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Lesbos f Pourquoi Marcié ne va-t-elle pas l’y joindre,
& Caton l’y retrouver en même temps que
Pompée? Quelle entrevue! quelslèntiments ! quels .
adieux! Le beau contrafte de caradères vertueux,
fi le poète les eût rapprochés ! Ce n’eft point à nous
à tracer un tel plan , nous en fèntons les difficultés;
mais nous écrivons ici pour les hommes de génie.
Des caractères. Nous ne nous étendrons point
fur. les caradères, dans le defîein de traiter en lôn
lieu cette partie du Poème dramatique ( Voye\ Tragédie); mais nous placerons ici quelques
oblèrvations particulières aux perfônnages de \’É_
P°Psf . . . . ,
Rien n’eft plus inutile, à notre avis, que le mélangé
des êtres lùrnaturels avec les hommes : tout
ce' que le poète peut lè promettre , c’eft de faire
de grands hommes de lès dieux, en les habillant
de nos pièces , lùivant l ’expreffion de Montagne.
Et ne vaut-il pas mieux employer les. efforts de la
Poéfîe à rapprocher les hommes des dieux, qu’à
rapprocher les dieux des hommes ? Humana, ad
deos tranfiulerunt, dit Cicéron en parlant des phi-
lolôphes mythologues ,- divina mallcm ad nos.
Ce qu c fly vois de plus certain, dit Pope au
fùjet des dieux d’Homere, défi qu’ayant à parler
de La divinité fans la connaître, i l en a pris
une image dans l’homme : i l contempla dans une
onde inconfiante & fangeufe l’afire qu il y voyoit
réfléchi.
On peut nous oppofèr que l’imagination ne rai-
fonne point ; que le merveilleux l’enivre ; qu’il emporte
l’ame hors d’elle-même , fans lui donner le
temps de le replier lùr les idées qui détruiroient
Fillufîon.: tout cela.eft v ra i, & c’eft ce qui nous
empêche de bannir le merveilleux de CÉpopée y
c ’eft ce qui nous a engagés à l’admettre même dans
la Tragédie. Voye\ Dénouement. Mais dans l’un
& l’autre de ces Poèmes il eft encore moins rai-
lônnable de l’exiger que de l’interdire. V . Merveilleux.
Cependant comment lùppléer aux perfônnages lùr-
natürels dans F Épopée l Par les vertus & les parlions
, noRpas allégoriquement perlônnifiées ( l’Allégorie
anime le phyfîque & refroidit le moral ) ,
mais rendues lènfîbles par leurs effets, comme elles
le font dans la nature , & comme la Tragédie les
présente. L ’Épopée n’exige donc pour perfônnages
que des hommes & les mêmes hommes que la Tragédie;
avec cette différence , que celle-ci demande
plus d’unité dans les caradères, comme étant rel-
fèrrée dans un moindre elpace. de temps.
Il n’eft point de caradère fimple. L ’homme , dit
Charon , efiun fujet merveilleufement divers & ondoyant.
Mais comme k Tragédie n’eft qu’un moment
de la vie d’un homme, que dans ce moment même
il. eft violemment agité d’un intéretprincipal 8c d’une
pâffion dominante , il doit , dans ce court elpace ,
fiiivre une même impulfîon, & n’eftùyer que le
ftux & le reflux naturel à la paffion qui le domine ;
au fieu que Fadion du Ppème épique étant étendue
à un plus long elpace de temps, la paffion a
lès relâches , & l'intérêt lès diveriions c’eft un
champ libre & vafte pour tinconfiance & l’infia-
b ilh é , qui efi le plus commun & apparent vice
. de la nature humaine (Charon). La làgefle- &
la vertu feules font au deffus des révolutions; &
c’eft un genre de merveilleux qu’il eft bon de ré-
lèrver pour elles.
Ainfî , quoique chacun des perfônnages employés
dans FÉpopée doive avoir un fond de caradère &
d’intérêt déterminé , les orages qui s’y élèvent ne
laifient pas quelquefois d’en troubler la lùrface &
d’en dérober le fond. Mais il faut oblèrver auffi
qu’on ne change jamais làns caulè d’inclination, de
lèntiment, ou de deflèin ; ces changements ne s’opèrent,
s’il eft permis de le dire , qu’au moyen des
; contre-poids : tout l’art confifte à charger à propos
la balance ; & ce genre de méchanilme exige
une connoiffance profonde de la nature. Voyez dans
Britannicus, avec quel art les contre-poids font ménagés
dans les fcènes de Burrhus avec Néron, de
Néron avec Narciflè; & au -contraire prenons le
dernier livre de l’Iliade. Achille a porté la vengeance
de Patrocle julqu’à la barbarie : Priam vient
lè jeter à lès pieds pour lui demander le corps de
lôn fils : Achille s’émeut, lè lailfe fléchir; & ju£
ques là cette fcène eft lùblime. Achille invite Priam
à prendre du repos. « Fils de Jupiter (lui répond
» le divin Priam ) , ne me forcez pointa m’afleoir,
» pendant que mon cher He&or eft étendu lùr la
» terre làns sépulture. » Quoi de plus pathétique
8c de moins offenlànt que cette répônfe! Qui croi-
roit que c’eft à ces mots qu’Achille redevient furieux
? Il s’appaifè de nouveau ; il fait laiflèr lùr
le chariot de Priam une tunique & deux voiles pour
enveloper le, corps, avant de le rendre à ce père
affligé : il le prend entre lès bras, le met lùr un
l i t , & place ce lit lùr le chariot. Alors il lè met
à jeter de grands cris ; & î ’adrellànt à Patrocle ,
» Mon cher Patrocle , s’écrie-t-il , ne lois pas irrité
» contre moi.» Ce retour eft encore admirable ; mais
achevons. « Mon cher Patrocle, ne lôit pas irrité
» contre moi, fî on te porte julques dans les enfers
» la nouvelle que j’ai rendu le corps d’Hëiftor à
» lôn père; car (^on s’attend qu’il va dire, je n’ai
» pu réfifier aux larmes de ce père infortuné ;
» mais non ) car il m’a apporté une rançon digne de
» moi.» Ces difparates prouvent que jamais on n’a
moins connu l’héroilme que dans les temps appelés
héroïques.
D u fiyle i Nous lùppolôns dans le leâeur une
idée jufte des qualités du ftyle'en général: il peut
confîilter les articles Style , Élégance , Élocution
, &c. Appliquons en peu de mots au ftyle
de YÉpopée celles de ces qualités qui lui conviennent
ffiécialement. La première eft la majefté : c’eft
une manière d’exprimer dignement des idées nobles
& grandes, & dés lèntiments élevés. Mais ce haut
ftyle a là lôupleflè & lès inflexions , làns lefquelles
il eft tendu & monotone ; & c’eft dans l.a première
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diïpofïtion du plan, que le poète doit établir cette
variété , comme le peintre, dans Ion deffin ou
dans.ïon efquiffe, établit lès maffes de lumières &
d’ombre, & diftribue lès couleurs. La majefté du
ftyle , comme celle de la perlonne , a là grâce , Ion
naturel, & même la fîmplicité. Dans le Dramatique
c’eft la diyerfîté des moeurs qui donne lieu à
ce mélange harmonieux des divers tons du ftyle
noble. Dans l’Épique, c’eft la diverlîte des peintures
& des récits. Si le Poème n’eft qu’une lùite de
tableaux & defcènes d’un caractère grave & lombre,
il lèra impoffible d’en varier les tons. C ’eft le plus
grand défaut de la Pharfale. Si le poète., ^dans le
choix & dans l’ordonnance de Ibn lujet, s’eft ménagé
des épilbdes , des incidents , ‘ des fîtes , & - des
Icènes d’un caraétére doux, d’un naturel aimable,
le ftyle , pour les exprimer, le détendra & s’abail-
£èra de lui-même. Il lèra toujours noble , mais avec
moins de fafte , de hauteur, & de gravité. C ’eft
là le charme du ftyle de Virgile ; & |jp||j par là
que l’Ariofte a été préféré au Tafïe ; mais 1 exemple
de l’Ariofte n’eft pas celui qu’on doit fe propofer.
I l eft facile de varier les tons & les couleurs du ftyle
dans un Poème héroïComique, où l’imagination du
poète lè livre à lès caprices, & ne cherche qu à s e-
gayer ; -«rais ce n’eft point là VÉpopée. Celle-ci
a pour premières règles la décence & ht dignité 1
tout y doit être - férieux ; & c’eft au férieux qu’il
eft difficile de donner des grâces. Or quoique le
TafFe n’ait pas ce mérite au meme degré que Virgile,
il ne laiffe pas de l’avoir à un plus haut degré que
tous les poètes héroïques modernes, lurtout dans
les peintures; car dans la Icène ^ Ibn expreffion
manque louvent de naturel : lôn imagination l’a
fèrvi plus fidèlement que lôn ame.
Une autre qualité elïèncielle au ftyle de y Épopée
eft une chaleur continue. C’eft Fintérêt qui en eft la
fcurce ; & le moyen de l’entretenir , c’eft de n’admettre
dans les récits rien de froid ni de languifïknt.
L ’a&ïon du Poème n’eft pas toujours rapide , mais
elle ne doit jamais être indolente ; lôn ftyle n’eft
pas toujours brûlant, mais il doit toujours, être animé.
Voye\ Éloquence poétique & Mouvements du
Style. ' s | "
L ’harmonie & le coloris diftinguent lurtout le
ftyle de VÉpopée. Il y a deux fortes d’harmonie
dans le ftyle, l ’harmonie contrainte , & l ’harmonie
libre : l’harmonie contrainte , qui eft celle des vers,
rêlùlte d’une divifion lÿmmétrique & d’une mefîire
tégulière dans le nombre des temps ou dans le nombre
des, lÿllabes. l’article V ers.
On fait que l’hexamètre des anciens étoit compote
de fîx melùres à quatre temps : c’eft d’après
ce modèle que, lùppolànt longues, ou de deux temps,
toutes les lÿllabes de notre langue, on en a donné
douze à notre- vers héroïque. Mais comme notre
langue , quoique moins daétylique que le grec &
le latin , ne laiftè pas d’être mêlée de longues &
de brèves, & que le choix en eft arbitraire dans
k s vers , il arrrive qu’un vers,a deux trois 3; quatre*
e p o m?
8c jufqu’à huit temps de plus qu’ua autre vers d».
la même melùre en apparence.
Je ne veux que la voir , foupicer, & mourir.
Traçât à pas tardifs un pénible fillon.
Ainfî, le mélange arbitraire des lÿllabes brèves-
& longues détruit dans nos vers la régularité de la
mefure. On ne peut cependant nier qfle, dans nos.
bons poètes, ils n’ayent le charme d’une harmonie
qui leur eft propre ; & un Poème écrit en beaux vers
a un grand mérite de plus. Mais pour cela lèroit-il
jufte d’aftreindre la Poéfîe épique à oblèrver une-
forme de vers qui n’a ni rhythme ni melure, & dont
l ’irrégulière lymmétrie prive la penfée, le lèntiment*
& l ’expreffion des grâces nobles de la liberté l
La profe a lôn harmonie ; & celle-ci, que noir
appelons' libre, fe forme, non de^ tel oit de tel
mélange de Ions régulièrement diviles , mais d’urc
mélange varié de lÿllabes faciles, pleines, & lônores*
tour à tour lentes & rapides, au gré de -l’oreille v
8c dont les lùlpenfîons & les repos ne lui laiffenfr.
rien à lôuhaiter. L à tous les nombres que l’oreille
s’eft choifîspar prédiledion, daétyle, Ipondée, ïambe,,
&c. fe fuccèdent & s’allient avec une variété qui
l’enchante & ne la fatigue jamais. {V. N om bre) La1
mefure précipitée ou lôutenue , interrompue ou remplie,
lùivant les mouvements de l’ame, laifte au lènti-
ment, d’intelligence avec l’oreille,choifîr & marquer
les divifîons : c’eft là que le trimètre , le tétramètre r
le pentamètre trouvent naturellement leur place ;
car c’eft une affedation puérile que d’éviter dans-
la proie la melùre d’un vers harmonieux , Ci ce
n’eft peut-être celle du vers héroïque dont le
retour Continu eft trop familier à notre oreille, pour
qu’elle ne lôit pas étonnée de. trouver ce vers ilôlër
au milieu des divifîons irrégulières de la proie»
Voyez Elocution.
Que l’harmonie imitative air fait une des beautés
des: vers anciens c’eft ce qui n’eft fenfible pour
nous que dans un très-petit nombre d’exemples»
Quelquefois elle peint l ’image.
Nec brachia Ion go
Margine terrarum porrexerat Amphitrlta,
Quelquefois' elle peint l’idée :
Magnum Jovis incrementum»
Quelquefois le lèntiment r
Qucefivit coelo lucem ingenuitque repertâ••
Mais rien n’eft plus difficile ni plus rare que de
donner à nos vers cette expreffion harmonique ; &
fî notre langue en eft lùlceptible, ce n’eft guère
que dans la proie, dont la liberté laifte' au goût
8c à l’ôreilfe du poète le choix des termes & des;
tours-: c’eft peut-être ce-qui manque à la proie nam—
breulè, mais monotone, du- Télémaque-.
Cependant , s’il faut céder à l’habitude où nous
femmes de voir des Poèmes en vers;, il y auroit"
un moyen d’en rompre la monotonie & d’ën rendre*
julqu’à un: certain point. L’harmonie unltaiive r- c e