fit des difeiples appelés Valentiniens. Tertullïen écrivit
contre ces hérétiques. Ainfi, dès les premiers
temps, les abflra&ions ont donné lieu à des difputes ,
qui, pour être frivoles , n’en ont point été moins
vives.
Au refie, fi l’on vouloit éviter les termes abfiraits,
on fèroit obligé d’avoir recours à des circonlocutions
<& à des périphrafes qui énerveroient le difeours.
D ’ailleurs , ces termes fixent Fefbrit ; ils nous fervent
à mettre de l’ordre & de la precifion dans nos pen-
fées ; ils donnent plus de grâce & de force au discours
; ils le rendent plus v i f , plus ferré , & plus
énergique : mais on doit en connoîtrela jufte valeur.
Les abflraétions font dans le difeours ce que certains
lignes fönten Arithmétique, en Algèbre , & en Aftro-
nomie : mais quand on n’a pas Inattention de les apprécier
, de ne les donner & de ne les prendre que
pour ce qu’elles valent ; elles écartent lfefprit de la
réalité des chofès, & deviennent ainfi la fburce de
bien des erreurs.
Je voudrois donc que, dans le fiyle dida&ique,
c ’eft à dire, lorfqu’il s’agit d’enfèigner, on usât avec
beaucoup de circonfpeaion des termes abfiraits &
des expreflïons figurées : par exemple, je ne voudrois
pas que' l’on dit en Logique Vidée renferme, ni,lorfque
que l’on juge ou compare les idées , qu’on les unit ou
qu’on les jepare ; car idée n’eft qu’un terme abftrait.
On dit aufli que le fu je t attire à f o i Vattribut ; ce ne
fönt là que des métaphores qui n’amufêntque l’imagination.
Je n’aime pas non plus que l’on dife eh
Grammaire que le verbe gouverne, v e u t , demande,
r é g it , 8c c . (M . d u M ars a ï s . )
( ^ Il fèroit véritablement à défîrw, fur-tout dans
le ftyle didaâique, dont le principal mérite confifle
dans la netteté & la précifion , qu’on pût fè pafîer de
ces expreflïons figurées , toujours un peu énigmatiques.
Mais il eft très-difficile de n’employer que des
termes propres , principalement dans 'le langage
grammatical, dont l’objet eft purement métaphyfi-
que ; puifque* nous n’avons d’expreflions véritablement
propres que dans le fêns phyfique. Il faut
avouer cependant que les termes figurés deviennent
propres en quelque forte, quand iis font confàcrés
par l’ufàge & définis avec foin. Gouverner, par
exemple, régir, demander, v ouloir, employés dans
le langage grammatical, font des métaphores prifos
d’un uläge très-ordinaire dans la vie civile. Un Grand
gouverne, régit les domeftiques, demande celui-ci,
Veut celui-là ; & les domeftiques attachés à ion fer-
vice lui font fubordonnés; i f leur fait porter fa livrée ;
le public reconnoît & décide au coup d’oeil, que tel
homme appartient à tel maître : les Cas que prennent
les noms quand ils font compléments de quelque autre
mot, font de même une forte de livrée ; «’eft par là
que Fort juge que ces noms font, pour ainfi dire , attachés
>aü ferviee des mots dont ils déterminent le
fèns ; ils font à leur égard , ce que les domeftiques
font à l’égard du maître ; on dit des uns dans le fèns
propre, ce qu’on dit des autres dans le fèns figuré.
• A in fi, quand les Méthodes pour apprendre la langue
latine difènt, que telle prépofîtion gouverne , régit,
v eut, ou demande l ’accufàtif ; c’eft une expreffion
abrégée, pour dire que, quand on veut donner à la
lignification vague de cette prépofîtion , une détermination
fpéciale tirée de la défîgnation du terme
conféquent du rapport dont elle eft l’expofant , on
doit mettre le nom de l’objet qui eft ce terme conféquent
au cas accufàtif, parce que l’ufàge a deftiné
ce cas à marquer cette forte de ferviee.
Au fùrplus , l’étendue néoeflàirement bornée des
facultés de notre efprit, fait qu’il në peut comprendre
parfaitement les chofès un peu compofées, qu’en les
confîdérant par parties & fous des points de vue fùc-
ceflifs. L ’abjlr aétion eft donc, pour l’etprit humain ,
une forte de moyen méchanique pour afîurer & augmenter
fès connoiflànces. Il eft fi utile , même à
l’égard des chofès les plus palpables, d’en confidérer
les parties féparément plus tôt que toutes à ta fois; que,
fans cela, l’on nepourroit bien foùvent en acquéris
aucune connoifîànce diftin&e. Que connoitroit- on
du corps humain , fi l ’on n’avoit commencé par y
diftinguer toutes les parties, & fi l’on n’avoit fixé
l’attention due à chacune par des dénominations dife
tinétives f L ’utilité de l’Arithmétique dépend de cet
heureux méchanifine; elle apprend à compter méthodiquement
, par parties , des nombres qu’il fèroit
impoflible de faifîrparune feule confidération. Tel
eft le méchanifine intelleduel qui cara&érife Yabf-
tracîion.
Elle a lieu , i*. quand on confidère un mode,
fans faire attention à la fùbftance , ou fans envifà-
ger un autre.mode qui s’y trouve inféparablement
uni dans la même fùbftance. Ainfi, les géomètres ,
ayant pris pour objet le corps étendu, ont eu la iage
précaution, afin de le mieux connoître , de n’y con-
fîdérer d’abord qu’une fèule dimenfion , qu’ils ''ont
repréfentée par la ligne ; enfuite ils ont réuni deux
dimenfions , ce qui a produit la farface ; cela les a
mis en état de difoerner St d’apprécier les trois dimenfions
dans le corps , qu’ils ont alors nommé folide.
Elle a lieu, i° . quand une ehofè ayant divers
attributs , on s’occupe de l’un fans penfèr à l ’autre ,
quoiqu’ils coè’xiftent, & qu’il n’y ait entre eux du’une
diftindion-de raifon. Je peux , par exemple, figurer
fur un papier un triangle équilatéral, ayant chaque
côté long dé 1 5 lignes, & le confidérer tel qu’il eft ;
je n’aurai que l’idee individuelle de ce feul triangle :
mais'fi je l’envifàge Amplement comme une figure
bornée par trois lignes droites égales , en faifànt abf-
traction de toutes les autres circonftances individuelles
; j’aurai l’idée générale de tous les triangles
équiktéraux : fi je fais encore abjlraction de l’égalité
des côtés , & que je n’y confidère que le nombre de
trois ; il en réfultera l’idée plus générale encore de
tous les triangles poflibles : enfin fi je pouflè 1 \ibf-
traétion jufqu’à négliger le nombre des eôtés , & ne
plus les voir que comme des lignes droites qui terminent
une fùrface ; les réflexions auxquelles cette
hypothèfe donnera lie u , conviendront à toutes fes
figures redilignés.
En général, plus on ifole l’objet particulier qu’on
eîivifage; plus aufli on écarte en quelque forte les
ombres qui pourrofent i’obfcurcir ,, & plus on. fortifie
la lumière qui peut l ’éclairer. C ’eft pourquoi
Y abjlr action n’eft pas uniquement la reflource des
philofophes froidement contemplateurs ; elle devient
fbuvent , dans les mains de l’orateur, un moyen
efficace pour fortifier l’impreflion qu’il veut faire , en
écartant les autres considérations, dont les impreflions
multipliées émouflèroient en quelque manière celle
dont l’éloquence veut affurer le triomphe. G’eft ainfi
que Maflillon, dans fbn Sermon fur V Ambition, fait
abflraction des maux que cette paflïon caufe dans la
fociété, & des tourments qu’elle fait fouffrir à celui
qu’elle fùbjùgue ; il s’attache à faire voir qu’elle a
pour fondement une baflefle d’ame, qui avilit l’ambitieux
aux yeux des hommes & aux liens propres* La
Concejfion, YÉpitrophè, la Prétérition ( voye\ ces
articles ) font aflfez communément les tours propres
au langage de Y abflraction chez les orateurs & les
poètes.
Malgré les avantages inconteftables , & nécefiàires
même, que l’efprit humain trouve dans l’ufàge de
Yabftrdction : cet ufàge a aufli des inconvénients
confîdérables, & couvre, fous une furface qui femble
ne montrer que de l ’utilité, des écueils dangereux,
où a fouyent échoué la foibleffe de l’efprit humain.
On peut s’en convaincre avec fruit par la ledure
de la Je ci. V . de la 1. part, de YEjfaifur V origine des
eonnoijfances humaines, par M. l’abbé de Côndillac,
de l’Académie françoife. (JH, E eauzée. )
* ABSTRAIRE, v. a. Détacher mentalement quelque
attribut, quelque mode, du fùjet auquel il eft
eflèntiellement inhérent, ou de quelque autre mode
dont il eft réellement infëp arable.
Ce verbe eft défedif. J'abfirais , tu abfirais, i l
ou elle abjlr ait ; nous abjlr ayons, vous abjlraye^ ,
ils ou elles abflraient. Tabflrayois. J ’abflrairai.
T ahflrair ois. Q\xe f abflraye. Abflrayant. Abflrait.
L ’ufàge n’a donné à ce verbe ni le préfent antérieur
périodique de l’indicatif , ni célui du fùbjondif :
( voye^ T emps ). Il forme régulièrement fes temps
compofés , quand ils deviennent nécefiàires ; ce qui
eft très-rare.
M. du Marfàis ( Jlncyrf. A b s t r a ir e ) prétend
qu’au lieu de dire nous abflrayons, &c. on dit nous
jaifons abjlr action. Outre que le Dictionnaire de
VA cadémie françoife ( 1761 ) autorife nous abf-
trayons, cet habile grammairien confond comme
fynonymes deux manières de parler , d’une lignification
véritablement approchante, fi l’on en juge au
premier coup d’oe il, mais différenciées eh effet par des
caradères très-diftindifs, que je vas aflïgner dans
- l ’article, fiiivant. ( M- E eauzée. )
(N.) ABSTRAIRE , FAIRE ABSTRACTION.
Sy anonymes.
■- *Abjlr aire eft relatifs l’ attribut ifolé , que l ’on détache
mentalement du fùjet auquel il qft inhérent
ou des autres attributs du même fùjet : Fair e ab-
fra c tio n a rapport à ces autres attributs dont on de-
tache le premier. On abflrait une idéë, pour y faire
uniquement attention : on fa i t ahflractiùn de certaine»
idée4 pour n’y donner aucune attention. Ainfi, quand-
les géomètres apprécient le mouvement d’un corps par
la confidération de la maflè combinée avec la vitelle :
on peut dire qi/ils abflraientla. maffe & la viteffe, puiP
que ce.font les feules propriétés du corps auxquelles ils
faffent attention ; mais alors ils fo n t abflraélion de la
figure, du volume, &c. puifqu’ils ne donnent aucune
attention à ces propriétés.
A b j lr aire eft un termo purement didactique , &
ne s’emploie jamais qu’avec relation à la qualité que
l’on détache de tout le refte pour la confidérer feule :
F air e abflraction eft reçu dans le langage commun ,
toujours avec relation aux qualités for lefquelles on ne
v^ut point -appuyer. Il femble que la différence de
ces ufàges vitfnt de colles des perfonnes qui emploient
ces expreflïons : fes fàvants ne penfent qu’au
point qui fes occupent, la multitude aimé' à fe debar-
raffer de ce qui la gêne ; fes uns veulent approfondir
ce qu’ils abflraient, fes autres veulent bien oublier
ce dont ils fo n t abflraction. (M . E e a u z é e .)
A B STR AIT , E. adj. Il y a des idées abftraites
& des termes dbjlraits.
I. Une idéé abjlraite eft celle qui nous reprafente
feulement une partie des idées fîmples que nous
diftiriguons dans l’idée totale d’un individu. Nous
acquérons eës idées par 1e moyen de Y abflraction.
{Foye-{ ce mot.)
Comme il y a deux fortes d’abftraèlions , l’abftrac-
tion phyfique qui nous donne fes idées abjlrait.es
individuelles, & l’abftraêtion métaphyfique qui nous
procure les idées générales ou univerfelles ; il y a
aufli deux fortes d’idées dbflraites confidérées relativement
à leur origine.
Les idées abflraites individuelles, font celles que
j’acquiers par la décompofîtion de l’idée totale d’un
individu unique , que j’examine feul, en lui-même ,
fàns rapport à aucun autre qu’à moi, foit que cet
individu foit moi-même, foit qu’il exifte hors de
moi. Ces idées individuelles abflraites font les éléments
de toutes les autres idées que je puis avoir , de
toutes fes connoiflànces que j’acquiers, de toute la
capacité intelleéluelle qui me diftingue des brutes.
Je dois ces idées, foit à mes fens qui reçoivent des
impreflions qui fe communiquent à mon ame , & lui
donnent ces idées qui lui repréfèntent ou qu’elle
croit lui repréfenter les objets qui les occafionrtent ;
foit à ce fentiment intime qu’elle a de ce qui fe paflù
en elle-même, de ce qu’elle fait , de ce qu’elle
fbuffre. Si chaque individu ne l’affeâoit que d’une
feule manière, elfe n’auroit de'chacun qu’une idée
fîmple, indivifibfe; dont elle ne pourroit rien abfo
traire ; mais chaque individu, chaque être Faflèélant
de diverfes manières , faifànt fur elfe des impreflions
différentes , foit momentanées foit fùcceflives ,. elle
diftingue çes impreflions} elle Jes confidère à part,