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mains étant fi différente de la nôtre, ce qui pouvoit
être d’ulàge alors ne pourroit s’employer aujour-
dhui. Ce n’eft pas que nous n’ayons une Profodie a
laquelle nous ne pourrions manquer fans choquer
fènfîbl'ement l’oreille : un auteur ou un orateur qui
eraploiroit un ê fermé bref au lieu d’un e ouvert long,
révolteroit un auditoire, & paroitroit etranger au
plus ignorant des auditeurs inftruit par le fîmple ufà-
ge ; car l’ufâge eft le grand maître de la prononciation
, fans quoi les règles fiirchargeroient inutilement
la mémoire. p # .
Je crois avoir montré à quoi pouvoient fè réduire
les prétendues notes déclamatoires des anciens, &
la vanité du fyftême proposé à notre égard. En re-
connoilTant les anciens pour nos maîtres & nos modèles
, ne leur donnons pas une fiiperiorite imaginaire
: le plus grand obftacle pour les égaler eft de
les regarder comme inimitables. Tâchons de nous
préforver également de l ’ingratitude & de la fiiperl-
iition littéraire. * _
Nos qui fequimur probabilia, nec ultra id quod
verlfimile occurreritprogredi pojfumus , & refellere
Jine pertinaciâ & rejèlli fine iraciindiâ parati
fumus. Cicer. II. Tujcul. ij.
D é c l a m a t io n . ( Belles-Lettres. ) Difcours ou
harangue fur un füjet de pure invention, que les anciens
rhéteurs fàifoient prononcer en public a leurs
écoliers afin de les exercer.
Chez les grecs la Déclamation prifê en ce fons
étoit Part de parler indifféremment fur toutes fortes
de fujets , & de foutenir également le pour & le contre
, de faire paroître jufte ce qui ctoit injufte, &
de détruire , au moins de combattre les plus fblides
raifons. C ’étoit l’art des fophiftes, que Socrate avoit
décrédité, mais que Démétrius de Phalère remit
depuis en vogue. Ces fortes d’exercices, comme le
remarque M. de S. Évremont, n’étoient propres qu’à
mettre de la fauffeté dans l’efprit & à gâter le goût,
en accoutumant les jeunes gens à cultiver leur imagination
plus tôt qu’à former leur jugement, & à
chercher des vraisemblances pour en impofor aux
auditeurs, plus tôt que de bonnes raifons pour les convaincre.
Voye\ S o p h i s t e .'
Déclamation eft un mot connu dans H orace, &
plus encore dans Juvénal ; mais il ne le fut point à
Rome avant Cicéron & Calvus. Ce fut par ces fortes
de compofîtions que dans là jeunefîè ce grand orateur
fè forma à l’Éloquence. Comme elles étoient
une 'image de ce qui fè paffoit dans les confoils &
au barreau, tous ceux qui afpiroient à l’Eloquence
ou qui vouloient s’ y perfèdionner, c’eft à dire, les
premières perfonnes de l’É tat, s’appliquoient à ces
exercices, qui étoient tantôt dans le genre délibératif,
& tantôt dans le judiciaire , rarement dans le
démonftratif. On croit qu’un rhéteur nommé Plotius-
Gallus en introduit le premier l’ufâge à Rome.
Tant que ces Déclamations fè tinrent dans de
juftes bornes, & qu’elles imitèrent parfaitement la
forme & le ftyle des véritables plaidoyers , elles furent
d’une grande utilité; car les premiers rhéteurs
D E C
latins les avoient conçues d’une toute autre maniéré
que n’avoient fait les fophiftes grecs : niais elles dégénérèrent
bientôt par l ’ignorance & le mauvais goût
des maîtres. On choifiiïoit des' fujets fabuleux tout
extraordinaires , & qui n’avoient aucun rapport aux
matières du barreau. Le ftyle répondoit au choix des
fujets : ce n’étoient qu’expreffions recherchées, pensées
brillantes , pointes , antithèfès, jeux de mots ,
figures outrées, vaine enflure, en un mot ornements
puérils entalfés fans jugement, comme on peut s’en
convaincre par la lèéfcure d’une ou de deux de ces
pièces recueillies par Sénèque : ce qui faifoit dire à
Pétrone que les jeunes gens fortoient des écoles publiques
avec un goût gâté , n’y ayant rien vu ni entendu
dé ce qui eft d’ufage , mais des+ imaginations
bifàrres & des difcours ridicules. Aufli convient-on
généralement que ces Déclamations furent une des
principales caufos de la corruption dè l ’Éloquence
parmi les romains.
Aujourdhui la Déclamation eft bornée à certains
éxercices qu’on fait faire aux étudiants pour les accoutumer
à parler en publie. C’eft en ce fons qu’on dit
une Déclamation contre Annibal, contre Pyrrhus *
les Déclamations de Quintilien.
Dans certains collèges on appelle Déclamations >
de petites pièces de théâtre qu’on fait déclamer aux
écoliers pour les exercer , ou même une tragédie
qu’ils repréfèntent à la fin de chaque année. On en
a reconnu l’abus dans l’Univerfîté de Paris, où on
leur a fubftitué des exercices fur les auteurs claffi-
ques, beaucoup plus propres à former le goût, &
qui accoutument également les jeunes gens à^cette
confiance modefte, nécelîàire à tous ceux qui font
obligés de parler en public. Voye\ C o l l èg e .
Déclamation fè prend atiffi pour l’art de pronon-*
cer un difcours avec les tons & les geftes convena^
blés. ( Vabbé M allet»)
D é c lam a t io n t h é â t r a l e . (Art du Théâtre.)
La Déclamation naturelle donna naiffance à la Mu-
fique ; laMufîque , à la Poéfîe ; la Mufîque & la Poé-
fie à leur tour firent un art de la Déclamation.
Les accents de la joie , de l ’amour, & de la douleur
font les premiers traits que la Mufîque s’eft proposé
de peindre. L ’oreille lui a demande l’harmonie*
la mefure, & le mouvement; la Mufîque a obéi à
l ’oreille : d’où la Mélopée. Pour donner à la Mufîque
plus d’expfeflion & de vérité , on a voulu articuler
les fons employés dans la mélodie, c’eft à dire ,
parler en chantant ; mais la Mufîque avoit une mefure
& un mouvement réglés ; elle a donc exigé des
mots adaptés aux mêmes nombres: d’où l ’art des
vers. Les nombres donnés par la Mufîque & obfèrves
par la Poéfîe, invitoient la voix à les manquer : d ou
l’art rhythmique. Le gefte a fuivi naturellement 1 ex-
-preflîon & le mouvement delà voix: d’ou l’art hy-
pocritique , ou l’aétion théâtrale , que les grecs ap-
peloient Orchefis , les latins Saltàtio , Si que nous
avons pris pour la-danfe.
C’eft là qu’en étoit la Déclamation > lorfqu Ef-
D E C
. , , C. la Tragédie du chariot de Thefpts fur
t t é l r ’efd'Athéne?. La Tragédie, dans fa natf-
fance rfétoit qu’une efpèce de choeur, ou 1 on chan_
toit dès dithyrambes à la louange de^ Bacchus , &
mr conséquent la Déclamation tragique fut d a
& un chant mufical. Four délafter le choeur on
introduilit fur la fcène un perfonnage qui parlon dans
les repos. Efchyle lui donna des interlocuteursi, le
dialogue devint la pièce , & le choeur forma 1 inter
mède8. Quelle fut dès lors la Déclamation thea-
traie ? Les {ayants font divises fur ce point de Litte-
’ Tconviennent tous que laMufîque étoit employée
dans la Tragédie : mais 1 employoît- on feu ement
dans les choeurs, l’employoït-on meme dans le dialogue'
M. Dacier ne fait pas difficulté de dire ; C e-
toit un afaifannement de Ê #
lapUce ; cela leur aurait parumonfirueux. M . 1 ab
bé^du Bos convient que la Déclamation tragique
n’étoit point un chant, attendu qu elle e.toit réduite
aux moindres intervalles de la voix ; mais il prétend
que le dialogue lui-même avoit cela de commun avec
les choeurs, qu’il étoit fournis a la mefure & au mouvement
, & que la modulation en e.toit notée. M.
l’abbé Vatri va plus loin : il veut que 1 ancienne Déclamation
fût un chant proprement dit. L elo.gne-
ment des temps, l’ignorance ou nous femmes fur la
Profodie des langues m ÊÈÈÊÊ/ÊÈè È Ê Ê Ê ê M
termes dans les auteurs qui en ont écrit, ont fait naître
parmi nos favants cette difpute difficile a
mais heureufement plus curieufe qu mtereffan e En
.effet, que i'immenflce des théâtres chez les grecs &
chez les romains ait borné leur Déclamation thea-
zrale aux grands intervalles de la voix, ou qu ils ayent
eu l’art d’y rendre feiifibles dans le lointain les moindres
inflexions de l’organe & tes nuances les plus délicates
de la prononciation ; que dans la première fup
pofition ils ayent affervi leur Déclamation aux relies
du chant, ou que dans la fécondé ils ayent con-
fervé au théâtre l’expreffion libre & naturelle de la
parole ; les temps, les lieux, les hommes, les langues,
tout eft changé au point que 1 exemple des
anciens dans cette partie n’efî plus d aucune autorité
P° A rTra-d de l’aâion , fur les théâtres de Rome &
d’Athènes l’expreffion du vifage étoit interdite aux
comédiens par l’ufage des mafques ; & quel charme
de moins dans leur Déclamation ! Pour concevoir
comment un ufàge qui nous paroît fi choquant dans le
genre noble & pathétique , a pu jamais s établir chez
les anciens, il faut fùppofer qu’à la faveur de 1 étendue
de leurs théâtres , la difïonnance monftrueufe
de ces traits fixes St inanimés avec une aétion vive
& une flicceflion rapide de (èntiments, feuvent opposés
échapoit aux yeux des fpeéditeurs. On ne peut
pas'dire la même chofè du défaut de proportion qui
réfultoit de l’exliaulTement du cothurne ; car le lointain
qui rapproche les extrémités, ne rend que plus
frappante la difformité de l’enfemble. | falloit donc
que l’aéteur fût enfermé dans une efpèce de ftatue
D E C Î J 7 ,
i cololfale , qu’il faifoit mouvoir comme par relions ;
& dans cette fuppofition comment concevoir une
aétion libre & naturelle ? Cependant il eft a préfumer
que les anciens -avoient porté le gefte au plus
haut degré d’expreffion , puifque les romains trouvèrent
à fe confoler de la perte d’Efopus & de Rofcius
dans le jeu muet de leurs pantomimes : il faut m tm
avouer que la Déclamation muettea les avantages,
comme nous aurons lieu de l’expliquer dans la lutte
de cet article ; mais elle n’a que des^ moments; &-
dans une aétion fuivie il n’eft point d exprefiion qu»
fupplée à la parole. ,r ,
Nous ne (avons pas, dira-t-on , ce que faifoier*
ces pantomimes : ceia peut être ; mais nous lavons ce
qu’ils ne faifoient pas. Nous femmes très-surs, par
exemple , que dans le défi de Pilade & d Htlas ,
l’aéteur qui triompha dans le rôle d’Agamemnon ,
quelque talent qu’on lui fuppofe, étoit bien lo;n de
l’expreflion natureUe de ces trois vers de Racine ;
Heureux qui, fatisfait de fon humble fortune,
Libre du joug fuperbe où je fuis attaché,
Vit dans l'état obfcur où les dieux l’oat caché!
Ainfi,-loin de juftifier l’efpèce de fureur qui fe répandit
dans Rome du temps d’Augufle .pour le fpec-
tacle des pantomimes , nous la regardons conarae une
de ces manies bifàrres qui naiflenc communément
de la fatiété des bonnes chofes : maladies contagieu-
fes qui altèrent les efprits, corrompent le g oû t,&
anéantiffent les vrais talems. (/feyé? Paktomime
& l'article précèdent fur la D éc lam a t io n n o t é e ,
où l’on traite du partage de l ’action théâtrale , &
de la poffiiilité de noter iu Déclamation; deux points
très-difficiles à difeuter, & qui demandaient^ tous
les talents de la perfonne qui s ’en étoit chargée. ) .
On entend dire feuvent qu’il n’y a guère dans les
arts que des beautés de convention ; c’eft le moyen
de tout confondre : mais, dans les ans d imitation ,
la première règle eft de reflembler ; & cette convention
eft abfurde & barbare, qui tend à corrompre ou
à mutiler dans la Peinture les beautés de 1 onginaL
Telle étoit la Déclamation chez les romains ,
lorfeue la ruine de L’Empire entraina celle des théâtres.
Mais après que la Barbarie eut extirpe toute espèce
d’habitude , & que la nature fe fut reposée dans
une longue ftérilité ; rajeunie par fon repos, elle re-
parut telle qu’elle avoit été avant l’altération de les
principes. C ’eft ici qu’il faut prendre dans fon origine
la différence de notre Déclamation avec celle
des anciens. .
Lors de la rçnaiflànce des lettres en Europe , la
Mufîque y étoit peu connue ; le rhythme n’avoit pas
meme de nom dans les langues modernes ; les vers ne
différoient de la profe que par la quantité numérique
des fyllabes divisées également, & par cetfe conlon-
nance des finales que nous avons appelle e■ R/m* ,
invention gothique, dont l ’elprit Si 1 oreille n ont-
pas lai fie de fe faire un plaifîr. Mais heureufement
pour la Poéfîe dramatique , la rime, qui rend
1 nos y ers fi monotones-, ne fit quen marquer les