
Il faut avoir beaucoup de Circonfpaction dans
les converlàtions qui roulent for la Religion 8c fur
le Gouvernement ; parce que ce font des matières
publiques , fur ielqueiles il n’eft pas permis aux
particuliers de dire tout ce qu’ils penfent. fi leurs
penlees le trouvent oppofëes aux ulàges établis; &
que d’ailleurs elles font confiées à des gens à craindre
& délicats. Ce n’efi pas être a vile pour les intérêts,
que de négliger de donner des marques de Confédération
aux. perfonnes dont on a befoin dans fos
affaires, ou dont on efpère quelque lèrvice. L ’on
ne làuroit avoir trop d'Egards pour les dames ;
ils leur font dûs ; elles les attendent-; & ce lèroit
les piquer que d’y manquer, d’autant qu’elles ob-
lèrvent plus les moindres chofès que les grandes.
Tout ne cadre pas , & rien ne cadré toujours dans
les fociétés, fortout avec les Grands ; les Ménagements.
font donc néceffaires pour les maintenir :
ceux qui font les plus capables d’y en apporter,
n’y tiennent pas quelquefois le haut rang ; mais ils
en font toujours les liens les plus forts, quoique fou vent les moins aperçus. Voye\ Égards , Managements
, Attentions, Circonspection. Syn. ( IJabbé Girard. )
(N.) C IR CON STANC E S, f.f. pl. (B e l.-L ett.)
On appelle ainfi un lieu commun des plus féconds;
les rhéteurs l ’expriment par ce vers technique :
Qms , quid j übi , quibus auxïliis, cur, quemodo , quando•
Ce qui comprend la perfonne, la çhofe, le lieu, les
moyens, les m o t i f i , la manière, & le temps.
I l n’efi point de fojet oratoire dans lequel toutes
ou presque toutes ces Circonjlances ne Ce rencontrent,
& for lequel il ne foit ailé de parler, pour peu
qu’on ait médité. L a choie eft fi claire qu’il lêroit
inutile d’en citer des exemples.
On divife les Circonjlances en trois claiïès, par
rapport au temps; celles qui précèdent une adion ,
pelles qui Raccompagnent, & celles qui la foivent,
foit nécelfairement foit vrailèmblablement, lèlon
la nature de la choie en queûion : & ces trois clalfes
forment autant de lieux communs.
Un aflafiinat., par exemple, efi ordinairement
précédé du deffein de le commettre, & des préparatifs
pour l’exécuter. Il eft accompagné de l’attaque
, de la réfiftance, des cris ou des efforts de
la perfonne affafïmée. Il eft lîiivi des remords de
l’aftaftin , dont il eft bourrelé , &c, C ’eft par tous ces
endroits que Cicéron prouve que Milon n’a point
alfaffiné Claudius de deffein prémédité : r°. en peignant
la tranquilité de Milon avant i’aéçion, & lès-
préparatifs comme ceux d’ufi voyage de campagne
, d’une promenade : i®. en repréfèmant l’action
comme une querelle imprévue de la part de
Milon , quoiqu’elle fût méditée de celle de Claudius,
& où celui-ci , qui étoit l’agreffeur, fut tué par
les efolaves de M ilo n :'3°. par l ’expofition de la
conduite que tint ce dernier, incontinent après
la mort de Claudius, en revenant promptement à
Rome 8c Ce prélèntant même avec confiance pouc
d em a n d e r l e c o n lù l a t .
I l e f t b o n c e p e n d a n t d ’ o b l ê r v e r q u e , q u a n d c e s
Circonjlances n e p r é c è d e n t , n ’a c c o m p a g n è n t , o u
n e lu i v e n t p a s n é c e l f a i r em e n t u n e c h o i e , i i ë f t f a c i l e
d e r é f u t e r l e s r a i fo n n em e n t s q u ’ e n t i r e i ’ a d v e r l à i r e .
( A nonyme. )
C I R C O N S T A N C E , C O N J O N C T U R E . Syn.
Çirconjlance eft relatif à faction ; Conjoncture eft
relatif au moment. La Çirconjlance eft une des particularités
de la choie : la Conjoncture lui eft étrangère
; elle n’a de commun avec fadion que la
contemporanéité.
Les Conjonctures lèroient, s’il étoit permis de
parler ainfi, les Circonjlances du temps ; & les
Circonjlances leroient les Conjonctures de la choie.
C e l u i q u i a p r o fo n d ém e n t e x am in é l a c h o ie e n e lle *
m êm e f e u l e m e n t , e n c o n n o i t r a to u te s l e s Circonf-
tances, m a is i l p o u r r a n ’ e n p a s c o n n o î t r e to u t e s
l e s Conjonctures : i l y a m êm e t e l l e Conjoncture q u ’ i l
e f t im p o f f ib le à u n h o m m e d e d e v in e r . R é c ip r o q u e m
e n t , t e l h o m m e c o n n o i t r a p a r fa i t em e n t l e s Con-*
jonctures q u i n e c o n n o i t r a p a s l e s Circonjlancest
yoye-[ Occasion, Occurrence C , Conjoncture* as 5i Circonstance. Syn. [M , D id e r o t . )
( N . ) C I R C O N S T A N C I E L , a d j . Gramm.
On appelle Circonjlançiels' dans la conftrudio»
d’une phralè, les mots qui marquent lesxcjrconfc
tances, les modifications différentes qui peuvent plus
ou moins influer for la lignification du verbe. Ces
mots font ordinairement des adverbes, des prépo«*
litions avec leurs compléments, &c. {M. B e a u z ê e . )
C IR C U IT , C m. Gram. , Ce dit dans l’ulâge
ordinaire, par oppofîtion au chemin le plus court
d’un lieu à un autre , de toute autre manière
d’y arriver que par la ligne droite. Ce terme a
été tranlporté par métaphore du phyfîque au moral.
Voye\C i r c o n l o c u t i o n , C i r c u i t , P é r i p h r a s e ..
Syn. ( M* D iderot,)
C IT A T IO N , C. f. ( Gram. ) C ’eft l’ufàge & l’application
que l’on fait en parlant ou en écrivant,
d’une penlée ou d’une expreffion employée ailleurs;
le tout pour confirmer fon raifonnement par une
autorité refjpedable, ou pour répandre plus d’agrément
dans fon difoours ou dans là composition.
Dans les ouvrages écrits à la main, on fouligne
les' Citations , pour les'diftinguer du corps de fou*
vrage. Dans les livres on les diftingue , foit par
un autre caradère foit par des guillemets, y oyez
G u i l l e m e t s .
Les Citations doivent être employées avec jugement
; elles indifpofont quand elles ne font qu ostentation
; elles font blâmables quand elles font faut
(es. Il faut mettre le leéteur à portée de les vérifier.
En matière grave , il eft à propos de citer l’édition
du livre dont on s’eft foryit
Quelques modernes (ê font fait beaucoup d’bon-
fleur en citant à propos les plus beaux morceaux
des anciens , & par-là ils ont trouvé l’art d’embellir
leurs écrits à peu de frais. Nos prédicateurs citent
perpétuellement l’Écriture & les Pères, moins cependant
qu’on ne faifoit dans les fiècles pnffés, Les
proteftants ne citent guère que l’Ecriture. Quoi qu'il
en foit, s’il eft d’heureufes Citations , s’il eft des
Citations exaâes; il en eft auflï beaucoup d’en,
nuyeulès, de fauffes, & d’akérees , oit par l’ignorance
ou par la mauvailè foi des écrivains , Ibuven t
auflï par la négligence de ceux qui citent de mémoire.
La mauvaïfe foi dans les Citations eft uni-
Yerfellement réprouvée ; mais le défaut d’exaditude
& d’intelligence n’y eft guère moins répréhenfible ,
& peut être même de conféquence fuivant l’impor-
tance des fojets.
Le Projicit ampullas & fefquipedalia verba d’Horace,
de même que le Scire tüum nihil ejl de
Perfè font cités communément dans un fèns tout
contraire à celui qu’ils ont dans l’auteur. Cette application
détournée, qui n’eft pas dangereufe en des
fojets profanes , peut devenir abufive quand il s’agit
des paITages de l’Écriture, & il en peut réfolter
des erreurs confidérables. En voici entre autres un
exemple frappant, & qui mérite bien d’être oblèrvé.
C ’eft le M ulù vocali hpauci vero elecli, ( Mat.
ch. x x . ) , pa{fage qu’omnous cité à tous propos
comme une preuve décifive du grand nombre des
dannés & du petit nombre-des élus; mais rien , à
mon avis , de plus mal entendu ni de plus mal appliqué.
En effet, à quelle occafîon Jefos-Chrift dit-
i l , Beaucoup d'appelés, mais peu délus ? C ’eft
particulièrement dans' la parabole du père de famille
qui occupe plufieürs ouvriers à là vigne, où
l ’on voit que ceux qui n’avoient travaillé que peu
d’heures dans la journée", gagnèrent tout autant que
ceux qui avoient porté le poids de la chaleur &
du jour ; ce qui occafîonna les murmures de ces
derniers, lefquels (è plaignirent de ce qu’après avoir
beaucoup fatigué , on ne leur donnoit pas plus qu’à
ceux qui n’avoieht prefque rien fait. Sur quoi le
père de famille, s’adrefTant à l’un d’eux, lui répond :
Mon ami, je ne vous fa is point de tort ; nêtes-'
vous pas convenu avec moi d’un denier pour votre
journée ? Prenez ce qui vous appartient, 6* vous-
en alle\. Pour moi je veux donner à ce dernier
autant qu’à. vous. Ne m’ejl-il pas permis de faire
des libéralités de mon bien? & fa ut-il que voue
es il fo it piauvais, parce que j e fuis bon ? C’ejl
ainfi , continue le Sauveur, que les derniers feront
les premiers , & les premiers les derniers, parce
qu’i l y en a beaucoup d appelés 3 mais peu délus.
J’obfèrve d’abord for ces propofitions du texte,
S ic erunt novijjimiprimi , & prïmi novijjimi ; mu/ri
ENIM funt vocati, pauci veto elecli ; j’obfèrve,
dis-je , qu’elles font abfolument relatives à la parabole;
& c’eft ce que l’on voit avec une pleine évidence
par ces conje&ions connues Jic , enim , qui
piontrent fi bien le rapport néteffaire de ces propofitlons
avec ce qui précède : elles font comme
le réfoltat & le fommaire de la parabole ; & fi elles
ont quelque obfcurité, c’eft dans la parabole même
qu’il en faut chercher l’éclairciffement.
Je dis donc que les élus dont il s’agit i c i , ce
font les ouvriers que le père de famille trouva for
le foi.r làns occupation, & qu’il envoya, & quoique
fort tard, à là vigne : ouvriers fortunés , qui,
n’ayant travaillé qu’une heure, furent payés néanmoins
pour la journée entière. V o ilà , dis-je, les
élus, les favoris, lés prédeftinés.
Les 'fîmples appelés que la parabole nous pré-
lènte , ce font tous ces mercenaires que le père de
famille envoya dès le matin à la vigne, & q ui,
après avoir-porté toute la fatigue du jour, furent
payés néanmoins les derniers, & ne reçurent que
le làlaire convenu , le meme en un mot que ceux
qui avoient peu travaillé. Ce font tous ceux-là qui,
foivant la commune opinion , nous figurent les non»
élus, les prétendus réprouvés.
Mais que voit-on dans tout cela, qui foppôfè une
réprobation ? Le traitement du père de famille à
l’égard des ouvriers mécontents a-t-il quelque choie
de cruel ou d’odieux, & trouve t-on rien de trop
dur dans le difoours fàge 81 modéré qu’il leur adreflè?
Mon ami , j e ne vous Jais point de tort ; j e vous
donne tout ce que j e vous ai promis : j e veux
faire quelque gratification à un autre , pourquoi
le trouvez-vous mauvais ?
On ne voit rien là qui doive nous faire lechec
de crainte, rien qui fonte les horreurs d’une réprobation
anticipée. J ’y vois bien de la prédilection
pour quelques-uns; mais je n’y, apperçois ni_in-
juftice ni dureté pour les autres ; nul n’éprouve
un fort funefte; ceux-même qui ne font qu’appelés
làns être élus , doivent être làtisfaits du maître qui
les emploie, puilqu’il les récompenlè tous & qu’il
les traite avec humanité. Mon ami, dit-il, je ne
vous fa is point de ton ; appelé au travail de m<z
vigne , vous avez reçu le Jalairc de vos peines ;
& quoique vous ne foyez pas du nombre des/
élus ou des fa v o r is, -vous n’avez pourtant p as
fujet de vous plaindre. Paroles raifonnables , paroles
même affeêhieufos, qui me donnent de l’efpoir ,
& nullement de l’épouvante.
Je conclus de ces réflexions fi fîmples, que 1©
Multi vocati, panel vero elecli, dont il s’agit, elî
cité mal à propos dans un lèns finiftre, & qu’on a
tort d’en tirer des, indu&ions défèfpérantes ; puiP
qu’enfin ce paflàge, bien entendu & déterminé comme
i l convient par les circonflances de notre parabole ,
infpirera toujours moins d’effroi que de confiance
en la divine bonté, 8c qu’il indique tout au plus
les divers degrés de béatitude que Dieu prépare
dans le ciel à lès lèrviteurs ; erunt novijjimi primi
éy primi novijjimi. Ibid.
Le Multi vocati, pau. i vero elecli , fè trouve
encore une autre fois dans l’Écriture ; c’eft au x x i fm
chap, de S. Matthieu : mais il n’a rien là de plus finil-
tre & de plus concluant que ce qu’on a. vu ci-deflua.