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fait le mieux poffible pour l’elpèce de chant auquel
les vers étoient deftinés : mais le chant périodique,
dont il s’agit i c i , n’étoit pas connu de
ion temps ; il ne rétoit pas même en Italie ; on
lait que te fameux Corelli ' fi’en avoit pas l ’idée ;
& L u lli, lôn contemporain , l’ignoroit comme lui.
L ’invention de Y A i r , ou de la période mulicale,
eft regardée par les italiens comme la plus pré-
cieufè découverte qu’on ait faite en Mulîque ; la gloire
en eft due à Vinci. Les-italiens en ont abufé \
comme on abufe de tous les plailirs : ils ont,. làns
doute, trop négligé la vrailemblance & l ’analogie
qui fait le charme de l’exprelïion, lur tout dans ces
Airs de bravoure où l ’on a brife les paroles, dénaturé
le fentiment, làcrifié- la vrailemblance & l’intérêt
même au plaiiir d’entendre une voix brillante
badiner liir ün^roulade ou lùr un pafiàge léger.
Mais il y a longtemps qu’on a dit que l’abus des
bonnes choies- né prouve pas qu’elles loient mau-
vailés. Il faut prendre des italiens £e qu’un goût
pur & làin-, ce qu’un fentiment jufle & délicat approuve;
leur 1 aillé r le luxe & l ’abus, lé garantir
de l ’excès, & tâcher de faire comme ils ont fait
lôuvent, c’eft à dire, le mieux poffible.
L ’art d’arrondir & de lÿmmétrilèr la période musicale,
a été julqu’ici peu connu des françois , fî
ce n’eft dans leurs vaudevilles , où la phralé d’un
chant donné a prelcrit le rhythme des vers. Mais
par les eflàis que j’en ai faits moi-même au gré d’un
muficien habile , j’oie alïîirer que notre langue s’accommode
facilement à cette formule de chant. On
commence à le reconnoître ; oit commence même à
fentir que le charme de Y A i r , phrafé à l’italienne,
manque à la Icène de l’Opéra françois pour l’animer
& l’embellir ; & lorlqu’on làura l’y employer
avec intelligence & avec avantage, ainfi que le duo
& le récitatif obligé , il en féfeiterà, pour l’Opéra
françois, fer l’Opéra italien , une lupériorité que je
ne crains pas de prédire.
Mais on aura toujours à regretter que les chefs-
d’oeuvre de Quinault loient privés de cet ornement
; & cèlifi qui réulïiroit à les en rendre Itif-
eeptifedes, en conlérvant a ces poèmes leurs inimitables
beautés, feroit plus qu’on ne làuroit croire
pour les progrès de la Mufîque en France, & pour
la gloire d’un théâtre où Quinault doit toujours régner.
Quelque mérite que l ’on lùppolé à Lulli , la'
facilité , la noblefle, le naturel de lôn récitatif peuvent
être imités; & dans tout le relie, il n’eft pas
difficile d’être lûpérieur à lui. Mais rien peut-être
ne remplacera jamais les poèmes de Thélee ,- *de
Roland, & d’Armide ;, & toute nouveauté qui les
bannira du théâtre nous laiflera de longs regrets.
Le moyen le plus infaillible de nous rendre tout
à coup paffionnês pour une Mufique nouvelle, ce
fjproit donc de l’adapter à ces poèmes enchanteurs ;
& ce n’eft pas lànsy avoir réfléchi, que je crois
cela très-poifible*
( Deux chefs-d’oeuvre de M. Pîccipi ont vérifié
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mon preffèntiment : & ce qu’on ne trouvoit pas encore
allez prouvé pas ces opéras de Roland &
d’A tys, il l’a démontré dans celui d’Iphigénie en
Tauride; lavoir, que l’expreffion la plus tragique
Ce concilie parfaitement avec la mélodie & le defiin
d’un chant régulier & fini. )
J’ai dit que l’égalité des vers lie toit pas effen-
cielle à la lymmétrie du chant, lôit parce que deux
vers inégaux peuvent avoir des meferes égales, &
que le rpondée, par exemple , qui n’a que deux
lÿllabes, eft l’équivalent du daêtyle , qui en a trois;
lôit qu’il arrive auffi que le muficien, par des fî-
lendes ou par des prolations, liipplée au pied qui
manque'à un vers, pour égaler la longueur d’un
aq^re ; lôit enfin parce que les. phralès de chant
qui ne lônt pas correlpondantes, n’ont pas belôin
d’avoir entre elles une parfaite égalité. Mais entre
les membres lymmétriquement oppoles d’une période,
c’eft une choie précieufe que l’égalité du mètre
& que l’identité des nombres ; & l ’auteur qui me
lèrt de guide, en fait , avec railôn, un mérite à
Métaftale, à l’exclufion d’Apoflolo Zéno. Voici
l’exemple qu’il en cite , Sc cet exemple eft un®
leçon.-
L’onda che mormora
Fra fponda e fponda f
L’aura che, tremola
Tra fronda e fronda a ,
E meno inftabile
. Del veftro cor. .
Pur l’aime fimplici
Dei folli amanti
Sol per voi fpargorr® ^
Sofpiri e pîanti ,
E da voi fpera'no
Fede in amor.
Notre langue., il faut l’avouer , n’eft pas affôfc
daêtylique pour imiter une pareille harmonie ; mais
avec une oreille jjifte & long temps exercée aux
formules du chant , un poète françois, qui voudra
bien le donner un peu de peine en compolant les
paroles d’un A i r , y oblervera un rhythmÇ allez fen-
fible, une correlpondance allez marquée d’un nombre
à l’autre dans les parties lymmétriques , &
gifez d’analogie entre le mouvement du vers & le
caradère du léntiment ou de l’image, pou*- donner
lieu au muficien de concilier dans lôn chant l’unité
du' deffin, la vérité de Fexpxpflfon , la précifion des
mouvements, & cette juftelTef des rapports qui dans
les lôns plaît à l’oreille , comme dans, les idées
elle plaît à l’elprit.
Je ne dois pourtant pas diffimuler l’avantage que
•les italiens ont lùr nous à cet égard, & le voici:
plus une nation eft paffionnée pour un art , plus
elle lui donne de licences* delà vient que la Mufîque
italienne fait de la langue tout ce qu’elle veut ; qu’elle
combine les paroles; d’un A ir comme bon lui fem-
ble , & les répète tant qu’il lui plaît. Notre langue
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eft moins indulgente , & le fentiment de U mélodie
n’a pas encore tellement féduit & préoccupé
nos oreilles, que tout le refie y lôit' làcrifié : nous
voulons que la profôdie & le feus fôient relpedés
dans le plus bel A i r : une lyncope , une proiation ,
une inverfton forcée altèrent en nous l’impreffion
de la Mufîque la plus touchante ; & des paroles
trop répétées nous fatiguent, quelque facilité*qu’elles
donnent aux modulations du chant. De la vient que
l’A i r françois, dans un petit cercle de paroles, peut
difficilement avoir la même liberté , la même variété
, la même étendue que Y A i r italien. Que faire
donc l biffer la Mufîque à la gêne dans l’étroit espace
de huit petits vers , à lafimple expreffion desquels
le chant fera fer vilement réduit? c’eft lui ôter
beaucoup trop & de fà force & de fa gfâce. La
Mufîque, pour émouvoir, profondément l’oreille &
Famé-, a befôin, comme l’Eloquence, de graduer,
.de redoubler , de graver les impreffions : à la
première, ce n’eft fôuvent qu’une émotion légère ;
à la féconde , l ’ame & l ’oreille, plus attentives, feront
auffi plus vivement émues ; à la troifième ,
leur fenfîbilité, déjà fortement ébranlée , produit i’i-
vreflé & le tranlport. Voilà pourquoi dans les lymphomes,'
comme dans la Mufîque vocale , l’e retour
du motif a tant de charme & de pouvoir. Le vrai
moyen de fùppléer à la liberté que les italiens donnent
au chant de fe jouer des paroles, eft donc de
lui donner, dans les paroles mêmes, des deffins variés
à fîiivre & des détours à parcourir. L ’art du poète
eonfîfte alors à faire de toutes les parties de V A i r y
par leur liaifon , leur enchaînement, leur mutuelle
dépendance , & par la facilité des progreffions, des
pa{Tages, & des retours, à faire, dis-je , de tout
cela un enfemble bien afîôrti.
Les exemples que j’ai donnés de l ’alternative des
pallions dans un A ir à plufîeurs deffins, font entendre
ce que je veux dire. Les modèles que M.
Piccini nous en a donnés, le feront fenrir encore
mieux.
Mais je crois devoir obferver que pous nous rendons
beaucoup trop févères à l’égard des répétitions
, & qu’en réduilànt la Mufîque à une exprefe
fîon fîmple & fugitive , nous lui ôterions une grande
partie de là force & de là beauté. La Mufîque a
fen éloquence, & cette éloquence eonfîfte non feulement
à exprimer, comme la parole & mieux que
la parole , le fentiment qui leur eft commun ; mais
a le varier, à le développer , à lui donner par
accroiflèment tous les caraétères dont il eft fefe
ceptible : St c’eft là lôn grand avantage fer là fîmple
déclamation.
De combien de manières une femme qui fe croit
trahie par un époux qu’elle aime, ne dit-elle pas :
A Perche tradir m i,
Spofo in fedel i #
d’abord c’eft un reproche tendre ; bientôt un reproche
plus v i f , plus douloureux , & plus amer ; enfin
e’eft de l’indignation ; & dans l’expreffion variée
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dé ëëS {fois nuances de léntiment, la Mufîque peint
les effets de la réflexion fer une aine , où l’amour,
le dépit, la douleur fe feccèdent. Rien de plus naturel
làns doute , & auffi rien de plus touchant. ^
De combien de façons encore une femme qui
tremble pour les jours d’un époux adoré, ne dit-
elle pas:
Non vivo , non moro ;
Ma provo un tormenco
Di yiver penofo,
Di luongo moiir.
Or ce font là les variétés., les nuances, les
gradations que la Mufîque exprime en répétant le
mot fenfîble , avec Ges accents imprévus que le
génie trouve dans la nature, & dont lui leul fem-
ble avoir le fecret.
Dans le récitatif & dans le dialogue , c’eft
l’intérêt de l’adion qui domine , & rien ne doit
la retarder. Dans les fituations où Y A ir trouve
là place , c’eft de tel fentiment que l’on eft
occupé ; 3c fî on n’eft pas ennemi de ion plaifîr,
on laiifera à la Mufîque tous- les moyens d’en rendre
l’impreffion plus pénétrante '& plus profonde.
La fîmple déclamation a le choix de l ’expreffion
la plus touchante ; mais elle n’en a qu’une : on ne
lui permet pas de renchérir fer eile-meme. Le chant
a demandé à varier la fienne , à condition de la
rendre plus belle & plus fenfîble par degrés: ou
lui a accordé feette licence ; & quand l’oreille des*
françois aura mieux appris à goûter tous les charmes
de la Mufique , ils feront auffi indulgents questes
it .liens Font été. En Éloquence & en Poèfîe ,
l’amplification a lôn luxe, comme en Mulîque : ce
luxe eft vicieux. Mais J’orateur, 1e poète, le mu-
fîcien n’ont tort d’amplifier l’expreflion , que lorsqu’ils
l’affoibliffént ou qu’ils ne la fortifient pas; &
tant que celte du chant n’infifte que pour redoubler
de chaleur , de véhémence, & d’énergie , il
vn’y a qü’un goût minutieux & faux qui puifïè le
trouver mauvais. )
Il eft à craindre, je l’avoue, qu’un pareil chant,
au milieu de la Icène, interrompant 1e dialogue ,
ne ralentiflé l’adion & ne refroidiflè Fintérét ; 5c
c’eft pour cela que tes italiens l’ont prefque toujours
relégué, ou à la fin des fcènes , ou dans- tes monologues
: c’eft communément là qu’un perfônnage
livré à lui-même peut donner plus de développement
à lapaffionqui l’agite , au fentiment dont il eft occupé.
Mais au milieu même de la Icène la plus vive
& la plus rapidement dialoguée , il eft des cir-
conftaaces où ces élans impétueux de l ’ame, cette-
elpèce d’explolion des mouvements qu’elle a réprimés
, trouvent place, & loin de refroidir la fitua-
tion, y répandent plus de chaleur. Que devient
alors, demandera-t-on, l’interlocuteur à côté duquel
on chante ? Ce qu’il devient dans une tcène tra-*
gique, lorlqu’emporté par une paffion violente, le
perlônnage qui eft en Icène avec lu i , l’oublie & fe
livre à fes mouvements ; que devient GEnone, peu