
C hoeur. Belles - Lettres• Poéjïe dramatique.
Si l’on en croît les admirateurs de l ’Antiquité, la
Tragédie a fait une perte conlîdérable en renonçant
à l’ufàge du Choeur. Mais, i°. (ur le théâtre ancien
il étoit (cuvent déplacé : z°. lors même qu’il y étoit
employé le plus à propos, (es inconvénients balan-
çoient au moins (es avantages":. 30. quand même il
leroit vrai qu’il convenoit au genre de la Tragédie
ancienne , il n’en (eroit pas moins incompatible
avec le fyftême , tout différent, delà Tragédie moderne
, & avec la nouvelle forme de nos théâtres.
D’abord le Choeur étant devenu , d’afteur principal
qu’il étoit fur le chariot de Theipis, un per-
(bnnage (ùbalterne, un (impie confident de la (cène
tragique, bn (è fit une habitude de l’y voir; cette
habitude le mit en poffeffian du théâtre: le Choeur
chantoit , les grecs vouloient de la mufîque : le
Choeur repréfentoit le peuple, & le peuple aimoit
à (è-voir dans la confidence des Grands : le Choeur
fai (bit décoration , & on l’employoit à remplir le
vide d’un théâtre immenfo.
Rien de plus convenable, de plus touchant, & de
plus beau que de voir, dans la Tragédie des Perfes,
les vieillards choifis par Xerxès pour gouverner en
Ion abfènce, attendre , avec inquiétude, le (ticcès
de la bataille de Salamines ; environner le courier
qui ën porte la nouvelle; interrompre par des cris
le récit de ce grand délàflre.
Rien de plus terrible que le Choeur des Eumê-
tildes dans la Tragédie de ce nom : on dit que
l’effroi' qu’il, eau (a fut tel, que dans l’amphithéâtre
les1 femmes enceintes avortèrent. Depuis cet accident,
de, Choeur, qui étoit compolé de cinquante
perlonnes , fut réduit à quinze , '8t puis à douze ,
moins , à la' vérité , pour affoiblir 1 imprefîion du
fpeâacle, que pour en diminuer les frais.
Rien de plus naturel & dë plus pathétique , que
d’entendre, dans la Tragédie ü OEdipe , ce roi
environné des enfants des thébàins , conduits par
le grand-prêtre, ouvrir la (cène par ces mots:
« Infortunés enfants , tendre race de l’antique
'» Câdmus ,• quel (iijet de trifteffëc vous- raffèmble
» en ces lieux? que veulent dire ces bandelettes,
» ces branchesg ces (yiiiboles des fuppliants l . . . .
» Quelle crainte , quelle calamité , quel malheur
» préfent ou futur vous réunit aux pieds des autels ?
»• Parlez, roé voici prêt à vous (ècaurir je (èrois
» infènfiblë, fi je n’étois ému d’un (peétaele (î tou-
» chant ' ». " ■
Et lé prêtre lui répondre : « Vous voyez, grand
» Roi , cette troupe inclinée-aux pieds de* nos
» autels. Voici des enfants qui Ce (ôutiennent à
» peine, des (âcrificateurs courbés '(bus le poids
» des années, & des jeunes hommes choifis. Pour
w moi,, je (uis le grand-prêtre, du (buverain des
» dieux. Le tèfte du peuple orné de couronnes eft
» difperfé dans la place ; les uns entourent les
» temples de Jupiter & de Pal las ; les autres (bnt
» autour des autels d’Apollon (ur le bord du fleuve.
» L a 1 cau(è d’une fi vive douleur né. vous eft, pas
» inconnue. Hélas ! Thèbes, prefque enlevelie dans
» un océan de maux, peut à peine lever la têteau
» deffus des abymes profonds qui l’environnent*
ss Déjà la terre a vu périr les moiflbns naiffantes,
» & les tendres troupeaux. Les enfants expirent
» dans le .foin de leurs mères. Un dieu ennemi ,
» un feu dévorant , une pelle cruelle ravage la
» ville & enlève les habitants. Le noir Pluton ,
» enrichi de nos pertes, Ce rit de nos gémiffements
» & de nos pleurs. Tournés vers les autels de votre
» palais, nous vous invoquons, linon comme un
» dieu , du moins comme le plus grand des hommes,
» foui capable de (oulager nos maux & d’appailer
» la colère du Ciel t».
Quelquefois aufli un dialogue plus preffé du
Choeur avec le perfonnage en adion, étoit naturel
& touchant, comme on le voit dans Philoctète.
Mais s’il y a dans le théâtre grec quelques exemples
de cet heureux emploi du Choeur, combien
de fois ne l’y voit-on pas inutile , oifëux, importun,
& contre toute vrailemblance ? Quelle apparence
que Phèdre confie (à honte aux femmes de Trézène !
De quel (ècours eft à l’innocence d’Hippolyte ce
Choeur de femmes, ce témoin muet, qui le voyant
condanné par (on père, fe contente de faire cette
froide réflexion ? « Qui des mortels peut-on appeler
» heureux, quand on voit la fortune de nos rois
» (iijette à une fi trille révolution » ? Quoi de plus
froid encore & de plus à> contretemps j que cette
première partie du Choeur qui (bit la (cène où
Phèdre a pris la réfolution de mourir.
« Que ne (uis-je-fiir un rocher .élevé, & changé
» en oi(eau ! à la faveur de mes ailes je pafferois
» fur la mer Adriatique y & (ùr les rives,du P ô ,
» où les infortunées (heurs de Phaéton répandent
» des larmes d’ambre.
» J’irois aux riches jardins des Hefpérides, nym-
» phes dont la douce voix charme les oreilles ,
» dans ces climats où : Neptune ne laifïe .plus1 le
» paffage libre aux: nautonniers : car il a (pour
» terme le ciel foutenu par Atlas. Là coulent; tou-
» jours du palais de Jupiter les bienheureufes' (bur-
» ces de l’ambroifie. Là un terrein toujours fécond
a en célefies richefîes;, produit ce qui fait la félicité
» des dieux ».
I l s ’ a g i t b ie n d e p a f f è r ( b r le s r iv e s d u P ô o u
d an s l e ja r d in d e s H e fp é r id e s ! I l s’ a g i t d e f e ç o u r i r
P h è d r e r é d u i t e a u d é ( e ( p o i r , o u d e f a u v e r l ’in n o c
e n t H i p p o l y t e .
En pareil cas notre vieux poète Hardi faifoit dire
au Choeur y Ce parlant à lui-même.
O couards ! ô chétifs ! ô lâches que nous fommesï
Indignés de tenir un rang parmi'les hommes!
. Endurer„ Spe&ateurs, tel opprobre commis!
Les deux grands inconvénients de l ’ulâge cou*»,
tinuel du Choeur, dans la Tragédie ancienne, étoient,
l ’un d’exiger néeefïàirement pour le lieu de la (cène
un endroit public, comme un temple, un portique,
une place, où le, peuple fût çenfé ppuvpic accourir $
l’ autre , de rendre indifpenfable , par fà préfetlce , -1
l’unité de lieu & de temps; & de là une gene continuelle
dans le choix des fujets & dans la difpofmon
de la fable, ou une foule d’invraifemblances dans la
compofition & dans l’exécution. Poyc{ E ntr’acte ,
U nité . ' B 1 ,,, .
' Ce qu’il eût fallu faire du Choeur, fur le^theatre
ancien, pour l’employer avec avantage ç eût été
de l’introduire toutes les fois qu’il auroit pu contribuer
au pathétique ou à la pompe du fpectacle, &
de s’en délivrer toutes les fois qu tl etoit déplacé-,
inutile, ou gênant. .
Mais fi par la nature de 1 adton theatrale, qui etoit
communément une calamité publique ou du moins
quelque évènement qui ne pouvoir etre cache , une
foule de confidents y pouvoient être mis en feene ;
fi la fimplicité de la fable , la pompe_ du fpeâacle,
& la néceffité de remplir un théâtre immenfe, qui
:fans cela auroit paru défert, demandoient quelquefois
la'préfence du Choeur : il n’en eft pas de meme
dans un genre de Tragédie où ce n’eft plus, ni un
arrêt de la deftinée , ni un oracle, ni la volonté
d’un dieu qui conduit l’aftion théâtrale & qui produit
l ’éVenement ; mais le jeu des pallions humâmes,
qui, dans leurs mouvements intimes & caches, ont
peu de confidents & fouffriroient peu de témoins.
- Quoiqu’il ne foit pas vrai , comme on I a d it,
que la Tragédie fût un fpeftacle religieux chez les
grecs ; il eft vrai du moins que les opinions reh-
gieufes s’y méloient (ans ceffe, ainfî que les cer^;
monies du culte : & c’eft ce qui rendoit majeftueufe
pour eux , cette efpèce de proceffion du Choeur,
qui fur trois filés fe promenoir en cadence, dans
l ’intervalle des fcènes, tournant à gauche , & puis
à droite, chantant la ftrophe & l’antiftrophe, puis
s’arrêtant & chantant l’épode , le tout pour exprimer,
dit on , les mouvements du ciel & 1 immobilité
de la terre. Mais certainement rien de femolable ne
convient au théâtre de Cinna, de Britanmcus, de
Zaïre. . . . .
Nos premiers poètes tragiques , en imitant les.,,
grecs , ne manquèrent pas d’adopter le Choeur ; &
j u (qu’a u temps de Hardi, le Choeur etoit chante. Cet
accord des voix étoit connu fur.nos premiers théâtres
dans ce qu’on appeloit Myfteres le Père eternel
parloit à trois voix, un deflus, une haute-contre, &
une baffe, à l’uniffon. Hardi Ce réduifît à faire parler
le Choeur par l’organe d’un coryphée : dans le
Coriolan de ce poète , le Choeur dialogue avec le
lénat,.& dit de fuite jufqu’à quarante vers. Dèsjlors
il ne fut plus queftion du Choeur en intermède ,
jufqu’à VA thalle de Racine, pièce unique dans fon
genre & absolument hors de pair.
M. de Voltaire, dans fon OEdipe, a voulu mettre
le C hoe u r en (cène : jamais il ne fut mieux
placé ; & l’extrême difficulté de l’exécution l’a
cependant fait (opprimer. Depuis , on s’eft borné ,
comme Hardi, lorfque l’aâion exige une affemblée,
à faire, parler un ou deux personnages au nom
de tous ; c’eft la feule efpèce de Choeur qu’admet
la fcène fr a n ç é i fe& dans les fujets mêmes, foit
anciens, '(bit mbdernés, dont le (peélacle demande
le plus de pompe & d’appareil, comme lès deux
Iphige'nies, Mahomet, & S émir ami s , un theatre
oii l’action fe paffe immédiatement fous nos yeux ,
rend prefque impoflible. le concert & l’accord d une
multitude affemblée qui parleroit en même temps'.
Il eft vrai qu’en le faifant chanter comme les grecs,
la difficulté fer oit moindre; mais le chant du Choeur
entremêlé avec une déclamation (impie, fera toujours
pour nos oreilles une difparate & une invrai-
femblance, qui, dans le genre férieux & grave, nui-
roit trop à l’illufion. ' ^ *
Dans ce qu’on appelle chez lés grecs la Conaedie
ancienne, comme ce n’étoit communément quune
fatyre politique , le Choeur étoit très-bien placé : il
repréfentoit le peuple, ou une claffe de citoyens ,
tantôt allégoriquement-, comme dans 1 es Oijeaux
& dans les Guêpes ; tantôt au naturel , comme dans
les Ach arm en s , les Haraiigueufes , les Chevaliers;
& le poète l’employoit ou a faite la fàtyre de la
république , ou à là propre dcfènfè & a fon apologie,
C’eft ainfî que dans les slchamiens, le Choeur,
traitant le peuple d’enfant & dé dupe, lui reproche
fon imbécillité à fe biffer féduire par des louanges ,
tandis, qu’Ariftophane a feul oie lui dire la vérité
en plein théâtre au péril de fà vie. « Laiffez le
» faire, ajoute le Choeur, il n’a eu en vue que le
» bien, & il Le procurera de toutes Tes forcés, non
„ par de baffes adulations & des toupleffes artifi-
» cieufes, mais par de falufaites avis ». La Comédie
du fécond & du troifième âge changea de carac-
tère; & le Choeur lui fut interdit. IM.Maruontel.)
* C hieur S Opéra. Que- vingt perfônnes parlent
enfemble , leurs articulations fe mêlent , les fbns
de leurs voix-fé confondent ,& l’on n’entend qu’un
bruit confus. Mais dans un chant dont toutes les
articulations & les intonations font preferites &
mefurées, vingt voix d’accord n’en feront ,qu une ;
& de leur concert peuvent réfùlter de grands effets,
foit du côté de l’harmonie , foit du côte de 1 ex-
prélïitfà. , .
Je, vais plus loin. Dans un fpeftacle ou il eft
reçu que la parole fora chantée , le Choeur a fà
vraifomblance comme le récitatif, & cette vraifem-
blarce eft la même que celle du duo, du trio , du
quatuor &c. Mais ce que j’ ai dit du duo françois,
je le dis de même du Choeur : en s’éloignant de
la nature, il a perdu de fis avantages. Voye\ Duo.
Il arrive fbuvent dans la réalité qu’un peuple
entier pouffe le même c r i , qu’une foule de monde
dit à la fois la même chofo & comme on accorde
toujours quelque liberté a 1 imitation , le C hoe u r ,
en imitant ce cri, ce langage unanime dune multitude
affemblée, peut fe donner quelque licence:
l’art & le goût confident à preffentir jufqn’où l’ex-
tenfion peut aller. Or c’en eft trop , que de faire
tenir enfemble à tout un peuple un long dtfiours
fuivi, & dans les mêmes termes, à moins que ce ne