
le progrès du goût, de la culture de l’efprit, de
la . politefTe d’un peuple , qui décide des Bien-
Jeances. C ’eft à mefîire que les idées de nobleffe ,
de dignité, d’honnêteté, fo raffinent, Srquela Morale
théorique fo perfectionne , qu’on devient plus, fevère
& plus délicat
' Chaftes font les oreilles „
Encor que le coeur foie fripon
dit la Fontaine. On va plus loin ; & on prétend
que , plus le coeur eft corrompu , & plus les oreilles
lbnt chaftes : mais ce ri’eft qu’une façon ingénieufo
de faire la fatyre~ des fiècles polis. L ’Innocence , il
eft v ra i, n’entend malice à rien , & à les yeux rien
n’a befoin de voile : mais le Monde ne peut pas
touiours être innocent & naïf % comme dans fon
enfance ; & les fiècles , comme les perfonnes, peuvent,,
en s’éclairant, devenir a la fois & plus décents
dans le langage & plus févères dans les moeurs.
Quoi qu’il en foit, ce ne fut :%i’à l’époque du
Gid qu’on parut devenir délicat fur les BienJ'éances,
îorfqu’en fit un crime à Corneille, d’avoir faitpa-
roitre Rodrigue dans la maifon de Chimène après
la mort du comte , & d’avoir fait dominer l’amour
dans la conduite qu’elle tient. Ce furent les yeux
de l’Envie qui les premiers s’ouvrirent fur cette
faute , fi c’en eft une: ainfi, l’on dut peut-être alors
à l’envieufo malignité la réforme de notre théâtre
fur l’article des Bienféances , & cette févérité de
goût qui depuis en a fi fort épuré les moeurs. (M .
J / a r m o n t e l . )
* BLANCS (V e r s ). Belles-Lettres, Poéfie.
Dans la Poéfie moderne, on appelle Vers blancs
des vers non rimes., Plufîeurs poètes anglois &
allemands Ce font affranchis de la rime; mais les
allemands ont prétendu y fuppléer en compofànt des%
vers métriques à la manière des latins .; les anglois
Ce font contentés de leur vers rhythmique, qui eft le
même que celui des italiens. \>
Le vers peut avoir trois fortes d’agréments qui
le diftinguentde la Profè ; une harmonie plusfènfî-
b le , une difficulté de plus qu’on a le mérite de
vaincre & un moyen pour la mémoire de retenir
plus aifement la penfée & les mots ddnt le vers
eft formé. Le Vers blanc peut être auffi harmonieux
que le vers rimé, à la confonnanceprès, dont
l’habitude a fait un plaifîr pour l’oreille ; & fi dans
les Vers blancs lé poète a mis à profit la liberté
qu’ il s’eft donnée pour en mieux affortir les nombres
& les fons, le foibie plaifîr de la rime fera,
aifement compenfé. Mais la difficulté vainque , &
la furprife agréable qu’elle nous caufo, furtout iorf-
que la néceflité de la rime produit une penfée inattendue
& heureufement amenée, une expreffion.fîn-
gulière'& jufte, & dans l’une ou dans l’autre un
tour ingénieux ; ce mérite de l’art, qui fe renouvelle,
à chaque inftànt dans les vers ritpés , & qui,. par
une alternative continuelle, excite & fatisfait la
curiofité de l ’efprit, & l’impatience de l ’oreille,
n’exxfte plus dans les Vers blancs. Ils n’ont pas
non plus l ’avantage de donner à la mémoire , dans
l’unifïbn desdéfînences, des points d’appui, & comme
des fîgnaux qui l’empêchent de s’égarer ; & a ces
deux égards les. Vers blancs font inférieurs aux
vers rimés.
(5 J’ajouterai que, dans toutes les langues, les vers
les plu s “ difficiles à bien faire ont été les mieux
faits. De tous les vers métriques , l’hexamètre eft
celui qui admet le moins de licences; & c’eft en
hexamètres que font écrits les plus beaux poèmes
anciens. Notre vers de douze fyllabes eft le plus-
difficile des vers rhythmiques ; & c’eft en vers de
douze fyllabes que nos plus beaux poèmes font écrits.
L a contention de l’elprit en multiplie les forces ,
la néceflité en accroît les reffources ; & le plus grand
"défaut dont il ait à fe préforver, c’eft la molleffe
& la nonchalance. Or la difficulté de l’ expreffion
à vaincre à chaque inftant-, fi elle n’eft pas défof-
pérante, & fi on a devant foi des hommes de génie
qui l’ont vaincue avec grâce & nobleffe, eft un
aiguillon qui réveille à chaque inftant l'émulation
& qui excite la parefïe. L ’homme qui fe font du
talent, preffé d’un côté par le défi que lui donnent
l ’art & l’exemple, & de l’autre côté par le
goût, qui ne lui pafle aucune incorrection de ftyle ,
rien de lâche, rien de diffus , rien d’obfour, &
rien de pénible, raffemblera tous fes moyens ;ceux
de la mémoire, pour la recherche des mots & des
tours de la langue; ceux de l’imagination , pour
le choix des images ; ceux de la penfée, pour l’invention
de ces idées acceffoires/qui doivent enrichir
le ftyle, en même temps .qu’elles viennent
remplir les temps & les nombres du vers. Voilà,
je crois , ce~qui fo paflè dans l’efprit du poète qui
travaille ferieuforoent ; & fon foeret, pour parottre
avoir la plume abondante & facile, c’eft de plier'
& de replier fon expreffion dans tous les fons ,
d’en effayer toutes les formes , jufqu’à ce qu’il ait
réuni la régularité , la précifion , l’élégance , l’harmonie
, & le coloris , & que dans les gênes du vers
il ait acquis l’aifànce' de la Profè-: c’eft ce que
Defpréaux fo vantoit d’avoir appris à Racine , &
ce que Racine" bien tôt' fut mieux que Defpréaux
lui- même ; car il s’en faut bien que le travail fë
cache dans les vers de Y Ar t poétique, comme dans
les vers d'Andromaque , de Bérénice & de Britan-
meus. '.
Mais, dans ces vers, qui peut calculer toutes,
les beautés dont la Poéfie eft redevable à la contrainte
de la mefùre & de la rime ? Dans les fables
de la Fontaine, dont le genre a permis un ftyle
plus concis & moins artiftement lié , c’eft un plaifîr
de voir combien de vers heureux la rime fomble
avoir fait naître, & avec qu’elle facilité.
Par exemple , dans ce.récit:
Un vieux renard’, U13*5 des plus fins,
Grand croqueur de poulets, grand preneur de l a p in s , .
Fut enfin au piège attrappé
vien ne manqupit au fons ; mais il falioit une rime
â Queue, & cette rime étoit unique : l’amener étoît
une chofo très-difficile; & quand on lit le ver-s qui
réfbut le problème , rien ne paroit plus naturel :
Grand croqueur de poulets, grand preneur de*lapins ,
Sentant fon renard d’une ’lieue.
Dans la fable du Loup berger, que le poète -eût
'dit feulement-:
11 s’habille en berger , endoffe un hoqueten,,
Fait fa houlette d’un bâton ;
c ’étoît afïèz : mais Kufe, qui venoit au bout d’un
vers lùi-vant, demandoit une rime ; & pour la rime
s’eft préfonté ce vers naïf qui achève le tableau :
Sans oublier fa -cornemufe.
Il en eft de même de l’hémiftiche , comme aujji fa
mufette , que l’efprit ne demandoit pas , & que
Ja néceffité de la rime & de la mefùre a fait
trouver.:
. Son chien dormôic auffit comme auffi fa mufette.
D e même., dans la^fable du Chêne & du Rofoau :
Tout vous eft Aquilon, tour me .femble Zéphyr,
Dans celle de l’Aigle & de l’Efoarbot:.
.C’eft mon voifîn , ■ c’eft mon.eompère».
Dans celle du.Chat & du vieux Rat-:
Même il avoit perdu fa queue à. la bataille.
Dans cellé du Lièvre & de la Perdrix s
Miraut, fur leur odeur ayant philofbphé.
Dans celle des obféques de la Lionne z
L estionsn-ônt point d’autre temple.
Dans celle de l’Ane & du Chien, après ce vers:
Point de .chardons- pourtant : il s’enpaffa pour l’heure.;
cette réflexion fi plaifànte ,
Il ne faut pas toujours être fi délicat.
Dans celle de Jupiter & des tonnerres , ce vers
■ de fontiment fi fîmple & fi fùblime.:
Tout père frappe à.côté.
Tout cela , dis-je , peut avoir été inventé , comme
Je font les plus grandes chofos, par l ’occafîon &
le befoin ; & peut-être aucun de .ces traits , ni
anille autres^ fomblables , ne fèroient venus au poète ,
rs il eut écrit en Profè ou .en Vers blancs.
On nous dira que , fi la rime a valu à la Poéfie
quelques rencontres ingénieufos, -elle lui a coûté
;bien des facnfices du côté de la prêcifîon & du
matureL ,J en conviens., à l ’égard des poètes qui
•ont écrit avec trop' de précipitation ou de négligence
y mais je répété que, ïorfque des hommes de
*'énie & de goût ont écrit- avec foin, ils ont par-
traitement rempli le précepte de De [préaux^
La Rime eft une efclave, jne doir qu’obéir..
I-res vers .de Racine ne fe reffontentjpasplus de cette
gêne , que ceux’ de yirgile ne fo reflentent de la
néceffité de finir par un da&yle & un fpondée. )
Au fùrplus , ce n’eft pas pour fo donner plus de
peine qu’on, a voulu fo délivrer de la contrainte
de la rime; & le foin qu’on auroit mis à la cher-?
cher , on ne l ’a pas employé à rendre le Vers blanc
plus énergique , plus élégant., ou plus harmonieux,-
Quelque foin même qu’on y employé , il eft difficile
que cette efpèce de vers ait une harmonie
a fiez marquée, aflez chère à l’oreille, affez fùpé-
rieure à celle do la bonne Profè , pour compenfor
par cela foui le défàgrément & la gêne d’une cadence
uniforme, dont ,l ’oreille doit fe laffer lorsqu’
il n’en réfùlte pour elle nulle autre efpèce de
plaifîr. La liberté de varier, au gré de la penfée,
du fontiment, & de l’image, les nombres, la coupe
& le tour périodique du di(cours , eft une choie
trop précieufo pour la facrifier au pur caprice d’aligner
les mots fur des mefùres qui ri’ont pas même
le foibie mérite d’être égales ; & .lorfqu’on n’écrit
pas en Profè, il faut donnèr aux vers, en agrément
ou en utilité, un avantage que la Profè ivait
pas. ( M. Marmontel.')
BONHEUR , CHANCE. Synonymes.
Termes relatifs aux évènements ou aux circonftan-
ces qui ont rendu & qui rendent un homme content de
fonexiftence. Mais Bonheur eft plus général queChance
; il embraffe prefque tous.ces évènements. Chance
n’a guère de rapport qu'à ceux quidépendent du ha-
fàrd pur ; ou dont la caufo, étant tout à fait indépen-
dante.de nous, a pu: & peut agir tout autrement que
nous ne le délirons, fans que nous .ayons aucun fùjet
de nous en plaindre.
On peut nuire ou contribuer à fon Bonheur •: la
Chance eft hors de notre portée ; on ne fo rend point
chanceux, on l ’efLou on ne l ’eft pas. Un homme
qui jouïffoit d’une fortune honnête, a pu jouer ou
ne pas jouer à pair ou non ; mais toutes fos qualités
personnelles ne pouvoient pas augmenter fa Chance«
( M . D id e r o t .. ) -
' BONHEUR , F É L IC IT É , B É A T ITU -
DE. Synonymes.
Ces mots lignifient également un état avantageux
& une fîtuation gracieufe. Mais celui de Bonheur
marque proprement l ’état de la fortune, capable de
fournir la matière des plaifîrs & de mettre à portée
de les prendre. Celui de Félicité exprime particulièrement
l ’état du coeur , difpofé à goûter le plai-
'fîr & -à le trouver dans ce qu’on pofsède. Celui de
Béatitude, qui eft du ftyle myftique, défîgne l’état
de l’imagination , prévenue & pleinement iàtisfaite
des lumières qu’on croit avoir & du genre de vie
qu?on a embraffé.
Notre i5 o/ïAt'w/-brille aux yeux du Public & nous
expofè fou vent à l ’envie. Notre Félicité fe fait fon tir
à nous feuls., & nous donne toujours de la fotisfàc-
tion. L ’idee de la Béatitude s’étend & fo perfeéÜorme,
.au delà de la vie temporelle.