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tant plus beaux, qu’ils font plus variés, & ils font
d’autant plus variés, qu’ils ont plus de cotes comparables.
Il eft v ra i, difent-ils, qu en augmentant
beaucoup le nombre des côtés, on perd de vue les
rapports qu’ils ont entre eux & avec le rayon ; d où
ilVenfuit que la Beauté de ces figures n augmente
pas toujours comme le nombre des Cotes. Il^fe font
cette objeftion, mais ils ne fe foueient guère d y
répondre. Ils remarquent feulement que le defaut du
parallélifme, dans les côtés des heptagones & des autres
polygones impairs, en diminue la Beauté : mais
ils foutiennent toujours que, tout étant égal d ail-,
leurs, une figure régulière à vingt cotes furpalle
en Beauté celle qui n’en a que douze; que celle-ci
l ’emporte fur celle qui n’en a que huit; St cette dernière
fur le quarré. Ils font le même rationnement
fur les furfaces St fur les folides. De tous les folides
réguliers, celui qui a le plus grand nombre de fur-
faces eft pour eux le plus beau, & ils penfentque
la Beauté de ces corps va toujours en decroiffant jul-
qu’à la pyramide régulière.
Mais fi entre les objets également uniformes, les
plus variés font les plus beaux , filon eux ; réciproquement
entre les objets également^variés, les plus
beaux feront les plus uniformes : ainfi , le triangle
équilatéral, ou même ifocèle, eft plus beau que le ica-
lene ; le quarré, plus beau que le rhombe ou lofange.
C ’eft le même raifennement pour les corps folides
réguliers , & en général pour tous ceux qui ont quelque
uniformité, comme les cylindres, les prifines, les
ôbélifques, Oc-, St il faut convenir avec eux que ces
corps plaifent certainement plus à la vue que des ligures
groffières, où l’on n’apperqoit ni uniformité, ni
(Ÿmmétriê, ni unité*
Pour avoir des raifons composées du rapport de
l’uniformité & de la variété , ils comparent les cercles
& les fphères avec les ellipfes & les fpneroides
peu excentriques ; & ils prétendent que la parfaite
uniformité- des uns eft composée par la variété des
autres, & que leur Beauté eft-à peu près égalé.
L e Beau , dans les ouvrages de la nature, a le
même fondement félon eux. -Soit que vous envita-
g ie z , difent-ils , les formes des_corps celeftes ,
leurs révolutions, leurs, afpeas; foit que vous descendiez
des deux fur la terre , & que vous conlt
dériez les plantes qui la couvrent, les couleurs dont
les fleurs font peintes, la ftrufture des animaux,
leurs efoèces , leurs mouvements , la proportion de
leurs parties, le rapport de leur méchanilme a leur
bien-être; foit que vous vous élanciez dans les^ airs,
& que vous examiniez les oifeaux St les meteores ;
ou que vous vous plongiez dans les eaux , & que vous
compariez entre eux les poilïons ; vous rencontrerez
partout l’uniformité dans la variété, partout vous
verrez ces qualités compenfées dans les etres egalement
beaux , & la raifon compofée des deux, inégalé
dans les êtres de Beauté inégale ; en un mot,
f ’il eft permis de parler encore la langue des géomètres,
vous verrez dans les entrailles dp la terre -
fond des mers, au haut de l’athmofphere, dans
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la nature entière & dans chacune de les parties,
l’uniformité dans la variété, & la Beauté toujours en
raifon compofée de ces deux qualités.
Ils traitent enduite de la Beauté des arts, dont on
ne peut regarder les productions comme une véritable
imitation, telle que 1’ArchiteCture »les arts me-
chaniques, & l’harmonie naturelle ; ils font tous leurs
efforts pour les afïujettir à leur loi de l’uniformtte
dans la variété : & fi leur preuve pèche , ce n eft
pas par le défaut de l’énumération ; ils defeendent
depuis le palais le plus magnifique jufqu’au plus petit
édifice, depuis l’ouvrage le plus précieux jul-
qu’aux bagatelles, montrant le caprice partout ou
manque l’uniformité , & l’înfîpidite pu manque la
^Mâis il eft- une claffe d’êtres fort 'différents des
précédents , dont les fixateurs d’Hutchefoo-fint fort
embarraffés ; caron y reconnoît de la B eauté, St
cependant la règle de l’uniformité dans la variété
ne leur eft pas applicable : ce font les démonftra-
tions des vérités abftraites & universelles. Si un theo-
rème contient une infinité de vérités particulières
qui n’en font quele développement, ce théorème n’eft
proprement que le corollaire d’un axiome d où découlé
une infinité d’auttes theoremes ; cependant on
dit Voilà un beau théorème, & l’on ne dit pas Voila
un bel axiome. . -
Nous donnerons plus bas la folution de cette dit-
ficulté dans d’autres principes, Palfons à l’examen du
Beau relatif, de ce Beau qu’on apperqoit dans un
objet confidéré comme l’imitation d’un original, felon
ceux de Hutchefen & de fes feftateurs.
CefÉe partie de fon (ÿftême n’a rien de particulier.
Selon cet auteur , & felon tout le monde , ce Beau
ne -peut confifter que dans la conformité qui fe trouve
■ entre le modèle & 1a copie. . .. , -
D’où il s’enfuit que, pour le Beau relatif, il n elt
pas nécelfaire qu’il .y ait aucune Beauté dans 1 original.
Les forêts, les montagnes, les précipices, les
chaos , ies rides de la vieilleffe, 1a pâleur de la mort ,
les effets de la maladie plaifent en Peinture ; ils plai*
font aufli en Poéfîe : ce qu’Ariftote appelle un caractère
moral, n’eft point celui d’un homme vertueux?
St ce qu’on entend par fabula bette rnorata, n eft
autre chofe qu’un poème épique ou dramatique, ou
les allions , les fentiments, & les difeours font d accord
avec les caraflères bons ou mauvais.
Cependant on ne peut nier que la peinture d un
objet qui aura quelque Beauté abfolue, ne plaife ordinairement
plus que celle d’un objet qui_ n aura
point ce Beau. La feule exception qu il y ait peut-
être à cette règle, c’eft le cas où , la conformité de
la peinture avec l’état du fpeflateur gagnant tout ce
qu’on ôte à la Beauté abfolue du modèle, la peinture
en devient d’autant plus intéreffante ; cet intérêt qui
„ait de l’imperfeâion , eft la raifon pour laquelle
oh a voulu- que le héros d’un poème epique ne fût
point fans défaut. _
- La plupart des autres Beautés de la Poefie & de
l’Éloquence fuivent la loi du Béait relatif. k a^ n »
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îbrmïté avec le vraï rend les comparaïfolîS, les métaphores,
& les allégories belles, lors même qu’il
n’y a aucune Beauté abfolue dans les objets qu’elles
repréfentent.
Hutchefen infîfte ici fur le penchant que nous
avons à la comparaifon. Voici, felon lu i, quelle en
eft l’origine. Les pallions produifent prefque toujours
dans les animaux les mêmes mouvements qu’en
nous; & les objets inanimés de la nature , ont fou-
vent des pofitions qui reflemblent aux attitudes du
Corps humain dans certains états de l’ame : il n’en
a pas fallu davantage , ajoûte l’auteur que nous ana-
lyfens , pour rendre le liôïi le fymbole delà fureur ,
le tigre, celui de la cruauté ; un chêne droit, &
dont la cime orgueilleufe s’élève jufques dans la nue,
l ’emblème de l’audace ; les mouvements d’üne mer
agitée, la peinture des agitations de là colère ; &
la moleffe de la tige d’un pavot, dont quelques gouttes
de pluie ont fait pencher la tête , l ’image d’un
moribond.
T e l eft le fÿftême de Hutchefen , qui paroifra fans
doute plus fîngulier que vrai. Nous ne pouvons cependant
trop recommander la leCture de fen ouvrage,
fur tout dans l’original ; on y trouvera un grand
nombre d’obfervarions délicates fer la manière d’atteindre
la perfection dans la.pratique des beaux arts.
Nous allons maintenant expofer les idées du P.
André jéfuite. Son EJfai fu r le Beau eft le fÿftême
le plus fuivi, le plus étendu, & le mieux lié que
je connoiffe. JPoferois alTüirer qu’il eft dans fen genre
ce qu’eft dans le fîen le traité des Beaux Ans
réduits à un feul principe. Ce feftt deux bons ouvrages
auxquels il n’a manqué qu’un chapitre pour
être excellents ; & il en faut (avoir d’autant plus
mauvais gré à ces deux auteurs de l’avoir omis. M.
l ’abbé Batteux rappelle tous les principes des beaux
arts à l’imitation de la belle nature , mais il ne nous
apprend point ce que c’eft que la belle nature. Le
P . André diftribue avec beaucoup de (àgaçité & de
philofephie le Beau en général dans fes différentes
efpèces; il les définit toutes avec précifion : mais
on ne trouve la définition du genre , celle du Beau
en général , dans aucun endroit de fen livre , à
moins qu’il ne lefaffe confifter dans l’unité, comme
S. Auguftin. Il parle fans celle d’ordre , de proportion
, d’harmonie, &c. mais il ne dit pas un mot
de l’origine de ces idées.
Le P. André diftingue les notions générales de
l’efprit pur , qui nous donnent des règles éternelles
du Beau ; les jugements naturels de l’ame, oùle fen-
timent fe mêle avec les idées purement fpirituel-
le s , mais fans les détruire ; & les préjugés de l’éducation
& de la coutume, qui femblent quelquefois-
les renverfer les uns & les autres. Il diftribue fen
ouvrage en-quatre chapitres Le premier eft du Beau
vifible. ; le fécond , du Beau dans les moeurs ,• le
troifième, du Beau dans les ouvrages d'efprit ; &
le quatrième , du Beau mujical.
Il agite trois queftions fer chacun de ces objets; il
prétend qu’on y découvre un Beau ejfenciel, abfôlu,
C ramm. et L it t ê r a t . Tome I .
indépendant de toute inftitution , même divine; un
Beau natu'dl, dépendant de l’inftitution du créateur,
mais indépendant de nos goûts; un Beau artificiel
& en quelque ferte aroitraire, mais toujours avec
quelque dépendance des lois éternelles.
Il: fait confifter ie Beau ejfenciel, dans la régularité
, l’ordre, la proportion, la fyinmétrie en général
; le Beau naturel, dans la régularité, l’ordre,
les proportions, la fÿmmétrie obtervées dans les êtres
de la nature ; le Beau artificiel, dans la régularité,
l’ordre, la fymnrétrie, les proportionsobfervées dans
nos productions niéchaniques , nos parures , nos batiments,
nos jardins. Il remarque quece dernier Beau
eft mêlé d’arbitraire & d’abfelu. En Architecture, pat
exemple, il apperçoît deux fortes de règles : les
unes qui découlent de là notion , indépendante de
nous,.du Beau original & ejfenciel, & qui exige
indifpenfàblement la perpendicularité des colonnes,
le parallélifme des étages , la fÿmmétrie des membres
le dégagement & l’élégance du deffin , & l’unité
dans le Tout : les autres qui ferit fondées fer des
obfervations particulières, que les maîtres ont faites
en divers temps, & par lefquelles ils ont déterminé
les proportions des parties dans les cinq ordres d’Ar-
chiteCture. C ’eft en conséquence de ces règles, que
dans le tofcan la hauteur de la colonne contient
fept fois le diamètre de fâ bafe, dans le dorique huit
fois, neuf dans l’ionique, dix dans le corinthien ,
& dans le compofite autant ; que les colonnes ont
un renflement depuis leur naiflànce jufqu’au tiers du
fû t; que dans les deux autres tiers, elles diminuent
peu à peu en fuyant le chapiteau ; que les entre-
colonnements font au plus de huit modules , & au
moins de trois ; que là hauteur des portiques , des
arcades ,< des portes, & des fenêtres eft double de
leur largeur. Ces règles, n’étant fondées.que fer des
obfervations à l’oeil & fer des exemples équivoques
font toujours un peu incertaines , & ne font pas tout
à fait indifpënfables. Aufli voyons-nous quelquefois
que les grands architectes fe mettent au deflïis d’elles
, y ajoûtent, en rabattent, & en imaginent de
nouvelles felon les circonftançes*.
Voilà donc dans les productions des arts, un Beau
ejfenciel, un Beau de création humaine, & un Beau
de fyflême : un Beau ejfenciel, qui confifte dans l’ordre
;• un Beau de création humaine, qui confifte dans
l’application libre & dépendante de l’artifte des lois
de l’ordre , ou pour parler plus clairement, dans
le choix de tel ordre : un Beau de fyflême, qui naît
des obfervations, & qui donne des variétés même
entreTes plus (avants artiftes ; mais jamais au préjudice
du Beau ejfenciel, qui eft une barrière qu’on
ne doit jamais franchir. Hic •munis aheneus ejlo•
S’il eft arrivé quelquefois aux grands maîtres de (à
laifler emporter par leur génie au delà de cette barrière
, c’èft dans les occanons rares où ils ont prévu
que cet écart ajouteroit plus à la Beauté qu’il ne
lui ôteroit ; mais ils n’en ont pas moins fait une faute
qu'on peut leur reprocher.
Le Beau arbitraire fe fobdivife , felon le même
Q î