
de parler en public de la Politique, de la Légifla-
tion, de l’adminiftration de l’É tat, de tous les intérêts
& au dedans & au dehors ,* D e republicâ,
de imperia , de re militari, de dificiplinâ civi-
tatis de hominum moribus ^(ibid. y car fa police
s’exerçoit même fur les moeurs perfonnelles :
vous aurez une idée de l’orateur grec & romain.
J^àye\ O r a t e u r .
Ce qui nous refle de l’Éloquence politique de ces
temps-là, . s’eft réfugié dans les Etats républicains.
Quant à l’Éloquence morale, la Religion lui a élevé,
non pas une tribune, mais un trône; & ce trône eft
la Chaire. {
Pour fe faire une idée du miniftère qu’elle y exerce
, il faut fo figurer dans un temple, aux pieds des
autels 5 fous les. yeux de Dieu même & en préfènce
de tout un peuple, une lice ouverte, où l’Éloquence
aux prifes avec les pallions, les vices, les foibieffes,
les erreurs de l’humanité, les provoque les unes après
les autres, quelquefois toutes ensemble, les attaque,
les combat, les terraffe avec les armes de la foi, du
fèntiment, & de la raifon.
L ’homme qui parle, eft l’envoyé du Ciel ; & , par
la fàinteté de ion caractère, il fèmble porter fur le
front le nom du Dieu dont il eft lé minière : la
caufo qu’il défend eft celle de la vérité & delà vertu :
fês titres font les droits de l’homme, la loi de la
nature empreinte dans tous les coeurs, & la loi révélée
écrite & confignée dans le dépôt des livres foints :
les intérêts qu’il agite font ceux du Ciel & de la Terre,
du temps & de l’eternité : enfin les clients qu’il rafi
fëmbiè autour de lui & comme fous fes ailes, font
la Nature, dont il défond les droits ; l ’Humanité ,
dont il venge l ’injure ; la Foibleflè, dont il protègele
repos & la sûreté; l’Innocence, à laquelle il prête une
voix foppliante pour déformer la calomnié, ou des accents
terribles pour l ’effrayer ; l’Enfance abandonnée,
jour qui, dans l’auditoire, il cherche des coeurs paternels
; la Vieilleffe fouffrante, l’Indigence timide,
la grande famille de J. C , les malheureux, en faveur
defquels il émeut les entrailles du riche & du
puifiant. Tel eft ie fidèle tableau du plaidoyer évangélique.
- ' . '
Si un fomblable miniftère eft bien rempli, c’eft
une des plus belles inftitutions doRt l’Humanité foit
redevable à la Religion chrétienne. Mais pour le
remplir dignement, il faut que l’orateur penfè qu’il
a pour juges Dieu & les hommes: Dieu , pour ne
pas trahir fa caufo, ou par de frivoles égards, ou
par de lâches complaifonces ; les hommes;: pour
s’accommoder à la foibleflè de leur entendement,
lorlqu’il vient les inftruire; à la trempe de leur
efprit, lorlqu’il veut -les perfuader ; & au naturel de
leur a me , lorfqu’il cherche à les émouvoir. Ainfi ,
fon Élo quçnce doit être divine, par la foblimité de
fes motifs, & humaine par fes moyens.
C ’eft du ,côté humain qu’elle eft un a r t , & un
art au moins suffi difficile que l’Éloquence de la
Tribune &du Barreau.
In caufarum contentionibus, dit Cicéron, mag-
I num ejl quoddam atque haud fciatn an de hu-
manis operibus longé maximum, in quibus vis ora-
tojis plerumque ab imperitis exitu & Victoria ju -
dicatur : ubi adefi armatus adverfiarius , qui f it &
fier tendus & repellendus : ubi fioepè is qui rei domi-
nus fiuturus e jl, alienus atque iratus , aut eliant
amicus adverj'ario & inimicus tibi ejl: quum aut
docendus is e j l, aut dedoccndus, aut reprimendus,
aut incitandus, aut om.ni rations, ad tempus, ail
caujam , oratione moderandns : in quo fiaepe benevo-
lentia ad odium , odium auiem ad benevolentiam
deducendum ejl : qui tanquam machinatione aliquifi
tum ad fieveritatem, tum ad remijjionem animi ^
tum ad trijlitiam, tum ad lætitiam ejl contor-
quendus. Cic. De Orat. 1. z.
Or l’orateur en Chaire, trouve comme au Barreau
un auditoire difficile & injufte ; & non foulement
dans fês juges des hommes prévenus d’opinions, de
fèntiments, de,pallions oppofées à lès maximes ; mais
dans ces mêmes juges des parties intéreflees, qu’il
faut réduire à prononcer contre les affeétions les
plus intimes de leur âme , contre leurs penchants
les plus chers.
Son Éloquence aura donc à donner à fês penfees
au moins autant de force, & à fès paroles au moins
autant de poids, que l’Éloquence du Barreau : omnium
fiententiarum gravicate , omnium verborum ponderi-
bus ejl utendum. ( ibid.) Encore n’a-t-elle pas' toutes
les mêmes armes que cette Éloquence profane. Elle
peut bien employer , comme elle , une adion variée
& véhémente , pleine de chaleur, d’enthou-
fialme, de fènfîbilité , de naturel, & de candeur : accédât
oportet actio varia, plena animi, plena fipi-
ritûs, plena doloris, plena veritatis ( ibid. ). Mais
d’oppolër ie vice au vice , les pallions aux pallions ;
d’intéreflèr, de faire agir en fo faveur la vanité ,
l’orgueil, l’ambition , l’ envie, ou la colère, ou la
vengeance; c’eft ce qui n’eft pas digne d’elle. Tous
lès moyens doivent être innocents, & tous lès motifs
vertueux: les uns lurnaturels., dans les rapports de
l’homme à Dieu ; les autres plus humains, dans les
rapports de l’homme à l’homme, & dans lès retours
fur lui-même ; mais ceux-ci toujours épurés.
Un petit nombre de vérités , effrayantes pour les
méchants & eonfolantes pour les bóns : un Dieu
jufte , à qui tout eft prélènt, & qui punit & récom-
penlè; le paffage d’une ame immortelle de la vie à
l’éternité; l’inftant de ce paffage, auffi imprévu
qu’inévitable ,* la folitude de cette ame, après la
mort, devant fon juge , & le bien & le mal qu’elle
aura faits mis dans une exade balance ; la révélation
folemnelle de la confoience de tous les hommes
, au jugement univerfel ; un abîme de peines
deftiné aux coupables ; une fource intariffable de félicité
rélèrvée aux juftes dans .le foin de Dieu
meme ; un monde qui trompe & qui paffe ; le temps
qui roule au foin de l’éternité immobile; la -vie &
tous fos biens emportés, comme des atomes, dans
ce tourbillon dévorant; les générations humaines
foccefiiVement englouties dans cet iminenfè océan de
l’éternité ; & Dieu, qui refte , & qui les attend. Voilà
les grands leviers de l’Éloquence évangélique.
Elle a quelques pallions à remuer : la crainte,
pour troubler la fécurité des méchants ; la commifé-
ration , pour émouvoir l’homme fonfible en faveur
de fos frères ; l’indignation, pour repouffer l’exemple
d’une profpérité coupable ; la honte, pour humilier
l’homme vicieux & fuperbe, à la vue de fo baffeffè,
de fon opprobre, & de fon néant.'Elle a auffi, pour
confoler, pour encourager l’homme foible & fragile,
mais indulgent & focourable, 1 efpérance , la confiance
en un Dieu , père de la nature, les prodiges
de fa clémence, les myftères de fon amour. Enfin
dans le foin de foi-même, dans l’intérêt de fon propre
bonheur, dans le penchant qu’ont tous les hommes
dont le Coeur n’eft pas dépravé, à s’aimer réciproquement,
à fo confoler dans leurs peines, à s’en-
tr’aider dans leurs befoins , à fo foulager dans leurs
maux p l’orateur chrétien trouve encore des moyens
de perfûafîon. Il fera v o ir, même dans cette v i e ,
l’enfer anticipé du crime : aux convulfions d’une
ame en proie aux paffions, au trouble qui accompagne
pofont, à raviliffement, aux angoiflès , aux remords
les plaifirs vicieux, à l’amertume qu’ils dé-
de l’iniquité , il oppofora la fermeté de l’innocence
, le calme de la bonne foi , les céleftes prefo
fèntiments de la piété, les voluptés de la bienfaifon-
ce , les délices de la vertu. C’en eft affez pour captiver
, pour émouvoir un nombreux auditoire, & pour
gagner la caufo de la Religion au tribunal même de
la nature. ,
Un avantage que fèmble avoir l’Éloquence de
la Chaire for celle du Barreau, c’eft que l’orateur
parle foui, & n’eft point expoféjà la répliqué.Mais
s’il veut laifîèr dans les efprits une perfoafion curable
, une convidion profonde, il plaidera lui-
même les deux, caufos . & avec la . même fîncérité :
car il faut bien qu’il fo fouvienne qu’il a dans
l’auditoire un adverfoire, d’autant plus opiniâtre
qu’il eft muet, & qui, dans fon filence, s’exagère
la force des raifons qu’il lui oppoforoit, s’il lui étoit
permis de parler.
Je n’entends pas qu’un fèrmon dégénère en con-
troverfo foolaftique ; mais tout ce qu’un fojet préfonte
d’objedions graves à prévenir, ou de difficultés
férieufès à difouter & à réfoudre, doit être
expofé dans toute fà force, fans diffimulation & fans
ménagement. C’eft là ce qui donne fortout dé la
chaleur à l’Éloquence, de la vigueur , de la véhémence
au raifonnement, & de l’éclat à la vérité.
Or parmi les difficultés impofàntes, je compte ,
non foulement celles qui frappent des efprits félidés
, mais celles qui peuvent troubler , inquiéter
la multitude, & obfcurcir dans le.commun des hommes
la lumière du fons intime, cfè la raifon, ou de
la foi : tels font les fophifmes des paffions , les prétextes
du v ice , les fubterfuges de l’incrédulité.
Obforrons cependant que tout ce qui demande
une dialeéHque déliée & fum e , eft peu propre à
l’Éloquence de la Chaire, qui, deftinée à captiver
une multitude affemblée , doit être fonfible, entraînante,
& pour cela pleine d’images, de tableaux,
& de mouvements. Bofliiet, le plus grand contro-
verfifte.de l’Eglifo romaine , a eu quelquefois le tort
de l’être en Chaire. Bourdaloue a prouvé la réforrec-
tion de-J. C. mais par les faits, en orateur , fondé
for les preuves morales : jamais il n’a mis en queftion
aucun des dogmes révélés.
Il en eft du dogme pour l’Éloquence de la Chaire3
comme des lois pour l’Eloquence du Barreau :
il faut l’établir en principe, & ne le difouter jamais.
Dans un auditoire chrétien les incrédules font
en fi petit nombre, que ce n’eft pas la peine de les y
attaquer. Il vaut mieux foppofèr, comme il eft
vraiîèmbiable, qu’on parle à ,des efprits déjà per-
foadés de la vérité des prémiflès, & s’attacher aux
conféquences qui lient le dogme avec la morale ,
& communiquent à l’inftruétion la fàinteté, la foblimité
de leur fource.
La foule raifon qu’on peut avoir d’infifter for le
dogme, c’eft de prémunir les fidèles contre la fé-
dudion des écrits & des entretiens dangereux ; mais
cette précaution même a fos dangers , & les voici.
Pour combattre l’incrédulité, il faut raifonner avec
elle ; car les invedives ne prouvent rien : c’eft la
refîource des hommes fans talent qui veulent être
remarqués : Eloquentiam in clamore & in verborum
curfiu pojitam putant. De Or. 1. 3.
Or raifonner for des objets inacceffibles à la
raifon , c’eft-donner un mauvais exemple; c’eft du
moins laifîèr croire qne chacun peut ainfi mettre les
motifs de fà foi à l ’épreuve du Syllogifme ; & fi, pour
quelques efprits juftes, folides, éclairés, cette méthode
eft sûre, elle eft bien périlleufo pour des e f prits
légers, foperficiellement inftruits.
De plus, fi en attaquant l’incrédulité on lui laiffè
toutes fès armes, fi on ne diflimule rien de fos prétextes
fpécieux, fi fos fophifmes font préfontés avec
tout l’appareil d’artifice & de force dont elle les a
revêtus, ils troubleront les âmes foibles , ils foan-
daliforont les fimples ; & au milieu des diftradions
d’un 'auditoire las de contentions théologiques, la
folution échappera peut-être, la difficulté reftera.
S i , au contraire, pour combattre plus sûrement
l’incrédulité, l’orateur la préfonte déformée de fès
raifons ou affoiblie dans fo défenfo : on doit craindre
qu’une heure après, elle ne fo montre elle-même,
ou dans les livrés , ou dans le Monde, avec ces
moyens fpécieux que l’Éloquence aura diffimulés
ou fonfiblement affoiblis ; & qu’alors , en s’apperce-
vant que l’orateur en a impofé, on n’appelle arti-r
fice ce qui n aura été que ménagement & prudence*
Or la première-qualité de l’orateur eft de paroître
de bonne foi ; & dès qu’il a perdu la confiance de fon
auditoire ,. pour avoir manqué de candeur, il au-
roit beau être éloquent : il faut qu’il renonce à la
Chaire.
Que faire donc, pour arrêter les progrès & les
ravages de l’incrédulité f Que faire T de bons livres -,
dont là ledure ait de l’attrait; & là , bien mieux