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püficaùon, creft le chef-d’oeuvre de la flâtufè & de
V o ic i, à mon avis , un exemple d’me Amplification
dans une tragédie moderne, qui d ailleurs a de
grandes beautés. „
Tidée eft à la cour d’Argos ; il eft amoureux d une
four d’Éleftre ; il regrette Ion ami Orefte & Ion pere ;
il eft partagé entre là paflion pourEleftre & le del-
fein de punir le tyran. Au milieu de tant de foins &
d’inquiétudes, il fait à fon confident une longue del-
éription d’une tempête qu’il a efliiyée il y a long
temps.
Tu fais ce qu’en ces lieux nous venions entreprendre ;
Tu fais que Palamède , avant que de s’y rendre,
Ne voulut point tenter fon retour dans Argos
Qu’il n’eût interrogé l’oracle de Délos:
A de fi juftes foins on foufcrivit fans peine.
Nous partîmes comblés des bienfaits de Thyrrène,
Tout nous favorifoit 5 nous vogames long temps
Au gré de nos défirs bien plus qu’ au gré des vents ;
Mais fignalant bientôt toute fon inconftance,
La mer en uh moment fe mutine Se s’élance ;
L ’air mugit, le jour fu it, une épaifle vapeur
Couvre d’un voile affreux les vagues en fureur}
La foudre éclairant feule une nuit fi profonde,
A filions redoublés ouvre le ciel 8c l’onde ;
Et comme un tourbillon , embraffant nos vaiffeaux ,
Semble en fources de feu bouillonner fur les eaux ;
Les vagues quelquefois-, nous portant fur leurs cimes ,
Nous font rouler après fous de vaftes abîmes,
Où les éclairs prefféspénétrant avec nous,
Dans des gouffres de feu fembloiect nous plonger tous.
Le pilote effraye, que la flamme environne ,
Aux rochers qu’il fuyoit lui meme s abandonne.
A travers les écueils notre vaiffeau pouffé ,
Se brife , 8c nage enfin fur les eaux difperfé.
On voit peut -être dans cette defeription le poète ,
qui veut forprendre les auditeurs par le récit d’un
naufrage ; & non le perfonnage , qui veut venger fon
père & fon ami, tuer Je tyran d’Argos, & qui eft partagé
entre l’Amour & la Vengeance. ^
Lorfqu’un perfonnage s’oublie , & qu’il veutabfo-
lument être poète, il doit alors embellir ce defaut par
les vers les plus correds & les plus élégants.
Ne voulut point tenter fon retour dans Argos
Qu il n'eût interrogé l ’oracle de Délos.
Ce tour familier femble ne devoir entrer que rarement
dans laPoéfie noble. Je ne voulus point aller à
Orléans que j e n'euffe vu Paris : cette phrafe n’eft
admifo, ce me femble, que dans la liberté delà con-
verfetion.
A de fi juftes foins on foufcrivit fans peine.
On fouforit à des volontés , à des ordres, à des défirs
: je ne crois pas qu’on fouferiye d des foins.
Nous vogames long temps
Au gré de nos défirs bien plus qu'au gré des veiifS.
Outre l’affedation & une forte de jeu de mots du
gré des défirs 8c du gré des vents , il y a là une contradiction
évidente. Tout l’équipage foufcrivit lans
peine aux juftes foins d’interroger l’oracle de Delost
les défirs des navigateurs étoient donc d’aller à Delos ;
ils ne voguoient donc pas au gré de leurs défirs, puifc
que le gré des vents les écartoit de Délos , à ce qu®
dit Tidée. . ,,
Si l’auteur a voulu dire au contraire que 1 îaeô
voguoitau gré de fes défirs, aufli bien & encore plus
qu’au gré des vents , il s’eft mal exprime. Bien plus
qu'au gré des vents , fignifie que les vents ne fecon-*
doient pas fès défirs, & l ’écartoient de fe route. J at
été favorifé dans cette affaire par la moitié du Coru■*;
fe i l bien plus que par Vautre, fignifie, par tout pays ,
La moitié du Confeiia été pour moi, & l’autre contre.
Mais fi je dis : L a moitié du Confeil a opiné augrs
de mes défirs, & Vautre encore davantage; cela veut
dire que j’ai été fécondé par tout le Confeil, & qu un©
partie m’a encore plus favorifé que l’autre. |
J'ai réuffi auprès duParterre bien plus qu au gre
des connoiffeurs, veut dire, Les connoiflèurs m ont
condanné. / .
Il faut que la diction foit pure & fans équivoque.
Le confident de Tidée pouvoit lui dire, Je ne vous
entends pas: fi le vent vous amené à Délos & à
Épidaure , qui eft dans l ’Argolide, c^etoit precife-
ment votre route , & vous n’avez pas dû voguer long
temps ; on va de Samos à Épidaure en moins de trois
jours avec un bon vent d’eft : fi vous ayez efliiye une
tempête , vous n’avez pas vogué au gré de vos défirs ;
d’ailleurs, vous deviez inftruire plus tôt le Public
que vous veniez de Samos : les fpeCtateurs veulent
fàvoir d’où vous venez & ce que vous voulez ; la
longue defeription recherchée d’une tempête me détourne
de ces objets. C ’eft une .Amplifieationgui pa-
rok oifeufe, quoiquelle préfente de grandes images.
La mer Jignala bientôt toute fon inconftance•
Toute l’inconftance que la mer fignale, ne femble
pas une expreffion convenable a un héros qui doit
peus’amufer à ces recherches. Cette mer qui (emu-
line & qui s'élance en un moment, apres avoir^ ligna
lé toute fon inconftance, intereflè-t-elle allez a la
fituation préfente de Tidée, occupé de la guerre ? Eft-
ce à lui de s’amuferà dire que la mer eft inconftante 3
à débiter des Heux communs ?
L ’air mugit, le jour fuit, une épaiffe vapeur
Couvre d’un voile affreux les vagues en fureur.
Les vents diffipent les vapeurs & ne les épaifliP-
fent pas. Mais quand même il feroit vrai qu’une épaifla
vapeur eût couvert les vagues en fureur d’un voile affreux
, ce héros, plein de fes malheurs préfents, ne
doit pas s’appéfentir force prélude deyempête, fur ces
circonftances qui n’appartiennent qu’au poète.
•Non ciat his locu»,
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La foudre, éclairant feule une nuitfi profonde »
A filions redoublés ouvre le ciel & l ’onde ;
JEt comme un tourbillon , embraffant nos vaiffeaux r
Semble en fource- de feu bouillonner fur les eaux.
N ’eft-ce pas là une véritable A m p lif ic a t io n un peu
trop ampoulée? Un tonnerre qui ouvre l’eau & le
ciel par des filions ; qui en même temps eft un tourbillon
de feu , lequel embraftè un vaifleau, & qui
bouillonne ; n’a-t-il pas quelque chofe de trop peu
naturel, de trop peu vrai, for tout dans la bouche
d’un homme qui doit s’exprimer avec une fîmplicité
noble & touchante, for tout après plufîeurs mois que
le péril eft paffé ?
Ces cimes de vagues, qui font rouler, fous des
abîmes, des éclairs prefles & des gouffres de Feu ,
femblent des expreflions un peu bourfouflées qui fe-
roient fouffertes dans une ode ; & qu’Horace réprou-
voit avec tant de râifon dans la Tragédie,
Projicit ampullas 8c fefquipedalia verba.
Le pilote effrayé, que la flamme environne ,
Aux rochers qu’il fuyoit lui-même s'abandonne ,
On peut s’abandonner aux yents ; mais il me femble
qu’on ne s’abandonne pas aux rochers.
Notre vaiffeau pouffé, nage difperfé.
Un vaîflèau ne nage point difperfé ; Virgile a d it ,
non en parlant d’un vaifleau , mais des hommes qui
ont fait naufrage :
Apparent r a in a n t e s in gurgiee v afto.
Voilà où le mot Nager eft à fe place. Les débris
d’un vaifleau flottent & ne nagent pas.
Des Fontaines a traduit âinfî ce beau vers de
VEnéide : A peine un petit nombre de ceux qui
montoient le vaiffeau purent fie fiauver à la nage.
C ’eft traduire Virgile en ftyle de gazette. Où eft
ce vafte gouffre que peint le poète, Gurgite vafto ?
Où eft 1*Apparent rari nantes ? Ce n’eft pas avec
cette fècherefle qu’on doit traduire VEnéide. Il faut
rendre image pour image, beauté pour beauté. Nous
faifons cette remarque en faveur des commençants.
On doit les avertir qüe des Fontaines n’a fait que le
Iquelette informe de Virgile, comme il faut leur dire
que la defeription de la tempête par Tidée eft fautive
& déplacée. Tidéè devoit s’étendre avec atten-
driflëment for la mort de fon ami, & non for la vaine
defeription d’une tempête.
On ne préfonte ces réflexions que pour l’intérêt de
l’art, & non pour attaquer l’artifte :
XJbiplura nitent in carminé, non egopaucis offendar maculis:
En faveur des beautés on pardonne aux défauts.
'Plufîeurs hommes de goût, & entre autres l’auteur
tiu Télémaque , ont regardé comme une Amplification
le répit de la mort d’Hippolyte dans Racine. Les
longs récits étoient à la mode alors, La vanité d’un
afteur veut fe faire écouter. On avoit pour eux cette !
Gomplaifànce ; elle a été fort blâmée. L ’archevêque
Cramm, et L ittérat. Tome I.
de Cambrai prétend que Théramène ne devoit pa s,
après la cataftrophe d’Hippolyte, avoir la force d®
•parler fi long temps ; qu’il fe plaît trop à décrire les
cornes menaçantes du monftre , & fes écailles jau*
niffantes, & fia croupe qui fie recourbe ; qu’il devoir
dire d’une voix entrecoupée: Hippolyte eft mon: un
monftre Va fiait périr ; je l'ai vu.
Je ne prétends point défendre les écailles jaunifo
fentes, & la croupe qui fe recourbe ; mais en général
cette critique fouvent répétée me paroît injufte. On
veut que Théramène dite feulement : Hippolyte ejl
mort. Je l'ai vw, c'en eft fiait.
C’eft précifément ce qu’il dit & en moins de mots
encore....... Hippolyte nefi plus. Le père s’écrie,}
Théramène ne reprend fes fens que pour dire :
J’ai vu des mortels périt le plus aimable j
& il ajoûte ce rers fi néceflàire, fi touchant, fi dc-j
fefpérant pour Théfée j
Et j’ofe dire encor, Seigneur, le moins coupable.
La gradation eft pleinement obfervée , les nuances
fe font fentir l’une après l’autre.
Le père attendri demande : Quel Dieu lui a ravi
fionjîls, quelle foudre foudaine...? Et il n’a pas le
courage d’achever; il refte muet dans- fe douleur ; il
attend ce récit_ fatal ; le Public l’attend de même.
i Théramène doit répondre ; on lui demande des détails
; il doit en donner.
Etoit-ce à celui qui fait difeourir Mentor & tous
fes perfennages fi long temps, & quelquefois jufqu’à
la fetiété, de fermer la bouche à Théramène ? Quel
eft le fpeftateur qui voudroit ne le pas entendre, ne
pas jouir du plaifîr douloureux d’écouter les circonfe
tances de la mort d’Hippolyte? Qui voudroit même
qu’on en retranchât quatre vers ? Ce n’eft pas là une
vaine defeription d’une tempête inutile à la pièce ;
ce n’eft pas là une Amplification mal écrite : c’eft
la diéHon la plus pure & la plus touchante ; enfin
c’eft Racine.
On lui reproche Le héros expiré. Quelle miferâble
vétille de Grammaire ! Pourquoi ne pas dire, Ce
héros expiré, comme on dit, Il ejl expiré, Il a expiré*.
Il faut remercier Racine d’avoir enrichi la lanf
ue à laquelle il a donné tant de charmes, en ne
ifent jamais que ce qu’il doit, lorfque les autres
difent tout ce qu’ils peuvent.
Boileau fut le premier qui fit remarquer \Amplification
vicieufe de la première feène de Pompée ç
Quand les dieux étonnés fembloient fe partager,
■ Pharfale a décidé ce qu’ils n’ofoient juger.
Ces fleuves teints de fang, 8c rendus plus rapide*
Par le débordement de tant de parricides;
Cet horrible débris d’aigles , d’armes, de chars,
Sur ces champs empellés confufémenc épars ;
Ces montagnes de morts , privés d’honneurs fuprême* ;
Que la nature force à fe venger eux-mémes,
Et dont les troncs pourris exhalent dans lès yents .
De quoi foire la guerre au refte des vivants,