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tances. Cette première notion, conforme à la vérité
, eft affèz -heureufoment caraétérifée par le
nom même : Allégorie vient de «AA# ( autre ,
différent) , & de ùyopà ( difoours ) ; à la lettre,.-
Difoours qui en fait entendre un autre. ^
Cette figure confiée à fobftituer, au véritable
objet dont on veut parler, un autre objet différent
mais femblable au moins à plu'fîeurs égards ; & à
régler enfoite toutes les expreffions au difcours.
relativement à cet objet fiétif, comme s’il ne s’agif-
foit point de l’objet principal qu’il repréfènte en
vertu d'une fimilitude tacite.
Horace ( J . Od. i* . ) , fous y Allégorie d’un
vaiffeau, repréfente à la république romaine les
périls dont elle eft menacée , fi elle fouffre
qu’O&ave-Augufte en quitte le gouvernement.
O Nàvis ! referent in mare te novi
Fluctus ? 6 quid agis ? Fortiter occupa
Portum. Nonne vides ut
Nudum remïgio latus ,
E t malus céleri faucius Afiico ,
Antctinceque gemant ; ac fine funibus
Vix durare carince
PoJJint imperiofius
JEquor ? Non tibl funt integra lintca. ;
Non dt , quos iterum prejfa voces malo.
Quamvis pontica pinus,
Sylva filia nobilis,
J actes & genus & nomen inutile ,*
N il pictis timidus navita puppibus
F'idtU T u , niji ventis
Debes ludibrium, cave.
Nuper folicitum qu<z mihi tædium ,
N une defiderium curaque non levis ;
Interfufh nitentes ■
Vîtes cequora Cycladas.
« O Vaiffeau! de nouveaux flots te reporte-
» ront- ils en pleine mer? oh que fais-tu? Demeure
» fermement ancré dans le port. Ne vois-tu pas
» que tes bancs font fans rames ; que ton r=l mât
» brifé par les vents, que tes antennes gémiffent
» fous leurs efforts ; que ta carène ƒ e pourra fans
» cordage foutenir la fureur trop împérieufo des
» vagues? Tu n'as point dévoilés entières; point
» de dieux à invoquer dans une féconde tourmente.
» Confinait- des pins d’une forêt renommée du
» Pont, envain *te glorifies-tu de ton origine &
» de ton nom ; ton pilote effrayé ne met paâ là
» confiance dans les peintures qui embelliffent ta
;» poupe. Tiens-toi donc fur tes gardes, fi tu ne
» veux devenir le jouet des vents. Après m’avoir
„ caufé depuis peu tant d’ennuis & d’inquiétudes,
» & aujourdhui tant de regrets & de foucis
» accablants ; évite de t’engager dans les mers
» entrecoupées par les brillantes Cyclades. »
On peut voir , dans les remarques du P. Sa-
nadon , la juftification détaillée de cette Allégorie.
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Maïs elîe me rappelle un exemple où Voltaire
peint la vie humaine fous un emblème pareil.
Les états font égaux , mais les hommes diffèrent;
Où l'imprudent périt, les habiles profpèrenr.
Le bonheur eft le port où tendent les huma ns :
Le Ciel, pour aborder cette rive étrangère ,
Accorde à tout mortel une barque légère ;
Ainfi que les fecours, les dangers font égaux:
Qu’importe, quand forage a foulevé les flots ,*
Que ta poupe foit peinte, Sc que ton mât déploie
Une voile de pourpre & des cordes de foie >
L’art du pilote eft tout; 5c pour dompter les vents.
Il faut la main du fage, 5c non les ornements.
Madame des Houlières , fous l’emblème d’une
bergère qui parle à fes brebis , rend compte à fos
enfants de tout ce qu’elle a fait pour eux , & fo
plaint tendrement de fos mauvais foccès :
Dans ces prés fleuris Brebis innocentes,
Qu’arrofe la Seine Brebis , mes amours !"
Cherchez qui vous mène , ~ Que Pan vous défende î
Mes chères Brebis. Hélas ! il le fait ,
J’ai fait, pour vous rendre Je ne lui demande
Le deftin plus doux,
Ce qu’on peut attendre
D’une amitié tendre;
Mais fon long courroux
Détruit, empoifonne
Tous mes foins pour vous ,
Et vous abandonne
Aux fureurs, des loups.
Seriez-vous leur proie,.
Aimable Troupeau ;
Vous , de ce hameau
L’honneur 5c la joie;
Vous, qui, gras 5c beau.
Me donniez fans celle
Sur l’herbette épaifle
Un plaifir nouveau!
Que je vous regrette !
' Mais il faut céder :
sans chien, fans houlette ,
Puis-je vous garder ?
L’injufte fortune
Me les a ravis. $
En .vain j’importune
Le Ciel par mes cris :
11 rit de mes craintes ;
Ec fourd à mes plaintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.
Publiez-vous, contentes
Et fans fon fecours,
Paffer d’heureux jours ,
Que cé feul bienfait.
O u i, Brebis chéries ,
Qu’avec tant de foin
J’ai toujours nourries,
Je prends’à témoin
Ces bois, ces. prairies,
Que, fi les faveurs
Du dieu des pafteurs
Vous gardent d’outrages,
Et vous font avoir
Du matin au foir
.De gras pâturages,
-J’en conferverai,
Tant que je vivrai,
L allouée mémoire;
Et que nies chantons
En mille façons
Porteront fa gloire,
Du rivage heureux
. Où ..riche 5c pompeux ;
L’aftre qui mefure
Les nuits 5c les, jours ,
Commençant fon cours,
Rend à la nature
Toute fa parure ;
Jufqu’en ces climats
Où , fans doute las
D’éclairet le monde,
H va chez Th,étis
Rallumer dans l’onde
Ses feux amortis.
Vous pouvez, dit M. du Mar fois ( T r o p , p- » J *7)>
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„ r fy ) , entendre à la lettre tout ce difcours,
» d’une bergère qui, touchée de ne pouvoir mener
» fos brebis dans de bons pâturages, ni les pie-
» forver de ce qui peut leur nuire , leur adref-
» foroit la- parole & fo plaindront à elles de Ion
>» impuiffance. Mais ce fons, tout vrai qu’il paroït,
» n’eft pas celui que madame des Houlières avoit
» .dans l’elprit : elle étoit occupée des befoins de
» fos enfants, voilà fos brebis; le chien dont elle
» parle, c’eft fon mari, qu’elle avoit perdu; le.
» dieu Pan , c’eft le roi. «
On pourroit de même prendre,à la lettre, &
comme une fimple fidion poétique, cette belle
defeription dû Temple de l’Amour que l’on trouve
dans ia Henriade ( Ch. 9. ) : mais cjue l’on per-
droit de beautés & de fonfotions delicieufos, fi
l’on ne voyoit pas que M. de Voltaire, fous le
voile de F Allégorie, nous préfonte une image
fidèle de tout ce qui provoque cette paffion trop
enchanterelfe, de tout ce qui l’accompagne , &
des funeftes effets qui en font les fuites l
Sur les bords fortunés de l’antique Idalie,
Lieux où finit l’Europe Sc commence l’Afie,
S’élève un vieux palais refpe&é par les temps :
La nature en pofa les premiers fondements ;
Et l’art, ornant depuis fa fimple àrchite&ure ,
Par Ces travaux hardis furpàffa la nature.
Là tous les champs voifins , peuplés de myrtes verds,
N’ont jamais reflenti l’outrage des hivers :
Partout on voit mûrir, partout on voit éclore ,
Et les fruits de Pomone Sc les préfents de Flore ;
Et la terre n’attend, pour donner fes moiflons ,
Ni les voeux des humains ni l’ordre des faifons.
L’homme y femble goûter , dans une paix profonde,
Tout ce que la nature , aux premiers joints du monde ,
De fa main bienfaifante accordoic aux humains:
Un éternel repos ; des jours purs Sc fereins ;
Les douceurs, les plaifirs que-promet l’abondance; ,
Les biens de l’âge d’or , hors la feule innocence.
On entend pour tout bruit des concerts enchanteurs ,
Dont la molle harmonie infpire les langueurs ;
Les voix de mille amans , les chants de leurs mairreffes,
Qui célèbrent leur honte Sc chantent leurs foibleffes
Chaque jour on les vo it, le front paré de fleurs ,
De leur aimable maître implorer les faveurs ,
Et dans l’art dangereux de plaire Sc de réduire
Dans fon temple à l’envi s’emprefler de s’inftruirc.
La flateufe Efpéjrance, au-front toujours ferein*
A l’autel de l’Amour les conduit par la main.
Près du temple facré les Grâces demi-nues
Accordent à leurs voix leurs danfes ingénues $
La molle Volupté, Air un lit de gazons ,
Satisfaire Sc tranquile, écoute leurs chantons J
On voit à fes côtés le Myftère en filence,
Le Sourire enchanteur, les Soins , la Complaifance ,
Les Plaifirs amoureux, Sc les tendres Défirs,
Plus doux, plus feduifanrs encor que les Plaifirs.
Gramm. e t IrtTTÈRAT. Tome I.
A L L
De ce tétnple fameux telle eft-l’aimable entrée.
Mais lorfqu’en avançant fous la voûte facréc,
On porte au fanétuahe un pas audacieux , -
Quel fpedacle funefte épouvante les yeux !
Ce n’eft plus des Plaifirs la croupe aimable &, tendre;
Leurs concerts amoureux ne s’y font plus entendre;
Les-Plaintes, lés Dégoûts, l’Imprudence , la-- Peur, ;
Font , de ce beau féjour , un féjôur pleiii d'hôrrcur«
Lâ fombre Jaloüfie, au ceint pâle-5c livide ,
Suit d’un pied chancelant le Soupçon qui la guide J
La Haîné Sc le Courroux/répandant leur venin 0
Marchent devant fes pas un poignard à la mata :
La Malice les voit,-5c d’un fouris perfide
Applaudit en paffant à leur troupe homicide :
Le Repentir les fuie, deteftant leurs fureurs
Ec baifte en foupiranc fes yeux baignés de pleur»
Les Allégories ne font pas toujours fi étendues 3
nous en avons un bel exemple dans Virgile, \Æn,
VI. iz6 : c’eft une Allégorie morale, d’autant
plus fine , qu’elle doit d’abord s’entendre à i.â
lettre ; mais le tour démontre que le poète à'voulu
y attacher une moralité. C ’eft la fibylle de Cuoi.e
qui dit à Enée :
Facilis defeenfus Avertit/
Noctes atque dies patet atri janua Ditis :
Sed revocare gradus fuperafque evadere ad auras /
Hoc opus , hic labor eft.
« La defoente en enfer eft aifée; nuit & joue
» eft ouverte la porte du ténébreux Pluton ; mais
» de revenir for fos pas & de retourner aux ré-
» gions fopérieures, voilà la difficulté, voilà ce
» qui donne le plus de peine. »
Les orientaux font un grand ufoge de Y Allé-*
gorie. On voit, dans un poète arabe , l’hiftoire
d’une affaire, qui fut plaidée de part & d’autre
& jugée fous le voile de 1*Allégorie , & qui parut
une énigme à ceux qui. n’étoient pas inftruits de
l’état de la queftion. Voici cette hiftoire un peu
abrégée diaprés M. de Cardonne ( Mélanges de
litt. orient, Tom. I. p. 8—16 ) :
» Un foltan avoit apperçu de là terrafle une
» belle femme ; il en devint amoureux. Voulant
» lui apprendre lui-même les fentiments qu’elle
» lui avoit infpirés, il chargea , fon mari Feirouz
» d’un ordre à exécuter promptement. Dès qu’il
» fut parti, le foltan trouva le focret de pénétrer*
>» par le moyen d’un eunuque, auprès de la belle
» Chemfonniffa (nom qui fignifie Soleil des femmes').
»» La dame voyant entrer le foltan & devinant
» fos intentions , lui dit : L e lion croiroit s ’avi-
n lir en mangeant les rejles du loup ; & ce roi
» des animaux dédaigne de f e défaltérer dans le
» ruifféau que le chien fouille de fa langue im-
» pure. ( Première Allégorie ) Le foltan comprit
» qu’il n’avoit rien à efpérer, fo retira confus ^
» & dans fon trouble oublia une de fos pantoufles. .
» Feirouz ctoit forti de chez lui fi précipitant
Q