
pour être en état de fentir le charme des Lettres de 1
madame de Sévigné & celui des Fables de la
Fontaine'. - : I
M. le comte.de la Rivière , parent de madame de I
Sévigné , & de qui on a un Recueil de Lettres en
deux volumes , dit quelque part : Quand on a lu
une Lettre de madame de 'Sévigné , on fent quelque
yeine, parce quon en a une de moins à Lire. Ce
mot vaut mieux que le refte du Recueil..
Ce qui ajoute un grand prix aux Lettres de madame
de Sévigné, ceft une foule de traits qui nous
peignent cette Cour brillante de Louis XIV. On
aime à Ce trouver, pour ainfi dire , en fcciété avec
les plus grands perfonnages de ce beau règne , qui,
malgré les cenfures d’une Philofôphie sèche & sévère
, a toujours -un éclat & un air de grandeur qui
attache & qui en impofe. Je né crois pas que notre
-iècle ait jamais le même attrait pour nos dépendants.
Ce qui me dégoûte de VHifloire, dilbit une
femme de beaucoup d’efprit, c’ ejl de penfer que ce
que je vois aujourdhui fera de VHifloire un jour.
Ce mot eft fpirituel, mais n’eft pas tout a fait jufte»
L ’hifloire des intrigues du Vatican ne doit pas.
•nous dégoûter de celle de la république romaine.
M. de Voltaire n’a pas rendu juftice à madame
de Sévigné , dans (à Notice des écrivains du fiècle
de Louis XIV* » C’eft dommage, dit-il, qu’elle
» manque abfôlument de goût, qu’elle ne lâche pas
» rendre juftice à Racine , quelle égale l’Oraifbn
■ » funèbre prononcée, par Mafcaron au grand chef-
» d’oeuvre de Fléchier Il eft vrai qu’elle a écrit
qu’on le dé goûter oit de Racine comme du café , &
en cela elle a fait une double mêprifè ; mais il ne
faut pas toujours attribuer à un défaut de goût, une
faute de goût. Les gens, d’elprit le trompent tous
les jours dans, les jugements qu’ils portent de leurs
contemporains c’eft que ce n’eft pas le goût lèul
•qui juge; les préventions perlbnnelles , les affections
i ’EJther à Saint Cyr. » Je ne puis vous dire l'excè*
»-de l’agrémënt de cette pièce. C’eft un rapport de
» la Mufique, des vers, des chants , & des per-
V Tonnes, fi parfait qu’on n’y fbuhaite rien. On eft
» attentif, & l’on n* a point d’autre peine que celle
» de voir finir une fi aimable pièce. Tout y eft
» fimple, tout y eft innocent, tout y eft fublime
» & touchant. Cette fidélité à i’Hiftoire feinte donne
» du refpeft rtous les chants convenables aux paroles
» font d’une beauté qu’on ne fbutient pas fans larmes»
» La mefure de l’approbation qu’on donne à cette
» pièce, eft celle du goût & de l’attention ».
Quant à la comparaifon de Mafcaron avec Fléchie
r., M., de Voltaire s’eft bien trompé. L ’Oraifbn
funèbre de Mafcaron parut la première, & madame
de Sévigné la trouva belle ; mais lorfqu’elle vit celle
| de Fléchier, elle n’héfifa pas à lui donner la préférence.
, les rivalités, lés opinions publiques féduifent
& égarent les meilleurs efprits; Madame de Sévigné
avoit vu naître^ les chefs - d’oeuvre de Corneille :.
élevée dans l’admiration de ce grand hommé Ion
cnthoulîalme étoit bien légitime ; mais, comme tout
enthoufiafmeil étoit un peu exclufif. Lorlque
Racine vint apporter fur le Théâtre des moeurs plus
foibles , un ton moins élevé , une. grandeur moins
apparente", elle crut qu’il avoit dégradé le caractère
de la Tragédie, parce qu’elle comparoit Racine
à Corneille, 8r qu’elle ne pou voit juger de la per-
feélion d’une tragédie que d’après celles de Corneille.
Pardonnons-lui, difoit-elle , de méchants vers en
faveur des fuMimes & divines beautés qui nous,
tràrfportent : ce font des traits de maître qui font
inimitables. Defpréaux en dit encore plus que mou
En fè trompant a in fio n voit que fon erreur étoit
fans prévention & fans humeur. Il faut bien fè garder
de la mettre au rang des Nevers, des Déshou-
lières , de ‘cette- cabale acharnée qui persëcutoit
Racine en protégeant Pradon. Voyez, avec quelle
aimable fénfibilité elle parle d’une re.préfutation.
Lors même qu’elle fè trompe , on trouve
dans fès jugements & dans fès opinions toujours de
la bonne foi, & jamais de fùffifânce.^
11 me femble que ceux mêmes qui aiment le plus
cette femme extraordinaire, né Tentent pas encore
allez toute la fupénorité de -fon efpriî.. Je lui trouve
tous les. genres d’efprit; raifonnëufè ou frivole , plai-
fante ou fublime , elle prend tous les tons avec une-
facilité inconcevable. Je ne puis pas me refufèr au
dé’fir de juftifîer mon admiration par la citation des
traits les plus piquants qui fè préfènteront a ma
mémoire ou à mes yeux, en parcourant fès Lettres
au hafârd.,
C’eft furtout dans, les récits & les tableaux que
la grâce, la fôupleife, & la vivacité de fon efprit
. brillent avec le plus d’éclat. 11 n’y a rien peut-être
à comparer à ce .conte de l’archevêque de Reims9
le Tellier. » L ’archevêque de Reims revenoit fort
» vite de S. Germain ; c’étoit comme un tourbil-
» Ion. S’il fè croit grand feigneur, fes gens le
» croient encore plus, que lui. Il paflbit au travers
» de Nanterre , tra, tra, tra ; ils- rencontrent
» un homme à cheval-, gare , gare ; ce pauvre
» homme fe veut ranger; fon cheval ne le veut
» pas , & enfin le carroffe & les fix chevaux ver-
» fènt cul par deflTirs tête le pauvre Jiotnme & le
» cheval, & paflent par defîiis, & fi bien par- deffùs*.
» .que le carroffe fut verfé & renverfé ; en même
» temps l ’homme & le cheval, au lieu de s amufer
» à être roués, fè relèvént miraculeufèment, re-
» montent l’ub fur l’autre, & s?ertfuient, & courent
» encore, pendant que les laquais & le cocher^ de
». l’archevêque même fè mettent à crier : Arrête
» arrête ce coquin , quon lui donne cent coup s »
» L ’archevêque , en racontant ceci , difoi£ , St
» j'avois tenu ce maraud-là, je lui aùrois rompu
» les bràs & coupé les oreilles. » ' • ;
Voici un tableau d’un autre genre. » Madame de
» Briffac avoit aujourdhui la colique; elle étoit au
» li t , belle & coèffée àcoëffer tout le monde; je
» voudrois que vou s eu fiiez, vu ce qu elle faifoit de
» fès douleurs, & l’ufage qu’elle faifoit de fès yeuXj.
» & des cris , & des bras & des. mains qui. trai*
» noient fur fa couverture , & la compafïion qu elle
r> vouloit qu on e\\t. Chamarrée àe tendrefle &
» d’admiration, j’admirbis cette pièce , & la trou-
» vois fi belle que mon attention a dû paroitre un
o, facilement, dont je crois qu’on me faura fort
» bon gré ; & fbngez que c’étoit pour l’abbe Bayard,
y) Saint-Hiran, Monjeu, & Planci, que la feene
» 'étoit ouyerte. « ' ,
Éçoutez-la â préfêntrannoncer la mort lubite ae
M. de Louvoi-s ; voyez comme fon ton s’élève fans
fe guinder. » Il n’eft donc plus, ce mjniftre puih-
» faut & fuperbe , dont le moi occupoit tant d’yf-
» pace , étoit le centre de tant de chofes ! Que d’m-
» térêts à démêler, d’intrigues à fuivre, de négo-
35 dations à terminer ! . .* O mon Dieu, encore
» quelque temps! Je voudrois humilier le duc de
» Savoie, éçrafer le prinçe d’Orange : encore un
.» moment ! . , . Non, vous n’aurez pas un moment , ■
33 un feul moment / « Ce dernier mouvement nieft-il
pas digne de BofTuet ? Il me femble quon n’eft pas
plus fublime avec plus de fimplicité.
Lorfque le prince de Longueville fut tue au paf-
fage du Rhin, on ne favoit comment l ’apprendre
à la ducheffe de Longueville fa mère , qui l’ ido-
-lâtroit. Il falloit cependant lui annoncer qu’il y avoit
eu une affaire : Comment fè porte, mon frère,
dit-elle ? Sa perfée nofa pas aller^ plus loin ,
ajoute madame de Sévigné; ce trait n’eft-il pas admirable
! Le tableau qu’elle fait enfuite de la douleur
exceflive de cette mère tendre fait frifîbnner»
» Cette liberté que prend la mort d’interrompre
» la fortune, doit confoler de n’être pas au nombre
» dès heureux; on en trouve la mort moins amere».
Les Lettres de madame de Sévigné font femées de
•réflexions femblables, d’une vérité frapante , exprimées
d’une manière énergique , fine, originale ,
» devoirs de la vie ! on fè ruine quand on veut s’en.
» aquitter. «
Sa dévotion ëft douce & humaine, m N ous par-
» Ions quelquefois de l’opinion d’Origène & de la
a» nôtre : nous avons de la peine à nous faire entrer
» une éternité de fupplices dans la tête, à moins
» que la foumiftion ne vienne au fécours ».
Combien de ré flexions touchantes fur le temps,
la vieilleffe , la mort !
» La mort me paroît fi terrible que je hais plus
» la vie parce qu’elle y mène , que par les épines
» qui s’y rencontrent.
» Je trouve les conditions de la vie allez dures 8
» il me femble que j'ai été traînée maigre moi a ce
.» pointfatal où il faut fbüffrir la vieilleffe : jelàvois;
» m’y voilà , & je vôudrois bien au moins ménager
m de n’aller pas plus loin , de ne point avances
» dans ce chemin des infirmités, des douleurs*
» des pertes de mémoire , des défigurements, qui
» font près de m’outrager. Mais j’entends une
30 voix qui dit : Il faut marcher malgré vous ; ,oi*
» bien fi vous ne le voulez pas, il faut mourir;
» ce qui eft une autre extrémité où la nature ré-
» pugne. ., . . .
» Je régardois une pendule, & prenois plaifîr à
» penfer : voilà comme ori eft quand on fouhaite que
: » cette aiguille marche ; cependant elle tourne fans
» qu’bn la v o y e , & tout arrive à la fin. «
& entremêlées fbuvent de traits plaifants & curieux.
Elle dit quelque part, en parlant d’une vieille
Jfëmme de fa connoiffance qui venoit^ de mourir.
» Quand elle fut près de mourir l’année pafîèe , je
» difois, en voyant fa trifte convalefcence & fa dé-
» crépitude : Mon Dieu ! elle mourra deux fois bien
» près l’une de l’autre. Ne difois-je pas vrai? Un
» jour Patris étant revenu d’une grande maladie à
» quatre-vingts ans, & fès amis s en réjoui fiant
» avec lui & le conjurant de fè lever ; Helas!
» leur dit-il, éft-ce la peine de Te r’habiller ? < ,
» 11 n’y à,qu’à 1 ailler faire l’efp.rit humain, dit-
» elle ailleurs ; il finira, bien trouver fès petites
» confblations ; c’eft fa faniaifie d être content.
• » Les longues maladies ufent la douleur-, & les
» longues efjiérançes ufènt la joie. - , s
» On n’a jamais, pris long temps l’ombre pour le
» corps.; il faut être, li l’on veut 'paroître. Le
» monde n’a point de longues injufUces,».,, .
Elle montre partout un grand penchant à la
dévotion une grande tiédeur fur la pratique.
^ Mon Dieu , qu’il eft heureux ! ( .dit-elle du
.3» fameux cardinal de Retz ) que j’enviexois quel-
va. quefois fbn épouvantable tranquilité fur tous, les
Il lui échape quelquefois des exprefïions hardie*
qu’on pourroit trouver maniérées en les confidérant
ifoléés , mais q u i, vues à leur place, paroiffent
naturelles ; c’eft, il eft vrai, le naturel d’une femme
dont rimagination eft très-vive & l’efprit très-orné.
» Je ne connois plus les plaifirs , dit-elle quelque
» part ; j’ai beau fraper du pied, rien ne fort qu’une
» vie trifte & uniforme. « On voit qu’elle venoit
de lire dans Plutarque le mot de Pompée, qui fè
vantoit qu’en quelque endroit de l’Italie qu’il frâpât
du pied , il en fortiroit des légions prêtes à obéit
à fès ordres.
Pour faire entendre que le crédit d’un miniftre
diminue , madame de Sévigné dit que fon étoile
pâ lit. Cétte figure me paroit heureufè & brillante
fans aucune aftèéfation.
Son ftyle n’eft prefque jamais fimple , mais il eft
toujours naturel ; & ce naturel fe fait furtout fèntir
par une négligence abandonnée qui-plaît, & par une
rapidité qui entraîne. On fènt partout ce qu’elle dit
quelque part: Técrïrois jufqu à demainmes pen-
Jëes , ma plume , mon encre, tout '’vole.
Veut-elle quelquefois, raconter un trait, une
plaifimterie d’une gaieté un peu libre pour une
femme ? 'quelle adrefie dans la tournure ! quelle
mefure dans l’expreftion ! Elle fait tout entendre
iàns rien prononcer.
Ce qui brillé par deffus tout dans les Lettres de
madame de Sévigné , c’eft ce fonds inépuifâble de
tendrefle pour fa fille, dont les exprefïions fe varient
fous mille formes diverfès, toujours ferifiblestou-
I jours intéreftantes,. mais ce font les traits les moins