
>3 pand, eft un vent fiibit qui change les efprits} &
» qui renverfè les délibérations ».
Et toutefois c’eft là que l’orateur fè fènt naturellement
élever au plus haut genre d’Eloquence par la
grandeur de (on théâtre. F it autem ut, quia maxinui
quafi oratori ficena videtur concio, naturâ ipjâ ad
ornatius dicendi genus excitetur. Ibid, x x x iij. 338.
» Sans une multitude d’auditeurs , ajoute Cicéron,
» un orateur ne peut être éloquent ». Mais il recommande
de prendre garde à ne pas exciter dans
l’aflemblée du peuple des acclamations fâcheu (es ,
comme il arrive quand l’orateur fait quelque faute
remarquable : Si afperè, j i arrogcuner, f i mrpiter,
f i fordidè, f i quoquo ani'mi vitio dictant ejfie atiquid
videatur,* aut hominum offenfione vel invidia...,• aut
res f i difplicet ; aut f i eji in aliqito motu fins cupi-
ditatis aut metûs multitudo. Et à ces eau (es d’impatience
& de rumeur parmi le peuple , il applique,
félon les circonftances, le remède qui leur convient :
T utti objurgatio , f i ejl aucîoritas ,* tuni admoniiio,
quafi lenior objurgatio; tum promijfio ,fi audierint,
probaturos ; tum deprecatio, quod ejl injimum,
Jed nonnunquam utile. Ibid. 3357. Une plaifànterie
rive & prompte , un bon mot, qui, (ans manquer
de dignité, a de la grâce & de l'enjouement. eft
quelquefois, dit-il ,-d’un excellent ufàge dans l’Éloquence
populaire. Nihil enim tant fa c ile , quam
multitudo y à triflitiâ & foepe ab acerbitate, com-
modè , ac b revue/ , & acutè , & hilarè dicîô, de-
duc itur. Ibid. 340.
Au relie, la grande règle , & peut-être Tunique
règle de l’Eloquence populaire, eft de s’accommoder
au naturel, au génie, au goût du peuple à qui l’on
parle; & c’eft ce que Démofihène & Cicéron me fèm-
blent avoir l’un & Tautre merveilleufèment obfèrvé.
Le peuple athénien étoit plus délicat & plus
fenfîble que le peuple romain aux charmes de
FÉlocution: fés Ecoles & fon Théâtre, la Poéfie
.& la Mufîque , la culture de tous les Arts Favoient
poli julqu’à l’excès ; & quoiqu’on lui dit, il falloît
lui parler avec élégance. L ’orateur même qui,
comme il arrivoit fou vent à Démofihène , étoit
obligé de monter fur le champ dans la tribune, &
d’y parler à l’improvifte & d’abondance , avoit à
ménager des oreilles que Cicéron appelle teretes &
religiofas. Un mot dur auroit tout gâté.
Le peuple romain étoit plus occupé des chofès,
& moins curieux des paroles , quoiqu’il le fût beaucoup
plus encore qu’il n’appartenoit à un peuple
uniquement politique St guerrier. Mais il étoit fier,
épineux •difficileiur tout ce qui touchait fon orgueil,
& par confequent très-fénfible aux bienfëances du
langage : vu que les bienfeances ne font que des
égards. Ce qu’il falloît relpeéler fûrtout, c’étoit l’opinion
qu’il avoit de lui-même. Indigne d’être libre ,
depuis qu’il fè laiffoit corrompre , il n’en étoit que
plus jaloux de cette idée de liberté qu-’il portoit dans
fês afîemblées : à des fa dieux mercenaires, qui ne
demandoient qu’à fè vendre & que les Grands ache-
toieat à vil prix , il falloît parler de liberté, de
dignité, de majefté publique; à ceux qui avoîertt
laiffé maffàcrer les deux Gracches, & Sylia mourir
dans fôn l i t , il falloît parler comme aux romains
du temps de Publicola ; & fi l’Éloquence romaine
n’eût pas été adulatrice , ce n’eût pas été l’Éloquence.
Le peuple d’Athènes étoit vain , mais d’une
vanité dont il rioit lui-même. T'oyez Sa t y r e . Il
étoit léger , mais docile ; d’une imagination v ive ,
mais mobile comme le fable , où les rmpreflions fè
gravent aifèment & s'effacent de même; & fur le
théâtre & dans la tribune, il trouvoit bon , comme
un enfant aimable , mais incorrigible., qu’on lui.
reprochât fès défauts.
Arifiophane & Démofihène- auroient été mal
reçus à Rome ; & Cicéron , à qui Ton reprochoit
d’être flatteur & de manquer de nerf, n’étoit que
ce qu’il falloir être pour perfuader les romains. Il
fàvoic mieux qu’un autre employer à propos la
véhémence & l’énergie ; mais ce n’étoit jamais au
peuple que l ’invedive s’adrelfoit. Ce qu’il a répété
fouvent, que Rome n’était pas ht république de
Platon, eft l ’excufè de fa moileflè. Il pratiquoit
cette maxime qu’il nous a lui-même tracee, d’imiter
la prudence d’un médecin habile : Sicut medico
diligenti, prias quam conetur cegro adhihere medi-
cinam, non folum marbus ejus cui fnedèri volet ,
Jed etiam ccnfuetudo valentis & natura corporis.
cognofcenda ejl : fie equidem quum aggredior and-
pitem caufiam & gravent, ad animos judicum per-
tracîando-s, omnï meme in eâ cogitatione curâque
verfior, ut odorer quam fiagacijfimè pojfim , quid
fientiant, quid exifliment, quid exfipecîent, quidf
velint, quo deduci oratione facillimèpojjè videantun.
II. De or; xljv. 13 6.
Démofihène connoiflôit de même fôn auditoire,.
& le ménageoit moins.. Il reprochoit au peuple
d’Athènes d’aimer la flatterie & de fèjaiffer prendre
aux adulations de fes orateurs corrompus ; de fè-
laifïer amufèr, endormir par leur manège & leurs
menfonges ; d’oublier du matin au foir les avis les
plus importants ; dé fè plaire à entendre calomnier
ceux qui l’avoient le mieux fèrvi ; de s’amufèr-dans-
les places publiqués-à écouter lesnouvel liftes , tan-
disque fon honneur, fà liberté , fà gloire , fôn fàlut.
demandoient les plus promptes résolutions, ce Ne
». voulez-vous jamais , leur difoit-il , faire autre
» chofè que d’aller par la ville vous demander les.
» uns aux autres : Que dit-on de nouveau ? que
» peut-on vous apprendre de plus nouveau que ce
» que vous voyez l Un homme de Macédoine fè
» rend maître des athéniens,. & fait la loi à toute
» la Grèce. Philippe ejl-il mort ? dira l’un ; Non ,
». répondra Tautre, il ré ejl que malade. E h , que-
» vous importe, Meilleurs, que Philippe vive ou.
» qu’il meure? Quand le ciel vous en auroit déli-
» vrés ; vous vous feriez bientôt vous-mêmes un
» autre Philippe ».
Ces peuples étoient l’ùn & Tautre fènfîbles aux,
grands intérêts du bien public 8c, de la gloire ; &
ils avoieat. tous les deux un caractère d’héroifrae;
D E L
»rompt & facile à s’exalter ; plus moral pourtant ■
çlans Athènes , plus généreux & plus humain ,
tenant plus, pour me taire entendre, de la fenli-
bilité pure & de la bonté naturelle ; plus politique
dans les romains, & tenant plus du defpotifme &
de l’efprit de domination. Le^ peuple romain étoit
naturellement féroce ; il falloît l’adoucir , 1 appri-
voifèr: une Éloquence infinuante .& pathétique etoit
oelle qui lui convenoit ; ce fut 1 Eloquence .de
Cicéron. Le peuple d’Athènes■. étoit fenfible &
doux, mais léger, diftrait, diflipe : il fallpiii le
fix e r , TafTujettir, le dominer par une Eloquence
prefiànte, vigoureufè & rapide , pleine de force &
de chaleur ; ce fut celle de Démofihène. je ne
„parle pas de,la différence. des füjets qui devoit j
influer encore fur le génie & la manière de fora- |
leur. Mais j’ofe dire quef l’un & Tautre etoient a j
leur place; & je ne douté point que'Démofihène j
à Rome n’eut. .tâcKé d’être Cicéron * & que dans
Athènes Cicéron n’eût tâché;d’être Deniofthene.
Il le..fut par. la ,véhémence daqs la féconde de
fes Philippiques. On fait qu’il appelpit ainfî fes
harangues contre 'Marc-Antoine , par allufion à
celles de Démofihène contre Philippe ; & 'en effet
il y plaidoit dé même la- caufè de la liberté , mais
-devant un Sénat-,qui n’en étoit plus -digne, & qui
navoit plus ni coeur ni tête en état de la fou tenir.
Ce nom de Philippiques fut de mauvais augure.
Rome avoit encore plus dégénéré qu’Athènes ; &
un zèle mal fécondé coûta la vie a Jj un comme a
l’autre orateur.
On voit par là que c’efi dans le moment critique
où les républiques fè: corrompent, qu’on y a befoin
•de l’Éloquence : plus tôt, la vertu fè fùffit & n attend
pas qu’on la harangue ; plus tard, l’efprit de faftion,
la cupidité, la frayeur, l’intérêt n’entendent plus j
rien. L . Bru tus., qui chafla les Tarquins , ne dit
qu’un mot, & Rome fut libre. M. Brutus , 1 affaflin
de Céfàr,' fit une harangue élégante & foible , qu il
n’eut pas même l’afsûrance d’aller prononcer à
Rome ; & Cicéron lui-même eut beau dans fà
vieillefle rappeler toute fà vigueur : le remède
arrivoit quand la maladie étoit mortelle. Rome , au
lieu du meilleur des rois qu’elle avoit dans Cefar,
fe donna trois tyrans.
Mais à l’égard de nos temps • modernes, quels
peuvent être & l’office & le lieu de l’Éloquence
populaire? Quel eft le pays de l’Europe où , lorsqu’il
s’agit de la paix, de la guerre , de l’éiedion
d’un magiftrat, du choix d’un Général d’armée, &c.
un citoyen ait le droit, qu’il avoit à Rome, dé demander
au peuple une audience & de lui dire fon
avis ? Quelle eft la Cité , où , à chaque évènement
public & important, le peuple & le Sénat s’affem-
blen.t, cornme dans Athènes,; où la tribune fait ouverte
à qui veut y monter , & où Ton entende un
héraut demander à haute Voix : Quel citoyen au
dejfius de cinquante ans veut haranguer le peuple ?
6 qui des autres citoyens .veut parler à Jon tour ?
( Efchine , contre Ctèfiphon.)
D E L y 79
Dans lès Communes d’Angleterre on voit une
ombre de cette liberté. Je dis , une ombre; parce
que Taffemblée n’eft pas celle du peuple , mais
celle de fès députés ; & la différence eit énorme :
car s’il eft poflîble d’abufèr tout un peuple par la
féduélion , il eft poflîble aufli de l’éclairer par l'Éloquence
; mais fur des députés gagnés par d’autres
voiés, l’Éloquencé ne peut plus rien ; & ce qui doit
décourager l’orateur anglois, c’eft de fàvoir que les
voix font comptées , & que fouvent la Deliberation
eft prifè avant qu’il, ait ouvert là bouche.
Ce qui reflèmble le plus aujour'dhui à l’Éloquence
populaire des anciens, c’eft l’Eloquence de la Chaire :
car l’auditoire eft ce peuple libre à qui l’on donne à
délibérer, non pas.fur. l ’intérêt public & politique,
mais fur l’intérêt perfbnnél que la nature & la
religion 1 ont attaché,.pour tous; les hommes, à la
pratique Su devoir & à l’amour de la vertu. On
peut voir à Y art. Élôqüencede la Chaire, que, du
! côté des: pallions, elle n’a pas les mêmes refïorts à
. mouvoir que l’Éloquence de la tribune ; mais en
! revanche elle a cet avantage, que le prédicateur eft:
difpenfé par fbn caradère de tout ménagement, de
; tout refped humain; qu’il tient l’orgueil, les vices,
! les pallions de l’auditoire comme enchaînés autour
de lui; qu’une nation eft à fès pieds,.& qu’il peut
; la traiter comme un feul pénitent, qui viendroit à
genoux implorer le. miniflre des mifericordes & des
vengeances. Voilà tout ce qui relie au monde de
|; l’Éloquence populaire ; voilà dans quelles mains
eft remifè la caufè de l’humanité , finon dans fes
rapports avec la politique, au moins dans fes rapports
avec les moeurs. C ’eft un bienfait de la religion
bien précieux & bien fignalé. Puiffe la dédaigneufè
frivolité de notre fîècie ne pas décourager les
hommes appelés par leur zèle & par leurs talents
au miniftère de la parole ! Puiffe la fagefïè des
Gouvernements y attacher une eftime égale au bien
qu’il fait aux moeurs publiques lorfqu’il eft dignement
rempli ! .(M. M armontel. )
(N.) DÉLIBÉRER, OPINER, V O T E R , 5y - ! nonymes.
Ces trois termes font confacrés dans le langage
1 des compagnies autorifées pour décider certaines
1 afFai’ res; comme les tribunaux & Cours dejuftice,
les académies, les chapitres féculiers & réguliers, &cs.
& ces. termes font tous relatifs à la décifion; Le degre
de relation en fait la différence;
Délibérer, c’eft expo fer. la queftion & difeuter les
raifèns pour & contre ; Opiner, c’eft dire fôn avis &
le motiver; Voter , c’èft donner fon fuffrage quand
il ne refte plus qu’à recueillir les voix.
On commence par délibérer , afin d examiner la
matière, dans tous les fèns & fous tous les afpeds;
on opine enfuite, pour rendre compte à la compagnie
de la manière dont on envifàge la: chofè, & des rai-
fons par lefqùelles on s’eft déterminé à -lavis que
l’on propofe ; on vote enfin, pour former la décifion
à la pluralité des fuffrages.
D d d d t