
bonté morale d’une aétion courageufê & forte, on eft
d’accord fur fa Beauté : telle eft Faction de Scevola.
L e crime même , dès qu’il fùppofê une force d a me
extraordinaire ou une grande fiiperiorite de carac- .
tère ou de génie, eft mis dans la claffe du Beau : tel
eft le crime de Céfar, le plus illuftre des coupables.
On obfêrve la même chofe dans les productions
de i ’efprit. Pourquoi dit-on, de lafolutiond’un grand
problème en Géométrie , d’une grande decouverte
en Phyfîque, d’une invention nouvelle & Surprenante
en Méchanique, Cela ejl beau? C’eft que cela
fuppofê un haut degré d’intelligence & une force
çrodigieufê dans rentendement & la réflexion.
On dit dahs le même fêns , d’un fyftême de législation
fàgement & puiflammènt conçu, d’un morceau
d’Hiftoire ou de Morale profondément penfé
jk fortement écrit, Cela ejl beau.
On le dit d’un chef-d’oeuvre de combinaifôn ,
d’analyfe ; des grands réfultats du calcul ou de^ la
méditation : & on ne le dit, que lorfqu’on eft en état
de fêntir l’effort qu’il en a dû coûter. .Quoi de plus
(impie & de moins admirable que l ’alphabet aux
yeux du vulgaire' ? Quoi de plus fêc & de moins
(ùblime aux yeux d’un écolier que la Dialedique
d’Ariftote? Quoi de moins étonnant que, la roue,
le cabeftan, la v is , aux yeux de l’ouvrier qui les
^brique ou du manoeuvre qui s’en fêrt ? Et quoi^ de
»lus beau que ces inventions de l’efprit humain,
*jjx yeux du philofôphe qui mefure le degre de force
& d’intelligence qu’elles fùppofènt dans leurs inventeurs
ï J’ai vu un célèbre méchanicien en admiration
devant le rouet à filer.
Ici fè préfênte naturellement la raifon de ce
gti’on peut voir tous les jours: que les deux claffes
d’hommes les plus éloignées , le peuple- & les
lavants, font celles qui éprouvent le plus fôuvent
& le plus vivement l’émotion du Beau ; le peuple,
parce qu’ il admire comme autant de prodiges les
effets dont les caufês & les moyens lui femblent
incompréhenfîbles ; les lavants , parce qu’ils font en
état d’apprécier & de fêntir l’excellence & des caufês
& des moyens : au lieu que, pour les hommes fuper-
•fîclellement inftruits, les effets ne font pas allez fur-
prenants , ni les caufês allez approfondies. Ainfî,
le N il admirari d’Horace, applique aux événements
de la v ie , peut être la devifê d’un .philofôphe ; mais à l’égard des produirions de la nature & du genie ,
ce ne peut être que la devifê d’un fôt , ou de
l ’homme fûperficiel, frivole, & fûffifànt, qu’on appelle
un fat.
Dans l’Éloquence & la Poéfie, la richeffe & la
magnificence du génie ont leur tour : l’affluence
des fêntiments , des images , & des penfées , les
grands développements des idées qu’un efprit lumineux
anime & fait éclorre , la langue même, devenue
plus -abondante & plus féconde pour exprimer
de nouveaux rapports, ou pour donner plus d’ener-
gie ou de chaleur aux mouvements de 1 ame ; tout
c e la , dis-je, nous étonne , & le raviffement où
nous foraines n’eft que le fèndmenj du Beau,
Il en eft de même des objets fènfïbles : & fi, dans
la nature, nous examinons quel eft le caractère uni-
verfêl de la Beauté , nous trouverons partout la
f o r c e la rickejfe, ou ¥ intelligence ; nous trouverons
dans les animaux les trois caractères de Beauté quelquefois
réünisN, & fôuvent partagés ou fubordonnes
l’un à l’autre. Dans la Beauté de l’aigle, du taureau y
du lion , c’eft la force de la nature ; dans la Beauté
du paon, c’eft la richejfe,* dans la Beautédel homme,
c’eft Y intelligence qui paroît dominer.
On fait ce que j’entends ici par Y intelligence de
la nature. Je parle de fes procédés , de leur accord
avec les vûes, du choix des moyens quelle a pris
pour arriver à fes fins. Or, quelle a ete 1 intention
: de la nature à l’égard de l’efpèce humaine ? Elle a
voulu que l’homme fut propre a travailler & a
combattre, à nourrir & à protéger fâ timide compagne
& fes foibles enfants. Tout ce qui, dans la
taille & dans les traits de l’homme , annoncera
l’agilité, l’adreffe, la vigueur, le courage ; des
membres (buples & nerveux , des articulations marquées
, des formes qui portent l’empreinte d une
réfîftance ferme , ou d’une aétion libre & prompte,
une ftature dont l’élégance & la hauteur n’ait rien
de frêle , dont la folidité robufte n’ait rien de lourd
•ni de mafl^f ; une telle correfpopdance des parties
l’une avec l’autre., une fymmétrie, un accord,. un
équilibre fi parfaits que le jeu méchanique en foîï
facile & sur ; des traits où la fierté, l’afsûrance, Fau~
dace & ( pour une autre caufê) la bonté , la ten-
dreffe, la fenfibilité foient peintes ; des yeux ou
brille une ame à là fo'jf douce & forte , une ^bouche
qui fêmble difpofée à murire a la nature & a 1 amour 5,
tout cela, dis-je, compofêra le caractère de la Beauté
mâle; & dire d’un homme qu’il eCt beau ^ c’eft dire
que la nature, en le formant, a bien fù ce qu’elle
faifôit & a bien fait ce qu’elle a vôulm . 4 ^
La deftination de la femme a été de plaire a
l’homme , de l’adoucir , de le fixer auprès d’ellé &
de fês enfants. Je dis de le fixer , car ia fidélité eft
d’inftitution naturelle; jamais une union fortuite &
pa fia gère n’auroit perpétué l’efpèce ; la mère, allaitant
fôn enfant, ne peut vaquer, dans l’état de nature,
ni à fê nourrir elle-même ni à leur défenle commune
; & tant que l’enfant a befôin de la mere,
Fépoufê a befôin de l’epoux. Or 1 inftinét, qui dans
l’homme eft foible & peu durable,. né 1 auroit pas
feul retenu ; il falloit à l’homme fauvage & vagabond
d’autres liens que ceux du fang : l’amour feul
a rempli le voeu de la nature ; Sc le remède a 1 in-
conftance a été le charme attirant & dominant de la
Beauté. <i .
Si l’on veut donc, fâvoir quel eft le caractère de
la Beauté de la femme, on n’a qu’à réfléchir a fa
deftination. La nature l’a faite pour etre epoufê &
mère, pour le repos & le plaifir, pour adoucir les
moeurs de l’homme , pour l ’interelîer, 1 attendrir.
Tout doit donc annoncer en elle la douceur d un
aimable empire. Deux attraits puiffants de l’amour
font le défir & là pudeur :: le caradère de fa Beauté
fera donc fênfible & modefte. L ’homme veut atta- j
cher du prix à fa victoire ; il veut trouver dans fa
compagne fon amante, & non fon efclave; & plus il
verra de nobleflè dans celle qui lui obéit, plus vive-^
ment il jouira de la.gloire de commander : la Beauté
de la femme doit donc être mêlée de modeftie &’ de
fierté. Mais une foibleffe intéreffante attache l’homme
en lui faifant fêntir qu’on à befôin de fôn appui : la
Beauté de la femme doit donc être craintive ; & pour
la rendre plus touchante, le fentiment en fera Famé,
il fe peindra dans fes'regards, il refpirera fur fes
lèvres , il attendrira, tous fês.traits 1 homme , qui
veut tout devoir au penchant, jouira de fês préférences
, & dans la foibleffe qui cède il ne verra que
l ’amour qui confênt. Mais le fôupçon de l’artifice
détruiroit tout ; l’air de candeur, d’ingénuité, d’innocence,
ces grâces Amples & naïves qui fe font
voir en Ce cachant, ces fêcrets du penchant, retenus
& trahis par la tendreffe du fôurire , par l ’éclair
échappé’ d’un timide regard , mille nuances fugitives
dans l’expreffîon des yeux & des traits du
vifàge , font l’Eloquence de la Beauté ; dès qu’elle
eft froide , elle eft muette.
Le grand afcendant de la femme fur le coeur de
l ’homme lui vient de la fêcrète intelligence qu’elle
fê . ménage avec lui & en lui-même , à fbn infli : ce
difcernement délicat , cette pénétration vive doit
donc auffi fê peindre dans les traits d’une, belle
femme, & fùrtout dans ce coup-d’ceil fin qui va
jufqu’aux replis du coeur démêler un fôupçon de
froideur, de triftejfe, y ranimer la joie, y rallumer
l ’amour. -
Enfin, pour captiver le coeur qu’on a touché &
le fàuver de l’inconftance, il faut le fauver de l’ennui
, donner fans ceffê à l’habitude les attraits de la
nouveauté, & tous les jours la même aux yeux de
fôn amant , lui fembler tous les jours nouvelle.
G’eft là le prodige qu’opère cette vivacité mobile,
qui donne à la Beauté tant de vie & d’éclat. Docile
à tous les mouvements de l’imagination , de l’efprit „
& de Famé, la Beauté doit, comme un miroir, tout
peindre, mais tout embellir.
Pour analyfêr tous les traits de ce prodige de la
nature , il iaudroit n’avoir que cet objet, & il le
mériteroit bien. Mais j’en ai dit affez pour faire
voir que l’intelligence & la fàgeffe de la première
caufê ne fê manifeftent jamais avec plus d’éclat,
qu’en formant cet objet divin.
Je fais bien qu’on peut m’oppofêr la variété infinie
des fêntiments fur îa Beauté humaine ; & j’avoue
en,effet que la vanité, l’opinion, le caprice national
ou perfônnel ont trop influé fur les goûts, pour qu’il
nous foit poffîble , en les analyfànt, de les réduire
à l ’unité. Laiffons là ce qui nous eft propre ; &
pour juger plus fâinement, cherchons les principes
du Beau dans ce qui nous eft étranger.
Sur quelque efpèce d’êtres que nous jetions les
yeux , nous trouverons d’abord que prefque rien
n’eft beau que ce qui eft grand , parce qu’à nos
yet#x la nature -ne paroît déployer fes forces que
dans fês grands phénomènes. Nous trouverons pourtant
que de.petits objets, dans lefquels nous apper-
cevons une magnificence ou une induftrie merveil-
leufê, ne laifïènt pas de donner l’idée d’une caufê
étonnamment intelligente & prodigue de fês tré-
fôrs. Ainfî , comme pour amaffer les eaux d’uni
fleuve & les répandre , pour jeter dans les airs le§
rameaux d’un grand chêne, pour entaffer de haute»
montagnes chargées de glaces ou de forêts , pour
déchainer les vents, pour fbulever les mers, il à
fallu des forces étonnantes ; de même pour avoir
peint de couleurs fi vives, de nuances fi délicates,
la feuille d’une fleur, l ’aile d’un papillon, il a fallu
avoir à prodiguer des richefTes inépuifàbles : & de
l ’admiration que nous caufê cette profufîon de tré-
fôrs, naît le fentiment de Beauté dont nous fàifit la
vue d’une rofê ou d’un papillon.
Nous trouverons, que ceux des phénomènes de
la nature auxquels l’intelligence, c’eft à dire, l’ef-'
prit d’ordre, de convenance, & de régularité i fêmble
avoir le moins préfidé , comme un volcan , une
tempête , ne laifïênt-pas d’exciter en nous le fè miment
du B e a u , par cela fêul qu’ils annoncent de
grandes farces ; & au contraire, que l ’intelligence
étant celle „des facultés de là'nature qui nous étonne
le moins, peut-être à caufê que l ’habitude nous l ’a
rendue trop familière , il faut qu’elle fcit très-fen-
fible & dans un degré furprenant, pour exciter en
.■ nous le fentiment du Beau. Ainfî, quoique l’intention
, le deflèin, l’induftrie de la nature fôient les
mêmes dans un reptile & dans un rofêau , que dans
un lion & dans un chcne ; nous difons du lion & du
chêne , Cela ejl beau 1 mouvement que n’excite en
nous ni le rofeau ni le reptile. Cela eft fi vrai que
les mêmes objets , qui fêmblent vils lorfqu’on n’y
apperçoit pas ce qui annoncé dans leur caufê une
merveilléufè induftrie , deviennent précieux &
beaux dès que ces qualités nous frappent; ainfî,
en voyant au microfcepe ou l’oeil ou’ l ’aile d’une
mouche, nous nous écrions , Cela ejl beau f
Enfin dans la Beauté par excellence , dans le
fpeéfcacle de l ’univers , nous trouverons réunis au
fûprême degré les trois objets de notre admiration ,
la force , la richefîê, & l’intelligence ; & de l’idée
d’une caufê infiniment puifïànte , fàge , & féconde,
naîtra le fêntimentdn Beau dans toute fît fiiblimité»
Le principe du Beau naturel une fois reconnu ,
il eft aife de voir en quoi confîfte la Beauté artificielle:
il eft aife de voir qu’elle tient-10; à l’opinion
que l ’art nous donne de l ’ouvrier & de lui-
même, quand il -n’eft pas imitatif; i 0-. à Topinicrfi
que Fart nous donne, & de lui-même, & de l ’artifte,
& de la nature fôn modèle , quand il s’exerce à
Fimiter.
Examinons d’abord d’oü réfûlte le fênciment du
Beau dans un art qui n’imite point; par exemple ,
FArcliitedure. L ’unité , l à variété , l’ordonnance,
la fymmétrie , les proportions, & l ’accord des par des
d’un édifice, en feront un Tout régulier ma h:
}a graqdçux a la jiçhefiê x ou l’intelligencego-r x1 es à