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fa g e, il eft arrivé que toute oeuvre poétique écrite
en vers-pentamètres & hexamètres, que} qu’en fût
le fùjet ^ gai ou-triftfe y s’eft nommée Élégie ; ce
•mot ayant changé (à première acception , & ne
•lignifiant plus qu’une pièce, écrite en vers pentamètres
& hexamètres. ,
• Il ne faut donc pas confondre Y Élégie avec le
vers élé'gidque^'ni par conféquent les poètes élé-
giaqiies avec les poètes èlégiographes : qu’on me
permette cette expreflion nouvelle, mais nécefîaire.
On employa a’abord les vers élégiaques dans les
occafions lugubres; enfoite Caliinus & Mimnerme
:édrivirent lniftoire de leur temps en ces memes
vers. Les (âges s’en (èrvirent pour publier leurs
lois ; Tirtée , pour chanter la valeur guerrière ;
Butas, pour expliquer les cérémonies de la religion ;
•Gallimaque, pour.célébrer les louanges des dieux;
•Eratoftène, pour traiter des queftions de mathématiques..
Mais tout Poème qui, employant le vers éié-
gîaque , ne déplore point quelque malheur , ou r.e
peint ni la triftefle mi la joie des amants,. n’pft
point une Élégie, dans le .fens qu’on a généralement
adopté pour ce mot: par conféquent les vers élégiaques
des.faftes d’Ovide & de lés amours, ne font
‘ point une Elegie
Cependant il eft certain qu’en grec & en latin
' le mélange des vers hexamètres & des vers pentamètres
eft tellement affeâé à Y Elégie & lui eft
tellement propre , que les grammairiens n’approu-
veroient pas qu’on appelât Élégie, la plainte de
Bion fur Adonis mort, ni celle que nous avons^ de ,
Mofchus fur la mort de Bion , par la feule raifon
que l’une & l’autre font conques en vers hexamètres.
Le temps nous a ravi toutes les Élégies.des grecs
proprement dites ; il ne nous refte du moins en entier,
que celle qu’Euriplde a inférée dans (on Andromaque
{ Acte I.Jcéne iij. ) , comme nos poètes^ ont inféré
quelquefois des (lances dans leurs Tragédies. Ce morceau
eft une vérttable Élégie à tous égards, en tous
fens ; & l ’on n’en connoît point de plus belle.
Andromaque dans le temple de Thétis , baignant
de fès larmes la ftatue de la déelfe qu’elle
« lient embràffée, fait, en vers élégiaques & en dia-
leéte dorique, une plainte très-touchante (ûr l’arrivée
d’Hélène à Tro y e, (ûr le fac de Troye, fur
la mort d’Hedor, fur (cm propre efclavage , & fur
la dureté d’Herriiione. La pièce, qui ne contient que
■ quatorze vers , comprend tout ce qu’une profonde
■ & vive douleur peut raffembler de plus affligeant
dans l’efprit d’une princeflè malheureufo ; cardia
grande affliâibn nous rappelle jfous un foui point
de vue tous nos différents déplaîfirs^
« Oui , ( dit cètte malheureufo princeflè, en baignant
de fès larmes la ftatue de Thétis , qu’elle
lient embraffée), » oui- , c’eft une furie & non une
%> époufè que Paris emmena dans. Ilion en y amenant
» Hélène ; ç’eft pour elle que la Grèce arma mille
- $ vaîflèàiix ; c’eft elle qui a perdu mon malheureux
» & cher époux, dont un ennemi barbare a traîné le
' * a> corps, pâle. & défiguré autour de. nos. murailles* Et
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» moi, arrachée de mon palais, & conduite au rivage
» avec les triftes marques delà (èrvitude ; combien
» ai-je verfé de larmes,* en abandonnant une ville
» encore fumante, 8c mon époux indignement laillé
» fur la pouflière? Malheureufo, hélas, que je fuis 1
» d’être obligée de furvivre à tant de' maux , & d’y
« furvivre pour être Tetclave d’Herniione , de la
» cruelle Hermione qui me réduit à me confumer en
» pleurs, aux pieds de la déeffe que j’implore & que
» je tiens embraflée. »
Euripide auroit pu exprimer les mêmes ehofès en
vers-ïambes comme il le fait par-tout ailleurs; il
auroit pu employer le vers hexamètre ; mais il a
préféré Félégiaque, parce que l’éiégiaque étoit le
plus propre pour, rendre Les (entiments douloureux.
Si nous , n’y f o u t o n s p a s aujou.rdhüi. çette propriété,
cela vient tans cloute de Ce que là langue
grèque n’eft plus vivante , & de ce que nous ne
(avons pas la manière dont les grecs prononçoient
leurs vers : cependant pour peu qu’on f a f i e d e réflexion
for la forme de Y Élégie grèque, on reconnoitra aifé-
mpnt combien le mélangé des vers, la variété des
p i e d s la période commençant & finiflànt au gré du
1 poète & à quelque mefore que ce- (bit, donnent
de facilité à varier:les.vers, Suivant les variations,
qui arrivent dahs les grandes, pallions , & (péciale-
ment dans les (entiments douloureux & dans l e s .
accents plaintifs qui en font P e x p r e f ï i o n .
Je dis Y Élégie grèque , à fa différence de Y Elégie
latine % car les latins , en prenant des grecs les
différentes formes de vers , les- ont réduites à une
forte de3correction qui approche prefque de-lafté-
rilité & de la monotonie.
O a ne. peut s’empêcher, en fàifant ees réflexions
fur l e , mérite des Élégies grèques, de ne pas regretter
particulièrement celles de.Sapho, de Platon 8.
de Mimnerme, de Simonide, de Philétas, de Calii-
maque, d’Herméfianax, & de quelques autres, dont
les outrages du temps, nous ont privés.
Il ne nous refte que deux foules pièces & quelques
fragments de toutes les Poéfies de Sapho : la
délicateffe dè ces précieux reftes font regretter la
perte des autres ouvrages de cette fille , que la
beauté de (cm génie fit for nommer la dixième, mufe ;
mais il eft aifé de fo perfiiader , & par l’Hymne
qu’efle adreffè à Vénus , & par cette Ode admirable
où elle exprime d’une, manière fi vive les fureurs
de l’amour, combien fos Élégies dévoient être tendres,
pathétiques, & paflionnées.
Je penfo aufli que celles de Platon * fï bien
nommé l’Homère des. philofophes,-font dignes de
nos regrets y j’en juge par le goût, les grâces, les
beautés , le ftyle enchanteur de fos autres ouvrages,,
& mieux encore par les vers paflîonnés qu’il fit pour-
Agathon, & que M. de Fontenelle a traduits dans-
fos dialogues.
Lorfqu’-A'gathîi par un baifec de flamme
Confient à me payer des maux que j-ai fends 5,
Surmes lèvres foudain je vois voler moname»,,
Qui yeut galfer fur celles d’Agathis#.
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Mimnerme , dont Smyrne & Colophon Ce ^(pillèrent
la naiflince, déploya fes talents fupeneurs
dans ce genre de Poéfie. Etant vieux & déjà lur
le retour, il devint éperdiiment amoureux dune
ioueufe de flûte appelée Nanno , & en éprouva
les rigueurs. Ce fut pour fléchir cette maitrefle
inhumaine, qu’il compofa des Elégies ii tendres &
fi belles, qu’au rapport d’Athenee tout le inonde
fe faifoit un plaifir de les chanter. Sa Poéfie a
tant de douceur & d’harmonie, dans les fragments
qui nous reflent de lu i, qu’il n eft pas éprenant
qu’on lui ait donné le furnom de Li^yftade, &
qu’Agathocle en fît fes délices. Sa réputation fe
Répandit dans tout l ’univers; & ce qui couronne
fen éloge, eft qu’Horace le préféré a gallimaque.
Simonide, à qui l’ile de Céos donna la naillance,
dans la fcixïme - quinzième Olympiade , n eut
guère moins de fuccès que Mimnerme dans le
genre élégiaque. Le caraâère de (a mufe etoit 11
plaintif, que les larmes de Simonide pafserent en
proverbe. .
► Fhilétas & Callimaque , car je ne les leparerai
point, vécurent tous deux a la cour de Ptolémee
Philadelphe , dont Philétas fut précepteur, & Callimaque
bibliothécaire. Les anciens qui font mention
de ces deux poètes , les joignent prefque toujours
enfemble. Properce invoque à la fois leurs mânes;
& quand il a commencé par lès louanges de^l’un ,
il finit ordinairement par le?,.,louanges de 1 autre.
Quintiiien même, en parlant de 1 Elégie, ne les a
pas féparés. Philétas publia plufîeiirs Elégies qui
lui acquirent une grande réputation, & dont 1 aimable
Battis om Bitds fut l’objet. Elles lui méritèrent
une ftatue de bronze, ou il etoic repréfente
drement aimée.
Pour Callimaque, on le regardoit,'au témoignage
de Quintiiien, comme le maître de Y Élégie. Catulle
fe fit un honneur de traduire fon Poème fur la chevelure
de Bérénice , & de trànfoorter quelquefois
dans fes propres écrits les penfees & les expref-
fions du poète grec ; & Properce , malgré fes talents,
n’ambitionnoit que le titre de Callimaque
romain. ; > ,
Herméfianax, contemporain d’Epicure , eft le
dernier poète grec dont le temps nous à. ravi les
Élégies. Il parut dans la foule des amants de la
fameufe Léontium, & c’eft à cette célébré cour-
tifone qu’il les avoit adrelfées. ^
La Poéfie fut ignorée , ou peut-être meprifee
des romains, ju(qu au temps que la SicUe pa(fa feus
leur domination. Alors Livius-Androhicus , grec
d’origine , (ut leur infpirer, avec l’amour du Théâtre
, quelque goût pour un art fi noble ; mais ce
goût ne commença de fe perfectionner qu’après que
la Grèce afïujettie leur eut donné des modèles.Bientot
ils tentèrent les mêmes routes ; & leur émulation
étant de plus en plus excitée, ils réuflirent enfin
à le difputer, prefque en tous les genres, à ceux
mêmes qu’ils imitoient.
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Pafmi les hommes de goût qui contribuèrent
davantage aux progrès de heu/ Poéfie,. on vitpa-
roître fucceftivement Tibulle, Properce , & Ovide
( car je laide Gallus, Valgius , Paflïenus, dont le
temps nous a envié les écrits) ;& ces trois poètes ,
malgré la différence de leur caraêtcre , ont fait
admirer leur talent pour le genre élégiaque :: mais
Tibulle & Properce ont fingulièrement réuni tous
les (ùffrages ; on ne fe laflè point de les louer.
Tibulle à conçu & parfaitement exprimé le
caraâère de l ’Élégie : ce détordre ingénieux qui eft
fi conforme à la nature, il a (ù le- jeter dans fes
Élégies ; on diroit qu’elles font uniquement le fruit
du fentiment. Rien de médite , rien de concerte ,
nul art, nulle étude en apparence. La nature feule
de la paffion eft ce qu’il s’eft propofe d imiter, &
qu’il a imité, en en peignant les mouvements & les
effets, par les images les plus vives & les plus.
naturelles. Il défire, il craint ; il blâme, il approuv
e ; il loue, il condanne; il détefte, il aime ; il
s’irrite , il s’appaife ; il paflè en un moment des
prières aux menaces, des menaces aux ftipplications.
Rien dans fes Élégies qui puiflë faire voir de la
fiâion , ni ces termes ambitieux qui forment une
efpèce de contrafte & (üppofent neceflàirement de
l’affeâatïon , ni ces allufions (ayantes qui decr.editent
le poète, parce qu’elles font di(paroitre la nature
& qu’elles déiruifent la vraifemblance. Dans Ti-
bulle tout relpire la vérité. I ' '
Il eft tendre', naturel, délicat, paflionné, noble
(ans fafte, fimple (ans baffeffe, élégant (ans artifice.
Il fent tout ce qu’il d ît, & le dît toujours de
la manière dont il faut le dire pour perfiiader qu il
le fent. Soit qu’il fe repréfente dans un défert inhabité
, mais que la préfence de. Sulpicie lui, fait
trouver aimable ; foit qu’il fe peigne accable d en^
nui, & réglant, comme s’il devoit expirer de fe
douleur, l’ordre & la pompe de fes funérailles ; i l
touche, il faifit, i l pénètre : & quelque chofe qu’il
repréfente, il tranfporte fon leâeur dans toutes les
fituatipns qu’iljlécrit.
Properce, ex a â , ingénieux, inftruit, peut fe parer
avec raifen du titre de Callimaque romain ; il le
mérite par le tour de fes expreftions, qu’il emprunte
communément des grecs, & par leuç cadence
qu’il s’eft propofé d’imiter. Ses Élégies^ font
l’ouvrage des grâces mêmes ; & n’en pas fentir les
beautés, c’eft fe déclarer ennemi des mufes. Rien
n’eft au defïus de fon art, de fon travail, de fon
favoir dans la Fable; peut-être quelquefois pourroit-
on lui en faire un reproche, mais fes images plai-
fent prefque toujours. Cynthie eft-elle légèrement:
affoupie ? telle fut ou la;fille de Minos lorfqu’a-
bandonnée par un- amant perfide, elle s’endormit
fur le rivage ; ou la fille de Céphée, quand , délivrée
d’un monftre affreux, elle fut contrainte de
céder au lommeil qui vint la fiirprendre. Cynthie,
verlè t-elle des larmes ? jamais cette femme fujDerbe
qui fut transformée en rocher, Ni©be,nen répandit
autant. Peint-il la fimplicité des premiers âges i
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