
de l’Éloquence, una laus & propria oratoris ma-
scima, peut être à la portée des écoliers de nos
Collèges. Qu’on me dife quels font les faits, quelle
eft l’elpèce de queftions politiques ou morales, dont
un rhétoricien (bit afîez pleinement inftruit, pour
Famplifier de lui-même,-par l’accumulation des
circooftances , des accidents , des conséquences ,
des exemples , des caufes , des effets, des reftem-
blances, des contraftes , par les comparaifons &
les gradations du plus au moins , du moins au
plus, par rénumération des parties, & par ces développements
de qualités & de rapports, que les rhéteurs
ont appelé un amas de définitions.
La bonne manière, ie crois, d’exercer à ¥ Amplification
les difciples de l’Éloquence, c’eft d’abord
de leur en faire lire les modèles à haute voix ,
& de les laiflèr, après la le&ure , fe retracer de
fouvenir, par écrit, dans une autre langue, ce
qu’ils en auront retenu. Que fi l’on veut, fur un
fujet donné, qu’ils compofent d’après eux-mêmes,
au moins faut - il les y avoir préparés , par des
'études préliminaires & relatives au fiijet..
M-ûs avant que d’en venir là , & tandis qu’ils
feront encore attachés au modèle, qu’on prenne foin
de le choifîr ; qu’on fè feuvienne qu’il s’agit de là
partie, la plus développée, la plus majefteufe- de
l ’Éloquence ; & qu’on n’en donne pas pour exemple
un mot de Sénèque , ou une épigramme de Martial.
Eft-ce une Amplification que ce vers de Virgile ,
©ù il peint en deux mots les chevaux de Turnus ?
Qui candore nives anteïrentx curjibus auras.
En eft-ce une que cette métaphore, prife des
flots, pour exprimer le trouble du coeur de Didon?
IMagnoque irarum fluctuât afin.
Quoi qu’en dife Quintîlîen, ce n’eft point,
dans Homère , amplifier l’idée de la force de (es
héros, que d’exagérer le poids de leurs armes;
ce n’eft point amplifier l’idée de la beauté d’H élène,
que de faire changer, à fa vu e , l’indignation des
vieillards troyens en une tendre admiration. Cette
manière d’agrandir eft une hyperbole paffagère ;
T Amplification demande un développement orné.
TJ neAmpifie at ion poétique eft cette peinturé fu-
blime de lrétatde Didon, loriqu’elle a réfelu fa mort:
j4t trépida ,. &■ cceptis immanibus ejfèra Dido,
Sanguineam v.olvens aciem , maculisque trementeS
Interfufa gênas-, & pallida- morte futurâ ,
Interior-a domiïs irrumpitlimina , & altos
Confcendit furibunda rogos , enjemque recludit'
Dardanium', non hos qucejitum munus in ufusi
U ne. Amplification, poétique, dans Homère, eft
cette eirconftance ajoutée à l’ébranlement de la
terre (bus le trident de Neptune*
L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en •furie :.
jPIuton fort de fon trône ; il pâlit-; il s’écrie ;-.
11 a peur que ce dieu, dans cet affreux-féjour,
D-’ua- coup de fon- Trident, ne- faite entrer le jour.
Une Amplification oratoire, c’eft l ’éloge dè
Céfàr dans la harangue pour Marcelius, & dans
cet éloge, la comparaifen de la gloire de vaincre
avec celle de pardonner.
Une Amplification bien plus fûblime encore >
dans l’oraifbn pour Ligarius, c’eft l ’éloge de la*
clémence.
Mais en nous occupant de Y Amplification qui
agrandit, n’oublions pas celle qui diminue. Écoutons
Phèdre, excufànt le crime de fon amaur pour
Hippolyte.
Toi-même, en ton e.fprît rapelle le paffé.
C’eft peu de t’avoir fui, Cruel , je t’ai chaflæv
! J’ai voulu te paroître odieufe, inhumaine ;
Pour mieux te réfifter, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes. inutiles foins ?
Tu me haï(fois plus , je ne t’aimois pas moins.
Tes malheurs ce prétoienc encor de nouveaux charmes»
J’ai langui, j’ai féché dans les pleurs , dans les larmes»
11 fuffit de tes yeux pour t’en perfuader ,
Si tes yeux un moment daignent me regarder.
Écoutons Cicéron diminuant le tort du jeune
Coelius, d’avoir fréquenté une femme perdue ; notx
pas en alléguant, comme le dit Quiniilien ,, qu’il
n’a fait que la faluer un peu trop familièrement ;
car ce n’eft point là fa défenfe , & Quintilien s eft
I trompé; mais en avouant fans détour la liaison la.
I plus intime de Coelius avec Clodia, & en attribuant
aux moeurs du temps , ce dérèglement d’un jeune
homme. » Romains , d it-il, la févérite des moeurs
m de nos ancêtres n’exifte plus que dans les livres r
» les livres mêmes cm elle eft décrite, ont vieilli
», & font oubliés. Tous les fages n’ont pas regardé
» comme in com p a tib le sla dignité & la volupté-
» La nature a des attraits auxquels la vertu même
d> réfifte difficilement. Elle préfente à la Jeuneifè
» des fentiers fi g liftants , qu’il eft bien difficile
»s de n’y pas- faire quelque chute. N e regardons-
» plus cette ancienne' route de la fagefle , fi peu
» fréquentée aujourdhui quelle eft remplie de buif-
» fens. Accordons quelque chofe à l’âge. Que
»• la Jeuneflè ait quelque licence. Ne réfutons pas
». tout à fes plaifirs. Que cette exaéte & droite
» raifen ne domine pas toujours ; que lVdeur du
» défir , que la volupté quelquefois en triomphe..
; » Qu’un jeune homme fe difpenfe d’avoir de la
; » pudeur, pourvu qu’il la. refpeâe dans les autres.
» Qu’il lui foit permis de donner quelques moments
» à des plaifirs frivoles, pourvu qu’il revienne de
. „ temps- en temps à fes affaires domeftiques, à
» celles du Publie, à celles de l’État. Après tout,
» il s’eft vu- de notre temps, & du temps de nos
» pères, & du temps même de nos aieux , nombre
- » de très-grands hommes, de très illuftres citoyen^,
» q u i, après avoir paff? la jeuneffe la plus bru-
: ». lante du feu des paflions, ont montre, dans un
• oj âge plus mur & plus tolide, les plus éclatantes
» vertus., »
C’eft une chofe allez- étrange que d’entendre
Cicéron faire l’apologie du libertinage; mais au
barreau tout moyen etoit bon, pourvu qu’il fut
bon à la câufe. U Amplification eft Famé de l’éloquence de Cicéron
, moins ferrée , moins énergique , mais plus
fomptueufement ornée que celle de Démofthene.
Cependant, après les exemples de l’orateur romain
dans l ’art d’amplifier , comme dans fes pero-
raifens pour Murena , pour Ligarius , pour Milon,
& dans toutes celles où il déploie -une éloquence
pathétique ; après celle pour. Sextius, ou de la
condition d’un homme de bien dans les grandes
places , il fait une Amplification fi affligeante &
malheureufement fi reflemblante à la vérité ,• après
ces accufàtions contre Verrès , où l ’on voit le
crime renchérir fur le crime : IŸon etiim furent , f i d
raptorem ; non adulterum , f e d expugnatorem p u-
dicitiæ ; non facrilegum , f e d hofiem JaCrorum re-
ligionumque ; non ficarium , f i d crudeliffimum car-
nificem civium fociorumque in vefirum judicium
adducimus ,* après ces inveétives amplifiées contre
Catilina , contre Pifen , contre Antoine ; ^ après
tous ces modèles d’Amplification, & tant d autres
dont l’orateur romain abonde , on en peut voir
encore dans Démofthène de belles & grandes
leçons.
L’éloquence de celui-ci, prefque toute adonnée
aux affaires publiques, eft plus auftere & moins
variée ; mais il ne laiftè pas d’y employer a propos
cet art d'orner & d’agrandir. On peut le voir dans
ce plaidoyer , o ù , fe difculpant du malheur de la
bataille de Chéronée & du confeil qu’il avoit
donné de faire la guerre à Philippe , il jure, non
pour engager les athéniens à la renouveler encore
, comme l’a cru Longin ( car Philippe étoit
mort & Alexandre avoit fournis l’Afie ; , mais,
comme je l’ai d it, pour fe juftifier d’avoir confeillé
cette guerre ; il jure par les mânes des grands
hommes, q u i, pour la défenfe de la liberté, (ont
morts dans les ba.ailles de Marathon, de Platée ,
de Salamine, & d’Artémife , & qui repofem dans
les tombeaux publics ; il jure , dis-je , qu’en fe
dévouant pour le falut du refte de la Grèce , les
athéniens n’ont point failli & n’ont fait que fuivre
en cela les exemples de lêu’-s ancêtres.
C’eft la qu’après avoir juftifié & fes confeils dans
la tribune & la conduite dans les affaires, Démofthène
terminéainfî fen éloquente apologie:
« Après cela, vous me demandez, Efehine, pour
» quelles vertus je -prétends qu’on me décerne des
» couronnes ? Moi, fans héfiter, je réponds : parce
» qu’au milieu de nos magiftrats & de nos ara-
, » teurs , que Philippe & Alexandre ont univer-
» fellement corrompus, à commencer par vous ,
*> je fuis le leu 1 que ni conjonctures délicates , ni
» paroi s engageantes, ni promeffes magnifiques,
» ni efpérance , ni crainte, ni faveur , ni rien au
r monde , n’a jamais pu pouffer ni induire à rien
» relâcher de ce que je croyois favorable aux droits
» & aux intérêts de la patrie ; parce qu’au tant de
» fois que j’expofài mon avis ce ne fut jamais ,
» comme vous, en mercenaire , qui, femblabie -à
» une balance, penche du côté qui reçoit le plus,
mais qu’éterneliement un efprit droit, jufte &
» incorruptiule dirigea toutes mes démarches ;
as parce qu’enfin appelé plus qu’aucun homme de
» mon temps aux premiers emplois , je les exerçai
» tous avec une religion ferupulëufe & une par-
» faite intégrité : c’eil pour cela que je demande
33 qu’on me décerne des couronnes ».
La manière dont Démofthène agrandit les ob- :
jets, ne tient jamais à l’imagination; elle confifte
a donner à fes raifennements de l ’-ampleur, de la
force , & de la dignité. Il étend moins qu’il n’approfondit
; il grave au lieu de peindre ; & , pour
changer d’image, il çjéploie fes bras avec moins
de grâce, mais il les ferre avec une vigueur plus
nerveiife que Cicéron.
Parmi les orateurs modernes ( j’entends , parmi
lés orateurs chrétiens ) , les Amplifications^ne font
que trop fréquentes. Mais dans le nombre il en eft
d’admirables ; il s’agit de faire un bon choix ï
celles de Bourdaloue , comme celles de Démofthène
, fent des raifennements appuyés & fortifiés ;
celles de Maffïllcn, des développements de pen-
fée , des effufîons de fentiment ; l’un & l ’autre fent
des modèles.
C ’eft dans les oraifens funèbres que Y Amplification
a le plus de luxe & de pompe. Dans Flé-
chier l’exorde du Turenne ; dans Boffuet, les
révolutions de la fortune d’Henriette, l’éloge de
, Çondé , & cent autres morceaux fent des chefs-
d’oeuvre de ce genre. De tous nos orateurs , Boff-
fiiet eft celui qui a le mieux connu Fart d’agrandir:
c’étoit le (beau de fon génie. ^
Mais dans cet art, les poètes fer tout fent de
grands maîtres d’Èloquence ; & qui enfeignera
mieux à donner de la grandeur & de la majeftè
à un fejer, que l’expofîtion de Brutus?-
Deftrufteurs des tyrans, vous , qui n’avez pour rois.
Que les dieux de Numa , vos vertus , Si nos lois „
Enfin votre ennemi commence à vous connoître.
Ce fuperbe tofcan qui nous parloir en maître,
Porfenna, de Tarquin ce formidable appui,
Ce tyran, protefteur d’un tyran comme lu i,
Qui couvroit de fon camp les rivages du Tibre,
Refpeûe le Sénat S: craint un peuple libre. &c.
Qui enfeignera mieux à amplifier une a&ion que
la harangue de Cinna à fes conjurés f
Je leur fais le tableau deces trîftes batailles
Gù Rome , par fes mains, déchiroic fes entrailles,
Où l’aigle abattoir l’aigle, ôc.
Qui enfeignera mieux à aggraver le tnalheur
par l’accumulation des circonftances, que le mor
noiogue de Camille, terminé par^ce mouvement j d’indignation fi fublime & fi déchirant!