
V Em p ir e d’Allemagne, dans l’Em p ir e de Ruffîe, &
dans Y Em p ir e ottoman, dont tout le monde conçoit
la diverfité des peuples & des nations qui les
compofênt. Au lieu que, dans les Etats qui portent
le nom de Royaume, tels que la France, l’Efpagne,
l’Angleterre, &.laPologne, on voit que la diviiîon
en provinces n’empêche pas que ce ne foit toujours
un même peuple, & que l’unité de la nation ne
üibfifte , quoique partagée en plufîeurs cantons.
Il y a dans les Royaumes uniformité de lois fondamentales
; les différences des lois particulières &
d e la jurifprudence n’y font que des variétés d’u-
fàge, qui ne.nuifènt point à l ’unité de l’adminiftra-
fion politique : c’eft même de cette uniformité ou
de la fonction du gouvernement que les mots de Roi
& de Royaume tirent leur origine; c’eft pourquoi
il n’y a jamais qu’un prince, ou du moins qu’un
mini-lire fouverain, quoiqu’adminiftré par plufîeurs.
ÏI n’en eft pas de même dans les Empires : une
partie fo gouverne quelquefois par des lois fondamentales
très-différentes de celles par lefquelles une
.autre partie du même Empire fo gouverne ; cette
•diverfité y rompt l’unité de gouvernement; & ce
îi’eft que la foumiffion-, dans certains chefs, au
commandement d’un fùpérieur général , qui fait
l ’union de l’État : c’eft aufïi précifement de ce droit
de commander que tirent leur étymologie les mots
À 1 Empereur 8c d’Empire ; de là vient qu’on y voit
plufîeurs Souverains & des Royaumes même en être
membres,
L ’État romain fut un Royaume, tant qu’il ne fut
iormé que d’un foui peuple, foit originaire (bit
incorporé : le nom d'Empire ne lui convint & ne
lui fut donné, que lorfqu’il eut fournis d’autres peuples
étrangers, qui, en devenant membres de cet
État, ne cefsèrent pas pour cela d’être des nations
différentes , & fur lefquels les romains n’établirent
qu’une domination de commandement, & non d’ad»
jninift ration.
Un Royaume ne fâuroit atteindre à l’étendue que
peut avoir un Empire, parce que l’unité de gouvernement
& d’adminiftration, fur laquelle eft,fondé
le Royaume , ne va pas fi loin 8c demande plus de
temps que le fimple exercice de la fupérierité & le
droit de recevoir certains hommages, qui fuffifènt
peur former les Empires.
Les avantages qu’on trouve dans la fociété d’un
corps politique contribuent autantde la part des
gujeîs , à former les. Royaumes, que l’envie de dominer
, de la part des princes, La'feule ambition
forme le plan des Empires, qui pour l’ordinaire
ne s’établifïènt 8c ne fe foutiennent que par la force
des armes. ( JJ abbé G ir a r d . ) }
EN & DANS. Prépofîtions qui ont rapport au
lieu & au temps. E n France, En un an, E n un,
Jour., D ans la v ille , D ans la maifon, D ans dix
ans , D ans la femaine. L’abbé Girard dans fès
Synonymes, Vaugelas, le P. Bouhours, & quelques
"autres grammairiens ont fait des obfèrvations
particulières ftir ces deux prépofîtions; en effet, dans
l’Élocution ufùelle, il y a bien des occafions où l’une
n’a pas le même fens que l’autre.
Onpeut recueillir de l’abbé Girard & des autres
grammairiens , que Dans emporte avec foi une
idée, açceffoire, ou de fingularité ou de détermination
individuelle , & voilà pourquoi Dans eft
1 toujours fûivi de l’article devant les noms appella-
tifs, au lieu que En emporte un fèns qui n’eft point
relferré à une idée fingulière. C’eft ainfî qu’on dit
un domeftique , I l ejl E n maifon, c’eft à dire ,
D a n s une maifon quelconque ; au lieu que, fi l’on
difoit qu’zY eft D a n s la maifon , on dëfîgneroit une
maifon individuelle déterminée par les cicconftances.
On dit, I l eft en France, c’eft à dire, E n quelque
lieu de la France : I l efi en v ille , cela veut
dire qu’// efi hors de la maifon , mais qu’on ne
fait pas en quel endroit particulier de la ville il eft
allé. On dit ,1 1 efi En prifon, ce qui ne défigne
aucune prifon quelconque ; mais fi on dit, I l efi
, dans laprijon du Forc-VÉvêqiie ou de S. Martin ,
voilà une idée plus précifo: I l efi dans les -cachots,
c’eft ajouter une idée plus particulière à l’idée d'être
en prifon ; aufïi exprime-t-on l’article en ces occa-
fions. I l g f i en liberté, I l efi eh fureur, Il efi en
. apoplexie : toutes ces expremons marquent un état ;
mais bien moins déterminé que lorfqu’on dit, I l efi
dans une entière liberté, l l e f i dans une extrême
fureur. On dit, I l efi en Efpagne, & on dit, I l
efi dans le royaume d?Efpagne ; I l efi en Langue-
doc , & IL efi dans la province de Languedoc.
Cette diftindion d’idée vague & indéterminée ou -
de fèns général pour E n , & de fèns plus individuel
& plus particulier pour Dans ; cette diftindion ,
dis-je, a fon ufâge : mais on trouve des occafions
où il paroît qu’on n’y a aucun égard ; ainfî, l’on dit
bien, l l e f i en A fie , fans déterminer dans quelle
contrée ou dans quelle ;ville de l’Afîe il eft; mais
on ne dit pas, i l efi eh Chine, en Pérou, &c.
on dit à la Chine, au Pérou, &c. Il fèmble que
l’éloignement & le peu d’ufàge où nous fournies de
parler de ces pays lointains, nous les faflè regarder
comme, des lieux particuliers.
Le P. Bouhours a fait fur ces deux prépofîtions
des remarques conformes à l’Ufâge, & qui ont été
répétées par tous les grammairiens qui ont écrit
après cet habile obfèrvateur , même par Thomas
Corneille fur Vaugelas. Il me fèmble pourtant que
le P, Bouhours commence par une véritable pétition
de principe ( Remarques , tom. I ,p . 6 y ).
On met toujours E n , dit-il, devant les noms, lorf-
qu on ne leur donne point d'article ’. j’en conviens,
mais c’eft-là précifement en quoi confifte la difficulté.
Un étranger qui apprend le françois, ne
manquera pas de demander en quelles occafions il
trouvera le nom avec l’article ou fans l’article.
Outre ce que nous avons dit c.i-deflus du fèns
vague & du fèns particularité ou individuel, voici
des exemples tirés, pour la plupart, du P. Bouhours,
& des autres obfèrvateurs qui l’ont fuïvi»
E N A
E n ou D a n s fuivis d’un nom fans article , parce
que le mot qui fu it la prépofition n efi pas pris
dans un fens individuel, qu’i l efi pris dans un
fens géne'r'al d’efpèce ou de forte•
E n repos ; E n mouvement ; E n colère ; E n bon
état ; E n belle humeur ; E n faute ; E n maladie^ ;
E n réalité ; E n fange ; E n idée ; E n fantaifi■> ; E n
goût-, E n gras-,Y* maigre ; Dh. peinture-, E n blanc ;
E n rouge ; E n émail ; E n or; E n arlequin; E n capitaine,
E n roi.; E n maifon ; E n ville ; E n campagne;
E n province ; E n figure, JL* chair & en os ; &
autres en grand nombre pris dans un fèns de forte,
qui n’eft pas le fèns individuel. On dit auffi par
imitation, E n Europe D a n s L’Europe-,fin France
& D a n s la France ; E n Normandie 8c D a n s
la Normandie, &c. Defpréàux a dit îjDans.
Florence jadis vivoic. un médecin..
Art poêl. liV. IV,-
Peut-être diroit-il aujourdhui à Florence•
En ou D a n s fuivis d’un nom avec l’article,, à
citufe du. fens iudividuel.
D a n s le royaume de Naples ; D a n s la France ;
D a n s la Normandie ; D a n s le repos où j e fu is ;
D a n s le mouvement, ou DàhsY agitation, ou D a n s
l ’état où je me trouve ; on dit auffi E n l ’ètat où
je fuis. D a n s la misère, ou E n la misère où je
fuis. D a n s . La belle, humeur, ou E n La.belle humeur
où vous êtes. D ans la fleur de l âge, ou-E n
la fleur de L’âge. I l m’efi venu d a n s Vefprit. I l
efi allé e n L'autre monde, pour dire, i l efi mort :
en ce fins le P. Bouhours ne veut pas qu’on difè II
efi allé d a n s l’autre monde ;car alors Vautre monde
le prend, dit i l , pour le nouveau monde ou Y Amérique.
D a n s L’extrémité ou E n Vextrémité oùjefuis.
Dans laponne humeur ou E n la bonne humeur où il
efi. D a n s tous-les lieux du.monde, ou E n tous les
lieux du monde. E n tout temps,Dans tous les temps..
E n tout pays, D a n s tous les pays. J ’ai lu cela
E n un bon livre , ou. D a n s un bon Livre. E n mille
occafions , ou D a n s , mille occafions. E n chaque
âge ou D a n s , chaque âge. E n quelque penfée ou
D a n s quelque penfée que v o u s fo y e E n des livres
au D a n s des livres... E n de f i beaux lieux ou
D a n s de fe beaux, lieux.. ( M. du- M ars ai s.,)
E N A L L A G E , C. fo Gramm. haXAuyii, changement
, permutation. R. E’v«AA«,r7<» , permuta ;
ainfî, pourconfèrver l’orthographe & la prononciation
des anciens, il faudroit prononcer Enallague...
C ’eft une prétendue Figure de conftruéïion que les
grammairiens,qui raifonnent ne connoifïent point,
mais que les grammatiftes célèbrent. Selon ceux-
c i , YEnallage eft une forte d’échange qui fè fait:
dans les accidents des mots; ce qui arrive, difent-
ils, quand on met un temps pour un autre-, ou un
tel genre pour un genre différent ; . 3 en eft de.
E N A 711
meme a l'egard des modes des verbes , comme
quand on emploie l’infinitif au lieu de mode fini r
c’eft ainfî que dans Térence lorfque le parafite
revient de chez Thaïs , à laquelle il venoit dd*
faire un beau préfènt de la part de Thrafon *
celui-ci vient au devant de lui en difânt r
‘ Magnas verb agere grattas Thaïs mihi ?
Ter., cun. iij. r»-
Thaïs me fait de grands remerciements fans doute ^
Qui ne voit que agere eft là pour a g it, difent les;
grammatiftes?
Ceux au contraire qui tirent de l’analogie les*
règles de l’Élocution, & qui croient que chaque*
ligne de rapport n’eft le figne que du rapport particulier
qu’il doit indiquer, félon l’inftitutian delà:
langue; qû’ainfi, T/n/zn/ri/ n’eft jamais que Y in f i n
it if ^ le figne du temps pajfé n’indique que le-
temps p a jfé , & c . ceux-là , dis-je , fou tiennent:
qu’il n’y a rien de plus déraifonnable que ces fortes
de figures. Qui ne voit, que f i ces changements-
étoient auffi arbitraires, dit l ’auteur de la Méthode?
latine de Port-Royal ( des fzg. ch. vij , p. $ 6 z )
toutes les règles deviendraient inutiles, & i l n’y '
auroit plus de fautes qu’on ne pût juftifier en di-
fant que c’efi une Énallage , ou quelqu autre figure -
pareille 1 Que les jeunes écoliers perdent de con-
noître trop tard cette figure, & de n’avoir pas encore
l’art d’en tirer tous les avantages qu’elle offra-
à leur pareflè & à leur ignorance!
En effet, pourquoi un jeune écolier à qui l ’on-
fait un crime d’avoir mis uir temps ou un genre-*
pour un autre , ne pourra-t-il pas repréfonter humblement
avec Horace, que fes maîtres ne devroient:
pas lui refufèr une liberté que le fiècle même d’Au-
gufte a approuvée dans, Térence, dans Virgile a,
& dans tous les- autres auteurs de là bonne latinité i f
• _ « • • »- • ► • Quid autem
Cacilio , Plautoque dàbit-romanus ademptum
M î, focioqve ? f ' Ho rat. Art. pott. py;. .
Ainfî, la foule voie raifonnable eft- de réduire?
toutes ces façons de parler à la fîmplicité de la
conftrudion pleine-, félon laquelle feule les mots^
font un tout qui préfènte un fensv- Un mot qu£.
n’occuperoit dans une phrafè que la place d’un;
autre,.fans en avoir ni le genre, ni le cas, ni aucun'
des accidents qu’il devroit avoir félon l’analogie 8c
la deftination des fignes; un tel:mot, dis-je , fèrois;
fans rapport, & ne ferait que troubler,.fans.aucun-'
fruit, l’économie- de la conftrudion..
Mais expliquons l’exemple que nous avons dorme-
ci-deffus de Y Énallage fMagnas ver àagere gra+
tias Thaïs mi h il- L ’ellipfo fiippiéée va réduire cette.-
phrafè à la conftruétion pleine. Thrafon, plus occupé
de fon préfènt que Thaïs même qui l’avoit reçu ,,
s’imagine qu’elle en eft tranfportée de joie 8i
qu’elle ne ceffe de l’en remercier: Thaïs vero nor&.
c e ffd t agere mihï magnas gracias , où vous voyez;-
que nan cejflat. eft la raifon. de. L’infinitif agere.- .