. Il y a des moeurs ridicules , il y,
en a , de déteftables : mais il y en a auffi d ingénues
& d’aimables ; il y en a même dont la description
enchante. On peut, fans faire de grands
efforts d’efprit, imaginer une aCtion propre à biea
peindre les moeurs qu’çn fo propofe de reprefenter.
Il n’eft p^s befoin de détailler ici l ’avantage que
de pareils tableaux peuvent produire, indépendamment
du plaifîr qu’ils donnent. .Chacun font, pour
ne citer que ce feul exemple:, de quelle utilité il
foroit de repréfenter for la .fcène les- moeurs & le
fort de cette çlaffe de perfonnes perdues , que.
Hogarth a fî bien deffinées dans fes eftampes connues
fousle nom de Harlofs-Progreff.Térence avoic
déjà fenti cet avantage, &. l’a admirablement bien
exprimé dans les vers que nous croyons devoir rap-i
peler ici.
I d v e r o e j i } q n o d egxi mihi puto palmarium
1 Me reperiffe , quom'àdo a d q le fc 'eh tu lu s
M e r é t r i c u m in g é n ia & m p r e s p p j jè t 'p b j c c r e :
M a tu r e u t q u um c o g n ô r it , p e rp e tu o o d e r it .
Qu c c d um f o r i s f u n t ,. i i ih i l v id e tu r m u n d iu s ,
JS e c m a g is com p o fitum qu id q u am , n e c m a g is e leg a n s t,
Q iic e j cum am a to r t f u o q u um c c en an t , lzg u i: iu n t.
Harum videre mgluvient, for,des , inopiani 3 . ; ' r
Quam inhonefia Jblce pnt dqmi , atque avida cibï ;
Q_uo pacto e x ju r e h ç j ie r n o p a n em a t r u n i y b r e n t :
Nofle omnia hæc, falus eft adolefeei»ulis.
E u i i u c h . : act. V - f c . 4•
Mais pour retirer cet important avantage de la
Comédie , il faudroit fans doute que ,1e poète 8c
les acteurs excellaffent également dans l’art de peindre:
dans cette fuppofîtion, on croit pouvoir -dira
que de tous les fpeâaçîes draniatiqüés, la Comédie
des moeurs feroit la plus utile.
Une troifîème efpèce de comédie feroit celle qui
s’aftacheroit à .repréfenter une fîtuation particulière
& intéreffante: celle d’un père malheureux, d’un
homme réduit à l’indigence , ou aufll la fituation
plus particulière à laquelle peut conduire telle ou
telle aCtion 'bonne ou mauvaife. ^.
Il ne, femble. pas difficile d’iriventér une aCtion
qui donne lieii. au, poète de mettre dans ; tout fon