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tain fens ; mais fous le fiècle d’Augufte, ces deux
termes devinrent fÿnonymes dans l’Ufage ; on les
employoit indiftindement, & fuivant que leurs quantités
fè prêtaient à la mefure ou au mètre du vers.
Voici ce qu’il faut dire à ce fujet : la vaticination
caradérifè les vates ; l’enthoufîafine caraderife
le poète. L e s Bardes delà. Germanie, qui célébrèrent
tant la mémoire & les exploits d’Arminius ou
de Hermen, n’avoient befoin que de l’enthoufîafine :
ils n’avoient pas befoin de la vaticination, puifque
le fojet de leurs chants étoit une foite d’évènements
déjà accomplis depuis quelques années, & dont toute
la nation étoit aufli bien inftruite qu’eux-mêmes
pou voient l’être ; & malgré tout cela , Lueain les
confond encore avec les eubages.( Pharf. I. 447.)
Vos quoque , qui fortes animas belloque peremptas
JLaudibus in longum vate's demittitis avum
Tlurima fecuri fudifiis earmina , Bardi.
£ M. DE Pduw. )
( Nous ajoûterons au (avant article qu’on vient
de lire , quelques obfervations qui nous paroiffent
propres à répandre encore quelque lumière for l’hifo
toire des Bardes.
Si l’on obforve l’hiftoire des peuples (auvages , on
y verra la Poefie, unie à la Mulîque , former le
premier des arts, avant jjnême que les arts méchani-
ques les plus communs & les plus néceflàires aux
premiers befoins de la vie y fuflènt établis ; c eft
que le goût, comme le talent de la Poéfîe^ & de
la Mulîque , tient à un inftind naturel , d’autant
plus énergique & plus impérieux, que l ’homme
s’eft moins altéré par les progrès de la fociété &
de la civilisation. |
Ces poètes muficiens ne pouvoîent manquer d’être
très-conlîdérés chez les peuples (auvages ; ils les
animoient au combat par leurs chanfons^, & amu-
foient leurs loifirs dans la paix. C’était l’emploi
des Bardes chez les celtes & les gaulois.
Les nations celtiques avoient un fi grand attachement
pour leurs poéfies & leurs Bardes , qu’au
milieu des révolutions de leur Gouvernement & de
leurs moeurs, même longtemps après que l’ordre
des druides fut détruit & que la religion nationale
fut changée , les Bardes fleurifloient encore ;
non comme une troupe de chanteurs errants, tels
que les rapfodes des grecs , du temps d’Homère ;
mais comme un ordre d’hommes très-confidéré dans-
l ’É ta t, &fouîenu par un établiflèment publie : ils ont
fobfifté prefque jufqu’à notre temps fous le même
nom , & exerçant les mêmes fondions qu’autrefois
en Irlande & dans le nord de l’Écoflè. On (ait que,
dans l’un & dans l’autre de ces pays, chaque Régulas
ou chef avoit fon Barde , qui étoit regardé comme
un officier confidérable de fa Cour , & avoit des
terres qui lui étoient affignéès & qui paffoient à
(à poftérité. On trouve dans les poèmes d’Offian
un grand nombre d’exemples dé la confidération qu’on
ayoït pour les Bardes.
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Si l’on étudie l’hiftoire ancienne des peuples de
l ’Orient, on y trouve des poètes muficiens a la foite
des princes. Le poète Chéryle, qui accortipagnoit
Alexandre dans fon expédition de l’Inde , etoit un
de ces poètes ambulants ; mais il ne paroît pas qu il
fût traité avec la diftindion dont les Bardes jouif-
foient chez les celtes. Il s’offrit pour- chanter^ les
exploits d’Alexandre , qui ne le permit qu’à la
condition que le poète recevroit une pièce d or pour
chaque bon vers & un fouffletpour chaque mauvais.
L ’ancien foholiafte d’Horace qui nous a tranfinis
cette anecdote, ajoute que ce malheureux poète rut
foufHetté à mort par une foite de cette fingulière
convention.
On voit par le portrait de Démodocus & de.
Phémius , qu’Homère a introduits dans 1 Odyflèe
pour célébrer fon art, que les poètes de fon temps
étoient des improyifeteurs ambulants, comme les
Bardes & les foaldes , les troubadours & les menel-
trets, qui alloient chanter chez les Grands dans
les feftins & les fêtes , & qui étoient muficiens^ &
poètes. ' , .
Ces poètes paffoient pour inlpires ; on regardoit,
l’enthoufiafine fobit dont ils fombloient^ pénétrés,
comme une véritable infpiration de la Divinité -, on
croyoît qu’ils difoient ce dont ils n avoient pas
même la connoiflànce. Voye\ l’Ion de Platon.
Poète & Prophète ( vates ) étoient deux noms synonymes.
Dans le huitième livre de rOdyfiee , De-
modocus ayant amulé fes hôtes du récit de quelques
avantures de la guerre de Troie, Ulyffè lut
dit ; » Vous avez chante ces faits d’une manière tres-
» intéreffante & comme fi vous en aviez été témoin :
» mais chantez à préfent l’avanture d’Ulyfle dans
» le cheval de bois, telle quelle s’eft paflèe; &
n je reconnoitrai que les dieux vous ont infpire vos
» chants » Démodocus fe met à chanter cet événement,
& Ulyffè en pleurant reconnoîtla vérité du
récit.
Dans les temps plus modernes, les Callphes &
les autres princes de l ’Orient avoient leurs Bardes•
Le chevalier Maundeville, qui- voyageoit dans le
Levant en 1340, rapporte dans (a relation, que, lorsque
l’empereur du Cathay, ou le grand chan de
Tartarie, eft à table avec les Grands de (à Cour,
perfonne n’eft aflèz hardi pour lui adreflèr la parole
, excepté (es muficiens chargés de le divertir.
Le même voyageur dit que ces chanteurs de Cour
étoient des officiers diftingués de l’empereur. Lea
Afer parle auffi des poètes ae Cour ( Poetæ curlce )
à Bagdad vers l’an 990. Ces rapports entre les
ufâges du Midi & ceux du Nord , ont pu faire croire
que l’inftitution des Bardes avoit été tran(portée de
rOrient en Europe.
C ’eft une circonftance remarquable, que les Bardes
celtiques , ainfi que les anciens Bardes de l’Orient
& de la Grèce, Ce diftinguoient par la richeffè de
leurs vêtements. Hérodote nous dit qu’Arion (àuta
dans la mer avec les riches habits qu’il portoit ordinairement
en publiç i,Clio ), Suidas parle de la
robe élégante , dans la forme miléfiètte, que portoit
le raplôde Antégériide ( Str. m. Anugen. ).
V irgile , toujours fi vrai dans fes peintures, ne manque
pas de décrire la robe flottante qui difltnguoit
Orphée , dans fon triple emploi de pretre, de légu-
lateur, & de muficien. ( Æneid. V I . 645. )
Les Hardes ne négligèrent aucun moyen de fortifier
& d’étendre l’efpèce d’empire que les chatmes
de leur art leur donnoient fut des peuples ignorants
& barbares. Suivant une ancienne tradition du pays
de Galles, Édouard L ayant fait la conquere de la
province fit malTacrer tous les Hardes. Votct.com-
ment le lage Hume raconte le fait. » Le rot, pet-
» fuadé que rien n’étoit plus propre a entretenir
„ parmi le peuple les idées de la valeur militaire
» & le fentiment de fon ancienne gloire, que cette
» poéfie traditionnelle, qui, jointe aux charmes de
~ la Mufique & à la gaîté des fêtes publiques,
» faifoit une impreffion profonde for 1 elprit des
•»» jeunes gens, fit raffèmbler dans un meme heu
V) tous les Bardes du pays , & par une politique,
» qu’on peut bien appeler barbare, mais non ab-
» forde , ordonna qu’on les mît à mort. » Quelques
auteurs ont contefté la vérité de ce fait ; il lemble
cependant confirmé par des traditions authentiques ,
& par des raifons aflèz plaufibles. Il pamit par
d’anciennes lois du pays de Galles > que ces Bardes,
(èmblables à l’ancien Tyrtée, étoient fortout employés
à exciter le courage des gallois^ contre^ les
anglois. Nous citerons ici le texte curieux d une
de ces lois. Quandocumque mujicus aulicus ivent
ad proedam cum domejlicis , Ji illls preBcinuerit ,
habebit juvencum de proedâ optimum ; & f i actes
f i t ïnfirùcla ad p roelium , preecinat illis eanticum
vocatum 1/ n b e n j a e th P r id a i îJ ( fiv e monarchia
B r itan n ica .)
Ces Bardes dévoient joindre au talent de la^roeiie
la valeur & l’audace ; ils marchoient à la tête des
armées, & donnoient le fignal du combat. » Les
» anciennes chroniques nous apprennent qu en pre-
» mier rang de l’armée normande, un écuyer nomme
» Taiilefer, monté for un cheval arme, chanta
n |a chanfon de Rolland , qui fut fi long temps
» dans les bouches des français , (ans qu il en foit
» refté le moindre fragment. Ce Tàillefer, après
m avoir entonné la chanfon que les foldàts repe-
»> toient, fo jeta le premier parmi les anglois &fut
» tué. » L ’Hiftoire aconforvé les noms de plu fleurs
Bardes tués ainfi dans les combats.
Dans le pays de Galles ils formoient un corps
Teipeétable compofo de différentes clafles, & ce n etoit
que par des talents éprouvés qu’on parvenoh au
premier rang. Ils avoient des afîèmblees publiques
& régulières, où l’on diftribuoit avec appareil des
prix à ceux qui fe diflinguoient dans les differents
exercices de leur profeflion : c étoit desefpeces de
’ eUCesl iHbtutions fe corrompirent dans la fuite ;
* ces Hardes . i ^ é s d u p fu p ^ degenerer».
par da baffefTe & la licence de leurs moeurs , &
contre iefquels les princes furent obliges d employer
la rigueur des lois. , .
Il nous eft refté une ordonnance de la reine
Elifabeth , de l’an i 5b7 , dont l’extrait fuffirapour
faire connoître la dégradation ou étoit tombée cette
inftitution des Bardes. .
» Élifabeth , par la grâce de Dieu , reine d An-.
» gleterre, &c. C om m e nous avons appris quune
» multitude de prétendus méneftriers , rimeurs , &
» Hardes, ennuient & moleftent les _ habitants de
» Galles, & empêchent les vrais meneftriers, les
» habiles rimeurs & muficiens , d exercer leur pro-
» feflion & de s’y perfedtarner ; voulait reformer
» cet abus, & fichant que l’écuyer Moâin & fes
» ancêtres ont eu le don de la Poefie & celui de
» jouer de la harpe d’argent, &c. Nous vous ordon-
» nous, à vous chevalier Beeley , chevalier G n flit,
» Ellis-Prixe, & vous Guillaume Moftm, ecuyer ,
» de vous alfembler lé premier lundi apres latete
» de la Trinité, de choifir les meilleurs menefi
» triers de la principauté de Galles , & de ren-
» voyer les autres labourer la terre ou exercer des
» métiers néceflàires, &c. C l’E ditsur. )
* BARDIT , (Hiß. litt.) C ’eft ainfi que le chant
des anciens germains eft appelé dans les auteurs
latins qui onf écrit de ces peuples. Les germains,
n’ayant encore nï annales ni hiftotres, debttoient
toutes leurs rêveries en vers : entre ces vers, n y
en avoit dont le chant s’appeloit H ardu, par lequel
ils encourageoient ail combat, dont ils tiroieirt
des augures, ainfi que de la maniéré dont il s ac-i
cordoit à celui de leurs voix. ( M. D iderot. )
( f Tacite parle de ce chant de guerre dans iôn
Livre des Moeurs des Germains, ch. III. Mis
hoecquoque earmina, quorum relatu, quem Bardt-
tum vocant, accendunt animos\, fuiuroeque pugnoe
fortunam ipfo cantu auguramur. Le mot de Har-
iitus dans ce paflàge a exercé la critique de plu-
fieurs lavants : il a été pris par quelques-uns pour
une efpèce de chanlôn militaire , par laquelle les
germains excitoient leur courage avant le combat :
félon M. Fréret, ce n’étoit qu’un en de guerre,
une clameur confulé & inarticulée. ^
Jufte-Lipfe, Cluvier, & Voffius, prétendent qu il
faut lire Harritus , comme on le lit en eflet dans
Végèce & dans Ammien - Marcellin - Vegece s en
fert en parlant des romains , qui ne doivent, dit-il ,
pouffer ce cri que dans le moment meme ou ils
chargent l’ennemi. (V eg . % I l f c. .8 .) Ammien
le compare au mugiffement des vagues qui fe bri-
fent contre des rochers. Dans le livre X X I , il 1 em.
ploie en parlant des romains : Conftantius affure fes
foldats, que les barbares ne foutiendront pas leur
cri ; & au livre X X X I , Ammien reconnoit que les
romains ont emprunté des barbares le mot Barritus.
Ces différentes deforiptions montrent que ce cri