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jour la fituatîon qu'il aura choifîe. Des Comédies
dans ce goût formeroient un tableau vivant des
biens & des maux de la vie humaine.
La moindre efpèce de toutes, c’eft la Comédie
d’intrigue : l’adion n’en eft établie, ni fur le caractère
, ni fur la fîtuarion des perfonnages ; elle n’in-
térelîe que par la Angularité des ' évènements , &
le merveilleux de l’intrigue & des incidents ; une
fuite variée d’aventures extraordinaires, inattendues,
fou vent rômanefques , qui fè fùccèdent coup fur
coup & qui font croître J’embarras, font très^pro-
pres à foutenir l’attention du fpeétateur jufqu’au moment
où l’aâion fè termine par un dénouement
imprévu. Ce genre eft le plus facile de tous ; il
exige plus d’imagination que de jugement. Il ne
faut même qu’un degré d’imagination aflèz médiocre ,
pour trouver une foule d’incidents , qui, en fe Croi-
ïant réciproquement, ihettent obftacle à des def-
fèins • prêts à s’accomplir, donnent lieu à des intrigues
bizarres , & retardent ainfî l’aétion pendant
quelques aétes. Les Comédies de cette efpèce ne
font néanmoins pas à rebuter, elles fervent à l’amu-
fèment & à la diverfîté, elles font d’ailleurs propres
à fournir de très-jolies fcènes à tiroir.
Ce petit nombre de remarques peut fùffire , pour
montrer quel vafte champ eft ouvert au poète
comique-, & quels font les avantages & les plaifîrs
variés qu’on peut retirer de 'Cette feule branche des
beaux arts.
Toutes ces remarques ne roulent encore que fur
le fiijet général de la Comédie. En examinant la
• choie de plus près, il fè trouvera peut-être que le
prix de la .Comédie dépend moins du fujet, que
de la manière de le traiter. De la meilleure pièce
qui ait jamais été mile fur la fçèrie, on pourroit
aifément faire une pièce déteftable fans rien changer
, ni au fùjet, ni même à l’ordonnance & à
la plupart dès‘fituations. Tout comme un traducteur
mal-adroit feroit de 1*Iliade une mauiïade
épopée; ou comme un mauvais peintre feroit d’un
des meilleurs tableaux de Raphaël, une copie in-
fiipportable aux yeux des eonnoiffèurs.
Il réfûlte de là que l’invention , 1e plan, & l’ordonnance
du fujet narfont encore que la-moindre partie
de l’ouvrage ; ce n’eft que la charpente d’une Comédie.
Il lui faut fans doute un corps, & ce. corps
doit avoir une forme agréable & des membres bien
proportionnés. Mais il lui faut principalement de
la vie , une ame qui penfè & qui ait du fèntiment.
Or cette vie fè manifefte par le dialogue, par la
manière dont .les perfonnages expriment ce qui fè
pafle en eux , par des rmpreftions exactement conformes
à la nature des circonftances. Un fpeétateur
intelligent fréquente le fpeétacle, bien moins pour
y voir des évènements remarquables ou des fitua-
tion fîngulières qu’il imagineroit lui-même en cent
manières tout aufli amufantes , que pour obfèrver
l’effet que ces événements ou ces fituations'font'fiir
des hommes d’un certain génie ou d’un certain ea-
xaétère. Il fè plaît à remarquer l ’attitude, tes geftes,
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la phyfïonomîe, les difcours, & la contenance èiw
tière d’une perfènne dont l’arne doit être agitée par
telle ou telle paftion.
De là naiftènt les principales règles que le poète
comique doit fuivre dans fon travail. La première
& la plus importante , c’eft que ces perfonnages
fuivent exaétement la nature dans leurs difcours &
dans leurs aétioas. Il faut que, dans tout fpeétacle
dramatique , le fpeétateur puiffe oublier que ce n’efî
qu’une produétion de l’art qu’il a fous les yeux;
il ne goûte parfaitement le plaifîrdu fpeétacle, qu’au-
tant qu’il ne voit ni le poète ni l ’aéteur. Âuftï-
tôt qu’il apperçoit quelque chofè qui n’eft pas dans
l’ordre de la nature , il fort de fbn agréable illu-
fîon , il fè retrouve au théâtte ; le fpeétacle fait
place à la critique ; toutes les imprefïions fe difti-
pent à l’inftant, parce que le fpeétateur fènt que d’un
monde réel qu’il penfèit obfèrver, il a paffé dans
un monde imaginaire.
Si le fimple doute, fur la réalité de ce que le
fpeétacle nous montre, fiiffit déjà pour produire un
fi mauvais effet;que fèra-ce, lorfqu’on y remarquera
des chofès qui font manifeftement oppofees à la
nature ? Le fpeétateur en fèra indigné, & il n’aura,
pas tort. Voilà pourquoi on n’aime point à voir
des perfonnages affréter de la gaieté, lorfqu’ils n’ont
aucun fii jet de rire ; & qu’on fè dépite contre le
poète qui veut emporter de force ce que nous ne
pouvons accorder qu’à l’adreiTe. Qu’un, auteur ait
eu en certaines rencontres une heureufè faillie, une
penfee ingénieufè , un fèntiment vif & délicat, cela
eft très-bien ; mais pourquoi faut-il qu’il mette ces
belles chofès dans la bouche d’un de ces perfèn-
nages, qui, par fon caraétère ou par fà fituatiori
aétuelle, ne devrbit point les dire? Qu’y a-t-il,
par exemple , de plus infipide que cette froide plaisanterie
que Plaute met dans la bouche d’un amant
affligé de la perte de fà maîtreflè l
Ita mihi in peclore 6* in corde facit amor incendium
E i lacruma os défendant, jam ardeat, credo, caput..
Chaque difcours, chaque mot qui n’à pas utï
rapport fènfibie & naturel au caradère & à la fi-
tuation de la perfènne qui" parle , bleflè un auditeur
intelligent. . ' ' 1 '
Il ne fiiffit pas même que les penfees, les fèn- .
timents, les aétions foient naturelles ; la manière de
les exprimer doit l’être encore: il faut que l’acteur
, fur la fcène, s’exprime précîfément comme
celui qu’il repréfènte a dû s’énoncer. Un feul terme
trop haut, trop recherché, ou qui affortit mal au
caraétère du perfonnage, gâte toute une fcene ; fî
le ton du dialogue n’eft pas naturel, la pièce entière
fera froide. C’eft l’un des points les plus^ difr
ficiles de l ’art dramatique. Peu de perfènnes même 9.
dans les conventions ordinaires , fâvent rendre le
dialogüe intéreflàn t. La plupart manquent, dans leur
manière de s’éhoncér , ou de brièveté , ou de_pre-
cifion, bu d’énergie ; leur difcours eft languifîant>
; o ü v a g u e , o u fa n s f o r c e . L e p o è t e q u i fè n t
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défauts & qui voudroit mieux faire, tombe fouvent
dans l’excès oppofé ; il donne dans le fublime, le
précieux, le méthodique, & s’écarte du vrai. Horace
a raflèmblé dans les vers que nous allons citer, tout
ce qu’on peut prefcrire d’eftènciel fur le ftyle & le
ton de la Comédie.'
E f t b r e v ita t e o p u s , u t ou vrâ t fe r i t e t i t ia , n e ii f e
Im p e d ia t v e r b is la f fa s o n e rm t ib u s a u r e s :
E t f e rm o n e o p u s e j î m o d b t r i j i i , fcep e jocofo. J
JD efen d en te v ic em modo r fie to r is , a tq u e p o ït c e t
In t é r d um u r b a n i , p a r c e n t i s v ir lb u s t a tque
E x t e n u a n t i s ea s c o n f u l t o .
I. Sermon, x. 9.
Si la Comédie exige que tout y foit naturel , elle
ne demande pas moins que tout y fèit intereffànt.
Malheur au poète comique qui fera'bâiller une feule
fois les fpeétateurs ! Il n’eft cependant pas poflible
que l’aétion foit dans tous les moments de fà duree
également vive & également digne, d’attention. Il
y a r nécefîàirement des fcènes peu importantes, des
perfonnages fùbalternes , de petits incidents qui n’influent
que foiblement fur l’aétion principale. Tous
ces accefloires néanmoins doivent intéreftèr , chacun
d’eux à fà manière.
On fait comment s’y prennent les poètes médiocres
, les bons même, lorfque quelquefois ils
s’oublient , pour répandre de l’intérêt fur ces petits
détails. Us imaginent quelques formes épifèdiques
qui ne tiennent point au fujet, ils donnent aux
perfonnages fiibalternes des caraétères burlefques,
pour amüfer le fpeétateur par leurs faillies pendant
que l’aétion languit. De là la plupart de ces
fcènes, toujours au fond très-infipides, entre les valets
& les fuivantes qui s’épüifent en plaifanteries. De
là les caraétères d’arlequin , de fcaramouche, &c.
qu’on retrouve dans tant de Comédies, quoique leurs
habits n’y paroiffènt pas. Ilne fiiffit pas , pour ex-
cufer le poète , de dire que ces fcènes détachées fènt
dans la nature, que les domeftiques en ont fouvent
de telles tandis que leurs maîtres s’occupent des
plus grands intérêts, & que Ceux-ci au milieu de
l’aétion principale font quelquefois interrompus par
des affaires étrangères. L ’auteur n’eft pas plus auto-
rife à faire entrer ces épifodes dans fon plan : on
ne lui demande pas de nous montrer les chofès de
la manière commune dont elles arrivent tous les
jours , avec tout l’accompagnement qui peut s’y
trouver ; mais on exige de lui qu’il les repréfènte
de la manière qu’elles ont pu fè pafler & qu’elles
ont dû fè faire , pour produire fur un fpeétateur intelligent
& de. bon goût le plaifîr le plus v if & la
(àtistaélion la plus complette.
Ces défauts de recourir aux fcènes épifèdiques
ou à des rempliflâges languifîants, pour cacher le
vide de l’aétion, font pour l’ordinaire la fuite d’un
manque de jugement ou de talent comique dans
l ’auteur de la pièce. Pour réuffir dans ce genre,
il faut plus qu’en tout autre «n grand fond aidées
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& d’imagination. S i , en développant l’aétion dans
l’ordre naturel, ilne s’offre rien àTefprit du poète
que ce qui fè préfènteroit à l’efprit de tout le monde;
fi fon intelligence ne pénètre pas plus avant dans
l’intérieur de fon fujet, que jufqu’où le fimple bon
fèns peut aller fans effort ; fi les objets ne font, fur
fbn imagination & fur fon coeur, que des imprefi-
fions ordinaires & communes ; il peut en épargner-
le détail aux fpeébteurs. Ceux-ci s’attendent à voir
fur la fcène des perfonfiages, qui, dans toutés les con-
jonétures , les fituations, les circonftances, fè distinguent
du commun des hommes par leur raifèn ,
leur efprit, ou leurs fèntiments, & qui par ce moyen
paroiflent dignes de nous intéreftèr. De tels perfèn-
nages font toujours sûrs de plaire ; on les voit, on
les écoute avec fàtisfaétion ; & bien que leurs occupations
aduelles n’ayent rien d’intérefîànt , leur manière
de penfèr & de fentir répand de l’intérêt fur
la fcène.la moins importante. L ’ intelligence, l’efi-
prit, l’humeur joviale , le caraétère, fènt des chofès
qui excitent notre attention, même dans les évènements
de la vie les plus communs. Les moindres
aétions d’un homme finguliër amufent, & chaque
mot d’un homme diftingué par fbn efprit ou par
- fès lumières fait un impreffion agréable. Ainfî, les-
fcènes accefloires, pourvu qu’elles tiennent réelle-
■ ment à l’aétion , peuvent très-bien foutenir l’attention
des fpeétateurs. Il eft même poffiblé de donner
de l’importance à des fcènés , qui au fond ne' font
placées que pour remplir le vide de l’aétion lorsque
celle-ci eft arrêtée par quelque caufe inévitable.
On peut employer c^s fcènes à faire raifèn-
ner un ou plüfîeurs perfonnages fur ce qui a précédé
, fur la pofition aétuelle des chofès, fur ce qui
va fuivre, ou furie caraétère des autres aéteurs.
C ’eft là le lieu propre à placer des réflexions lu-
mineufes fur ce que la pièce contient de moral 8c
d’inftruétif; mais il faut que le poète foit aftez judicieux
pour mettre dans la bouche de ces perfèn-
nages, au lieu de penfees triviales & communes ,
des remarques fines & d’une application, bien jufte,
q u i, répandant un nouveau jour fur les vérités
morales & philofophiqyes 8i leur donnant un plus
haut degré d’énergie, puiflent les graver dans l’efi.
prit & le coeur d’une manière forte & ineffaçable.
C ’eft dans ces fcènes-là que les b elfes maximes,
les fèntences mémorables, que les bons juges regardent
comme l’objet le plus intéreftant de la foéfîe ,
fènt véritablement à leur place. Il y a en effet très-
peu de ces vérités pratiques, qu’il importe tant à.
l ’homme d’avoir conftamment préfentes à l ’efprit,
qu’un poète comique ne puifle développer d’une
manière également frappante & convainquante, dans
des fcènes de i’efpèce dont nous parlons. Quoique
peu vives, ces fcènes deviennent très-intéreffarites
pour des (peéhteurs qui cherchent quelque chofè de
plus que le fimple amufement des yeux & de l’ima--
gination. Ce n’eft que dans le bas comique que l’ca
ne fàuroit fiipporter des fcènes vides d’aétiori'.
Ua Comédie eft beaucoup plus propre que h