
toit à faire nii philofophe à qui l ’on propoferoit d’ expliquer
ce que c’eft qu’une belle couleur? Jinon a indiquer
l’origine de l’application du terme Beau*
une couleur en général, quelle quelle (oit, & enfuite
d’indiquer les caufes qui ont pu faire préférée telle
nuance à telle autre. De même ceft la perception
des rapports qui a donné lieu à Invention du terme
B tau-, St félon que les rapports & 1 elpnt des hommes
ont varié, on a fait les noms joli-, beau, ckar-
jitant grand, fublime, divin, & une infinité d autres
tant relatifs au phyfique qu’au moral. Voila
les nuances du Beau : mais j’étends cette penfee &
*e Quand on exige que la notion générale de Beau
convienne à tous Us êtres beaux, parle-t-on feulement
de ceux qui portent cette .épithète ici & au-
jourdhui, ou de ceux qu’on a nommés beaux a la
nailïânce du monde, qu’on appelloit beaux il y a
cinq mille ans , à trois milles lieues , & qu’on appellera
tels dans les -fi'ecles à venir ; de peux que
nous avons regardés comme -tels dans l’enfance ,
dans l ’âge mur , & dans la vieillene; de ceux qui
font l’admiration des peuples policés , & de ceux qui
charment les fàuvages-i La vérité de cette définition
fera-t-elle locale , particulière, & momentanée ?
du s’étendra-t-elle à tous les êtres, à tous les temps, à tous les hommes,' & à tous les lieux ? Si Ion
prend le dernier parti , on Ce rapprochera beaucoup
de mon principe ,& l’on ne trouvera guère d autre,
moven de concilier entre eux les jugements de 1 enfant
& de l’homme fait : de l’enfant, à qui il ne faut
qu’un veffige de fymmétrie & d’imitation pour admirer
& pour être récréé ; de l ’homme fait, à qui
il faut des palais & des ouvrages d’une etendue îm-
menfè pour être frappé : du fàuvage & de 1 homme
policé ; du fàuvage qui eft enchanté à la vue. d une
pendeloque de verre, d’une bague de laiton ou
d’un bracelet de quincaille ; & de l’homme police,
qui n’accorde fôn attention qu’aux ouvrage? les,plus
parfaits : des premiers hommes, qui prodlguoient les
noms de beaux , de magnifiques, &c. a des cabanes,
des chaumières ,& des granges; & des hom-
mes d’aujourdhui, quiontreftreintees dénominations
aux derniers efforts de la capacité de 1 homme.
Placez la Beautéizns la perception des rapports,
& vous aurez Fhiftôîrede les progrès depuis la naifïznçe
du monde jufqu’à au joürdhui : choififfez , pour caractère
différenciel du Beau en général, telle autre
Grammaire , 8t qu’il ne s’agiffe plus que de fpécifîer
exaéfement les idées qu’on attache à ce terme. Voye\ .
à l ’article fuivan t Beau , oppoje a J o l i .
Après avoir tenté d’expofer en quoi confifte 1 origine
qualité qu’il vous plaira; & votre notion fe trouvera
tout à coup concentrée dans un point de 1 efpace &
du temps. „ , , ï .
La perception des rapports eft donc le fondement
du Beau ; c’eft donc la perception des rapports qu’on a défignée dans les langues fous une infinité de noms
différons, qui tous n’indiquent que différentes fortes
de Beau.
Mais dans la nôtre , Sc dans prefque toutes les autres
le terme Beau Ce prend fouvent par oppofî-
tion’à J o li; & fous ce nouvel afpeft, ilfemble que
la queflion du Beau ne foit plus qu’une affaire de
du B ea u , il ne nous refie plus qu’ a rechercher
celles des opinions différentes que les hommes ont
de la Beauté : cette recherche achèvera de donner de
la certitude à nos principes ; car nous démontrerons
que toutes ces différences réfultent de la di-
veriïté des rapports apperçus ou introduits, tant
dans les produirions de la nature que dans celles
des arts. . ’ .
Le Beau qui rélùlte de la perception d um teul
rapport, eft moindre ordinairement que celui qui
rélùlte de la perception de plufieurs rapports. La
vue d’un beau vifoge ou d’un beau tableau, affeéte
plus que celle d’une foulé couleur.; un ciel étoile,
qu’un rideau d’azur ; un payfage, qu’une campagne
ouverte; un édifice, qu’un terrein'uni; une pièce
de Mufique , qu’un fon. Cependant il ne faut pas
multiplier le nombre des rapports à Finfini; & la
Beauté ne foit pas cette progreffion : nous n’ad-
mettens de rapport dans les belles chofes, que ce
qu’un bon efprit en peut laifit nettement & facilement.
Mais qu’eft-ce qu’un bon efprit? où eft ce
point dans les. ouvrages en deçà duquel, faute de
rapports, ils font trop unis, Sc au delà duquel ils en
font chargés par excès > Première fource de diver-
fité dans les jugements. Ici commencent les contefta-
tior.s : tous conviennent qu’il y a un Beau, qu il eft
le réfoltat des rapports apperçus ; mais feloiy qu’on
a glus ou moins de connoiffance , d’expérience,
d’habitude de juger, de méditer , de voir , plus
d’étendue naturelle dans l’efprit, on dit qu’un objet
eft pauvre ou riche, confus ou rempli, mefquin ou
Mais combien de compofîtidns où l’artifle eft contraint
d’employer plus de rapports que le grand
nombre n’en peut (àilîr ; & où il n’y a guère que
ceux de fon art, c’eft à dire, les hommes les moins
difpofés à lui rendre juftice, qui connoiffent tout le
mérite de -fes produftions ? Que deiâent alors le
Beau ? Ou il eft préfenté à une troupe d’ignorants
qui ne font pas en état de le fentir, ou il eft fonti
par quelques envieux qui fe taifent ; c eft la fou-
vent tout l’ effet d’un grand morceau de . Mufique.
M. d’Alc-mbert a dit dans le difeoure préliminaire
de cet ouvrage, difeours qui mérite bien d’être cité
dans cet article, qu’après avoir fait un art d’apprendre
la Mufique , on en devroit bien faire un
de l’écouter : & j’ajoute qu’après avoir fait un art
de la Poéfîe & de la Peintùre, c’eft en vain qu’on
en a fait un de lire & de voir; & qu’il régnera
toujours dans les jugements de certains ouvrages
une ..uniformité apparente , moins -injurieufe a la
vérité pour l’artifte , que le partage des fentiments,
mais toujours fort affligeante.
Entre 'les rapports on en peut diftinguer une infinité
de fortes: il y en 3 qui fe fortifient, s’affoi-
bliffent, & fe tempèrent mutuellement. Quelle difterertee
dans ce qu’on penfora de la Beauté*d’ufi objet,
fi on les faifit.tous , ou fi l’on n’en fàifit qu’une
partie! Seconde fource de direrfité dans> les juge-
mènes. Il y en a d’indéterminés & de déterminés :
nous nous contentons des premiers pour accorder le
nom de Beau, toutes les fois qu’il n’eft pas de l’objet
immédiat & unique de . la fci’ence ou de l’art de les
déterminer. Mais fi cette détermination eft 1’,objet
immédiat & unique d’une:foience ou d un art , nous
exigeons , non feulement les rapports , mais encore
leur valeur: voilà la raifon pour iaquelle nous difons
un beau théorème , & que'nous ne difons pas un
bel axiome; quoiqu’on ne puiue pas nier que 1 axiome
exprimant un rapport, n ait auffi (a beauté réelle»
•Quand je dis , en Mathématiques , que le Tout eft
plus grand que fâ partie, j’énonce alsûrément une
infinité de propofitions particulières, fur la quantité
partagée; mais je ne détermine rien fur l ’excès jufte
du Tout fur lès portions : c’eft prefque comme fi je
difois ; Le cylindre eft plus grand que la fphère inscrite
, & la fphère plus grande.que le cône inferit.
Mais l’objet propre & immédiat des Mathématiques,
eft de déterminer de combien l’un de ces corps eft
plus grand ou plus petit que l ’autre; & celui qui
-démontrera qu’ils font toujours entr’eux comme les
nombres 3 , 1 , 1 , aura fait un theorcme admirable«
L a Beauté, qui confifte toujours dans les rapports,
fera, dans cette occafion , en raifon compofée du
nombre des rapports. & de, la difficulté qu’il y
avok à les appercevoir ; & le théorème qui énoncera
que toute ligne qui tombe du fommet d’un
triangle ifocèle fur le milieu de fâ bafè, partage
l ’angle en deux angles égaux ne fera pas merveilleux
: mais celui qui dira que les asymptotes d’une
courbe s’en approchent fans celle fans jamais la
«rencontrer, & que les elpaces formés par une portion
de l’axe,.une portion de la çourbe, l’afymptote,
& le prolongement de l’ordonnée , font entr’eux
comme tel nombre à tel nombre , fera beau. Une
circonftance qui n’eft pas indifférente à la Beauté|
dans cette occafion. & dans beaucoup d’autres,, c’eft
l ’aéfcion combinée de la fùrprifè & des rapports, qui
a lieu toutes les fois que le théorème , dont on a
démontré la vérité, pafïoit auparavant pour une
propofition faulîè.
Il y a des rapports que nous jugeons plus ou
moiris elïenciels ; tel eft celui de la grandeur relativement
à l’homme , à la femme, & à l’enfant: nous
difons d’un enfant qu’il eft beau, quoiqu’il foit petit;
il faut abfolument qu’un bel homme foit grand ; nous
x exigeons moins cette qualité dans une .femme, & -il
eft plus permis à une petite fèmme d’être, belle qu’à
un petit homme d’être beau. Il me fèmble que nous
confidérons alors les êtres, non feulement en eux-,
mêmes , mais encore relativement aux: lieux qu’ils
occupent dans la nature, dans le grand Tout; &
félon que ce grand Tout eft plus ou moins connu,
l ’échelle qu’on fe forme de la grandeur des êtres
eft plus ou moins exadè , mais nous ne fàvons
jamais bien quand elle eft jufte. Troifième fource
G ramm. e t L it t é r a t * Tome 1,
de diverfîté de goûts & de jugements dans les art»
d’imitation. Les grands maîtres ont mieux aimé <jue
leur échelle fût un peu trop grande que trop petite i
mais aucun d’eux n’a la même echeile , ni peut-etre
celle de la nature. "
L ’intérêt, les paffnTns, l’ignorance, les préjugés ,
les üfàges, les moeut's, les climats, les coutumes,
les gouvernements , les cultes, les événements empêchent
les êtres qui nous environnent, ou les rendent
capables de réveiller ou de ne point réveiller
en nous plufieurs idées , aneantifîent en eux des
rapports très-naturels, & y en établiffent de capricieux
& d’accidentels. Quatrième.fource de diverfitc
dans les jugements.
On rapporte tout à fon art & à'fès connoinances :
nous.faifons tous plus ou moins le rôle du critique
d’Apelle ; & quoique nous ne connoiftions que la
chaufïure, nous jugeons suffi de la jambe, ou quoique
nous ne cofinoiffionè que la jambe, nous descendons
auffi à la chaufTure : mais nous ne portons
pas feulement ou cette témérité ou cette oftentation
de détail dans le jugement des productions de 1 art;
celles de la nature n’en font pas exemptes. Entre les
tulipes d’un jardin, la plus belle pour un curieux
fera celle ou'il remarquera une étendue, des couleurs
, une feuille , des variétés peu communes ^
mais le peintre, occupé d’effets de lumière, de
teintes, de clair-obfcur, de formes relatives à fon.-;
art , négligera tous les caraChères que le fleurifte
admire, & prendra, pour modèle la fleur même
méprifée par le curieux. Diverfite de talents & de
1 connoiffances ; cinquième fource de diverfite dans
.les jugements. r
L ’âme a le pouvoir d’unir enfemble les idées
qu’elle a reçues féparément, de comparer les objets
par le moyen des idées qu’elle en a , d obforver les
rapports qu’elles ont entre elles , d’étendre ou de
refferrer fes idées à fon gré, de confidérer féparément
chacune des idées fimples 'qui peuvent s être
trouvées réunies dans la fon fâ don quelle en a
reçue. Cette dernière opération de l’ame s’appelle
A h ilr a c t io n . V o y c \ A b s t r a c t io n .^ Les idées des
fubftances corporelles font compofées de diverfes
idées fimples', qui ont fait enfemble leurs impref-
fions , lorfque les fubftances corporelles . fe font
préfèntées à nos fèns : ce n’eft qu en fpecifiant
en détail ces idées fenfibles , qu’on peut définir-
- les fubftances.' Ces fortes de définitions peuvent
excite,r une idée allez claire, d’une fùbftance, dans
un homme qui ne l ’a jamais immédiatement apper-
çue, pourvu qu’il ait autrefois reçu féparement,
par le moyen des .fens , toutes les^ idées fimples qui
entrent dans la compofition de l’idée complexe de
la fùbftance définie : mais s’il lui manque la notion
de quelqu’une des idées fimples dont cette fùbftance
eft compofée , & s’ il eft privé du fens^ néceffaire
pour les appercevoir , ou fi ce fèns eft dépravé fans
retour; il n’eft aucune définition qui puiffe exciter
en lui l’idée dont il n’auroit pas eu précédemment
une perception fènfible. Sixicme fource de diverfitc