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&c, ,• & , d’après cet exemple, oïl nlettoit fur le
théâtre, dans les fotties & les myftères, le tien,
U mien, le bien, le mal, Yefprit, la chair, le
pèche'y la honte , bonne compagnie^, gaffe-temps,
ƒ g voîzt , & c ., & tout cela etoit charmant,
& , dans ce temps-là , on auroit juré que de fi
lieureufos fiâions réulfiroient dans tous les fîècles.
Non feulement on faifoit des perfonnages, mais
encore des mondes allégoriques ; & l’on traçoit fur
des cartes, de pofte en pofte, la route du Bonheur, le
chemin de l’Amour : par exemple , on partoit du
port d’indifférence, on s’embarquoit fur le.Jeuve
d’Efpérance, on paffoit le détroit de Rigueur, on ^
s’arrétoit à Perfévérance , d’ou l’on découvroit l’ille*
de Faveur, où faifoit naufrage Innocence. Ces cu-
rieufes puérilités ont été à la mode dans le fiècle
du Bel-efprit & du précieux ridicule. Le bon ef-
prit les a réduites à leur jufte valeur ; & on n’en
voit plus que fur des écrans , ou dans quelques
livres myftiques. C’eft là que peut être placée l ’allégorie
du Temps & de la Fortune jouant au ballon,
avec le globe du monde. ( M . M a r m o n t e l . )
(N.) A L L ER , v . a. abfolu & auxiliaire. Tendre
vers un but. C’eft, fi je ne me trompe, la notion la
plus jufte de la véritable lignification^de ce verbe,
puifou’il n’y en a point qui fè prête^ plus aifé-
snent à tous les fens particuliers que l’ufage y a
attachés. i ° . Il exprime le mouvement de tranl-
port d’un lieu en un autre, qui eft le but; Aller
4 Rome , en Italie, aux Indes : i ° . le meme
mouvement de tranfport vers un objet phyfique ou
moral, qui eft aulfi le but; Aller à la meffe, au
fermon, à la chaffe, en ambaffade , aux écoutes,
au roi, au pape, au confeil, au devin : 3 . la
direction phyfique vers un but,- Les rivières vont
à la mer, tout chemin va à Rome, cette montagne
va jufqu’à /’océan, la colline alloit en pente :
une dire&ion métaphyfîque ou morale; Les ouvriers
vont lentement, Vouvrage va v i t e v o s
affaires iront mieux, il y va de ma fortune.
C o n j u g a i s o n . Ce verbe eft très-irregu lier. Je
vais ou j e vas , tu vas , il ou elle v a n o u s allons y
vous allez , ils ou elles vont. T allais. J ’allai.
J irai. Va , allez,. T ir ois. Que fa ille . Que fa l -
laffe. Allant. Allé. Dans les prétérits il prend
l ’auxiliaire naturel être : je fu is aile. J etois aile. Je
fus allé. Je ferai allé. Je ferois a llé Que je
fo is allé. Que je fuffe allé. Être allé. Etant allé.
I. R e m . L ’académie,dans fon Dictionnaire ( 1 i f é ) ,
fie préfonte que Je vais au prefont indéfini de
l’indicatif * & ne parle pas de Je vas, quelle fomble
prolcrire par fon filence. Dès 1704 5 elle 1 avoit
formellement condamné dans fon Observation fur
la Remarque X X V I de Vaugelas, où elle déclaré
que Je vais eft le feul qui foit aujourd’hui autorife
par Pufage , & que Je vas a été rejeté : l’abbé
Régnier des Marais, qui bientôt après donna fa
Grammaire françoife, y fuivit cette décifion.
Depuis ce temps néanmoins les meilleurs gram-
A L L
mairiens ont tenu compte des deux expreffions,
Le P. Buffier (n° 6 10 ) , M. Reftaut ( édit. 1767'
p a & , 32.8), obfervent feulement que J e v a s eft
moins ufité : M. de Wailly ( éd it . 1773 » P aê * fËg )
préfente les deux locutions comme abfblument identiques
& également bonnes : & l’abbé Girard , quoique
membre de l’académie, montre, pour J e v a s ,
un penchant décidé & fondé en raifon ( V r a i s p r in -
c ip . tom. IL D i f c . viij. p a g . 79-S1. ) « Les uns ,
» d it- il, difont conftamment J e v a s ; les autres,
» toujours J e v a i s ; & plufîeurs fe fervent tantôt de
» l’une & tantôt de l’autre formation. » Vaugelas
a remarqué ( Rem.. X X V I. ) c< que la Cour difoit
» J e v a s & regardoit J e vais^ comme un mot prp-
» vincial ou du peuple de Paris : cependant, quoi-
» qu’alors tout roturier, il s’eft annobli depuis ;
» de bons auteurs & beaucoup de gens polis s’en
» fervent. Mais J e v a s vit encore, & il me fomble
» même l’emporter fur J e v a i s dans^ les occafîons
» où il eft précédé du pronom en : j’entends dire
» J e m’ en v a s , J e m’ en y v a s , plus tôt que J e
» m’ en y v a i s . , . . L ’analogie générale de la con-
,, jugaifon veut que la première perfonne des pré-
fênts de tous les verbes foit fèmblable à la troifième,
” quand la terminaifon en eft féminine ; & fembla-
,, ble à la fécondé tutoyante, quand la terminaifon
,, en eft mafeuline : J e c r ie , i l cr ie ; J a d o r e , i l
„ ad o r e .... J e f o r s , tu f o r s ; J e v o i s , tu v o i s y J e
,, comprends, t u c o m p r e n d s J e l i s , ru l i s J e
v ie n s , tu v ie n s ; J e m’ endors, tu t ’ endor s. Ain fi ,
” la loi grammaticale décide pour J e v a s , & fè
,, trouve d’accord avec la Cour ; ce qui doit etre un
, fort préjugé efi fà faveur chez, les gens a re-
, , flexion. „ . . ,
Ce raifonnement de l’académicien • eft évidemment
fondé fur les bons principes ; & l’analogie
par laquelle il fe décide, eft vraiment commune
a tous les] verbes de l’efpèce dont il s agit. Or en
cas de partage dans l’autorité qui doit çonftater
Pufage, il eft plus raîfonnable de fe,décider pour
l’expreffion analogique que pour celle qui eft anomale
: parce que l ’anomalie, par fes exceptions fans
fondement, n’eft bonne qu’à multiplier les difficultés
& les embarras d’une langue ; au lieu que l’analogie,
ramenant tous les détails , à des vûes générales
& à des procédés uniformes , Amplifie-' la
marche de la langue , en fixe les principes., &
peut fervir à lui affiirer cette glorieufe préférence
que lui ont procurée chez les etrangers mêmes les
chefs-d’oeuvre de nos grands auteurs en tout ^enre.
I I . R e m . N ous avons deux expreffions à peu
près fÿnonymes, fur lefquelles il eft bon de recueillir
& d’examiner les opinions de nos bons écrivains
ce font être a llé , & avoir été.
Ces deux expreffions font entendrè un tranf-
,, port local ; mais la fécondé le double. Qui èfi
■ a llé , a quitté un lieu pour fo rendre dans un
,, autre ; qui a été, a de plus quitte cet autre
„ lieu où il s’étoit rendu.
„ Tous ceux qui font ailes à la guerre n en
„ reviendront pas : tous ceux qui ont été à Rome
„ n’en font pas meilleurs.
„ Céphifo eft allée à l’églifè, où elle fora moins
,, occupée de Dieu que de fon amant : Lucinde
30 a été au férmon, & n ’en eft pas devenue plus
, , charitable pour fà voifine.ai ( L ’abbé G i r a r d . )
, , Quand je dis , Ils font allés à Rome, je fais
„ entendre qu’ils y font encore- ou fur le chemin ;
,, & quand je dis , Ils ont été à Rome, je fais con-
,, noitre qu’ils ont fait le voyage de Rome & qu’ils
, , en font revenus.,, ( Th. Co r n e il l e . Note for
5, le Rem. X X V I. de Vaugelas. )
,, Il n’arrive pas qu’on difo , I l a été pour II
,, ejl allé : mais fouvent on dit, I l eft allé pour
„ I l a été; ce qui eft une faute affez confîdérable.
,, Combien de gens difènt, Je fu is allè le voir ,
,, Je fu is allé lui rendre vifîte , pour J ’ai été le
,, voir, J ’ai été lui rendre vifîte .? La règle qu’il
„ y a à foivre en cela , eft que, toutes les fois
„ qu’on foppofè le retour du lieu, il faut dire, I l
,, a été, J ’ai été ; & lorfqu’il n’y à point de re-
3, tour, il faut dire, I l efl a llé , J e fa is allé. ,,
(A N DRY DE E oisregard. Réfl.tovu. I. pag. 4?.)
Quoique l’on foit de retour du lieu où l’on s’étoit
rendu , “ On peut dire quelquefois, Je fuis allé,
„ pourvu qu’on marque le temps où l’on eft parti ,
„ ou du moins quelque circonftance qui rende en
3, quelque manière le départ préfont, comme dans
„ ces exemples: Ilétoit trois heures quand je fois
„ allé che\ lui ; ou bien, je fois allé che^ lui dans
„ l’intention de le quereller, mais en y entrant,
m &c „ Th. Corneille. Ibid.) Pour autorifor Jefuis
allé à la place de J ’ai é té , la règle générale &
fîmple, que Th. Corneille n’a foit qu’entrevoir ,
c’eft d’exprimer une circonftance qui précède évidemment
le retour.
Nos grammairiens les plus exads &les pluseftimés,
trompés par la fÿnonymie des deux locutions, difènt
qu’allé & été appartiennent également au verbe aller.
C’eft une erreur évidente. A llé foui exprime le transport
d’un lieu en un autre; été marque fîmplement
fexiftence : être allé eft le vrai prétérit du verbe
aller ; & avoir été eft celui du verbe être : le
premier répond littéralement au latin ivijfe ; & le
lècond, à fitiffe.
Mais comment deux expreffions fi différentes ont-
elles pu fo rapprocher jufqu’à devenir fynonymes ?
Elle font fÿftonymes , comme l’expreffion figurée
& la fîmple. L ’exiftence dans un lieu où l ’on n’a
pas toujours exifté, foppofè un tranfport antérieur
en ce lieu : ainfî, avoir été foppofè antérieurement
être allé ; & en conféquence le premier fè
met pour le fécond par une Métalepfo , qui énonce
le conféquent pour l’antécédent (voye% Métalepsb). "
D’autre part, une exiftence paflfée dans un lieu déterminé
, foppofè un tranfport local qui l’a fait abandonner
: ainfî, avoir été foppofè le retour ; & c’eft
ce qui dans l ’ufage le diftingue de la phrafè être
allé.
Cette explication, qui me paroft le foui & yé
ritablô fondement de la fynônymie dont il s’agît,
peut & doit forvir à réfoudre une queftion qui
„ partage encore les grammairiens. Peut-on dire J e
fu s pour J ’allai , comme on dit J ’ai été , J ’avois
été, J ’eus é té , J ’aurai é té , T aurais été, pour Je
fu is allé, Tétois a llé , Je fu s allé, Je ferai aile' ,
Je ferois a llé ? u Par exemple, on dit 11 fu t trouver
,, fon ami , pour dire II alla trouver fon ami : quan*
„ fixé de gens très-délicats condamnent cela comme
„ une faute, & foutiennent qu’il faut toujours dire
„ I l a lla , & jamais II fu t. je fois de leur fonti-
,, ment. „ ( Th. Cornlille. Ibid. ) M. de Voltaire
eit de même avis, puifqu’il blâme pour cela ce
vers de P. Corneille ( Pompée, I. iij. )
I l fût jufques à Rome implorer le Sénat.
u C ’étoit, dit-il ; ..une licence qu’on prenoit autre*
5, fois ; il y a même encore plufîeurs perfonnes
„ qui difènt, Je fu s le voir, Je fu s lui parler:
,, mais c’eft une faute , par la raifon qu’on va par-
,, 1er , qu’on va voir; on têeft point parler, on
„ n ’ejl point voir. Il faut donc dire, J ’allai le voir,
„ J ’allai lui parler, I l alla l’implorer.,,
Il eft bon d’obfèrver d’abord que Th. Corneille
& M. de Voltaire avouent tous deux une forte
d’ufàge en faveur de Je fu s pour J ’allai ; & l’A cadémie
( Dictionnaire i j 6z ) Tautorifo pour la
converfation, où l’on dit également Je fu s ou J ’allai
hier à l’opéra. Corneille n’oppofo à cet ufàge que
le jugement de quantité de gens très-délicats dans
la langue, qu’il n’a point nommés ; & fon propre
jugement, qu’il n’appuie d’aucune raifon. M. de
Voltaire en apporte une qui ne prouve rien, parce
qu’elle prouveroit trop : Je fu s pour J ’allai eft une
faute, félon lui, par la raifon qu’on va parler &
qu’on n ’ejl point parler ; J ’ai été pour Je fuis allé
eft donc auffi une faute par la même raifon. Mais
cette féconde faute prétendue eft pourtant autorifoe
par l ’ufàge le meilleur & le plus confiant, & par
celui même de M. de Voltaire; c’eft même une
richeffe dans notre langue, puifque les deux locutions
y ont chacune fon énergie propre & précité
: on ne peut donc point dire qu’il y ait rien
de vicieux dans T ai été pour Je fuis a llé , dont
la fÿnonymie d’ailleurs s’explique très-bien par la
Métalepfo. Concluons que , par la même figure,
Je fu s peut fo mettre pour J ’allai ; parce qu’il exprime,
aufli bien que J ’ai été, une exiftence paf
fée , & qu’il fuppofo de même un premier tranfport
local pour arriver à l’exiflence dans le lieu
indiqué, & un fécond mouvement d’abandon pour
que ce;te exiftence foit pafTée.
Le principe de M. de Voltaire n’eft fpécieux,
que parce qu’il dit au préfont, qu’on n ’ejl point
parlér; ce qui préfonte en effet une vérité phyfique
inconteftable , & par une phrafè qui n’eft reçue
que dans ce fèns. Il n’auroit pas dit avec la même
apparence de vérité, qu’on ri a point été voir-,
qu’on n a point été parler , quoique ces phrafos
pufiçnt au fond exprimer la même vérité phyfique