
fèroît d’y employer des vers de differente mefure, I
non pas mélés au haford , comme dans nos Poéfies
libres, mais appliqués aux différents genres auxquels
leur* cadence eft le plus analogue. Par exemple ,
le vers de dix fyllabes , comme le plus /impie, aux
morceaux pathétiques ; le vers de douze aux morceaux
tranquiles St majeftueux ; les vers de huit
aux harangues véhémentes ; les vers de fept , de
' lîx , & cinq , aux peintures les plus vives & les plus
fortes. ( Je netiens plus à cette idée.)
On trouve, dans une épitre de l’abbé de Chau-
îieu au chevalier de Bouillon, un exemple frappant
de ce mélange de différentes mefores.
Tel qu’un rocher donc la tête .
Égalant le mont Athos,
Voit à fes pieds la tempête
Troubler le calme des flots.
La mer autour bruït & gronde J
Malgré ces émotions,
Surdon front élevé règne une paix profonde ;
Que tant d’ agitations,.
Et que les fureurs de l'onde
Refpe&ent à l’égal du nid des Alcyons.
Le coloris du ftyle eft une foite^l’imagination v & comme il en eft infe pdaur acbolleo,r isn odues avons cru devoir les réunir fous un même point de
vue. Voye\ Image.
L e ftyle de la Tragédie eft commun à toute la
partie dramatique de YÉpopée. Voye^ Tragédie.
Mais la partie épique permet, exige même des
peintures plus fréquentes & plus vives. Ou ces
peintures préfentent l’objet (bus fès propres traits,
& on les appelle Defcriptions y ou elles le préfen-
tent revêtu de couleurs étrangères, & on les appelle
Images.
Les Descriptions exigent non feulement une imagination
vive , forte , & étendue, pour foifir à la
Lois l’enfemble & les détails d’un tableau vafte ,
mais encore un goût délicat & sûr pour choifir &
les tableaux, & les parties de chaque tableau qui
font, dignes du Poème héroïque. La chaleur des
Defcriptions eft la partie brillante & peut-être inimitable
d’Homère ; c’ eft par là qu’on a comparé fon
génie à VeJJieu (Tun char qui s'embrâfe par fa
rapidité • . . Ce f e u , dit-on, ri a qri à paroître dans
les endroits oit manqué tout le refte, & fû t - il environné
d'abfirdités, on ne le verra plus. ( P r é f
de. PHomèreAngl. de Pope.) C’eft par là qu’Homère
a fait tant de fanatiques parmi les lavants , & tant
d’enthoufiaftes parmi les hommes de génie i c’eft par
là qu’on l’a regardé tantôt comme une fource in-
tariffable où s’abreuvoient les poètes;
>4 quo , eeu fonte perenni,
Vatum pieriis or a rigantur aquis ; Ovid.
tantôt comme l’avoit repréfenté le peintre Galathon,
çujusvomitum alùpoetcê adflantes abforbent* Æfia*
nus, l . X l l h
Mais ce n’eft point affez de bien peindre, il
faut bien choifir ce qu’on peint : toute peinture vraie
a /à beauté ; mais chaque beauté a fa place. Tout
ce qui eft bas commun , incapable d’exciter la
forprife , l’admiration , ou la curio/ité d’un lecteur
judicieux, eft déplacé dans Y Épopée.
Il faut, dit-on, des peintures/impies & familières
peur préparer l’imagination à Ce prêter au
rfierveilleux ; oui /ans doute ; mais le /impie & le
familier ont leur intérêt & leur noblefie. Le repas
d’Henri IV chez le folitaire de Gerfoi, n’eft pas
moins naturel que le repas d’Enée for la côte d’Afrique
: cependant l’un eft intére/Tant, & l’autre ne
l’eft pas. Pourquoi? parce que l’un renferme les
idées acceflbires d’une vie tranquile & pure , &
l’autre ne préfente que l’idée toute nue d’un repas
de voyageurs.
Les poètes doivent foppofèr tous les détails qui
n’ont rien d’intére/Tant, & auxquels la réflexion du
lefleur peut foppléer /ans effort ; ils foroient d’autant
moins excufobles de puifer dans ces fources
ftériles, que la Philofophiè leur en a ouvert de très-
fécondes. Pope compare le génie d’Homère à un
ajlre qui attire en fon tourbillon tout ce qu il trouve
à la portée de fe s mouvements : & en effet Homère
eft de tous les poètes celui qui a le plus enrichi
la Poéfie des connoiflances de fon fiècle. Mais s’il
revenoit aujourdhui avec ce feu divin , quelles couleurs
, quelles images ne tireroit-il pas des grands
effets de la nature, fi fovamment dèvelopés, des
grands effets de l ’induftrie humaine , que l’expé rience
& l’intérêt ont portée fi loin depuis trois-
mille ans ? La gravitation des corps , l’inftinft des
animaux , les dèvelopements du feu, les métamor-
phofos de l ’a ir, les phénomènes de Féle&ricité, les
Méchaniques , l’Aftronomie, la Navigation, trc.
voilà des mines à peine ouvertes, où le génie peut
s’enrichir : c’eft de là qu’il peut tirer des peintures
dignes de remplir les intervalles d’une'a&ion héroïque
: encore doit-il ctre avare de l’e/pace qu’elles
. occupent, & ne perdre jamais de vue un /peâa-
teur impatient, qui veut être délaffe fans être refroidi
, & dont la curio/ité Ce rebute par une longue
attente, fortout lor/qu’il s’apperçoit qu’on le aifo
trait hors de propos. C ’eft ce qui ne manqueroit
pas d’arriver , / i, par exemple, dans l’un des.intervalles
de l’aftion on empleyoit mille vers à ne
décrire que de6 jeux ( Éneide, l. V . ) . Le grand
art de ménager les Defcriptions eft donc de les pre-
fonter dâns le cours de Fanion principale, comme
les paflàges les plus naturels , ou comme les moyens
les plus /impies : art bien peu connu, ou bien négligé
ju/qu’à nous.
Nous n’avons pu donner ici que le fommaire d’un
long traité; les exemples fortout, qui appuient &
dèvelopent fi bien les principes , n’ont pu trouver
place dans les bornes d’un article : mais en parcourant
les poètes, un leéteur intelligent peut ai/é-
i paent y foppléer. D’ailleurs, comme nous l’avons
E P O
dit dans Yarticle Critique, Fauteur qui > P®ur
compofer un Poème, a befoin d’une longue etude des
préceptes, peut s’en épargner le travail»{M * ATak-
MONTEL* )
L ’homme eft naturellement porté à s’occuper
des grandes aventures,; il s’y arrête [avec plamr,
il tâche de fo repréfenter aufli vivement, & avec
autant de précifion qu’il eft poflible , ce que ces
faits ont d’intéreflant. Si l’a&ion a beaucoup d étendue
, fi elle renferme des évènements compliques,
nous cherchons à débrouiller ce qu’il y a d eilen-
c ie l , à le mettre en ordre dans notre elprit, aim
de pouvoir envifoger l’enfembfo d’un coup d oeil.
Nous ne nous bornons pas au récit de lhiftorien,
nous y ajoutons les circonftances que nous voudrions
y trouver, & notre imagination donne, aux per-
fonnages & aux chofes, une forme & un coloris.
Nous nous efforçons d’approcher les héros de près,
pour voir leur attitude , leurs geftes , les traits de
leur vifàge, entendre le ton de leur voix , & comprendre
leurs difoours. S’ils fè taifent, nous vou-
Ions au moins deviner leurs penfées for leur phy-
fionomie; fouvent nous nous mettons à leur place,
pour mieux /èntir les mouvements de leur ame
& Fimpreflion que les objets font for eux. Ainfi,
à mefore que l’aétion avance, nous éprouvons fou-
ceflivement toutes les pafïions, ^ toutes les agitations
qui naiflènt des . divers incidents ; nous nous
oublions en quelque façon nous-memes, & ne lom-
mes plus occupés que de ce que nous croyons voir
& entendre. r
Telle eft la fituation de tout homme lenlibie,
aufli fouvent qu’il Ce rappelle un évènement mémorable
qu’il a vu lui-même ou qu’il a ouï raconter,
& dont il délire de renouveler encore les agréables
impreflions. De là vient le plaifîr qu’il trouve a
raconter aux autres ce qui Fa frappé. Son ton s anime,
fos expreflions prennent l’empreinte du fèntiment;
ce n’eft pas un /impie hiftorien qui rapporte tout
uniment les faits ; il veut peindre les chofes telles
qu’il a fouhaité de les: voir , & les exprimer comme
‘ il a déliré de les ouïr. C ’eft de ce penchant naturel à
raconter des évènements mémorables , avec les additions
, les portraits , & l’ordre particulier que le
feu de l’imagination fopplée , qu’il faut dériver 1 origine
de Y Epopée. Un homme éloquent & fenfible
à un certain degré , compoforoit, fons y penfer,
un roman poétique, en Ce proposant Amplement de
faire un récit. Tels étoiènt probablement les premiers
Poèmes épiques des anciens bardes. L ’art n y
entroit encore pour rien ; lorfqu enfoite la réflexion
& Fart font venus au focours de la (impie nature,
la narration a pris un ton plus gracieux , une harmonie
plus agréable. L ’enfèmble a ete mieux ordonné
; les parties ont reçu une jufte proportion
entre elles &>vec le Tout; l ’ouvrage entier a eu
une belle forme ; & le bon goût, éclairé par 1 e-
tude , y a ajouté tout ce qui pouvoit y répandre
plus d’agrément : ainfi , YÉpopee , prpdu&ion de
Gramjü. et L ittérat. Tome J, Partie II*
e p o m *
l’art, a foccédé au récit naturel, comme les édifices
fomptueux aux abris que la nature offroit à
Fhomme dans les premiers âges. Au fimple néceP
foire & à ce que le fontiment foui dié ta it, s’eft joint
ce qu’une méditation réfléchie & un goût perfectionné
ont pu inventer pour embellir l ’ouvrage.
Ainfi , quiconque entreprendroit de donner une
théorie. exaéte de Fart épique , devroit, comme
dans la théorie de FArchitedure, remonter d’abord
jufqu’à ce qui a dû précéder tout art; recherchée
ce qui n’eft que naturel & indi/penfoble ; & palfec
enfoite à ce que Fart a ajouté pour perfedionner les
premiers eflTais. •
Mais les Critiques n’ont pas foivi cette méthode*
Ariftote, l’un des plus anciens d’entre eux »frappé
de la beauté des Poèmes épiques d’Homère , les établit
pour modèles , fans rechercher ce qu’il y avoit
de naturel & d’indi/penfoble , & le diftinguer du fim-
plement accefioire. Les Critiques qui foivï
ont tenu la même route ; ils fe font efforcés d’établir
des règles pour fixer les qualités de 1 Épopee^ juf-
ques dans le moindre detail ; mais ils ont rarement
remonté ju/qu’au premier principe; De là vient
que cette partie de la Poétique e ft, comme tant
d’autres, furchargée de règles & de préceptes,
dont un bon nombre eft , ou purement arbitraire ,
ou même faux. | r .
Nous nous propofbns de foivre les traces de la
nature pour découvrir ce qui conftitue l ’effenciel
de YÉpopée. Si nous réuffi/Tons à deviner l’origine
& le caraétère des premiers chants épiques , de ces
ébauches autofchediafmadques ( c’eft arnfi qu’Arif-
tote nomme les premiers e liais d’un-génie fans culture
) , il fora aifé d’en inférer ce que la réflexion
& le goût ont contribué à Fembelliflement foccefo
fîf de ces groffières productions. .y.'. I
Nous avons déjà dit que. le premier germe de
YÉpopée Ce trouve dans le penchant naturel que
nous avons , de raconter aux autres & de nous
rappeler vivement à nous-mêmes les faits intérefo
' fonts qui nous ont frappés. Des hommes qui ont
concouru enfomble à quelque expédition, ne peuvent
guère fe rencontrer fans en parler : chacun raconte
la partie de l’évènement à laquelle il a pris la plus
grande part, ou qui Fa plus touché. C ’eft par le
même principe de plaifir que chez les nations grol—
fières on inftituoit des fêtes publiques, en commémoration
des évènements remarquables & fortout
des exploits auxquels elle avoit eu part.
Dans ces fêtes folennelles , les e/prits font-déjà
naturellement échauffes & fofeeptibles des fenti-
ments les plus vifs* Ceux qui ont participé à l’action
qu’on célèbre, s’avancent au milieu de l’afi
femblée ; & pleins du feu qui les anime encore , ils
en font un récit circonffancié , pathétique , & pitto-
relque. Il eft probable, il eft même hi/tariquement
vrai de certains peuples., que le fouvenir des grands
évènements a été perpetue chez diveries nations pendant
plufîeurs fiècles par des fêtes annuelles éta-
plies à cet effet. Lorfqu’après une ou deux géné-
D d d d d