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a inventés pour faciliter ou accélérer la Ledure, comme
des fiches , des cartes, une boîte typographique^
&c : mais il y en a peu qui ne puiflènt faire l’acquift-
tion d’un petit livre élémentaire ; & s’il eft allez bien
fait pour être utile aux pauvres citoyens , les riches
mêmes feront peut-être bien de ne le pas dédaigner.
Il n’eft pas bien sûr que le méchaniftne de l’enfèigne-
ment par le bureau typographique, n’accoutume pas
les jeunes efprits à uneefpèce demarche artificielle,
qu’il n’eft ni poflible ni avantageux de leur faire
fùivre par tout ; il y a même quelques expériences
qui rendent cette remarque plus que conjedurale.
A quoi faut-il donc réduire un Abéce\ pour le
rendre aufli (impie & auflï utile qu’il eft poflible ? A
l ’expofition jufte & méthodique de tous les éléments
des mots , & à quelques eflais préparés de Ledure.
L a première partie eft ce qu’on nomme communément
fyllabaire ; voye\ cet article : c’eft donc la
féconde qui va fixer ici l’attention.
Quelle matière offrira-t-on aux premiers elîàis de
l’Enfance ? Il me (êmble que jufqu’ici on n’a guère
apporté d’attention au choix qu’on en a fait, ou
qu’on l ’a fait avec bien peu de difcernement. Dans
quelques Abécés^ c’eft V O raifort dominicale^ la Salutation
angélique , le Symbole des apôtres, la Confèf
fion , les Commandements de Dieu & de CEglife,
& quelquefois les Pfeaumes de la pénitence ; choies
excellentes en fo i, mais déplacées ici : i®. parce
qu’elles ne font pas v de nature à fixer ''agréablement
^attention des enfants, dont la curioftté n’y trouve
aucune idée nouvelle nettement développée & tenant à leur expérience : i° . parce qu’on a foin, dans les
familles chrétiennes, d’apprendre de bonne heure aux
enfants les mêmes choies qu’on leur met ici fous les
yeux ; ce qui les expofè à rendre très-bien l’enchaîne-
-ment des fyllabes & la fiiite des mots, (ans être plus
intelligents dans l’art de lire.
D ’autres Abècés ne renferment que des chofès
inutiles , déplacées , ou au deffûs de la portée des enfants.
J’ai vu dans l’ün les déclinaifôns chimériques
de nos noms qui ne fè déclinent pas, nos conjugaisons
allez mal digérées, un fèmmaire de l’hiftoire
Sainte , un autre (ommaire de la Morale chrétienne ;
outre cela , de la Morale en vers , des fables de Ri-
cher, de la Motte, de la Fontaine, des madrigaux,
des fènnets , des épigrammes, des hiftoriettes ; &
le tout eft fuivi des vêpres & complies du Dimanche ,
en latin : voilà une colledion bien Entendue & bien
utile!
J ’ai vu dans un autre les fables d’Éfôpe , réduites
chacune à quatre vers françois, quelquefois difficiles
à concevoir pour les ledeurs les plus raifonnables ;
tandis qu’on a bien de la peine à proportionner la
proie la plus (impie à la foible intelligence des enfants.
Il eft confiant qu’ils s’occuperont d’autant plus volontiers
de leur L edure, qu’ils la trouveront plus à la portée de leur efprit & qu’ils auront plus de
facilité à l’entendre ; que rien n’eft moins éloigné de
leur intelligence qpe les faits hiftoriques , parce que
ce (ont des tableaux où ils fè retrouvent eux-mêmes,
ABÉ
& dontleur petite expérience les fend déjà jugeà côfftà
pétents : mais que cette matière même doit être encore
rapprochée d’eux par la manière dont on la leur
préfènte ; que le ftyle doit en être concis & clair,
les phrafès Amples & peu recherchées, les périodes
courtes & peu compliquées , en un mot le tout affù-
jetti aux foibles lumières des jeunes élèves. Si l’on
donne au ftyle le tour dramatique , en faifànt parler
chacun des adeurs (èlon (cm caradère, (à paflion do*
minante , la diverfîté des fîtuations , &c\ l’imagination
vive des enfants croira voir & entendre tous les
perfônnages , (ê les représentera comme des concitoyens
& des gens de connoiflànce, s’affèdionnera
à leurs intérêts, animera la curioftté , fixera la mémoire
, & préparera l’ame aux impreflions de la
vertu.
L ’hiftoire de Joseph , la plus inté reliante & la plus
inftrudive de toutes pour les enfants, la plus favorable
au développement des premiers germes de vertu
qui (ont dans leurs coeurs, & la plus propre à mettre
dans leurs âmes l’idée ( heureufè & la convidion utile
des attentions perpétuelles de la Providence (ür les
hommes, me fèmble mériter , par tous ces titres, de
paroître la première fous les yeux de l’Enfance.
Je voudrois qu’elle fût partagée en plufieurs articles
, & que chaque phrafè fût en alinéa. Ces alinéas
pris un à un , deux à deux , &c, (èlon la capacité de
chaque enfant, fixeraient naturellement les premiè^
res taches ; chaque article ferait l’objet d’une répétition
totale. Après avoir fait lire à l’enfant un ou deux
verfèts, on les lui ferait relire afîèz pour les redire par
coeur : ce moyen, en mettant de bonne heure en
exercice (à mémoire & l’art de s’en (èrvir, lui pro*
curerait plus promptement l ’habitude de lire, par
la répétition fréquente de l’ade même. En allant
ainfî de tâche en tâche, on ne manquerait pas de
lui faire reprendre la ledure de tout l ’article quand
on ferait à la fin, & de le lui faire répéter en entier par
coeur avant d’entamer le füivant. Quand on fèroit
parvenu à la fin de toute l ’hiftoire , il (èroit bon de
la reprendre, en faiftmt alors de chaque article une’
fèule leçon, & enfin de tous les articles une fèule
répétition ou du moins deux répétitions partielles ,
qui deviendraient enfiiite la matière d’une répétition
totale, tant pour la ledure que pour la récitation.
Qu’il me (oit permis d’analyfer ici cette hiftoire ,
telle que je penfe qu’il la faudrait. I. Haine des enfants
de Jacob contre leur frère Jofeph ; ils le vendent
à des marchands qui vont en-Egypte , & font
croire à leur père quune bête Va dévoré. II. Jofeph
che\ Putiphar , puis en prifon ; i l ejl établi fur tous
les autres prifonniers• III. Ses prédirions au grand
échanfon & au grand pannetier du roi , prifonniers
avec lui. IV. I l explique les fonges du roi. V . Années
(Vabondance 6* deJférilité > premier voyage des
enfants de Jacob en Egypte• VI. Second voyage.
VII. Jofeph reconnu par Jes frères. Établijfement
de la famille de Jacob en Egypte,
J’ai vu employé dans quelques Abe'cés un expédient
qu’il ferait très-utile d’employer ici ; U cqnfîfteroit
à
A B É
S imprimer à droite fur la page reêto, & fous la
forme ordinaire, l’hiftoire de JTofèph telle que je
viens de l’efquiffèr^ & de l’imprimer parallèlement à
gauche (iir la page verfo , en pareils cafadères , avec
une réparation & un tiret entre chaque fyllabe de chaque
mot. Par exemple :
Dieu, tou-ché de la
Ver-tu de Jo-(èph, lui fit
trou-ver grâ-ce de-vant
le gou-ver-neur.
Dieu , touché de la
vertu de Jolèph, lui fit
trouver grâce devant
le gouverneur.
On commence à faire lire l’enfant au verfo ; cela
eft aifé pour lui, il y retrouve dans un autre ordre
les fyllabes qu’il a vues dans les tables du Syl- ]
labaire : on l’avertit qu’il faut lire de fuite celles
qui font attachées par un tiret. Il eft bientôt au
fait ; & l ’on peut, après deux eiïais , lui cacher
le verfo & lui faire répéter la même ledure au
recto. Mais quand il fortira de VHifoire de Jofeph,
il eft bon qu’il trouve à la fuite quelque autre
cho(è, qui (oit feulement fous la forme ordinaire,
afin qu’il s’accoutume à lire fans le fècours de la
décompofîtion des mots par fyllabes. Cependant il
faut que cette addition tourne encore au profit dù
jeune ledeur.
Je choifirois, en premier lieu, des Réflexions
fu r Vhifioire de Jofeph , afin de hâter les fruits
que peuvent en retirer les jeunes élèves : il faudroit
y remarquer combien la probité eft avantageufè,
même pour réuflïr dans le monde; quel cas on fait
de l ’homme de bien, à en juger par les (èntiments
mêmes que nous infpire pour Jofeph la ledure de
Ion hiftoire ; que la fuite des évènements dont
elle eft compofee , n’eft pas un enchaînement fortuit
d’aventures produites par le hafârd ; que le doigt
de Dieu y eft viftblement marqué par l’accom-
pliflèment des prédidions de Jofèph, qui ne pouvoit,
que par l ’efprit de Dieu, prévoir l’avenir avec tant
de précifion; que les attentions de la Providence fiir
chacun de nous ne font pas moins réelles aujourd’hui,
quoiqu’elles ne fè manifeftent pas par des
prodiges aufli éclatants ; qu’il y aurait très-peu
d’hommes, q u i, en obfèrvant bien les divers évènements
de leur v ie , les diverfès fîtuations où ils
fè trouvent, les différents fîiccès de leurs entre-
prifès avec leurs fuites, ne fiiflènt obligés de re-
connoître l’opération de Dieu même dans une infinité
de circonftances ; que tôt ou tard Dieu punit
le crime & récompenfè la vertu ; mais que l’exemple
de Jolèph eft une belle preuve, que les afflictions
ne lènt fouvent qu’une épreuve pour purifier
la vertu, ou même un moyen pour lui procurer
fà récompenfè ; qu’enfin l’efprit du Chriftianifîne
eft que nous nous (oumettions avec réfîgnation à
tous les maux que nous avons à fbuffrir dans ce
monde, que nous allions même jufqu’à àiiner les
fouffrances, parce qu’elles nous aflimilent à j . C.
notre modèle ; que la fàgeffè éternelle (èmble avoir
particulièrement voulu nous inculquer cette leçon
par l’exemple de Jolèph, qui eft la copie la plus
Ç r amm, e t E it t é r a t . Tome Z,
A B É ?
parfaite de J. C, à tous égards. On développerait
cette dernière réflexion par l’expofition parallèle
des rapports qui fè trouvent entre cette copie &
fon divin modèle , comme l’a faite M. Rollin dans
fèn Traité des Etudes ( liv. V P a rt. I I chap. 2 ).
Cette expofttion doit être mifè fur deux colones
parallèles, afin de rendre les rapports plus fenfî-
bles ; les noms de Jofeph & de Jésus doivent
être répétés à chaque article, afin d’éviter toute
obfcurité par des. dénominations précifès ; l ’une des
colonnes doit être en caradère romain & l ’autre en
italique, afin que les enfants s’accoutument à l’un &
à l ’autre.
Ce que j’ai exigé pour l’hiftoire, par rapport i
la. fîmplicité du ftyle, à la brièveté des périodes*
à la fréquence des alinéas, à la méthode de les
étudier; je le crois encore néceflaire ic i, & dans
ce qui reûe à ajouter pour complctter ce livret
élémentaire. J’intitulerais ce dernier morceau , Remarques
pour perfectionner la Lecture. Il comprendrait
i°. ce qui regarde la Ponduation ; non pouo
enfèigner aux enfants l’art de ponduer , qui ne
peut encore être à leur portée ; mais pour leuc
apprendre la proportion des paufès indiquées par
ces differents caradères , & les changements de-
ton qu’exigent les changements de points & la
parenthèfè : z°. ce que marquent les guillemets 8C
les changements de caradères dans la fuite d’un
difcours , & l’influence que ces chofès doivent
avoir fur le ton. Quand les enfants auraient appris
ceci comme ce qui a précédé, on leur ferait
relire tout ce qu’ils auraient déjà lu , en y faifimt
avec foin l’application de ces remarques. Je crois1
qu’on ne penfè pas affèz, dans les écoles, à infc
pirer , aux jeunes ledeurs, ce ton d’intelligenc«
fans lequel il n’y a point de véritable Ledure.
On rencontre fouvent , dans les livres, des
chiffres arabes & des chiffres romains ; la plénitude-
de l’art de lire exige donc qu’on connoifle la
valeur & les ufàges de ces^chiffres. Il me fèmble
qu’on peut donner aux enfants les principes de
cette numération, en leur expliquant de vive voix des
tables préparées à cette fin,qui termineraient 1 'Abécé.
Pour les chiffres arabes, on aurait fiir une ligne
les dix chiffres:
o. i. 2. 3. 4. 3. 6. 7. 8. 51.
\éro, un. deux, trois, quatre, cinq. Jix. fept. huit. neuf.
Sur une féconde ligne, on aurait de meme les
dixaines avec leurs noms :
10.20.30. 40. 50. 60. 70.
dix. vingt, trente, quarante, cinquante, foixanti, foixante-dix*
80. p O.
quatre-vingt, quatre-vingt-dix.
Sur une troifîème ligne, les centaines avec leurs
noms :
100.200. 300. 400. 300. 600.
cent, deux-cens, trois-cens. quatre-cens. cinq-cens, fix-ceas*
700. ■ 8oj. 900.
fcpt-c&nsi huit-cens, neuf-cens.
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