
Le fècrétaire ayant écrit au cardinal de Fleury
ce qui s’étoit palTé à Xacadémie , le minière en
parla au ro i, & répondit en ces termes au fècrétaire
: Le roi trouve bon, Monjîeur, que /'académie
accepte Les entrées. Ce ne fut qu'avec l’agrément
du ro i, notifié pâr le cardinal minière, que les
entrées furent acceptées»
C ’eft ainli que les académiciens, qui par leurs
places font particulièrement attachés au fèrvice de
l ’Etat, ne pouvant être aflidus aux afièmblées ordinaires
, fè font toujours fait un devoir de prouver
leur zèle pour la compagnie : il n’y en* a point
qui n’ayent quelquefois contribué au travail académique
, lorfqu’ils ont eu des doutes à propofèr. Les
différentes éditions du Dictionnaire doivent donc
être regardées comme l’ouvrage de tous les académiciens.
Il y a même des exemples de l ’honneur
que le roi a fait à Xacadémie de la confùlter, & où
il a daigné concourir à la décifîon.
Ce n’eft pas feulement de la part de fès membres
que Xacadémie a éprouvé des marques d’attachement.
Un particulier , aufïi ignoré que le font ceux
qui fè bornent à remplir les devoirs de citoyen,
M. Gaudron, légua en 1746 à Xacadémie une
rente de 300 liv. pour donner annuellement un
prix.
Il y avoit déjà long temps que., par les différentes
révolutions arrivées dans les finances, les contrats
de fondations des prix faites par Balzac & par
l ’évêque de Noyon ( Clermont-Tonnerre ) , étoient
réduits à moins de la moitié de leur valeur. U a -
cadémie ne pouvoit plus donner qu’un prix chaque
année, encore ajoutoit-elle un fûpplément pour
qu’il fut de 300 livres : le legs fait par M. Gaudron
la mit en état de donner deux prix tous les ans.
L ’académie jugeant enfûite que des médailles de
300 liv. étoient trop foibles , attendu l’augmentation.
numéraire du marc des matières, elle réfèl#t
de réunir les trois fondations , qui ne forment aujourd’hui
qu’un fonds propre à fournir avec un.
fûpplément une médaille de 600 liv. pour un prix
annuel qui eft alternativement 'd ’Éloquence & de
Poéfîe. L ’agrément du roi étant néceftâire pour
autorifer cet arrangement, S. A. S. M. le comte
de Clermont, que le fort venoit de faire diredeur ,
remplit les fondions de cette place, & fit auprès
du roi les démarches qu’elle exigeoit.
En parlant de ce prince , je ne puis me difi-
penfèr de rappeler les circonfiances de fon entrée
dans Xacadémie. Il fit communiquer le défîr qu’il
en avoit à dix d’entre nous, tous gens de Lettres ,
'du nombre desquels j’étois, en nous recommandant
le plus grand fecret à l’égard de ceux de la Cour,
jufqu’au moment où il convîendroit de rendre fon
voeu public. Le premier mouvement de mes con-r
frères fut d’en marquer au prince leur joie &
leur reconnoifiance, Je partageai le fécond fènti-
ment : mais je les priai d’examiner , fi cet honneur
fèroit pour la compagnie un bien ou un mal ; s’il
»e pouvoit pas devenir dangereux; fi l ’égalité que
le roi veut qui règne dans nos féances entre tous
les académiciens, quelques différents qu’ils foient par
leur état dans le monde, s’étendroit jufqu’à un prince
du fâng ; enfin fi nous, gens de Lettres , ne nous ex-
pofions pas à perdre nos prérogatives les plus pré-
ciéufès, qui toucheroient peu les gens de la Cour
nos^ confrères , allez dédommagés par la fûpé-
riorité qu’ils ont fixe nous par tout ailleurs : peut-
être même ne fèroient-ils pas fâchés de l ’ufarper
dans 1 académie, en continuant de l’y reconnoître
dans un prince à qui iis ne pouvoient la difputer
nulle part. Je leur repréfèntai que le projet dont
M. le comte de Clermont nous faifoit part n’étoit
qu’une^ efpèce de confûltation, puifqu’il nous de-
mandoit en même temps de l’inftruire des ftatuts
& ufâges académiques.
Ces obfèrvations frappèrent mes confrères , qui
m’engagèrent à rédiger fur le champ le Mémoire
fommaire qui fuit, & qui fut remis le jour même
a M. le comte de Clermont. L ’évènement a
prouvé que nous avions pris une précaution fàge
& nécefîaire.
Mémoire•
« Les fiatuts de Xacadémie font fi fimples, qu’ils
n ont pas befoin de commentaires. L e fèul privilège
dont les gens de Lettres qui font véritablement ,
qui^ conftituent X académie ^ foient jaloux , c’efi l ’égalité
extérieure qui règne dans nos afièmblées :
le moindre des académiciens en fortune ne renon-
ceroit pas à ce privilège.
Si S. A. S. fait à 1: 'académie l’honiïeur d’y entrer ,
elle doit confirmer par fâ préfènee le droit du corps
en ne prenant jamais place au défiés des officiers. S.
A. S. jouira d’un plaifir qu’elle trouve bien rarement,
celui d’avoir des égaux, qui d’ailleurs ne font que fictifs
, & elle confâcrera à jamais la gloire des Lettres.
Comme S. A . S. eft digne qu’on lui parle avec
vérité, j’ajouterai que, fi elle en ufoit autrement,
Xacadémie perdroit de fâ gloire au lieu de la voir
croître ; les cardinaux formeroient les mêmes prétentions
, les gens titrés viendroient enfûite, & j ’ai
allez bonne opinion des gens de Lettres pour croire
qu’ils fè retireroient. La liberté avec laquelle nous
difons notre fjèfitiment, eft une des plus fortes preuves
de notre refped pour le prince, & , qu’il nous permette
le terme , de notre eftime pour fâ perfonne.
Il refte à obferver que , lorfque Xacadémie va
complimenter le roi, les trois officiers marchent
à la tête, & tous les autres académiciens fûivant
la date de leur réception. O r , S. A . S. eft trop
fûpérieure à ceux qui compofènt Xacadémie pour
que la place ne lui foit pas indifférente : Elle peut
fe rappeler qu’au couronnement du roi Staniflas ,
Charles XII fè mit dans la foule : en effet, il n’y
a point d’académicien qui, en précédant S. A . S.
n’en fût' honteux pour fç>i - même , s’il n’en étoit
pas glorieux pour les Lettres : on n’eft donc entré
dans ce détail que pour obéir à fès ordres ».
Le prince'approuva nos obfèrvations, ou * fi l’en
veut, nos conditions, fôufcrivit à tout, & auffitôt
qu’il y eut une place vacante ( ce fut celle de M.
de Boze ) , en parla au ro i, qui donna^ fon agrément
& promit le fècret ; de notre côté, nous le
gardâmes très-exactement à l’égard des académiciens
de la Cour, qui ne l’apprirent qu’à l ’aftèmblée
du • jour indiqué pour l’éleétion. La rumeur fut
grande parmi eux , fûr tout de la part dés gens
lettrés , qui craignirent de fè voir fûbordonnes à
un.confrère d’un rang fi fûpérieur. Cachant leur
vrai .motif fous le voile du zèle & du rèfpeét, ils
fè plaignirent avec une aigreur qui les deceloit,
qu’on leur eût fait myftère d’un defièin fi glorieux
pour la compagnie. On leur répondit que
le roi ayant promis, ou plus tôt offert le fècret,
avoit par là impofé filence à ceux qui étoient infi-
truits du projet ; qu’au fûrplus chacun étoit encore
en état de témoigner par fon fuffrage le défîr de
plaire à M. le comte de Clermont, puifque tous
étoient en droit de donner librement leur voix.
Quelques courtifâns objectèrent que dans une telle
occafion la liberté- des fuffrages étoit une chimère,
parce qu’on ne pouvoit, dirent-ils, nommer un
prince du fâng que par acclamation. Les gens de
Lettres s’y opposèrent formellement, réclamèrent
l’obfèrvation des "ftatuts, & demandèrent le ferutin
ordinaire. On ne doute pas que les füffrages & les
boules n’ayent été favorables au candidat : le regiftre
ne porte cependant que la pluralité & non l ’unanimité
des voix.
Dans le premier moment, le Public applaudit
à l ’éledion ; les gens de Lettres en recevoient &
s’en faifoient réciproquement des compliments, lorsqu’il
s’éleva un orage qui penfâ tout renverfèr. M.
le comte de Charolois , frère de M. le comte de
Clermont, les princefles leurs foeurs, & quelques
officiers de leurs maifons , prétendirent qu’il ne
convenoit pas à un prince du fâng d’entrer dans
un corps, fans y avoir un rang diftingué , une
préfeance marquée ; iis firent compofèr à cè fûjet
un Mémoire fort étendu ; & comme j’avois été un
des agents de l’éledion, on me l ’adreftà, en me
demandant une réponfè : on la vouloit prompte ;
& ne me trouvant pas chez moi, on m’apporta le
Mémoire dans une maifon où je dînois ce jour-là.
Ce n’en étoit pas un d'académie \ je ne pouvois ni
confùlter mes confrères, ni concerter avec eux
ma réponfè : je pris donc fûr moi de la fairé telle
que la voici, quel qu’en pût être le fûccès, & au
hafàrd d’être avoué ou défâvouê par le corps au
nom duquel je répondois.
Réponfè au Mémoire de S. A . S, M- U comte
de Clermont.
«■ Nous ne pouvons nous imaginer que le Mémoire
que nous venons de lire foit adopté par S. A. S.
fans quoi nous ferions dans la plus cruelle fitua-
tion. Nous aurions à déplaire à un prince pour
qui nous ayonsle plus grand refpeéf, ou. à trahir la
vérité que nous refpedons plus que tout au monde.
M. le comte de Clermont a été élu par Xacadémie.
Si ce prince n’y entre pas avec tous les
dehors de l ’égalité, la gloire de Xacadémie eft
perdue. Si le prince entroit dans celle des Belles-
Lettres ou des Sciences , il fèroit néceffaire qu’il y
eût une préfeance marquée, parce qu’il y a des
diftinétions entre les membres qui forment ces
compagnies : c’eft pourquoi il fallut en donner une au
Czar Pierre I dans celle des fciences, en plaçant
fon nom à la tête des honoraires.
Mais depuis qu’à la mort du chancelier Séguier ,
Louis X IV eut pris XacacLémie fous fâ prote&ion
perfonnelle & immédiate, fans intervention de mi-
nîftre, honneur ineftimable que nous a confèrvé
& aftûré l’augufte fûccefièur de Louis-le-grand ;
jamais il n’y eut de diftin&ion entre les académiciens
, malgré la différence d’état de ceux qui
compofènt Xacadémie. Si S. A. S. en avoit d’autres
que celles du refpeâ & de l’amour des gens de
Lettres , les académiciens qui ont quelque fûpé-
riprité d’état fûr leurs confrères, prétendroient à
des diftindions , parviendroient peut-être à en obtenir
d’intermédiaires entre les princes du fâng &
les gens de Lettres : ceux-ci n’en fèroient que plus
éloignés du roi ; rien ne pourroit les en confoler ;
& l’académie, jufqu’ici l ’objet de l ’ambition des
gens de Lettres , le fèroit de la douleur de tous
ceux qui les cultivent noblement. L ’époque du plus
haut degré de gloire de Xacadémie, fi les règles
fubfiftent, fèroit celle de fâ dégradation, fi l’on
s’écarte des ftatuts.
En effet, en fûppofânt même qu’il n’y eût jamais
de diftindion que pour les princes au fâng,
Xacadémie n’en fèroit pas moins dégradée de ce
qu’elle eft aujourd’hui ; elle ne voit perfonne entre
le roi & elle que des officiets nommés par le fort:
chaque académicien n’eft en cette qualité fûbor-
donné qu’à des places où le fort peut toujours l’è-
lever. .
M. le comte de Clermont eft refpedé comme
un grand prince , & qui plus eft, aimé & eftimé
comme un honnête homme ; il a trop de gloire
vraie & perfonnelle pour en vouloir une imaginaire
; il n’a befoin que de continuer d’être aimé :
voilà l’apanage que le Public fèul peut donner, &
qui dépend toujours d’un fuffrage libre.
Il n’étoit pas difficile de prévoir qu’aprës les
tranfports de joie que la république des Lettres a
fait éclater, l’envie agiroit fous le mafque d’un faux
zèle pour le prince.
Si le Czar eût écouté les gens frivoles d’i c i , il
ne fè fèroit pas fait inferire fur la lifte de Xacadémie
des Sciences, la fèule qui convînt au genre
de fès études ; cependant cela n’a pas peu fèrvi
à intérefier à fâ renommée la république des
Lettres*; -;
Lorfque M. le comte, de Clermont fit annoncer
fon defièin à plufieurs académiciens, leur premier
foin fui de Juj expofèr par écrit la feule prérogative