
on veut laVoir s'élever jufqu’à la Véhémence, qu’on
lifè dans la même harangue l’endroit où l’orateur
développe & démontre cette propofîtion hardie :
» Si par une lumière prophétique tous les athéniens
»» avoient démêlé tous les évènements futurs, & que
» tous les eulîentprévus ; Athènes, en ce cas meme,
» auroit dû prendre la réfoiûtion qu’elle prit, pour
» peu'qu’elle eut reipeçté fa gloire, & fês ancêtres ,
» & les jugements de la poftêrité... Et de quel oe il,
» grand Dieu ! foutiendrions-nous Fafpëd de cette
» multitude innombrable d’hommes , qui de toutes
» parts fè rendent dans Athènes, fi par notre faute
» on eût élu Philippe pour le chef & pour l’arbitre
» delà Grèce entière ; f i, tandis que les autres grecs,
» armés pour détourner le coup , s’avançoient au
« combat, nous eufîions joué le perfonnage de
» fpedateurs immobiles , nous, les enfants d’un
» peuple qui de tout temps aima mieux affronter de
w glorieux hafàrds, que de jouir hors de péril d’une
» honteufè liberté ! . Et qui n’admireroit la confo
» tance de ces grands hommes , qui, s’élançant fur
» leurs vaiffèaux, quittèrent, avec un courage déter-
>> miné, leurs biens & leur patrie , pour ne point
as fléchir’ fous le joug d’une domination étrangère,
» mirent à leurTête Thémiftocle , l’auteur de cet
» avis^magnanime , lapidèrent Cyrcile, qui pré-
» choit la foumiflion , le lapidèrent, dis-je, tandis
» que leurs femmes lapidoient celle du traître ? Car
» les athéniens d’alors ne cherchoient ni orateur,
» ni Général, qui leur procurât un heureux efclava-
» ge. Ils n’auroient pas même youlu de la vie fans
» la liberté.. . . Moi donc, ô hiftrion du dernier
» ordre , moi, que mon emploi appeloit à cônfèil-
3b 1er la République , avec quels fèntiments devois-
» je monter dans la tribune ? Étoit-ce avec les fèn-
„ timents d’ùn orateur qui n’avoit à fùggérer aux
yy athéniens que des bafièffès indignes d’eux f Ma
5Ï„ mort , en ce cas, eût juftement expié mes lâ-
ches coniêils..ï Le monflre horrible ,/Meilleurs,
l’horrible monflre qu’un calomniateur ! »
La raifon n’a point de Chaleur qui lui fôit^propre ;
mais lorfqu’un fèntiment'vif & profond l’anime,
elle devient paffionnée ; & c’eft alors qu’elle a fon
éloquence ; ce n’eft même qu’alors qu’elle eft poétique.
Ainfî Dom Diègue, ainfî le vieil Horace ,
ainfî Burrhus, ainfî Zopire & Mahomet, ainfî tous
les hommes d’état qu’on introduit dans la Tragédie
ou dans l’Épopée font raifonneurs mais éloquents.
Si la raifon même fè paiïionne, l ’imagination eft
mille fois encore plus prompte à s’enflammer; & l’on
reconnoît fà Chaleur à la vivacité des iilufîons
qu’elle produit & des tableaux dont elle fè frappe. Je
n’en citerai pour exemple que ces vers de Phèdre,
tourmentée par fes remords :
Miférable & je vis, & je fojitiens la vue
De ce facré foleil dont je fuis defeenduet
J’ai pour aïeul le père & le maître des dieux ;
Le .Ciel , tout l’Univers eft plein de mes aïeux.
• Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis - je? mon père y tient l'urne fatale
Le for td it-on , l’a mife en fes févères mains;
Minos-juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah ! combien frémira fon ombre épouvantée f
Lorfqû’il verra fa fille à fes yeux préfontée ,
Go n train te d’avouer tant de forfaits divers ,
E t des crimes peut-être inconnus aux enfers î
Que diras-tu , mon Père , à ce fpedacle horrible»
Je crois voir de tes mains tomber l’urne terrible ;
Je crois te voir , cherchant un fupplice nouveau ^
Toi-même de ton fang devenir le bourreau.
Pardonne ! un dieu cruel a perdu ta famille : .
Reconnois fa vengeance aux fureurs de ta fille. &C4
On juge bien que la Chaleur de l’imagination peut
être encore très-vive , & n’étre pas à ce degré - là.
Celle du fondaient a des gradations infinies ; & qui
fait jufqu’où peut aller la violence des pallions I
On voit à quel degré Racine & Voltaire ont pouffé
la Chaleur de l’expreffion de l’amour : mais ni l’un
ni l’autre, à ce qui me femble , n’a été aufli loin
que Virgile ; & le tableau du défofpoir de Didon eft
peut-être, à l ’égard de cette paffion , le dernier degré
de Chaleur.
Dans la colère tranquile & fière, le caradère
d’Achile eft foblime ; mais Orofmane, dans la fureur,
eft plus théâtral & plus terrible. Dans une fcène imitée
du Dante, nous avons vu la vengeance, irritée par
l’ameur paternel, portée à un point d’énergie au delà,
duquel il eft difficile de rien imaginer.
C e qui eft rare & précieux, c’eft la Chaleur dans
des ouvrages que la paffion n’animè point, & que
la raifon foule, pour ainfî dire, doit échauffer de fà
lumière. Les écrits de Rouflèau de Genève feroient
un modèle en ce genre, fî fon Éloquence étoit toujours
celle de la raifon & de la-vérité. Mais ayant
trop compté for les reflources d’une dialectique in-
duftrieufo, d’une imagination vive, & d’un ftyle enchanteur,
il a fouvent accepté le défi que lui donnolt
fà vanité, de faire paroître naturel ce qui étoit forcé
, vraifèmblable ce qui étoit faux , honnête Sc
louable ce qui étoit en foi vicieux & digne de blâme.
Heureux, s’il avoit toujours eu pour.guide unfàge
comme Locke , dont il a fuivi les principes fur l’e-
ducation phyfique de l’Enfance , & dont il a fîi embellir
, animer, échauffer les arides leçons ! c’eft là
ce qu’il a fait d’utile , & ce qui honore fà mémoire,
bien plus que le coloris dont il . a fardé les mauvai-
fos moeurs de fon Héloïfe , le faux fÿftême de fon
Ém ile , & tous les paradoxes où il a prodigué fès
lumières & fos talents.
L a Chaleur du ftyle , même au plus haut degré,
doit être vraie & naturelle. Phèdre, dans fon délire,
ne dit rien qui ne foit analogue à fon amour pour
Hippolyte. Orefte , même dans fes fureurs-* ne voit
que les objets qui doivent l’occuper , fà mère & les
Furies. A plus forte raifon dans l’Éloquence & dans
le langage tempéré de la Philofophie, la Chaleur ne
doit-çlle jamais troubler l’imagination ni l'entende-.
■ inent. L ’écrivain qui extravague, eft un foii ou un
charlatan. Si fà Chaleur eft vraie , c’eft celle de là
•fièvre ; fî ce n’eft pas le tranfport au cerveau, c’eft
un jeu , & c’eft le jeu d’un bateleur qui fait le maniaque
pour affembler la foule. Or j’appelle extra-
-vaguer en écrivant, accumuler des métaphores incohérentes
, des idées bizarres, des raifonnements
faux , des hyperboles infensées ; avancer hardiment
des opinions révoltantes, les foutenir- avec effronterie,
infîilter à la fois à l’évidence & à la pudeur , &
prendre pour les attributs d’un génie audacieux &
libre, l’impudence & l ’abfordité. C ’eft là pourtant ce
qu’on nous a donné quelquefois pour delà Chaleur*.
C A i . M a r m o n t e l . )
(N.) CHAMPS ( M a i s o n d e s ) , MAISON DE
CAMPAGNE. Synonymes.
On nomme ainfî une. maifon fîtuée hors de la
v ille , dont jouît toutefois un habitant de la ville':
mais il y a quelque différence entre les deux
expreffions.
L ’idée des Champs réveille celle'de la culture,
parce qu’on ne les a diftingués les uns des autres
que pour les mettre en valeur ; & l ’idée de la
Campagne rappelle l’idée de la v ille , à caufè de
l ’oppofîtion de la liberté dont on jouit d’un côté
avec la contrainte où l’on eft de l’autre.
Cela pofe , une Maifon des Champs eft une
habitation avec les aecefloires néceffaires aux vûes
économiques qui l’ont fait conftruire ou acheter ;
comme un verger, un potager, unebaffè-cour, des
écuries pour toutes fortes de bétail, un vivier, &c.
Une Maifon de Campagne eft une habitation avec
les aecefloires néceflàires aux vûes de liberté, d’indépendance,
& de plaifîr , qui en ont foggéré l’ac-
quifition ; comme avenues, remïfes , jardins, parterres
, bofquets , parc même , &c.
Voilà fur quoi eft fondé ce que dit le P. Bouhours
( Rem. nouv. torn. II.) de ces deux expreffions, que
la féconde eft plus noble que la première : c’eft
qu’une Maifon de Campagne convient aux gens
de qualité, vu que leur état fiippofe de l’aifànce ; &
qu’une Maifon des Champs convient à la Bour-
geoifie, dont l’état fomble exiger plus d’économie
dans la dépenfè.
Cependant rien n’empêche qu’on ne puiffe parler
de la Maifon de Campagne d’un bourgeois, s’il
en a une ; & de la Maifon des Champs d’un chancelier
de France, fî fà maifon. n’eft en effet que
cela : dans le premier cas, c’eft peindre le luxe
du petit bourgeois ; dans le fécond, c’eft caraétéri-
for la noble (implicite du magiftrat ; dans tous
deux , c’eft parler avec jufteflè & faire juftice. ( M.
JSe a u z .é e .)
: (N.) CHANCIR, MOISIR. Synonymes.
Termes qui expriment tous deux un changement
à la furface de certains corps y qu’une fermentation
intérieure difpofo à la corruption. Cfiancir Ce dit
des premiers lignes de ce changement: Moijir^ du
changement entier.
Une confiture eft chancie , lorfqu’elle eft couverte
d’une pellicule blanchâtre : elle eft moifie, quand
il .s’élève , de cette pellicule, une efflorefoence en
moufle blanchâtre ou verdâtre.
Un pâté, un jambon , qui Ce chancijfent, doivent
être mangés promptement. Il y a des fromages pour
lefquels la Moifîjjiine eft un titre de recommandation;
on les dit alors -fersïllés , à caufè de la couleur
des bouquets de Moijiffure dont ils font par-
fomés. [A i. JSeauzèe.)
(N.) CHAN G E , T R O C , É CH A N G E , PER-
MUTATION. Synonymes.
L e mot Change marque Amplement Faction de
changer dans un féns abftrait , qui non feulement
n’exprime pas, mais qui de plus exclut tout rapport
( a ) & toute idée accefloire. C ’eft peut- être
par cette raifon qu’on ne l’emploie pas à dénommer
diredement aucune efpèce ; car on ne dit pas , L e
Change d’une chofe : qu’on l’emploie néanmpins
dans toutes les efpèces, en régime indired avec une
prépofîtion , pour indiquer Fefienciel de l’ade; en
forte que, dans toutes les occafîons, on dit également
bien, Perdre ou gagner au Change. Les trois
autres mots fèrvent à dénommer les efpèces ou façons
de changer les chofès les unes pour les autres, donc
voici les/différences. Troc Ce dit pour les chofes de
forvice & pour toute« qui eft meuble ; ainfî, Fon fait
des Trocs de chevaux, de bijoux, & d’uftenfîies.
Échange fè dit pour les terres, les perfonnes , tout
ce qui eft.bien-fonds ; ainfî , Fon fait des Échanges
d’États , de charges , & de prifonniers. Permutation
n’eft d’ufage que pour les biens & titres écléfîafti*
ques; ainfî , Fon permute une cure , uncanonicat,
un prieuré , avec un autre bénéfice de même ou de
différent ordre, il n’importe.T Voye\ Échanger , roquer , Permuter. Syn. ( L ’abbé Girard. )
CH AN G EM EN T , V A R IA T IO N , VARIÉ TÉ.
Synonymes.
Termes qui s’appliquent à tout ce qui altère l’identité
, foit abfolue foit relative , ou des êtres ou des
états;
Le premier marque le paffàge d’un état à un autre
; le fécond , le paffàge rapide par plufîeurs états
(a) Ceci ne paroît pas exaft 5 car Changer eft un moc
relatif, donc le corrélatif eft Tèrjlfter dans la pofleftion.
OA ne peut entendre le terme Change , fans avoir l'idée de
la chofe qu’on a , & celle de la chofe pour laquelle on la
cède. ( M- D id e r o t . )
Ceci eft très-bien obfervé quant à l’expreffion. La penfée
de l’abbé Girard eft que le mot Change exprime un fens
grammaticalement complet, ' & qu’en confequence il s ’a
jamais de complément ou de régime : ce qui eft vrai 5 mais
il falloir le dire (implement, pour ne pas donner lieu à l’équivoque
qui fonde la remarque de l’encyclofêdifte. ( M»
É e à v z é e . y